Много молчит в моей памяти нежного… Детство откликнется голосом Брежнева… Миг… молчаливый, ты мой, истуканище… Провозгласит,- дарахие таварищщи… Станет секундой, минутою, годом ли… Грохнет курантами, выступит потом и… Через салюты… Ура троекратное… Я покачуся дорогой обратною. Мячиком, ленточкой, котиком, пёсиком… Калейдоскопом закрУжит колёсико,

La Cit? Ravag?e

La Cit? Ravag?e Scott Kaelen la TAPISSERIE VERRAGOSLA CIT? RAVAG?EScott Kaelen 2019 La Cit? Ravag?e © 2019 Scott Kaelen La Tapisserie Verragos © 2019 Scott Kaelen Traduit par Fabienne Ranjalahy Snow Publi? par TekTime Tous droits r?serv?s Le droit de Scott Kaelen ? ?tre identifi? comme l'auteur de cette ?uvre a ?t? d?pos? par ses soins conform?ment ? la Loi 1988 sur les droits d'auteur, les productions, mod?les et brevets. La Cit? Ravag?e est une ?uvre de fiction. Tous les personnages, ?v?nements et lieux sont fictifs. Toute similitude avec des personnes, des ?v?nements ou des lieux r?els est fortuite. ? Electa Bio de l'auteur Scott Kaelen est un auteur fantastique, de science-fiction, d'horreur et de po?sie. La Cit?Ravag?e est son premier roman. Ses diff?rents domaines d'int?r?ts sont l'?tymologie, la psychologie, la Terre ? l'?poque pr?historique, l'univers, lire et regarder des ?uvres de science-fiction, de fantaisie et d'horreur. Ses ?missions de science-fiction pr?f?r?es sont Stargate, Farscape, Star Trek et Red Dwarf. Blog / site web: authorscottkaelen.wordpress.com Page de l'auteur sur Amazon US: amazon.com/author/scottkaelen Page de l'auteur sur Amazon Monde: author.to/scottkaelen Goodreads: goodreads.com/scottkaelen Facebook Profile: facebook.com/scottkaelen Facebook Author Page: facebook.com/scottkaelenofficial Facebook Series Page: facebook.com/thefracturedtapestry Twitter: twitter.com/scottkaelen D?j? parus :La Tapisserie Verragos Night of the Taking (2015) La Cit? Ravag?e (2019) Note au Lecteur Merci d'avoir choisi La Cit? Ravag?e. J'esp?re que vous aurez autant de plaisir ? le lire que j'en ai eu ? l'?crire. Si c'est le cas, merci de penser ? laisser un commentaire sur Amazon, Goodreads, etc. Le meilleur cadeau qu'un lecteur puisse faire ? un auteur n'est pas tant l'achat et la lecture de son ?uvre (peu probable que nous en ayons connaissance) que le partage en public de son exp?rience de lecture. Dans cette perspective, si votre exp?rience de La Cit? Ravag?e a ?t? plaisante, merci de consacrer quelques minutes de votre temps pour en faire part. Ce partage est ce qui nous motive en tant qu'auteurs ? ?crire et nous donne l'envie de produire le prochain livre. Vous pouvez laisser un commentaire en visitant la page de La Cit? Ravag?e sur Amazon – http://mybook.to/theblightedcity (http://mybook.to/theblightedcity). Encore une fois, merci. Scott Kaelen La terre d'Himaera a beaucoup appris depuis l'?poque des Rois, le plus important ?tant le prix de la cupidit? et de l'ambition. D?fier les dieux, c'est provoquer leur col?re. La col?re de Morta'Valsana s'abattit sur le Roi Mallak Ammenfar de Lachyla, maudissant l'ambitieux monarque et ses d?vou?s sujets. Pour l'?ternit?, le nom de Mallak fut synonyme d'avarice et d'exc?s et la ville de Lachyla ne fut plus connue que sous le nom de La Cit? Ravag?e. C'?tait un petit point sur la terre d'Himaera, depuis devenu l’?ternel souvenir de la col?re de la d?esse. Un endroit ? ?viter co?te que co?te… In Codex des Temps, Vol. IV "La mort gu?rit toute maladie transmise par des choses mortes." Quatri?me ?re, l'an 693, Saison de Vur Troisi?me semaine de Banaeloch Chapitre Un Le Contrat Chiddari L’?preuve touche ? sa fin. Cette pens?e remplit Maros d'un honteux sentiment de triomphe alors qu'il contemplait son dernier d?fi. Au bout de la clairi?re, les fen?tres ferm?es du cottage lui offrait au regard un d?sint?r?t prodigieux. "Encore une centaine de m?tres. Allez, secoue-toi," s'exhorta-t-il. Il planta ses b?quilles dans le sol et une fulgurante douleur lui traversa la jambe. Serrant des dents, il s'engagea dans la clairi?re. Peu ? peu, Maros finit par couvrir la distance qui le s?parait du cottage, avec force grognements et autres invectives tout le reste du chemin. "J'aurais d? envoyer un coursier," souffla-t-il. "Il y a encore un an, j'aurais pu faire ?a en moins d'un quart de tout ce temps et livrer combat tout de suite apr?s. Maintenant ?" Il aboya un rire ironique. Suant comme un cochon. D'une grande enjamb?e, il parvint au bout de son chemin et ?touffa un rugissement de jubilation. Son visage n'?tait qu'un masque de sueur, des rigoles s'?coulant jusqu'au sol poussi?reux baign? de soleil, vite ass?ch?es sous le soleil de midi. Devant la porte, pour se donner une contenance, d'un regard en coin il surveilla le hameau en forme de croissant et au bout duquel une femme d'?ge moyen ?tait occup?e ? ?tendre son linge tout en le scrutant par-dessus les draps. Il dirigea son regard vers deux jeunes filles au milieu de la clairi?re. Sentant le regard per?ant de Maros, elles cess?rent leur jeu de saute-mouton et le d?visag?rent avec une horreur non feinte. Il leur fit un grand sourire et celles-ci s'enfuirent vers la for?t toute proche. Il secoua la t?te. Les gens du hameau de Balen quittaient rarement leur pittoresque petit microcosme. Ils n'avaient pas l'habitude de voir quoi que ce soit qui sorte de l'ordinaire. La femme le prenait sans aucun doute pour un monstre de la nature ou, pire encore, une cr?ature ? plaindre, maudite par les dieux. Sa jambe estropi?e n'arrangeait pas les choses. S'ils avaient jamais entendu parler de Maros la Montagne, ils ne le reconna?traient certainement pas dans cette cr?ature ?puis?e, mi-homme, mi-j?tunn ? la porte du cottage l'homme dont on chuchote dans ces contes. Sa r?putation appartenait au pass?. Aujourd'hui, il ?tait ? peine plus qu'un gratte-papier gigantesque. De son avant-bras, il s'essuya le front et frappa ? la porte des jointures de ses doigts. Des bruits ?touff?s de pieds tra?nant au sol se firent entendre et la porte s'ouvrit sur une femme vieille et d?charn?e. Un regard embu?, au milieu d’un visage aust?re marqu? de rides, le d?visagea. Elle le regarda des pieds ? la t?te, le sourcil fronc? ? la vue de ses b?quilles et de sa veste tremp?e de sueur. "Je suppose que le boucan que j'ai entendu d'ici, c'?tait vous ?" dit-elle. "On aurait pu croire que l'on abattait un b?uf. Par Verragos, qu'?tiez-vous en train de faire ?" "Je..." ?touffant un soupir, Maros d?signa d'un geste vague le sentier au creux des bois derri?re lui. Bravo ! Montre ? la vieille dame comment tu sais traverser un terrain plat et d?gag?. Comme ?a, tu peux ?tre s?r de l'impressionner. "Hmmm... peu importe. Je dois dire que je n'en ai pas vu beaucoup de votre genre depuis des dizaines d'ann?es." Il fron?a les sourcils. "De mon genre comment ? Un homme ? Un infirme ?" "Un sang-m?l?." Ses yeux chassieux se r?tr?cirent, ne laissant que deux fentes. "Eh bien, que voulez-vous ? Je n'ai pas toute la journ?e." "Je... euh..." Il se racla la gorge. "Un plaisir de faire votre connaissance. Maros. Officier des Sabreurs de la Folie de l'Aulne. Puis-je parler ? Cela, euh..." Il farfouilla dans la poche de sa veste et en retira une feuille de papier moite de sueur et la porta ? son visage. "Cela Chiddari ?" "Vous pouvez. Officier, vous dites ? M?moriser les noms de famille n'est votre fort, on dirait ? Hmmm. Eh bien, puisqu'ils m'ont d?p?ch? le plus haut grad?, je suppose que je devrais me sentir honor?e." Le plus haut grad? s'est d?p?ch? lui-m?me, vieille cingl?e. Maros s'effor?a d’offrir un sourire sympathique. "Je suis s?r que tout le plaisir est pour moi." "Permettez-moi de vous remercier d'avoir r?pondu ? ma convocation. Comme vous pouvez le voir, je ne suis pas du tout en ?tat de faire toute la route jusqu'? la Folie." Convocation ? Son sourire s'effa?a. "Je ne fais pas dans les visites ? domicile en personne mais quand j'ai lu votre lettre port?e par le courrier, je me suis pr?par? ? faire une exception." "Je n'en doute pas." Cela lan?a un regard au-del? de la porte vers la maison de son voisin, de l'autre c?t? du croissant. "Vous feriez mieux d'entrer, jeune homme," murmura-t-elle, tout en reculant vers l'int?rieur de la lugubre maison. "Notre discussion n'est pas destin?e aux oreilles indiscr?tes." Maros se pencha plus bas sur ses b?quilles et franchit le seuil. Il referma la porte d'un coup de talon et plissa des yeux, la pi?ce ?tant plong?e dans l'obscurit?. Quelques minces rais de lumi?re filtraient entre les volets ferm?s. Une vieille odeur de moisi flotta jusqu'? ses narines. Il ?touffa une quinte de toux et regarda la vieille femme squelettique s'installer dans le fauteuil ? c?t? du foyer vide. Alors qu'elle ajustait sa posture pour ?tre assise bien droite, il l'imagina tomber sur le tapis en un poussi?reux tas d'os. "Prenez donc un si?ge, sabreur." Elle fit un geste vague de la main. "L? o? bon vous semble." Maros balaya les sombres amas de meubles du regard, ? la recherche de ce qui pouvait faire office de si?ge assez solide, puis boita jusqu'? un banc adoss? au mur oppos? ? la chemin?e. Il s'y assit lentement, ?touffant un soupir tandis que les douleurs de sa jambe diminuaient. "J'ai entendu dire que vous faites tourner la taverne d'Alderby ? sa place," dit Cela sur le ton de la conversation. "En effet." "Vous ?tes ? la t?te d'une guilde et d'une taverne. ?a fait beaucoup ? g?rer." "Non, pas pour moi. Pour ?tre honn?te, c'?tait une aubaine que le vieil Alderby meure si peu de temps apr?s mon... accident." Maros posa sa main sur son genou. "C'?tait triste, pourtant. La taverne avait toujours eu l'un ou l'autre Alderby ? la barre." "C'est ce que j'ai cru comprendre. Bien, parlons peu, parlons bien." Les yeux de Cela n'?taient plus que des reflets dans l'obscurit?. Un mince sourire traversa son visage fl?tri. "Parlons affaires." "Oui, parlons affaires. M?me la banque de Brancosi l?verait le sourcil devant le montant de la prime que vous offrez. Sans vouloir vous offenser, Madame, quand je regarde ce cottage, je ne trouve rien ici qui vaille cinq cents pi?ces d'argent." "Vous auriez raison, si c'?tait ma maison que je mettais ? prix. Vous aurez vos pi?ces d'argent, sabreur, rassurez-vous. Mes ?conomies ne me serviront ? rien ? moins que vous n'obteniez ce qui revient de droit aux Chiddari." "Bien," dit Maros avec prudence. "D'o? vous vient votre nom de famille, sachant que cette pratique est tomb?e en d?su?tude depuis des si?cles ?" Cela poussa un rire aigu et brandit un doigt en sa direction. "Que de questions, sang-m?l?, que de questions. Tenons-nous en ? ce qui nous pr?occupe, voulez-vous ?" "C'est de bonne guerre. Le montant de la prime mis ? part, votre lettre ?tait pour le moins vague..." "Et pour une bonne raison. Je suis s?re que vous saurez appr?ciez la d?licatesse de l'information." "Je vous en prie, dites-moi ce que vous voulez de la guilde, ensuite je vous r?pondrai." "L'h?ritage de ma famille a ?t? usurp? pendant de nombreuses g?n?rations." Cela le regarda intens?ment. "Perdu... Et pourtant je connais l'endroit exact o? il se trouve. Il est dans un cimeti?re datant de l'?poque o? les morts ?taient encore enterr?s intacts." "Ces lieux ont ?t? engloutis sous le d?sert. Il ne reste pratiquement rien des anciens royaumes." Cela retrouva son mince sourire. "? l'exception, bien entendu, d'un seul endroit." "Attendez, attendez. ?coutez-moi bien. Si vous dites ce que je pense que vous dites, alors vous me demandez d'envoyer des sabreur dans le territoire de la T?te de Mort." "Je ne demande pas. Je vous offre un contrat moyennant une grande r?compense. Si vous ne voulez pas du travail, j'irai trouver des mercenaires ? la renomm?e un peu moindre..." Elle remua dans sa chaise tout en gardant sur lui un regard per?ant. Sans aucun doute une mission vou?e ? l'?chec, pensa-t-il. Mais pour une prime de cet ordre... "Je dois vous rappeler que la guilde s'attaque ? de vrais probl?mes, pas ? des l?gendes. Il n'y a qu'un cimeti?re qui n'ait jamais ?t? explor?. Si c'est de celui-l? dont il s'agit, alors arr?tons de tourner autour du pot. O? exactement se trouve cet h?ritage?" Cela soupira. "Dans une crypte dans les Jardins des Morts ? Lachyla, la Cit? Ravag?e." La derni?re once de politesse de Maros s'?vapora et il rigola ? gorge d?ploy?e. "Je le savais ! Que je comprenne bien. Vous voulez que mes gars et mes filles traversent une vaste r?gion abandonn?e des dieux et des hommes depuis des si?cles. Vous attendez d'eux qu'ils risquent leur vie ? passer le cimeti?re d'une ville maudite au peigne fin ? la recherche d'un soi-disant tr?sor que vos anc?tres auraient laiss? moisir au fond d'une crypte ?" Il ren?cla. "Madame, soit vous avez perdu la t?te, soit…" Cela le d?visagea dans un silence de pierre. Soit vous ?tes s?rieuse. Il secoua la t?te, le regard pench? vers le plancher, un sourire amus? sur le visage. "Bon, cet h?ritage, il ressemble ? quoi exactement ?" "C'est une pierre pr?cieuse." "Mais encore. Quiconque prendra le boulot, il devra savoir ce qu'il doit chercher." "Personnellement, je ne l'ai jamais vue. Tout ce que je sais c'est qu'elle est d?cor?e de runes fun?raires et que c'est une pierre plus grande que la normale. Il la trouveront dans la tombe de mon anc?tre le plus ancien." "Et qui est-il ?" "Aucune id?e," dit Cela bri?vement. "Connaissez-vous votre lign?e, sang-m?l? ?" "Bien," soupira Maros. "Alors, on a une pierre de description inconnue, pr?s d'une tombe au nom inconnu. Avez-vous id?e de l'?tendue qu'on pr?te ? ce cimeti?re ? Ils pourraient y consacrer des jours entiers et ne pas trouver votre pierre. Il va me falloir plus, sinon ?a ne marchera pas." "Oh, j’ai ce qu’il faut." Cela s'approcha de la table ? c?t? d'elle et ramassa un morceau de v?lin pli? en carr?. "Ceci n'est qu'une esquisse mais c'est assez pr?cis." "Qu'est-ce que c'est ?" "Une carte des Jardins des Morts." Maros ?touffa un rire. "Par Verragos, o? donc avez-vous d?got? ?a ?" "L? n'est pas la question, sabreur. Il y a l? toutes les informations ? ma disposition. Prenez votre d?cision." Il la regarda pos?ment et envisagea les hypoth?ses. Si l'on br?le les morts de nos jours, c'est d? ? ce qui s'?tait pass? ? Lachyla. Il n'y avait pas d'endroit plus entour? de mythes et de superstition que cette ville et son cimeti?re dans tout Himaera. Mais qui sait vraiment ce qui se trouve au fin fond de ces Terres Mortes ? Peut-?tre que la l?gende dit vrai, peut-?tre pas. Quoi qu'il en soit, ce genre de prime ne pouvait ?tre qu'une aubaine. Et ma part ne serait pas des moindres. Sans parler de la r?putation qui remettrait la guilde au haut du pav?. "D'accord," dit-il. "Tranchons. Montrez-moi le dari." Cela tira une fine cha?ne de l'encolure de son chemisier. Elle fit tourner l'une des extr?mit?s du pendentif rectangulaire puis lui tendit l'une des moiti?s. L'int?rieur en avait ?t? fa?onn? comme une cl?. Elle pointa du doigt un pi?destal en bois de fer dans le coin de la pi?ce sur lequel un caisson ?tait solidement boulonn?. "Ouvrez-le," dit-elle. Maros se leva du banc sur lequel il ?tait assis. Il ouvrit le coffre et laissa ?chapper un sifflement ? la vue des pi?ces d'argent nettement empil?es. "Cinq cents en tout, comme promis, et pas une seule pi?ce de cuivre." La vieille femme poussa un soupir. "Je crains qu'il n'y ait que peu de temps ? perdre, alors dites-moi maintenant, march? conclu ?" Maros se l?cha les l?vres et lui lan?a un regard oblique. "Lachyla, vous dites. Bien. Je suppose que ce n'est vraiment qu'une l?gende…" Cela Chiddari sourit. Le peu de lumi?re accentuait les creux de son visage et, pendant un moment, elle ressemblait au symbole de la t?te de mort elle-m?me. "Bon ?tat d'esprit, sabreur," susurra-t-elle. "Quelle bravoure. F?licitations, le travail est ? vous. Et maintenant, retrouvez-moi mon h?ritage." Jalis leva les yeux des cartes qu'elle avait en main et poussa distraitement un soupir. Les murs en pierre de la salle commune bourdonnaient du bavardage et du caquetage des clients de la taverne. Une serveuse passa en vitesse, emportant des assiettes vides ? la cuisine. Derri?re le bar, Jecaiah ?tait occup? ? remplacer un baril vide en pr?vision de l'affluence des clients du soir. Elle se concentra ? nouveau sur ses cartes. Sa meilleure carte ?tait l'Arkhus mais elle ne valait rien ? c?t? des autres. Le mieux qu'elle eut ? faire ?tait une quinte basse dans les Artisans. Elle jeta un regard ? ses deux compagnons. Dagra attendait patiemment, essuyant d'un mouchoir sale la mousse de bi?re qui collait ? sa barbe clairsem?e. De l'autre c?t? de la table, Oriken se grattait la joue, ses yeux fixes alors qu'il la regardait par dessous le bord de son chapeau. "Orik," dit-elle, attirant son attention. "Mon visage est ici." "Hein ? Ah." Il se racla la gorge. "Ben alors, vas-y ! C'est ton tour. Tu ne fais que retarder la victoire de Dag et tu sais combien il aime compter ses sous." "Va te faire foutre," dit Dagra. Jalis jeta un coup d’?il au sablier pos? sur la table et regarda les derniers grains s'?couler. "Le temps est ?coul?", dit Oriken. Elle jeta ses cartes sur la table. "Je me plie." "Pourquoi ?" Dagra fron?a les sourcils ? la vue de ses cartes. "Tu avais de quoi faire l?." "Ouais, je le sentais pas," dit-elle. "Que tu gagnes ou que tu perdes, il faut savoir s'arr?ter." Oriken ramassa les cartes et les empila. "Et si on faisait une partie de Cinq Saisons ?" "Pas maintenant, Orik." "Bien, tr?s bien." Il poussa un soupir et jeta un regard vers les portes battantes ? l'entr?e de la salle. "Je vais peut-?tre sortir me faire un petit tobah." Jalis pencha la t?te en sa direction et le fixa du regard. "Tu n'es pas cens? arr?ter ?" "Hmm. Ouais. Bon, qu'est-ce qu'on fait alors ?" Elle haussa les ?paules. "Nous devrions peut-?tre prendre un contrat." Dagra ricana. "Non mais, vous avez vu le tableau de la guilde ? Des travaux ? peine dignes d'un d?butant ! Les bons trucs sont pris tr?s vite et, de ceux-l?, il n'y en a pas eu depuis des semaines. Croyez-moi, si un bon contrat se pointe, je serai le premier ? le prendre et ? quitter cette taverne." Jalis hocha la t?te. "Il y a tant d'autres choses que je pr?f?rerais faire en ce moment. Ce n'est vraiment pas la joie de vivre ici mais c'est toujours mieux qu'? la maison de la guilde." Elle jeta un coup d’?il vers l'avant de la salle commune. Un rayon de soleil brillait au-dessus des portes. Au-del?, le ciel bleu tendait ses bras. "Nous ne devrions pas g?cher nos journ?es ? attendre qu'un bon travail se pr?sente. Nous devrions ?tre l?-bas, dehors." Oriken renifla. "Je suis d'accord avec toi mais si on commence ? aller se balader dehors, on pourrait perdre notre chance de d?crocher un bon contrat." Elle porta sa coupe ? sa bouche et avala une gorg?e d'eau. "Ne me m?prenez pas," dit-elle. "J'adore votre compagnie, les gars, mais nous sommes des sabreurs, nom dans lequel il y a le mot sabre." "Le probl?me, c'est qu'on est trop bon dans ce que nous faisons," dit Oriken. Dagra hocha la t?te en signe d'assentiment. "Entre nous et le reste de la branche, nous avons pratiquement d?barrass? Caerheath de tous ses bandits. Les seuls troubles de la ville sont rarement plus que de petites querelles." Jalis soupira. "Ce devrait ?tre une bonne chose. Nous maintenons la paix mais nous ne nous rendons pas service. Depuis quand la guilde est-elle le l?gislateur principal ? Himaera?" "Principal ?" Dagra fron?a les sourcils. "Tu veux dire l'unique. Ce n'est pas Vorinsia ici. Nous n'avons pas de grand Arkhus pour exercer la loi, ni d'arm?e, pas m?me un minable sh?rif. Rien depuis l’?poque des Rois. Les sabreurs sont tout ce qui reste dans ce pays." "J'ai v?cu ici assez longtemps," dit Jalis, "mais je n'arrive pas ? m'habituer ? l'absence totale d'arm?e ou de repr?sentant de l'ordre. C'est un miracle qu'Himaera n'ait pas ?t? consum?e par les Arkhs depuis des si?cles." Dagra haussa les ?paules. "Ils ont essay? de nous envahir pendant le Soul?vement mais Himaera, m?me sur les genoux, les a envoy?s pa?tre et soigner leurs plaies. Les Arkhs se sont ramollis depuis. Plus rien qui vaille la peine d'?tre conquis." Il regarda Jalis d'un air embarrass?. "Sans vouloir t'offenser, ma belle." "Y a pas de mal." Oriken s'adossa contre le mur. "De toute fa?on," dit-il, "je ne m'inqui?terais pas. Un bon truc arrivera bient?t sur le tableau d'affichage. T?t ou tard, il y en a toujours un." Il fit ? Jalis un sourire enjou?. "Ah, l'?ternel optimiste..." De son menton, Dagra d?signa le tableau de la guilde dans l'alc?ve au bout du bar. "Vous avez vu les r?compenses affich?es ? La plus haute est de huit pi?ces de cuivre. C'est une insulte." "Il est peut-?tre temps qu'on parte en vacances," dit Oriken. "Pas une mauvaise id?e," dit Jalis. "Je ne suis pas all?e au pays depuis longtemps." "Pas vraiment ce que j'avais ? l'esprit." "Je vais aller pisser," annon?a Dagra en se mettant debout. Oriken le regarda s'?loigner. "Nous devrions quitter la ville pour un temps. Il y a peut-?tre un besoin de main d’?uvre ? Middlemire. Ou ? la Baie de Brancosi. On devrait demander ? Maros d'aller voir pour nous." Une ombre traversa la lumi?re du soleil sur le plancher. Jalis aper?ut la massive silhouette de Maros claudiquant ? travers les portes de la taverne. Il aper?ut son regard et se dirigea vers eux en boitant. "Le retour du vagabond", dit Oriken. "Pas moyen de te garder dans ta propre taverne ces jours-ci." Maros aboya d'un rire fatigu? et rassembla ses b?quilles dans une main. "Depuis que j'ai repris cet endroit, je ne suis jamais all? plus loin que Balen. Rappelez-moi de ne jamais y retourner." Jalis inclina la t?te pour chercher son regard. "Tu as ?t? ? Balen ? Tout l'apr?s-midi ?" "? peine ! La plus grande partie du temps a ?t? de m'y rendre et d'en revenir." "Pourquoi n'as-tu pas demand? ? Ravlin de te conduire dans son chariot ? ?a ne l'aurait pas d?rang?." "J'ai essay?. Le marchand ?tait parti faire son r?approvisionnement ? Brancosi." "Qu'y a-t-il de si important ? Balen que tu n'y aies pas envoy? de novice ?" demanda Oriken. "Absolument rien, si ?'avait ?t? un autre jour." Maros jeta un coup d'?il ? Jalis. "Bon, il faut que je m'occupe de quelques trucs. Je vous retrouve dans peu de temps." Jalis le regarda se rendre au tableau en boitillant. Apr?s un moment, il s'?loigna de l'alc?ve et prit le couloir qui menait ? ses bureaux. "Il mijote quelque chose", se dit-elle. ? une table pr?s du mur oppos? de la salle commune, plusieurs sabreurs ?taient occup?s ? jouer aux osselets. Alari, une sabreuse v?t?ran qui avait pass? quelques ann?es de plus dans la guilde que Jalis, lan?a un regard vers le tableau de la guilde et marmonna ? son voisin. "Je reviens dans une minute." Jalis se leva de sa chaise et se rendit rapidement jusqu'? l'alc?ve. Elle scanna le contenu du tableau jusqu'? ce qu'elle remarqu?t un nouveau bout de papier qu'elle d?crocha du tableau en bouchon. ? la vue de la prime offerte, ses yeux s'agrandirent. "Ma belle, t'es plus preste que le silex sur la pierre ? feu toi," dit Alari derri?re elle. Se saisissant de la note, Jalis se tourna vers sa coll?gue. "Ah, t'?tais pas bien loin non plus." Le sourire d'Alari tiraillait sur la p?le cicatrice pr?s de sa bouche. "Qu'est-ce que le patron a accroch? l?, cette fois ? Encore un qui ne vaut pas le papier sur lequel il est ?crit ?" Jalis haussa des ?paules. "?a a l'air un peu mieux que d'habitude. Pourquoi n’irais-tu pas voir du c?t? des offres plus petites ? C'est juste ce qu'il faut pour les novices dont tu t'occupes. Il faut bien commencer quelque part." Alari plissa le front ? cette pens?e. "Ouais, t'as pas tort. Kirran pourrait les faire tout seul. Je lui dirais de venir en prendre une." Elle donna ? Jalis un clin d'?il complice. "Allez donc gagner votre cro?te, toi et les gars." Alors qu'Alari regagnait sa table, un autre sabreur la croisa pour se rendre au tableau. Jalis le d?visagea froidement. "Qu'est-ce que t'as l? ?" dit Fenn en parvenant ? l'alc?ve et se pla?ant de telle sorte que Jalis ne puisse en sortir. "D?gage, Fenn." "Voyons voir." Il essaya de s'emparer du papier mais Jalis parvint ? glisser sa main derri?re son dos. "Premier arriv?, premier servi," dit-elle. "Tu connais les r?gles. Si tu veux un contrat, il y en a plein sur le tableau qui te conviendront." Les yeux porcins de Fenn la transper?aient du regard. "Moi au moins, je peux faire mon travail tout seul. Tout le monde sait que toi et tes deux gardes du corps, vous profitez du traitement pr?f?rentiel par ici." Il attrapa Jalis par l'?paule. Elle enfon?a sa main entre les jambes de Fenn et serra sa prise. "Ce sont mes compagnons et mes amis. Tu sais quoi ? Tu enl?ves ta main de l? et j'en fais de m?me. Ensuite tu retournes t'asseoir comme un gentil gar?on." Fenn grogna en silence, les l?vres retrouss?es. Jalis resserra sa prise et, ? contrec?ur, il retira sa main. "T'as un probl?me." "Si j'ai des probl?mes, tu n'en fais pas partie." Elle serra plus fort. "Juste pour qu'on soit bien clairs. C'est bien clair, Fenn ?" "Vira ta sale patte de l? !" "D'accord, d'accord...! Mais je te pr?viens, la prochaine fois que tu me touches, ce n'est pas ma main que t'auras ? l'entre-jambe, ce sera mon poignard. Alors viens pas me chercher ou je rendrai service ? l'humanit? enti?re." Elle rel?cha sa prise apr?s une derni?re torsion. Alors que Fenn titubait ? reculons, il d?cocha un coup de poing vers le visage de Jalis. Elle put se baisser pour l'?viter et enfon?a un coup de poing dans ses c?tes, suivi d'un uppercut qui lui fracassa le nez et l'envoya s'?tendre au sol. Quelques applaudissements de la part des clients se firent entendre, mais ils prirent fin aussit?t que Maros ?mergea de son couloir en boitant. "Que diable se passe-t-il dans ma taverne ?" tonna-t-il. Fenn se remit sur pied, du sang coulant de son nez. "Tu ferais mieux de garder cette chienne en laisse. Tout le monde sait que c'est ta pr?f?r?e." Il jeta un coup d'?il au chemisier en fine gaze de Jalis. "Et c'est pas bien difficile de voir pourquoi." "Vraiment ?" Maros boita jusqu'? lui et le domina de toute sa taille. "Tu devrais montrer un peu plus de respect envers une femme d'?p?e, je dirais m?me beaucoup plus de respect, d'autant qu'elle vient te mettre sur le cul. Tu d?connes encore une fois, Fenn, et franchement, la branche de Grenmoor peut venir te reprendre. File ? la guilde. Maintenant. T'as eu ta dose pour la journ?e." Le visage de Fenn rougeoya de col?re mais il garda le silence. Apr?s un moment, il tourna les talons et franchit les portes. "Oh, et Fenn," le rappela Maros, "si tu me parles encore une fois comme ?a, c'est pas en marchant que tu sortiras d'ici, mais en volant dans les airs." "J'ai manqu? quelque chose ?" Dagra demanda en arrivant ? c?t? de Jalis. Elle secoua la t?te. "Non, rien." Maros se d?pla?a en boitant pour la regarder. "Il semble que tu aies ?t? la premi?re ? voir le contrat que j'ai accroch? ?" "En effet. Tu n'as pas perdu ton temps ? Balen." "Je ne suis pas certain de vouloir te voir sur ce coup-ci, Jalis." "Pourquoi ? ?a serait idiot de ne pas le faire." Maros grogna. "Alors, promets-moi que tu ne le feras pas seule." Il hocha la t?te en direction de Dagra. "Si les gars ne tombent pas d'accord, ce travail retourne sur le tableau. Je pr?f?rerais laisser Fenn d?crocher celui-ci et bon d?barras." Jalis fron?a les sourcils. "Qu'est-ce qui te pr?occupe autant, l'ami ? Si c'est une horde de bandits qui s'est install?e quelque part—" "C'est pas des bandits." Maros regarda bri?vement autour de la salle et dit d'une voix basse, "Va discuter avec Dagra et Oriken. Vois ce qu'ils en disent. Si vous ?tes tous d'accord, le contrat est ? vous. Mais j'en serais pas heureux. Toi et moi avons pass? trop d'ann?es ensemble, jeune fille. Ne sous-estime pas ce que ce contrat implique." Elle ?tudia son visage. "Je ne t'ai jamais entendu parler comme ?a." "Nous n'avons jamais eu de contrat comme ?a." Alors que Jalis retournait ? sa table, Dagra sur ses talons, Oriken leva un sourcil. "Eh bien, ?a a ?t? le plus grand divertissement de toute la semaine. T'as rat? quelque chose, Dag. Jalis a fichu une sacr?e d?culott?e au trou du cul du coin." "Je n'ai rien fait de tel." Jalis ignora le regard inquisiteur de Dagra. Elle croisa les bras sur la table et enjoignit ses camarades ? se rapprocher d'elle. "Je nous ai trouv? un contrat et vous n'avez pas id?e du montant de la prime." "Je suis pas s?r de vouloir savoir," dit Dagra, "pas apr?s avoir vu la r?action de Maros. Mais bon, je t'?coute." Les bavardages avaient repris dans la salle de la taverne mais elle jeta un coup d'?il autour pour s'assurer que personne ne les ?coutait. "Cinq cents dari d'argent." Oriken laissa ?chapper un long sifflement. "Ciel. Tu plaisantes." "Non." Les yeux de Dagra ?taient empreints de scepticisme. "Tu as les d?tails ?" "Non. Je n'ai pas vraiment eu le temps de v?rifier." "Tu n'as pas eu le temps ? Jalis, on n'accepte pas les contrats aveugl?ment. Tu le sais mieux qu'Orik et moi-m?me." "Je sais ! Mais cinq cents dari. ? ce prix-l?, quel contrat tu ne prendrais pas ?" "Oh, je peux en penser ? un ou deux," dit Oriken avec un sourire en coin. "Mais, Dagra lui, probablement pas autant." Dagra fit comme s'il n'avait rien entendu. "Bon," fit-il ? Jalis. "Voyons voir." Elle d?froissa le morceau de papier et le mit ? plat sur la table, fron?ant les sourcils tout en prenant connaissance des d?tails. "Euh, c'est o? Lachyla ? C'est quoi la Cit? Ravag?e ?" "Oh, par les mis?rables dieux." Dagra se passa une main sur le visage. "Quoi ?" Oriken ?clata de rire. "Maros a vraiment mis ?a au tableau ? Il se fiche de nous. ?a peut pas ?tre autrement." Jalis secoua la t?te. "Non, il ne ferait pas ?a. Attends, c'est pas une l?gende d'Himaera ?a ? La Cit? Ravag?e, ?a faisait partie des histoires du Tisseur de Contes il y a quelques ann?es, non ?" "Baisse le volume," dit Dagra. "?coute, qu'il s'agisse d'une chasse au dragon, ou que ce soit pour de vrai, oublie ?a. Nous n'allons pas l?-bas. C'est marqu? d'une t?te de mort pour une bonne raison." Oriken s'offusqua. "Mais voyons. Juste parce qu'on t'a ?lev? ? croire en toute l?gende qui existe. Tu sais, ?a pourrait tout aussi bien ?tre une belle balade ? la campagne." "Tu vas pas croire ?a," dit Dagra. "Depuis quand t'es-tu d?j? rendu dans les Terres Mortes ? Depuis jamais. Une balade ? la campagne. La marche vers la potence, oui." "J'y connais pas grand-chose aux l?gendes," dit Jalis, "mais rien que les dix pour cent non-remboursables pourraient nous faire vivre pour quelques mois. Et si nous atteignons l'objectif, ce sera une prime plus lucrative que Maros et moi n'ayons jamais gagn?e ensemble au bon vieux temps. Celui-ci, c'est un tr?s gros coup. Si on le laisse filer, Alari ou Fenn ou Henwyn ou n'importe qui va s'en emparer." "Ce n'est pas moi que tu dois convaincre," dit Oriken. "Moi, je suis partant." "Toi t'es partant pour n'importe quoi." Dagra le regarda avec col?re. "Toujours ? te fourrer dans les trous les plus sombres. M?me quand on ?tait gamins. N'apprends-tu donc jamais ?" Oriken haussa les ?paules. "C'est toi le superstitieux. Donne-moi une preuve que Lachyla n'est rien d'autre qu'une histoire qui fait peur du Vieux Tisseur de Contes. Donne-moi des preuves qu'on ne devrait pas prendre ce job." "Tu sais bien que je peux pas. Mais on ne devrait pas aller provoquer les Dyades ? nous balader dans les contr?es d'une d?esse morte. Toute la r?gion est maudite." "Les Dyades sont tes dieux," dit Oriken. "Pas les miens. Ni ceux de Jalis. Au nom du ciel, Dag, nous sommes des sabreurs." "Quand bien m?me nous trouverions l'endroit, nos chances de trouver le... De quoi il s'agit d?j? ?" Dagra jeta un ?il ? la feuille de papier. "Une crypte ? Oh, non. Laissez tomber. Je n'entre pas dans une crypte." Il regarda Jalis. "Tu sais qu'ils enterraient leurs morts sans les br?ler ? Des barbares, je te dis. C'est sacril?ge." Oriken lui fit un sourire amus?. "Sacril?ge ? Tu parles d'une ?poque avant que les Dyades ne viennent ? Himaera. Comment peux-tu accuser les anc?tres de sacril?ge alors qu'ils existaient avant vos dieux ?" Dagra p?lit. "Tu vas trop loin, Oriken." "Cela s'?tait produit partout," dit Jalis, "pas seulement ? Himaera. C'?tait pareil dans l'Arkh." Dagra but ce qui restait de sa bi?re. "Jecaiah !" Il fit signe au barman de lui apporter un autre verre puis regarda Jalis de fa?on insistante. "Au mieux, nous aurons perdu un mois, sinon plus, ? errer dans le d?sert avant de rentrer bredouilles." Apr?s un soupir qu'elle r?prima, elle d?cida d'essayer une autre tactique. "Vous r?alisez que si nous terminons ce contrat, Maros vous offrira probablement ? tous les deux l'opportunit? de passer vos tests de ma?tres-lames." "T'imagines ?a, Dag. Sabreur de troisi?me ?chelon apr?s seulement cinq ans." Oriken leva un sourcil. "Toute la guilde ne parlerait que de nous." "Hmm." Dagra repoussa sa chaise et se dirigea lourdement jusqu'au bar. "Il finira par changer d'avis," dit Oriken. Dagra regarda par-dessus son ?paule. "J'ai entendu ce que t'as dit. J'attends toujours qu'on vienne me convaincre." "Tu sembles moins sceptique que tu ne l'?tais," dit Jalis alors qu'il reprit son si?ge. "?coute, si tu veux venir, ?a n'en signifiera que plus ? Oriken et moi. Ce serait vraiment dommage de ne pas t'avoir avec nous, mais si c'est ta d?cision..." "N'essaie pas ?a avec moi, copine. Tu as entendu Maros. Il a dit, c'est nous tous ou aucun de nous." "Oui, il a dit ?a. Mais au bout du compte, ce n'est pas ? lui de d?cider. J'ai vu les d?tails. S'il essayait de m'emp?cher, il le ferait en tant qu'ami, non en tant qu'Officier." "Pense ? tout le bien que ?a pourrait apporter," insista Oriken. "Toi et moi, ma?tres-lames. La reconnaissance que ?a nous apporterait ? nous et notre branche, sans parler de toute la guilde. Ce n'est pas que pour l'argent. Par les ?toiles, je ne sais m?me pas ce que je ferais de ma part. Imagine, Dag. Une fois que le mot circulera que nous aurons brav? le fl?au, conquis une l?gende et serons revenus victorieux..." "Je ne veux pas prendre le risque de contrarier les dieux, pour aucun dari au monde." "Par les ?toiles !" Oriken soupira d'exasp?ration. "Tout ce qu'on a ? faire, c'est de rentrer dans une crypte et trouver une babiole rouill?e. Tu peux pas te d?tendre un peu juste cette fois ? Tu pourrais m?me attendre dehors pendant que Jalis et moi on s'occupe du c?t? s?rieux." Demeurant silencieux comme la pierre, Dagra fixait l'offre de contrat du regard. "Bon," dit Jalis. "Je doute que les Dyades soient contentes si tu nous laissais Oriken et moi ? notre propre sort mais si c'est ta d?cision, je la respecterai." Dagra lui lan?a un regard furieux. "?a, c'?tait vraiment un coup bas." Elle haussa les ?paules et se leva. "J'accepte le contrat, et Maros le validera. Tu viens, tu viens pas, c'est ? toi de voir." Il soupira. "Je ne suis pas content de ce truc. Pas content du tout." Jalis sourit. "Tu viens, alors ?" Dagra vo?ta ses ?paules en signe de d?faite. "Je me d?testerais s'il vous arrivait quelque chose. Quel choix me reste-t-il ?" Les l?vres serr?es, il lan?a un regard entendu ? Oriken. "Ouais, tu auras ma lame juste ? c?t? de la tienne. Comme toujours." Chapitre Deux Dans les Terres Mortes Jalis ?tait allong?e sur le ventre, en appui sur les coudes sur la berge, tandis que Dagra et Oriken remplissaient les outres. Une carte de la r?gion ?tait ?tal?e devant elle. Comme elle l'?tudiait, elle secoua la t?te. "Aucun des hameaux que nous avons vus ces trois derniers jours n'est marqu? ici, juste le vieux ringfort que nous avons pass? il y a quelques temps." "?a ne me surprend pas," intervint Oriken depuis le ruisseau. "Je ne les appellerais m?me pas des hameaux, juste un amas de vieilles cabanes d?labr?es. Et les regards qu'ils nous lan?aient, ? croire qu'ils nous prennent pour des bandits ou m?me pire." "Ce sont des gens simples ici," dit Dagra en quittant la rive pour s'asseoir pr?s de Jalis. "? vivre en bordure des Terres Mortes, ils ont tous les droits de se m?fier des ?trangers, surtout s'ils n'en voient probablement jamais. Et les armes que nous transportons n'ont rien pour inspirer confiance." Il tapota le vieux glaive qu'il portait ? sa hanche. "Pour eux qui ne savent pas reconna?tre un sabreur – ou tout simplement un mercenaire – d'un bandit, on se ressemble tous un peu." Oriken se rapprocha d'eux. Il lan?a ? Jalis son outre remplie. "Nous n'avons pas encore besoin de savoir o? nous sommes," lui dit-il. "Selon toutes les histoires que l'on raconte par ici, tant qu'on suit la route on finira par atteindre cette ville." Il enleva son chapeau et s'allongea dans l'herbe, les mains repli?es derri?re la t?te. "Il ne reste presque rien de la route," bougonna Dagra avec un regard en direction de ce qu'il restait de la Route du Royaume, maintenant envahie de v?g?tation. "Imaginez dans quel ?tat elle pourrait ?tre demain, ou le jour d'apr?s..." "Route ou pas," dit Oriken, les yeux plong?s dans le ciel d'apr?s-midi, "d'apr?s les Tisseurs de Contes, tant qu'on va vers le sud ou l'ouest, on peut pas se tromper. On y arrivera. Et puis on rebroussera sans doute chemin et on rentrera bredouille. C'est presque tentant de s'arr?ter camper pendant quelques semaines et de retourner pour les dix pour cent." Jalis leva le nez de sa carte. "Et risquer de perdre les quatre-vingt-dix pour cent restants ? As-tu donc si peu foi en ce que nous ne trouvions ce bijou ?" Oriken haussa les ?paules. "Je n'ai foi en rien. J'honorerai le contrat, tu le sais. Mais d'apr?s ce que Maros avait dit de Cela, il semble que les corbeaux ont aspir? ce qui lui restait de cerveau. Un nom de famille ! Qui donc a encore ?a de nos jours ?" Surprenant le regard de Jalis, il dit : "Bon, d'accord peut-?tre que toi, tu en as un, et peut-?tre quelques autres aussi, ceux qui sont venus du continent, mais notre cliente est d'Himaera." Il ricana. "Et elle affirme qu'elle est descendante de Lachyla. Ha !" Jalis souleva un sourcil. "Et pourquoi ne le serait-elle pas ?" Oriken grogna et ferma les yeux. "Il y aurait eu des survivants au fl?au," souligna Dagra. "Que Cela soit folle ou que ce soit nous," dit Jalis, "nous allons traverser le Plateau de Scapa, d?couvrir cette soi-disant Cit? Ravag?e et faire de notre mieux pour trouver cet h?ritage." Elle jeta un coup d’?il ? Dagra. "Quelque chose te pr?occupe ?" Il lui lan?a un regard sombre et resta silencieux quelque temps avant de r?pondre. "Ouais, quelque chose me pr?occupe. Tout d'abord," — il se pencha en avant et frappa la carte du doigt l? o? le symbole de la T?te de Mort tr?nait au c?ur du Plateau de Scapa — "?a, ?a me d?range au plus haut point. Il y a une bonne raison pour que personne ne vienne par ici." "Ouais, c'est parce que tout Himaera a ?t? abandonn?e des dieux," dit Oriken d'une voix endormie. "Nous nous sommes d?barrass?s du r?glement des rois et ce n'?tait qu'un seul c?t? de la pi?ce." "Ensuite," continua Dagra tout en lui jetant un regard cinglant, "en supposant un instant que toute cette r?gion soit la plus petite ?tendue sauvage que nous ayons jamais vue, que se passera-t-il si nous trouvons Lachyla ?" Jalis fourra la carte dans son sac ? dos. "Qu'est-ce que tu veux dire ?" "Dag s'inqui?te ? propos du cimeti?re," dit Oriken. "Un peu que je m'inqui?te, oui ! ?a n'est pas convenable de laisser les gens pourrir comme ?a. Et on s'attend ? ce qu'on entre dans quelque trou dans la terre rempli de toutes sortes de vieux cadavres non sanctifi?s ? Ce que je veux dire, c'est qui diable—" "Je vais te dire qui." Jalis se redressa et le regarda droit dans les yeux. "Trois sabreurs qui ont tout le mal du monde ? trouver de quoi survivre. L'argent se fait rare, et nous serions compl?tement idiots de refuser un tel contrat. On a de la chance que Maros nous ait pr?venus. Il n'avait pas ? le faire." "Nous avons nos chambres ? la taverne gr?ce ? Maros", souligna Oriken. "Et la nourriture gr?ce ? la guilde elle-m?me." "Quand bien m?me. Les contrats ces derniers temps ont ?t? minables." Jalis se remit agilement sur pied. "Nous n'avancerons ? rien ? discuter ici. On a encore quelques heures avant la tomb?e de la nuit, alors continuons." Avec un grognement, Dagra se remit sur ses pieds, attrapa son paquetage et le balan?a par dessus son ?paule. Alors qu'il reprenait la route, Jalis lui embo?ta le pas et lan?a un regard en direction d'Oriken qui se trouvait en appui sur ses coudes. "Juste au moment o? je me mettais ? l'aise," cria-t-il. Elle lui fit un clin d'?il et se tourna vers Dagra. "?a fait cinq ans et il n'a pas chang? d'un poil." Dagra ricana. "Cinq ans ? M?me apr?s vingt-cinq ans. L'homme est aussi paresseux que l'?tait le gar?on mais si je devais descendre dans la Fosse elle-m?me, je ne voudrais personne d'autre ? mes c?t?s. Et toi aussi, bien entendu." Jalis sourit. "Il en va de m?me pour moi, l'ami." Puis une sombre pens?e lui vint. Descendre dans la Fosse. J'esp?re, au nom de quiconque nous entende, que ce n'est pas o? nous allons. Alors que la nuit s'?paississait, ils aper?urent, en retrait de la route et nich?s au bord d'un grand bosquet d'arbres, un chapelet de quatre chalets en pierre et en bois et quelques granges et d?pendances ?parpill?es autour. Les b?timents semblaient intacts mais couverts de mousse, et des herbes et quelques fleurs poussaient maintenant sur les toits. L'endroit semblait compl?tement abandonn?. Et si l'endroit ?tait encore habit?, il n'y avait aucune trace de soins ni d'entretien. "On dirait qu'on a trouv? un abri pour la nuit," dit Oriken. Jalis n'en ?tait pas aussi s?re. "Si ces maisons ont l'air aussi d?labr?es ? l'int?rieur qu'? l'ext?rieur, on ferait tout aussi bien de dormir ? la belle ?toile." Dagra grogna. "Bah, nous allons bient?t le savoir." Il acc?l?ra l'allure, for?ant ses courtes jambes ? faire de grandes enjamb?es en direction du chalet le plus proche. Tout en toquant ? la porte, il appela : "Il y a quelqu'un ?" Oriken rejoignit Dagra. Il rigola et tapa son ami sur l'?paule. "Dag, si quelqu'un vit ici, leurs provisions doivent ?tre exceptionnelles. Cette porte n'a pas ?t? ouverte depuis des ann?es." Du doigt il pointa les pissenlits qui croissaient en touffes sur les bords de la porte, ainsi que le lierre intact qui cheminait le long du cadre et ? travers la porte. Il tendit la main vers la poign?e et la tourna ; la porte s’entre-bailla d'un pouce vers l'int?rieur et une puanteur de moisi s'en ?chappa. Dagra froissa le nez de d?go?t. "?a a besoin de prendre un peu d'air," remarqua Oriken. "Tout ira bien." Il enfon?a la porte d'un coup d'?paule. Les branches de lierre cass?rent et la porte racla sur le plancher, les gonds g?missant jusqu'? ce que la porte heurte le mur. Ils furent accueillis par l'obscurit?, impr?gn?e d'une odeur f?tide et naus?abonde qui fit reculer Oriken d'un pas. "Ou peut-?tre que non," dit-il avec un haussement d'?paules. Sur la droite de la pi?ce vide et poussi?reuse se trouvait une entr?e vers une deuxi?me pi?ce. Oriken s'y rendit et jeta un coup d'?il ? l'int?rieur. "Hmm." Jalis s'arr?ta au centre de la premi?re pi?ce. "Qu'est-ce que tu vois ?" Oriken clignait des yeux dans l'obscurit?. Puis, il eut l'air d?contenanc?. "Oh." "Par la Fosse, qu'est-ce que tu veux dire Oh ?" Dagra grommelait alors qu'il se r?fugia derri?re Jalis. "Qu'est-ce qu'il y a l?-dedans ?" "Des toiles d'araign?e." Oriken se tourna vers un jeu de volets derri?re lui et ouvrit celui de gauche, faisant ainsi p?n?trer un peu de la lumi?re du soir. Jalis ne pouvait apercevoir ce qu'Oriken voyait mais quand elle le vit sortir de la deuxi?me pi?ce, les yeux pliss?s et secouant la t?te, elle sut qu'ils ne passeraient pas la nuit l?. "On devrait aller voir une autre maison," sugg?ra Oriken, un regard appuy? en direction de Dagra. "Allez, sois pas une mauviette." Dagra passa devant lui. "Euh, Dag, ? ta place—" Dagra entra dans la pi?ce et jeta un coup d’?il sur le c?t?. Un air horrifi? envahit son visage et il recula contre le cadre de la porte. "Par les dieux de l’Au-Dessus et de l’En-Dessous !" Il s'?loigna en titubant et s’engouffra entre Oriken et Jalis pour dispara?tre par la porte d'entr?e. "Bordel !" cria-t-il. "Tu aurais pu me pr?venir !" "J'ai essay? !" "Le pr?venir de quoi ?" demanda Jalis. Oriken haussa les ?paules. "Comme je l'avais dit, il y a des toiles partout. Je ne les ai vues qu'apr?s avoir ouvert le volet. Il y en a sur le cadavre, ?a le recouvre comme un linceul." "Oriken ! Tu sais comment est Dagra avec ?a !" "Oh, oui ? Et moi alors ? Il y avait une grosse araign?e qui rampait sur le visage du cadavre." Il s'?loigna en frissonnant. "Je d?teste les araign?es !" "Et je d?teste les surprises !" cria Dagra de l'ext?rieur. Tout en souriant, Jalis jeta un coup d’?il dans la pi?ce adjacente. Son sourire s'?vanouit quand elle aper?ut un morceau de parchemin sur le bras de la chaise o? le cadavre ?tait affaiss?. Elle s'en approcha et brossa les morceaux de toile qui y ?taient accroch?s, prit le papier et souffla la poussi?re accumul?e dessus. Apr?s avoir lu le morceau de papier, elle le repla?a ? c?t? du cadavre et regarda le visage dess?ch? avec une touche de sympathie. "Nous vous laissons en paix," dit-elle ? voix basse. "D?sol?e de vous avoir d?rang?." Elle quitta le b?timent et observa ses compagnons qui se disputaient. "Vous savez," fit-elle remarquer, "j'ai parfois l'impression d'?tre une nourrice dans un orphelinat plut?t qu'une femme d'?p?e chez les Sabreus de la Guilde." Alors que les deux hommes marmonnaient leur d?saccord, elle pointa la porte ouverte de son pouce par-dessus son ?paule. "Ce gars-l? est rest? alors que tous ses voisins avaient d?cid? de partir. Il a refus? de se joindre ? eux. Au lieu de cela, il est rest? ici et est mort seul en toute dignit?, ou du moins ce qu'il en croyait. C'est si triste de constater que quelqu'un se soucie plus de son petit lopin de terre que d'une meilleure chance de survivre ailleurs." Les hommes la regard?rent avec un air absent avant de reprendre leur dispute. Avec un soupir, Jalis les planta l?. "Je vais aller v?rifier la maison d'? c?t?. Araign?es ou cadavres, restez derri?re moi les gar?ons. Maman vous prot?gera." "T’es un enfoir?," entendit-elle Dagra dire ? Oriken alors qu'elle se dirigeait vers la demeure la plus ?loign?e. "J'ai essay? de te pr?venir," r?torqua Oriken. "Mais, non, il a fallu que tu d?barques en h?ros. Tu croyais que c'?tait juste des araign?es, c’est ?a ? Tu voulais me faire passer pour un trouillard. Esp?ce de nain stupide." "De nain ? Je peux te mettre sur le cul en moins de temps qu'il ne faut pour le dire, esp?ce de b?tard d?gingand?." "Ah ouais ? Et pourquoi pas tout de suite ?" "Les enfants !" leur cria Jalis alors qu'elle atteignait l'autre chalet. "Vous allez vous tenir mieux que ?a, sinon je vous jure que je vous la mets, cette fess?e !" Elle observa leurs expressions abasourdies, puis se tourna vers le chalet et, d'un coup de talon, en fit c?der les portes. Les charni?res c?d?rent et les battants s'ouvrirent vers l'int?rieur. Les mains ? port?e de ses poignards, elle s'avan?a dans l'obscurit? et attendit que ses yeux s'ajustent. Les sombres contours de quelques meubles se dessinaient dans la pi?ce simple ; il y avait une chemin?e sur le mur oppos?, une palette sur un c?t? et un garde-manger de l'autre. Elle v?rifia rapidement que rien de mort ne tra?nait dans les coins – ? l'exception d'un squelette de rat dans la chemin?e – et qu'il n'y ait pas trop de toiles d'araign?e. Dagra et Oriken entr?rent, l’air penaud. Elle leur lan?a un regard impavide. "La voie est libre. Vous ?tes en s?curit?." Quelques minutes plus tard, alors qu'Oriken s'affairait ? allumer un feu dans la chemin?e, Jalis s'assit sur une chaise branlante et regarda Dagra. L'homme barbu se tenait debout au milieu de la pi?ce, les yeux baiss?s sur le sol couvert de poussi?re. Il ?tait visiblement encore secou?. Il leva les yeux et croisa son regard. "N'y a-t-il donc rien qui te d?range ?" demanda-t-il. "M?mes les hommes ou les femmes les plus coriaces ont une faiblesse. ?a fait cinq ans qu'on te conna?t et je ne t'en connais aucune." "Il y a une chose dont j'ai peur," admit-elle. "C'est de perdre." "Perdre quoi ?" Elle le regarda tout droit. "Les gens que j'aime." Il poussa un grognement et sa barbe se fendit d'un sourire forc? mais chaleureux. "Eh bien, il est peu probable que tu ne nous perdes de sit?t. Pas ? moins qu'une araign?e monstre ne descende par la chemin?e et n'avale Orik." "Ou," dit Oriken tout en frappant un silex contre une pierre ? feu, "? moins que le cadavre dans la maison l?-bas ne vienne dans la nuit pour r?clamer Dag ? la porte." Dagra s'emporta contre lui. "Il a fallu que tu le dises, hein ?" "Je suis s?rieuse," leur dit Jalis. "Nous allons vers l'inconnu et je d?teste ne pas savoir. On a failli perdre Maros cette ann?e. La formidable ?quipe de quatre est pass?e ? trois et nous pouvons nous consid?rer chanceux de nous en ?tre sortis." "C'est vrai," acquies?a Dagra. "?a, nous le sommes." "C'est un m?tier dangereux." Jalis se leva, d?grafa son matelas de son paquetage et le d?roula sur la palette. "C'est vrai, en onze ans au sein de la guilde, je n'ai vu qu'une poign?e de sabreurs mourir pendant un contrat. La plupart ?tait des compagnons, ou moins que ?a." Elle jeta une couverture sur son matelas puis se retourna vers les deux hommes. "Statistiquement, plus vous gravissez les ?chelons, moins vous risquez de mourir comme sabreur ; vous ?tes en chemin pour devenir ma?tres-lames au cours des deux ann?es qui viennent mais bon, vous n'y ?tes pas encore, alors, pas d'arrogance. Et pour l'amour du ciel, essayez de contr?ler vos r?actions. Dag, dans ta panique, tu aurais pu aveugl?ment courir depuis ce cadavre et te jeter dans les m?choires d'une cr?ature bien vivante. Comment expliquerais-tu ?a aux Dyades dans l'au-del? ?" Dagra gonfla ses joues et souffla. "C'est not?." "Et Oriken, il y a peu d'araign?es hostiles ? Himaera. Tu devrais voir celles de Sardaya. Avec des gros corps boudin?s et ray?s de rouge et de blanc. Une morsure et on finit boursoufl? comme un cadavre m?r." Oriken et Dagra marmonn?rent ? l'unisson et, dans la sombre lumi?re du cr?puscule, Jalis crut voir leurs visages prendre une teinte plus p?le. "Voyez comment ceci est facile ?" "Facile et inutile." Oriken se concentra sur les outils qu'il avait ? la main et recommen?a ? frapper sa pierre ? feu sur les brindilles. "Sans parler des Danseurs de Pierre qui infestent les Terres Plates de Ghalendi," poursuivit Jalis en hochant la t?te vers Oriken. "Les adultes font la moiti? de ta taille. Et ils peuvent abattre une araign?e d'un simple coup de leurs jambes dot?es de lames. Sans armure et une bonne arme assez lourde pour les ?craser, une seule de ces arachnides pourrait r?gler ton sort en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire." Oriken lui tourna le dos. "Tu inventes, l?." "Alors, tu l'allumes ce feu ou non ?" Avec un grognement, il redoubla d'effort. "Ce maudit bois n'est pas des plus secs. Et alors, tu as d?j? vu une de ces cr?atures ?" "Non, mais je connais des gens qui en ont vu. Il y a peut-?tre un tout petit peu d'embellissement autour mais je ne doute pas de l'existence des Danseurs de Pierre. Mon propos est que ta peur n'est pas naturelle. Les petites araign?es d'ici ne peuvent pas te faire du mal." "Ce n'est pas ?a qui m'?nerve, c'est leur fa?on de— Voil? !" Une petite flamme se mat?rialisa sur les brindilles. Oriken souffla dessus doucement et le feu prit, radiant une lueur d'ambre dans la grisaille de la salle. "Ce qui m'?nerve avec les araign?es, c'est leur aspect et la fa?on dont elles bougent. Des cr?atures d?go?tantes." Il s'entoura de ses propres bras et se les frotta. "On peut changer de sujet ?" "Chut !" Dagra leva la main pour faire silence. "Quoi ?" dit Oriken, apr?s un moment. "Je n'entends que des grincements de bois." "L?, ? nouveau." Dagra gardait sa voix basse. "Pendant que tu ?tais en train de parler." Jalis attrapa son ceinturon sur la table ? c?t? d'elle. "J'ai entendu." Encore faible mais immanquable, un cri de meute. "Des cravants. Dag, ferme la porte. Orik, aide-moi ? pousser le garde-manger contre la porte." Elle attacha son ceinturon autour des hanches et s'avan?a vers le meuble imposant. Alors qu'Oriken prenait position ? ses c?t?s, Dagra referma les portes du chalet ainsi que les volets en toute h?te. Jalis et Oriken s'abaiss?rent derri?re le garde-manger et plac?rent leurs ?paules contre le meuble. Puis, ils se mirent ? pousser mais rien n'y fit. Plantant ses pieds plus fermement, Jalis mit tout son poids dans l'effort et sentit Oriken en faire de m?me. Le garde-manger racla et grin?a sur le plancher, son contenu cliquetant ? chaque pouss?e. Assez vite, ils parvinrent ? le coincer fermement contre la porte. "Il faut qu'on renforce les volets !" Dagra scanna des yeux le contenu de la pi?ce. Jalis secoua la t?te. "Il n'y a rien." Oriken tordit le bord de son chapeau. "En g?n?ral, les cravants laissent les humains tranquilles, mais ici, au-del? des derni?res terres habit?es..." "C'est leur domaine," dit Dagra d'un air sombre. Les cris des cr?atures se faisaient de plus en plus pressants. Il tira son glaive. "Ils sont sortis des bois." "Ils nous ont entendus et maintenant ils ont trouv? notre odeur." Jalis sortit leur mini arbal?te de son paquetage. "Si nous restons silencieux, il se pourrait qu'ils s'en aillent apr?s un moment." Mais les volets sans renforts constituaient le point faible de la d?fense du chalet. Jalis chargea et arma l'arbal?te, puis se tint pr?te derri?re les deux hommes alors que ces derniers prenaient position pr?s des volets. Ils attendirent en silence, ?coutant les cravants bondir ? travers la clairi?re, leurs cris gutturaux r?sonnant vaguement comme ceux des singes propres ? l'extr?me sud de l'Arkh. Jalis pouvait les imaginer dehors, leurs m?choires pro?minentes arm?es de chaotiques amas de crocs et cette deuxi?me paire d'yeux plus petits, telles des billes d'obsidienne sur les c?t?s de leur t?te. Le cravant ?tait une b?te hideuse mais en d?pit de son apparence, Oriken avait raison, ces primates qui chassaient en meute avaient tendance ? ?viter les humains, pr?f?rant rester invisibles et ? couvert dans les profondeurs des bois. Mais ici, aux confins du Plateau de Scapa, il ?tait possible que ces cravants n'aient jamais vu d'humains, les habitations les plus proches se trouvant ? une demi-journ?e de marche vers le nord. Quelque chose s'?crasa ? l'ext?rieur et Jalis imagina les cr?atures se pr?cipitant dans la premi?re des maisons, suivant l'odeur des hommes mais ne trouvant qu'un cadavre mort depuis longtemps. Le bruit ?touff? des pieds et des poings martelant le sol s'approcha du chalet et, malgr? elle, Jalis tressauta lorsque des poings s'abattirent contre la porte, le bois partant en ?clats lorsqu'il heurta le garde-manger. Les cravants rugissaient, sentant la proximit? des sabreurs. Le meuble bougea d'un pouce. Au-del? du seuil, la cr?ature assaillante grogna de frustration et frappa plus fort contre la porte. Une charni?re explosa de son support et une ?troite ouverture apparut. Au travers, Jalis vit un corps massif recouvert d'une masse de poils noirs. Le cravant ?tait de la m?me taille que Dagra, un peu plus court que Jalis. Un ?il noir et rond scruta ? l'int?rieur puis le cravant se mit ? rugir. Jalis d?cocha son carreau. C'?tait un bon tir. Le projectile traversa l'ouverture et se ficha directement dans la gueule de la cr?ature. Elle hurla de douleur et s'?loigna en titubant. Une autre prit sa place et Jalis r?arma son arbal?te. D'un regard, Oriken lui enjoignit d'attendre, tandis qu'il alla rapidement planter son sabre entre la porte et le cadre, portant plusieurs coups dans la masse du cravant. La cr?ature rugit et frappa le cadre de la porte de son coup de poing recouvert de pelage gris. Les serres ?paisses qui formaient ses doigts se gliss?rent dans l'ouverture. D'un coup, Oriken abaissa son sabre, faisant une profonde entaille dans les doigts de la cr?ature et en amputant un. La cr?ature en furie retira sa main et l?cha un rugissement monstrueux. Oriken battit en retraite et Jalis d?cocha son carreau. Le primate poussa un grognement et tomba ? terre. Dehors dans la clairi?re, de sombres masses en mouvement convergeaient vers le chalet. Des poings claqu?rent contre les volets. De la poussi?re s'?chappa des fissures entre les planches. Dagra prit du recul et brandit son glaive alors que les volets partirent en ?clats. La forme sombre d'un cravant emplit l'ouverture, sa poitrine band?e de muscles ondulait alors qu'il leva les bras et poussa un rugissement. Jalis prit un autre carreau et le fit glisser dans l'arbal?te, tout en observant la cr?ature levant son bras et se pr?parant ? balayer Dagra d'un coup. Armant l'arbal?te en toute h?te, elle appuya sur la d?tente et le carreau partit s'enfoncer dans l'un des quatre yeux de la cr?ature. Dagra s'esquiva et planta son glaive dans le bras qui s'?lan?ait vers lui. Le cravant s'empara de son visage, arrachant le carreau de son ?il. Il n'y avait pas grand-chose que Jalis p?t faire ? part charger l'arbal?te, mais elle avait un nombre limit? de carreaux. Il n'y avait pas non plus assez de place ? la fen?tre pour que les deux hommes puissent y assurer une bonne d?fense sans risquer de se blesser l'un l'autre. Il leur fallait une nouvelle tactique. "Du feu !" cria Jalis. "Il y a une vieille torche sur le mur." Oriken se pr?cipita. Il s'empara de la torche et en plongea la t?te dans l'?tre maintenant en feu. Les flammes prirent et il courut vers Dagra alors que le cravant bless? se pr?parait ? une attaque. Alors que la b?te se concentrait sur Dagra, Oriken lui planta la torche en feu dans le visage. Elle ?mit un hurlement per?ant et se jeta dans la poussi?re pour tenter d'?teindre les flammes. Alors qu'elle se remettait sur pied, Jalis lui tira un carreau dans la t?te. Le cravant hurla et s'?loigna en chancelant, fit plusieurs pas en titubant ? travers la clairi?re, puis s'effondra au sol. Les hurlements se firent plus rares, de m?me que les mouvements de la cr?ature, ce qui permit aux flammes de se propager. Les autres cravants se recroquevill?rent dans les t?n?bres, leurs yeux noirs scintillant comme des billes de feu. L'un d'eux tenta de s'approcher et Oriken brandit sa torche en sa direction. Les flammes lui l?ch?rent le bras et le cravant balaya la torche d'un coup, faisant tomber la t?te et exp?diant le br?lot rouler sous la palette fourr?e de foin. Alors que la puanteur de pelage br?l? et de chair r?tie s'engouffrait ? travers les ouvertures, Dagra planta son glaive dans l'?paule de la cr?ature. Elle alla s'affaler en arri?re contre son compagnon ? terre. Les flammes qui consumaient la premi?re s'empar?rent de la seconde et, dans un cri d'agonie, elle sauta sur ses pattes et partit en bondissant vers le reste de la meute, les envoyant tous vers les bois. Le cravant en feu boita autour du chalet et les cris de la meute s'?vanouirent alors qu'ils disparaissaient vers les profondeurs des bois. La palette ?tait en feu, de la fum?e envahissait la pi?ce. Oriken avait sauv? son paquetage et son matelas juste ? temps et il s'occupait du reste de leur ?quipement. "Par les volets," cria Dagra, en hurlant en direction de Jalis et d'Oriken. "Maintenant !" Ils s'empar?rent de leur paquetage et Jalis grimpa ? travers les volets derri?re Dagra. Il n'y avait aucun signe de la meute de pr?dateurs, ? l'exception de celui qui ?tait maintenant immobile au sol, quelques flammes parsemant son dos. Oriken se hissa ? travers les volets ouverts, haletant de douleur alors qu'il glissa son sabre dans son fourreau. "Tu saignes," dit Jalis. Il jeta un coup d'?il ? la d?chirure de sa chemise sur son avant-bras. Attrapant la manche, il la d?chira de l'?paule et se l'attacha autour de sa blessure. "Je m'occuperai de ?a plus tard. Pour l'instant, il faut qu'on s'?loigne d'ici." Alors que les trois couraient vers la Route du Royaume, Jalis pensa avec amertume : Une balade ? la campagne. Au-dessus d'eux, le ciel brillait de pans ?toil?s pendant que, derri?re eux, l'enfer du chalet en flammes rugissant dans la nuit s'?loignait dans le lointain et qu'ils s'enfuyaient ? travers la bruy?re. Chapitre Trois Tout ? Moi "C'est ?a," dit Wayland en s'accroupissant ? c?t? de Demelza. "Contr?le ta respiration. Suis le lapin avec ton arc. L?, tu retiens, tu armes et tu vises. Et une fois que tu es s?re, tu l?ches." ? une courte distance et l?g?rement sur le c?t? du Gardien et de la fille, Eriqwyn avait les bras crois?s et observait Demelza et le lapin. Elle va le rater, pensa-t-elle avec agacement. Son corps est crisp? et elle n'est pas totalement concentr?e. ?touffant un soupir, elle secoua la t?te. Je suis Premi?re Gardienne, je ne devrais pas avoir ? perdre mon temps avec celle-ci ; ?a demande trop de patience pour faire entrer quoi que ce soit dans sa t?te. Cinquante m?tres plus loin, le lapin sortit de derri?re le buisson qui l'avait partiellement cach?. Il s'arr?ta, renifla l'air et dirigea son regard droit sur Demelza et Wayland. La fille d?cocha sa fl?che qui traversa l'air ensoleill? et se ficha dans l'herbe plusieurs m?tres avant sa cible. Le lapin disparut dans un saut. Furieuse, Demelza le suivit du regard alors qu'il s'?chappait dans la lande. Eriqwyn ramassa son arc pos? au sol et marcha dans leur direction. Les yeux de Wayland s’?carquill?rent et il se releva. "Ah ! Tu as vu ?a ? Tu ne l'as pas eu avec ta fl?che mais on dirait bien que ce pauvre animal soit mort de trouille !" Eriqwyn se retourna. Le lapin s'?tait rapidement ?loign? mais il gisait maintenant immobile, son ventre blanc couch? dans l'herbe courte. Elle marcha vers la fr?le cr?ature et la toucha de sa botte. Elle s'agenouilla et posa une main sur sa poitrine. Son c?ur s'?tait arr?t? et son ?il brun pointait aveugl?ment vers elle. Wayland avait raison ; l'animal ?tait mort de peur. Elle le saisit par la queue et se dirigea vers Demelza. "Ton troph?e," dit-elle ? la fille en lui tendant le lapin. "Mais il ne compte pas. Tu dois te concentrer davantage. O? avais-tu la t?te ? Tu pensais ? ta cible ou ? autre chose ? J'ai l'impression qu'une partie de ton esprit ?tait ailleurs." Elle regarda Wayland. "Demelza a besoin de plus d'entra?nement sur cibles fixes jusqu'? ce qu'elle apprenne ? se concentrer totalement." Wayland haussa l?g?rement les ?paules et hocha de la t?te. "Si tu le dis." "Et toi ?" Eriqwyn pencha la t?te en direction de Demelza. "Qu'attends-tu pour aller r?cup?rer la fl?che que Wayland t'a g?n?reusement laiss? utiliser ?" Le regard de Demelza semblait aussi funeste que celui du lapin quand il ?tait en vie et aussi vide que quand il ?tait mort. Tendant son arc ? Wayland, elle partit en courant r?cup?rer la fl?che. Eriqwyn soupira ; Wayland l?cha dans un souffle : "Ah, Queenie. Tu es trop dure envers la petite. C'est vrai qu'elle n'est pas la plus fut?e du village mais elle n'est pas sans talent." "Et quel talent... Je suis Premi?re Gardienne du Ruisseau du Vairon et je ne devrais pas perdre mon temps ? chercher o? ses talents se cachent." "Et qu'en est-il de moi ? Linisa et moi sommes tes seconds pour ce qui est de la protection du village. Est-ce vraiment indigne d'un Gardien d'aider un jeune ? devenir chasseur ? Bien s?r que non. C'est comme ?a qu'on perp?tue le cycle et que le village reste fort." Eriqwyn aspira l'air ? travers ses m?choires serr?es. "Pas besoin de me sermonner, mon vieux. Je sais tout ?a. Mais cette fille..." Son regard fixait Demelza alors qu'elle retournait vers eux. "Elle est maudite du jour o? elle est n?e. Il y a quelque chose en elle... Elle n'a ni mon affection, ni ma confiance. Tu en as vu beaucoup des lapins qui meurent de frousse comme ?a ?" "?a arrive." "Deux fois en deux semaines ? De la m?me fille ?" Elle se retourna vers Wayland et le fixa du regard, mais ses yeux s'adoucirent quand ils rencontr?rent le regard paisible de Wayland. "Continue ? l'entra?ner mais garde les rapports de progression pour toi. Je n'ai aucune h?te de savoir comment elle peine, ni d'entendre combien de cr?atures elle aura tu?es d'un simple regard." Wayland sourit et se tourna vers la fille qui arriva jusqu'? eux, la fl?che dans sa main. "Qu'as-tu appris aujourd’hui ?" lui demanda-t-il. Le regard de Demelza alla de Wayland ? Eriqwyn, puis d'Eriqwyn ? Wayland. Sa bouche sembla fonctionner sans bruit avant qu'elle ne r?ponde. "J'ai appris..." Eriqwyn fron?a les sourcils. "Alors ?" "J'ai appris ?..." Oh, pour l'amour des d?esses, pensa Eriqwyn. "R?fl?chis ? la question," dit Wayland, faisant montre de patience. Demelza regarda le lapin que Wayland tenait dans sa main puis, apr?s un long moment, elle dit : "J'ai appris qu'un lapin est moins intelligent que Melza." Eriqwyn ?touffa un soupir et tourna les talons. Alors qu'elle s'?loignait, elle entendit Demelza ajouter : "Ben, il est toujours mort." "Un mar?cage," grommela Oriken en lib?rant sa botte du bourbier dans un bruit de succion. Il jeta un coup d'?il devant lui, une plaine d?gag?e, des arbres ?pars et tordus, des touffes de roseaux et d'herbes qui parsemaient le paysage. "C'est bien ce qu'il nous fallait." Des nuages s'?taient amass?s et l'air s'?tait empli d'une fine brume. Le marais ?tait infranchissable, ? moins d'aller y patauger, un risque qu'Oriken ne voulait pas prendre. C'est notre sixi?me jour de voyage et on n'est m?me pas ? mi-chemin, pensa-t-il, fron?ant les sourcils en regardant sa botte couverte de boue. C'?tait leur premier obstacle, si on ne comptait pas ces putains de primates. Sous le bandage de son avant-bras, l'?gratignure laiss?e par la griffe du cravant commen?ait ? lui d?manger. "Il va falloir contourner," dit Jalis en s'asseyant dans les buissons qui avaient envahi les ruines de l'ancienne route pour retirer ses chaussures. "Tu as dit au sud, puis ? l'ouest, c'est ?a ?" "Ouais." Oriken se frotta le menton piquant de barbe pour ?viter de se gratter l'avant-bras. "La distance vers la c?te est beaucoup plus courte ? l'ouest qu'? l'est. ? plus ou moins une trentaine de kilom?tres ? partir d'ici." Dagra souffla. "Et ? quoi ?a nous sert de le savoir ?" Oriken haussa les ?paules, saisit son chapeau par son rebord et l'enleva. "Si on part vers l'est, ?a nous rajouterait des jours, peut-?tre m?me une semaine enti?re, ? notre voyage. Et puis, je pr?f?rerais avoir ? traverser un littoral rocheux et des plages, plut?t que patauger dans une tourbi?re." "Passons par l'ouest, alors," dit Jalis en retirant ses chaussures de son sac pour les enfiler ? nouveau. "?a ne nous sert ? rien de savoir sur quelle distance s'?tend le marais. On en suivra le bord d'aussi pr?s qu'on le peut." Elle tendit la main ? Oriken pour qu'il l'aide ? se relever. "Et si ?a nous menait tout droit vers l'oc?an ?" demanda Dagra. "Tu parles d'une aubaine !" Oriken passa une main dans sa chevelure abondante, puis il remit son chapeau tout en en tiraillant le bord. "Dans ce cas-l?, on fera demi-tour et on repart vers l'est. Pourquoi envisager le pire, Dag ? Ce n'est d?j? agr?able pour aucun de nous. Faudrait que tu y mettes un peu du tien." Dagra bougonna quelque chose dans sa barbe et lan?a un regard noir ? travers la lande mar?cageuse. "Qu'est-ce que tu dis ?" "Rien. Rien du tout." Dagra marcha vers l'ouest en bordure du marais, un masque de contrari?t? plaqu? sur le visage. Se mettant en marche derri?re lui, Oriken jeta un coup d'?il vers Jalis. "Il est trop crisp?. S'il y avait un quelconque sanctuaire aux Dyades dans le coin, ?a lui remonterait le moral en moins de deux." Jalis hocha la t?te. "Je commence ? me rendre compte combien ?a lui co?te de s'?tre joint ? nous. Je n'avais pas id?e de ce que ?a lui ferait quand on ?tait ? la taverne." "Il s'en remettra. Sa foi est la plus forte que je connaisse, ? mon propre agacement, je dois le dire. Je lui donnerai un coup de main." "J'esp?re que tu as raison," dit Jalis, "bien qu'? t'entendre, on dirait que tu places ta foi dans la foi de Dagra." Oriken ?mit un rire tranquille. "Tu m'as bien eu, l?." L'apr?s-midi passa lentement. La pluie, bien que l?g?re, ?tait incessante. Jalis et Dagra avaient remont? le capuchon de leurs manteaux tandis qu'Oriken avait rev?tu sa veste en cuir de nargut. ?a le tenait au chaud et il ?tait sec. Dagra les rejoignit et marcha de l'autre c?t? de Jalis, tous les trois longeant les bords du marais. Ils ne parlaient pas beaucoup ; Oriken se surprit ? se demander ce qui pouvait bien les attendre. Ils n'?taient qu'? deux jours de marche de toute civilisation mais, en d?pit du paysage familier qu'?tait Himaera, le Plateau de Scapa avait une atmosph?re distincte. Le paysage d?gag? lui donnait un sentiment de libert? mais le mettait ?galement mal ? l'aise, comme si la terre elle-m?me sentait leur pr?sence et les consid?rait comme des intrus. Ce qui, bien s?r, ne faisait aucun sens. Sans doute l'humeur de Dag qui d?teint sur moi, pensa-t-il, puis il secoua la t?te. Voyager et se retrouver dans la nature du jour au lendemain n'?tait nouveau pour aucun d'eux ; mais de p?n?trer chaque jour un peu plus dans une vaste r?gion inhabit?e, une r?gion que les vivants avaient d?sert?e et abandonn?e au pass?, il ne parvenait pas ? faire taire l'appr?hension qui s'emparait de lui. Y avait-il vraiment une cit? de l'autre c?t? des Terres Mortes ? Si c'?tait le cas, alors ce devait ?tre une coquille vide, en ruine et envahie par la v?g?tation. Comme il avan?ait p?niblement, la pluie battit plus fort et martela le bord de son chapeau. Alors que Jalis et Dagra marchaient en silence ? ses c?t?s, perdus dans leurs pens?es, Oriken se prit ? penser ? la l?gende de Lachyla. L'histoire de la cit? ?tait vague et embellie de l?gendes mais, quatre ans plus t?t, Oriken l'avait entendue savamment racont?e par un Tisseur de Contes ? la Folie de l'Aulne. ? l'?poque o? Oriken et Dagra n'?taient encore que des d?butants de la guilde et de nouveaux pensionnaires de la Folie de l'Aulne, ils vivaient dans la maison de la guilde avec Maros, Jalis et le reste des sabreurs, du temps o? le Camelot Solitaire appartenait encore ? Alderby. Le Tisseur s'y ?tait arr?t? une nuit. Juste apr?s minuit, dans la grande salle de la taverne, l'air ?tait lourd de la fum?e de bois, de bi?re et de dur labeur. Les sabreurs ?taient regroup?s ? leurs tables pr?s de la seule porte d'entr?e. Oriken se souvenait avec une pointe de tristesse pour son mentor et ami sang-m?l? que Maros devait se pencher pour passer par cette porte, avant m?me que la lyakyn n'ait attaqu? sa jambe. Un ?tranger entra par la porte et jeta un coup d'?il autour de la grande salle. Lentement, le silence s'abattit sur la pi?ce. L'homme, d'?ge moyen, ?tait aussi grand qu'Oriken. Il se dirigea vers le bar, ?carta d'un geste les pans arri?re de son pardessus bleu et brun et, d'un saut, se percha habilement sur le comptoir. Depuis sa barbe sel et poivre soigneusement entretenue ?mergea le sourire de l'?nigmatique Tisseur de Contes. Son regard glissa sur les visages captiv?s des clients silencieux. Ses yeux ?taient vivaces. Son menton, l?g?rement en avant, d?montrait une calme assurance. Tandis que le feu cr?pitait dans l'?tre, il lissa les plis de son pardessus et commen?a ? tisser un conte... ? l'?ge d'or de l'?poque des Rois, Lachyla ?tait une ville forteresse vibrante de vie et d'activit?s, d'une puissance et d'une supr?matie ? nulles autres pareilles ? Himaera. Son peuple c?l?brait la mort par des c?r?monies ?labor?es dans les somptueux jardins fun?raires. Les murs imposants du cimeti?re constituaient la premi?re ligne de d?fense de la cit? ; quelques d?cennies auparavant, une arm?e d'envahisseurs avait franchi les portes, ou du moins pensait avoir r?ussi, pour finir cern?e de tous c?t?s par des archers. Les jours de guerre touchaient ? leur fin mais, en une seule g?n?ration, le grand ?chiquier des royaumes se vit transform? par la mortalit? ?ph?m?re des hommes, lorsqu'une nouvelle seigneurie ?mergea des coul?es de sang d'une seigneurie pr?c?dente. L'?ge d'or des monarques ?tait vou? ? une fin calamiteuse, en grande partie, par les actes d'un seul homme. Le dernier roi de Lachyla fut Mallak Ammenfar. Au grand dam des souverains tyranniques de l'?poque, Mallak ?tait un roi droit et juste, et il r?ussit tr?s vite ? nouer des alliances avec ses voisins du nord. Dans les premiers jours de son r?gne, Himaera vivait dans une paix pr?caire mais, peu ? peu, ses talents de diplomate suscit?rent une parano?a grandissante. D?termin? ? faire de Lachyla un ?tat-cit? autonome, il commen?a par fermer les voies commerciales vers les royaumes les plus au nord et ?tablit des restrictions aux d?placements des citoyens. Mallak n?gligea les colonies les plus ?loign?es du Royaume de Lachyla et se concentra sur la cit? fortifi?e. ? la mort de sa m?re, il s'isola et passa le plus clair de son temps dans le sanctuaire du ch?teau. Personne ne sut ce qu'il y faisait, pas m?me la reine. Priv? du commerce des m?taux, des pierres et d'autres ressources pr?cieuses, les royaumes du nord tomb?rent dans le d?clin et les tensions s'accrurent dans tout le territoire. Un jour, des marchands et des ?missaires tentant de visiter Lachyla depuis ses voisins alli?s rentr?rent chez eux, rapportant la nouvelle selon laquelle les portes de la cit? ?taient ferm?es et que personne ne les gardait. Au-del? des portes, dirent-ils, les jardins fun?raires de Lachyla ainsi que le grand Litchway, l’All?e des Morts-Vivants, autrefois lieu d'incessantes activit?s paisibles, ?taient d?serts jusqu'? la ville proprement dite, et qu'il n'y avait aucune famille en deuil, ni aucun gardien en vue. L'entr?e avait ?t? interdite ? tous les ?trangers, m?me aux sujets des colonies et forteresses p?riph?riques de Lachyla. Aucun des citadins ne fut autoris? ? sortir. Les rois d'Himaera abandonn?rent Lachyla ? son sort et, sur l'avis de leurs ?missaires, d?cid?rent de ne pas entrer en guerre. Quelque chose de surnaturel s'?tait abattu sur la ville. M?me les oiseaux modifi?rent leur trajectoire pour ne pas voler au-del? des murs, sentant peut-?tre la malignit? qui flottait sur le cimeti?re, sur les arbustes et les pelouses fl?tries, sur la terre retourn?e des tombes... Ce que le roi faisait secr?tement dans le sous-sol du ch?teau, pas ?me qui vive n'en fut t?moin. Mais Valsana, l'ancienne divinit? d'Himaera, n'avait que faire de ces restrictions. La d?esse de la vie et de la mort r?gnait ? part et supr?mement sur tous les dieux des Li?s et des Non-Li?s et depuis bien avant l'?poque b?nie des Dyades. Valsana vit dans les actions du roi la soif d'un pouvoir au-del? de son rang et elle le jugea coupable d'aspirer ? ?tre divin. Sa vengeance s'abattit non seulement sur Mallak mais aussi sur tous ceux qui se trouvaient ? l'int?rieur des murs de la ville. Elle rappela les habitants des jardins fun?raires de leurs lieux de repos. Les anc?tres envahirent la ville et s'en prirent ? leurs descendants qui ?taient trop terrifi?s pour se d?fendre. Bient?t, tous les habitants de la ville, hommes, femmes et enfants, rejoignirent leurs ?pouvantables semblables. Quand le roi vit que sa ville sombrait dans le chaos, il ordonna au dernier de ses gardes de fermer les portes du ch?teau de l'int?rieur. La premi?re nuit, alors que les g?missements des morts entouraient le ch?teau, le c?ur d'une vieille servante s'arr?ta face ? cette horreur. Elle mourut doucement et revint ? la vie tout aussi doucement. L'un apr?s l'autre, tous les serviteurs du roi subirent le m?me sort, puis ce fut le tour de sa famille et, enfin, des membres de sa garde, jusqu'? ce que seul Mallak rest?t. Pour les vivants, le ch?teau fut leur ultime sanctuaire. Pour les morts sans repos, ce fut leur ?ternel tombeau. Mallak s'enferma dans la salle du tr?ne et s'assit sur le si?ge richement d?cor?, ?coutant les grattements aux portes de sa famille et de ses sujets tr?pass?s. Apr?s un moment, ils s'?gar?rent et le laiss?rent seul. Il y avait sur la table de la salle du tr?ne un modeste festin mais la nourriture ?tait g?t?e, le vin avait tourn? ?cre, et le roi fut pris de d?sespoir lorsqu'il r?alisa la puissance de la mal?diction de la d?esse. Les jours pass?rent et, sans eau ni nourriture, Mallak s'affaiblit. Il se mit ? manger les fruits pourris et ? boire le vin g?t? mais son estomac ne pouvant supporter ni l'un ni l'autre, et il vomit tout ce qu'il avait aval?. Le temps se perdit dans la salle du tr?ne sans fen?tre, marqu? seulement par son sommeil agit? sur le sol froid en pierre. Assoiff? et affam?, Mallak maudit le nom de la d?esse pour ce qu'elle lui avait inflig?. Dans son profond d?sespoir, il finit par comprendre ses erreurs. Tout ce qu'il avait voulu ?tait de prot?ger sa cit? et son peuple du poison des autres royaumes, mais cette protection les avait ?touff?s. Les ennemis de Lachyla ne hantaient plus les royaumes himaeriens. Les cr?atures qui erraient dans les rues et dans les couloirs du ch?teau n'?taient pas les vrais monstres. Le vrai monstre, il le savait, s'?tait enferm? dans la salle du tr?ne. "Valsana, aie piti?," murmura Mallak d'une voix r?duite ? un petit croassement sec. Mais aucune piti? ne vint. Sur son tr?ne, il se lamenta et m?me le d?sespoir l'abandonna. Tourment? par les murmures des morts, le Roi Mallak Ammenfar passa de vie ? tr?pas. La d?esse lui avait donc accord? ce qu'il avait tant convoit?. Le cadeau qu'elle lui fit fut la domination sans partage sur Lachyla, sans m?me la finalit? de la mort pour l'usurper, car le seul ma?tre de l'?ternit?... est la mort elle-m?me. "Nous avons besoin d'un abri", dit Jalis de sous son capuchon, ramenant Oriken au pr?sent. "Les nuages s'’?paississent et la pluie redouble." "Si mes yeux ne me trompent pas," dit Dagra, "c'est peut-?tre un refuge l? juste ? l'horizon." Il pointa un doigt dans le paysage brumeux. Oriken pouvait juste distinguer les formes de plusieurs petites habitations ? travers le mur de pluie. "C'est bien notre veine." "Ouais", souffla Dagra. "Peut-?tre bien." Comme ils reprirent leur marche, Jalis dit : "Au moins, sans for?t autour, il n'y aura pas de cravants cette fois-ci." Dagra approuva d'un grognement. "Restons sur nos gardes, cependant. Qui sait quelles autres surprises les Terres Mortes peuvent nous r?server." L'estomac d'Oriken gargouilla. Un toit et un peu de repos sont les bienvenus, mais je pr?f?rerais un lapin r?ti. Je n'ai pas vu la moindre trace de ce qu'on pourrait appeler un repas. Mais comme ils approchaient des b?timents, ses espoirs s'amenuis?rent. Les trois cabanes en bois ?taient ? un stade avanc? de d?labrement, et plusieurs constructions, plus petites, n'?taient gu?re plus que des tas de bois en d?composition. Les toits ?taient partiellement effondr?s, les portes manquaient ou ?taient ? moiti? enfonc?es dans le sol, et l'int?rieur des b?timents ?tait envahi par la v?g?tation et l'eau. Oriken d?gaina son sabre et se dirigea vers la cabane la plus ?loign?e, laissant Dagra et Jalis inspecter les b?timents les plus proches. Une br?ve inspection confirma qu'ils ne pourraient pas s'en servir comme abri et qu'il n'y avait rien qui vaille la peine d'?tre r?cup?r? des restes des meubles v?reux qui s'y trouvaient. Il s'approcha du c?t? effondr? de la cabane, serpentant entre les d?bris recouverts de mousse. Derri?re le b?timent, plusieurs arbres courts et ?pineux poussaient au pied d'une butte ? l'abri du vent ; derri?re ceux-ci, il vit contre le flanc de la colline une ouverture faite de main d'homme, dont les poutres en bois ?tait gondol?es. "Il y a une mine par ici !" cria-t-il par-dessus son son ?paule. Jalis apparut un instant plus tard. "Fais attention." Oriken inspecta l'entr?e de la mine et regarda ? l'int?rieur. Avec un haussement d'?paule, il franchit le seuil. Les premi?res poutres portantes ?taient visibles sur une courte distance ; puis, le reste du tunnel s'enfon?ait dans les t?n?bres. Il entra de quelques pas puis s'accroupit pour t?ter le sol de ses doigts. Rassur? que le sol fut sec, il fit tomber son bardas par terre et posa son ceinturon par-dessus, puis il s'assit en s'adossant ? la paroi du tunnel. Jalis se pr?cipita dans l'entr?e et repoussa sa capuche avec un soupir. Un instant plus tard, Dagra entra derri?re elle, secouant les gouttes de pluie de son manteau. Dehors sur la lande, le vent soufflait et la pluie tombait plus fort. Une fois d?barrass?e de son ?quipement, Jalis s'assit les jambes crois?es ? c?t? d'Oriken. "D?s que la pluie s'arr?tera, on repartira." "L? o? il y a une mine, il devrait se trouver un village non loin," dit Oriken. Dagra ?mit un grognement indistinct. "Ce village sera dans le m?me ?tat que ces cabanes de mineurs au dehors. Ces maisons aux abords n'avaient l'air d?sert?es que depuis quelques d?cennies mais cette mine a ?t? abandonn?e depuis au moins cent ans." "Il a raison," dit Jalis. "Pas grand-chose ? en attendre. Et puis, les bois ici sont beaucoup plus clairsem?s ; ce qui est bien, c'est qu'on a peu de chance d'y rencontrer des cravants." "Voil?," marmonna Dagra en passant devant eux. "Plus de surprises. Moi, ?a me va." Il laissa tomber son bardas contre le mur et s'assit ? c?t?, posant son glaive sur son giron. Oriken observait les b?timents en ruines dehors. Il se demandait comment pouvaient bien ?tre les mineurs de l'?poque, s'ils avaient ?t? comme son p?re. Gonflant ses joues, il regarda dans la direction oppos?e, dans les t?n?bres du tunnel. "Eh, attendez," souffla-t-il. "Est-ce que... Dag, fais attention !" Une forme s'?lan?a vers Dagra. Il se remit sur pied en un ?clair pour faire face ? l'attaque, coupant l'air de son ?p?e en direction de la forme sombre. Avec un grognement, l'attaquant attrapa Dagra par le cou ; celui-ci planta son glaive dans l’estomac de son assaillant, imprimant ? la grande lame un mouvement vers la poitrine. Les mains autour du cou de Dagra se rel?ch?rent et son assaillant s'affaissa sur lui. Il arracha la lame de la forme qui s'effondra au sol. Tout cela n'avait pris que quelques secondes, mais Oriken et Jalis avait d?gain? leurs armes et se tenaient pr?ts ? les faire tous sortir du tunnel. Le moment s'?tira mais rien ne vint. Oriken lan?a un regard en direction de Dagra dont les yeux fixaient le corps ? ses pieds. Puis, Oriken fit de m?me. "Merde," dit-il en d?couvrant le corps recouvert d'une peau sale et couverte de plaies, la longue chevelure poisseuse et la barbe hirsute d'un homme nu. Dagra grogna, marcha jusqu'? l'entr?e et regarda au dehors dans la pluie. "Un ermite ?" se demanda Jalis. "Y en a-t-il d'autres au fond de la mine ?" "Un imb?cile, en tout cas", dit Oriken. "Qu'est-ce qui lui a pris ?" "Nous avons envahi son habitation." Dagra continuait de leur tourner le dos. "Il ne faisait que se prot?ger." Jalis secoua la t?te. "Nous ne l'avons pas menac?," dit-elle ? Dagra. "Nous devrions le br?ler." Oriken lan?a les mains en l'air. "Excellente id?e. Je vais aller chercher du bois pour faire du feu. Hein, c'est pas ce qui manque, en plus, il ne pleut pas une goutte." "Tr?s bien !" Dagra se tourna vers eux. "Au moins, tirons-le plus vers l'int?rieur, si nous devons rester un peu." "Ouais, ?a je peux le faire," dit Oriken en essayant de masquer son sarcasme. Dagra le fixa du regard puis, apr?s quelques instants, fit un bref signe de la t?te. Oriken attrapa l'ermite par les poignets et tira le corps vers l'int?rieur du tunnel, tout en restant sur ses gardes. L'obscurit? ?tait totale, mais les entr?es de mine, il les connaissait bien. Cinquante pas plus loin, le tunnel faisait un angle ; il laissa le corps dans le coin. Pendant pr?s d'une minute, il se tint debout l? ? regarder dans les t?n?bres, des pens?es tentant de se former ? l’or?e des ?motions qu'il ressentait. "Orik !" La voix de Jalis retentit dans le tunnel. "Tu vas bien ?" "?a va," dit-il. Il jeta un dernier regard vers les t?n?bres et se retourna pour rejoindre ses amis. "Tu n'avais pas besoin de partir si loin," dit Dagra alors qu'Oriken approchait de l'entr?e. "Je ne suis pas all? loin. J'?tais juste en train de penser." "Tu choisis de ces endroits, toi, pour faire de l'introspection," fit Jalis. "Dans une mine abandonn?e, dans le noir, ? c?t? d'un cadavre." "Un peu de respect s'il te pla?t, jeune fille," intervint Dagra. "Cet homme ?tait vivant il y a encore quelques minutes." "C'est lui qui nous a attaqu?s," dit Jalis, "pas nous. Tu t'es d?fendu. Tu n'as rien ? te reprocher." "Je n'avais pas ? le tuer." "Non, mais tu ne pouvais pas savoir s'il ?tait dangereux, ni m?me s’il ?tait humain, apr?s il aurait ?t? trop tard. Ne te bl?me pas pour ?a. Nous avons encore du chemin ? faire et nous devons rester aussi aff?t?s que nos armes." Dagra marmonna une sorte de reconnaissance. "J'aimerais que cette satan?e pluie s'arr?te, qu'on puisse s'en aller." Jalis sourit. "Voil? qui est mieux." Oriken s'assit par terre, le dos contre le mur. Jalis s'assit ? nouveau pr?s de lui, les jambes crois?es. "Quelque chose qui ne va pas ?" "Non, rien." Elle ?tudia son visage. "Eh, c'est ? moi que tu parles. Je peux voir ton ?me." Il ricana. "Ah pas de souci, je n'en ai pas." Dagra les rejoignit. "Tu n'es pas oblig? de croire aux Dyades pour avoir une ?me," dit-il. "Tout le monde en a une. M?me toi." "Ouais, peut-?tre." Oriken tourna les yeux vers les t?n?bres de la mine. "Oui, tout ? fait," insista Dagra. "Je ne crois en aucun de tes dieux, Dag. Tu le sais. Ni aux Dyades. Ni au Li?s. Ni ? aucun d'entre eux." "Eh bien, peut-?tre qu'ils croient en toi." "Oh, par piti? !" Oriken se remit sur pied et lui lan?a un regard noir. "Tu ne peux pas arr?ter avec ?a, juste pour une fois ?" Jalis se leva et se pla?a entre eux. "Je ne sais pas comment vous avez fait pour rester amis toutes ces ann?es," dit-elle, les rabrouant tous les deux d'un regard s?v?re. Dagra agita la main avec m?pris. "Ouais, moi non plus." "Moi, je sais," dit Oriken. "Je dois..." puis il d?cida de ravaler ses mots et de garder le silence. Dagra tourna lentement la t?te. Il posa sur Oriken un regard sinistre. "Ne t'arr?te pas l?," dit-il calmement. "Tu penses encore que tu me dois quelque chose ? Ce que j'ai fait pour toi, je l'ai fait trop tard. J'avais eu une chance, je ne l'ai pas saisie. Tu ne me dois rien." Imb?cile ! Oriken se r?primanda lui-m?me. Tu ne pouvais pas la fermer. "?coute, Dag, je suis d?sol?. Ce n'?tait pas ce que je pensais—" "Ce n'?tait pas ce que tu pensais," se moqua Dagra. "Tu ne pensais pas. C'est bien ?a, ton probl?me, Oriken. Tu ne penses jamais." Avec un soupir, il se rassit par terre. Oriken le regarda mais Dagra garda le silence et ses yeux fix?s sur le mur d'en face, ses doigts enserrant le pendentif de son collier. Quand Oriken se tourna vers Jalis, celle-ci le regardait avec calme. Se retenant d'allumer un rouleau de tobah, il secoua la t?te et partit errer dans les t?n?bres. L'atmosph?re entre Dag et lui n'avait pas ?t? si tendue depuis longtemps. Cet endroit semblait les atteindre tous les deux. Chapitre Quatre Pierres des Temps Pass?s "Les filles, qu'est-ce que vous allez faire aujourd'hui ?" Eriqwyn ?touffa un soupir et avala la derni?re cuiller?e de soupe pour faire taire la r?ponse d?sinvolte qu’elle faillit adresser ? sa m?re. De l'autre c?t? de la table, sa s?ur lui lan?a un coup d'?il. "J'imagine que ce sera un jour comme les autres," dit Adri. "Nous sommes contentes que tu sois avec nous pour le petit-d?jeuner, M?re. Tu as bien dormi ?" Leur m?re fit un bref hochement de t?te envers Adri, puis ses yeux prirent une expression vide et elle se pencha vers sa nourriture. "La voil? repartie dans son monde," murmura Eriqwyn. Adri se racla la gorge. "Comment s'en sortent les jeunes chasseurs ? leur entra?nement ?" "La plupart sont prometteurs mais ils ont encore du chemin ? faire, et ils ne seront chasseurs que lorsque je l'aurai d?cid? ainsi." Adri lui lan?a un regard ferme. "Ma s?ur, en tant que chef de cette communaut?, voil? une d?cision qui passera par moi." Eriqwyn pencha la t?te en signe de d?f?rence. "Bien s?r. Mais, dis-moi une chose, Adri. En tant que Premi?re Gardienne, recruter les stagiaires rel?ve de ma responsabilit? mais, au nom de la lande verte de la d?esse, pourquoi as-tu insist? pour enr?ler Demelza ?" "Ah, oui. Demelza." Adri eut un petit sourire forc?. "Ton aversion pour cette fille est ?vidente, je sais que tu ne l'aurais jamais accept?e, autrement. J'avoue qu'il y a quelque chose en elle qui me met ?galement mal ? l'aise mais elle est inoffensive et je crois qu'elle a du potentiel." "Wayland et toi lui trouvez quelque chose que je ne vois vraiment pas," dit Eriqwyn. "Sa progression est lente et son manque d'attention est flagrant." Adri posa sa cuill?re dans son bol vide. "?a ne veut pas dire qu'elle ne peut pas apprendre. Elle vit seule, Eri. Elle s'est montr?e autonome depuis la mort de la vieille Ina. Je l'ai vue revenir au village avec des lapins, des faisans et des paniers remplis de crabes. Une fois, je l'ai vue tirer un nargut adulte jusqu'? sa cabane." "Eh bien, je ne sais pas comment elle a fait pour les attraper sans filet, sans pi?ge et sans savoir se servir d’une fl?che. Ce qu'elle semble capable d'accomplir n'a rien ? voir avec les talents que j'ai pu observer. Je ne pense pas qu'elle a ce qu'il faut." Eriqwyn haussa des ?paules. "Peu importe. Wayland en est responsable. Si quelqu'un peut en faire un chasseur, c'est bien lui. Il aime bien Demelza et sa patience est sans ?gale." "Wayland est un Gardien ?m?rite. Tout comme Linisa." Adri se leva de sa chaise et se pencha par-dessus la table pour prendre le bol d'Eriqwyn. "? vous trois, vous ?tes sans doute l'?quipe de Gardiens la plus comp?tente que le village ait jamais connue. Le Ruisseau du Vairon est bien prot?g?." "C'est bon de l'entendre dire, ma s?ur." Mais prot?g?e de quoi donc ? Tandis qu'Adri quittait pi?ce, Eriqwyn se leva et jeta un coup d'?il ? sa m?re. "Je sors cueillir des fleurs, Maman," dit-elle, s'en voulant de prononcer ces mots plus par moquerie que par gentillesse. Sa m?re leva les yeux vers elle et croisa son regard. Malgr? les ann?es pass?es prisonni?re de ses souvenirs, pendant un court instant, le fant?me de la femme qu'elle avait ?t? apparut dans ses yeux. "D'accord, ma ch?rie," dit-elle avec un l?ger sourire. "Amuse-toi bien." S'amuser. Eriqwyn m?dita sur ce mot tout en quittant la pi?ce. Comme si la vie se r?sumait, comme avant, ? sauter ? la corde et cueillir des fleurs. J'ai grandi, M?re. Adri aussi. ?a fait longtemps qu'on a oubli? ce que c'est de s'amuser. Alors qu'Eriqwyn marchait le long de l’All?e du Mausol?e, son arc ? la main, un bourdonnement de voix lui parvenait depuis les portes ouvertes des habitations qui bordaient la rue. La chaleur et l'odeur du m?tal emplissaient l'air quand elle passa devant la forge. Tan, le plus jeune des deux forgerons, leva la t?te et la salua d'un geste de la main. Sans interrompre sa foul?e, Eriqwyn r?pondit d'un bref hochement de t?te et poursuivit le long de la rue. Quand elle parvint ? la pointe sud du village, une silhouette ?mergea de derri?re une maison. Reconnaissant Shade, Eriqwyn serra les dents. Sa chevelure sombre et lustr?e tombait sur les ?paules de la femme. Le tissu de sa longue robe et des panneaux se croisant sur sa poitrine ?tait plaqu? sur son corps par la brise chaude. Shade s'arr?ta pr?s d'une poutre en bois et souleva une main pour la poser doucement sur le bois lisse. "Bonjour Eri," ronronna-t-elle. Ses yeux bruns scintillaient dans le soleil du matin. Eriqwyn tenta de passer devant elle mais Shade lui toucha l'?paule et elle s'arr?ta. "Qu'est-ce que tu veux ?" dit Eriqwyn d'un ton cassant. Shade sourit. "Que d'hostilit?. Tu sais que j'aime ?a chez une femme. ?a fait longtemps que je ne t'ai pas vue, Eri. Est-ce que tu m'?vites ?" "Je n'ai pas ? t'?viter," dit Eriqwyn d'un ton acerbe. "Et ne m'appelle pas Eri. Nous ne sommes pas proches." "C'est d'autant plus triste." La voix de Shade d?bordait de sensualit?, tout comme son apparence. "Comment pr?f?rerais-tu que je t'appelle ? Premi?re Gardienne ?" "Ce serait acceptable." "Tant de formalit?s," la sermonna Shade. "Je pensais que nous avions d?pass? cela. Apr?s ce que nous avons partag?, je dirais que toi et moi sommes plus... intimes que la plupart des gens du Ruisseau du Vairon." Ses yeux ?taient fix?s sur le corps d'Eriqwyn. Eriqwyn jeta un regard dans la rue pour s'assurer que personne ne les entendrait. "Il n'y a pas d'intimit? entre toi et moi," dit-elle avec force. "Et si jamais il y en avait eu, elle n'existe plus depuis longtemps. Je sais ce que tu es, Shade. Une pierre pr?cieuse, belle mais froide." Shade s'approcha d'une d?marche chaloup?e. Ses doigts gliss?rent depuis l'?paule d'Eriqwyn et le long de son bras. "Ai-je l'air froide ?" Elle se tint plus pr?s. "Ou plut?t chaude ? Te souviens-tu de ?a, Eri ? Tu devrais venir me rendre visite un jour, je pourrais te rappeler comme je peux ?tre agr?able ? la vue et au toucher." Agac?e, Eriqwyn lui lan?a un regard noir et se d?gagea de sa main. "Tu t'adresses ? moi avec le respect qui est d? ? ma position." "Oh," dit Shade avec un sourire s?duisant, "mais je respecte tout ? fait ta position." Elle glissa le bout de sa langue entre ses dents. "Toutes tes positions." Eriqwyn l'?carta de son chemin et partit en trombe. "? bient?t !" lui lan?a Shade. Avan?ant dans l'herbe encore d?tremp?e de la pluie de la veille, Dagra saisit son pendentif Avato entre les mains et murmura une pri?re aux Dyades et aux proph?tes. ? l'ouest, une cha?ne de collines emplissait l'horizon, laissant par endroit deviner l'oc?an au-del?. ? l'est, des roseaux et des herbes mar?cageuses se dessinaient ? travers la lande brumeuse, comme de minuscules clochers d'?glises, tandis que des essaims fantomatiques de lucioles flottaient au-dessus du voile blanc. Ils avaient long? le marais jusqu'? la fin de la journ?e pr?c?dente et, quand il fit finalement place ? une terre plus ferme un peu plus au sud, Jalis annon?a une pause pour la nuit et ils avaient dormi ? la belle ?toile. Depuis le lever du jour, ils avaient gard? un rythme r?gulier, esp?rant venir ? bout de ce vaste marais pour pouvoir retourner ? l'int?rieur des terres et rejoindre la Route du Royaume. Alors que la premi?re heure du matin se fondait dans la deuxi?me, puis la troisi?me, Dagra avait cette impression de plus en plus oppressante qu'une pr?sence emplissait la lande. Ce n'?tait pas les grands espaces qui le tracassaient, ni la possibilit? d'un danger physique ; il ?tait un sabreur apr?s tout, et si les choses prenaient un tour qu'il n'aimait pas, il pouvait s'en retourner. Ce qui le troublait, c'?tait l'atmosph?re impie qui s'?tait fait ressentir d?s leur entr?e dans les Terres Mortes, et qui n'avait fait que s'alourdir. Il pouvait ? peine percevoir la pr?sence des Dyades ici ? l'int?rieur du Plateau de Scapa. Son seul espoir ?tait qu'Aveia entendit encore ses pri?res et que son compagnon Svey'Drommelach l'?cout?t aussi depuis le Royaume des Esprits ; c'?tait d?concertant et, Dagra l'admit ? regret, ironique que ses espoirs l'emportaient sur ses pri?res dans ce lieu o? les Dyades n'avaient jamais r?gn?, ce lieu qui ?tait le domaine d'une d?esse primitive que l'on ne v?n?rait plus depuis longtemps. "Avant le Soul?vement," dit Dagra, plus ? lui-m?me qu'? ses camarades, "ils ont arr?t? de br?ler les morts. Ils se contentaient de les enterrer et de les laisser se putr?fier." Il frissonna. "Pratique impie." "Les choses ?taient semblables dans l'Arkh avant l'?mergence des Dyades," dit Jalis. "Dans certaines contr?es, les gens enterrent leurs mort sans les br?ler, dans ces endroits o? ils pr?f?rent v?n?rer les Li?s et les Non-Li?s aux Dyades." "Quelle que soit la coutume, ?a ne m'a jamais vraiment pos? de probl?me," commenta Oriken. "Ce qui t'arrive apr?s ta mort t'importe-t-il autant ?" "Les morts devraient ?tre br?l?s et leurs cendres devraient ?tre dispers?es dans le vent," insista Dagra. "On devrait laisser les os retourner ? la terre et l'esprit dans les airs." Ajoutant une suite ? sa pri?re en silence, il l?cha son pendentif et regarda au-del? de Jalis vers les hautes terres de l'ouest. ? ce moment-l?, il aper?ut le coin sup?rieur d'une construction en pierre entre les collines lointaines. Jalis l'avait ?galement aper?ue. Elle s'arr?ta et posa son bardas au sol. "C'est un ch?teau ?" "J'en doute," dit Oriken. "Trop petit." "?a a l'air plus grand que ce ringfort qu'on avait vu aux abords." Dagra fron?a les sourcils en observant ce bloc gris qui ?tait aussi haut qu'il ?tait large. "Pas de fen?tre au niveau inf?rieur. Qui voudrait bien vivre dans un tel endroit ?" "Je ne crois pas que ?a ait ?t? construit pour son confort," dit Oriken. "C'est plus probablement une ancienne garnison." "Hmm." Jalis avait la carte dans sa main et elle planta son doigt dessus. "C'est l?. La Citadelle Valekha." Elle ?tudia la carte. "?a veut dire qu'on est ? mi-chemin de Lachyla, enfin un peu moins." "Presque le point de non-retour", marmonna Dagra. "Quand la destination est plus proche que le point de d?part, ce qui est raisonnable, c'est d'aller de l'avant." Oriken dit en soulevant un sourcil. "Est-ce de l'enthousiasme que j'entends ?" Dagra ronchonna. "De la d?termination, plut?t." "Attendez." Jalis fixa la forteresse du regard tout en rangeant sa carte et en r?ajustant son sac sur l'?paule. "J'ai cru voir un mouvement." "Oui, c'est bien ce que tu as vu," dit Dagra tout en repartant le long du marais. "C'est la tra?n?e de poussi?re que je laisse derri?re moi. Allez, on s'en va de cet endroit." "Dag a raison," dit Oriken tout en se d?p?chant de le rattraper. "On ne sait pas ce qu'il y a l?-bas, mais ce n'est pas notre destination. Apr?s les cravants et l'ermite qu'on a rencontr?s, je ne suis franchement pas curieux. Jalis hocha la t?te. "D'accord." Une fois bien ?loign?s de la forteresse, Dagra lan?a un regard m?fiant par-dessus son ?paule.La Citadelle Valekha. Pourquoi avaient-ils des noms aussi sinistres ? l'?poque ? ? mesure qu'ils continuaient, la silhouette de la forteresse se r?duisit derri?re les collines au-del? desquelles une bande scintillait ? l'horizon : le soleil se refl?tait sur l'oc?an. "Il y avait longtemps que je n'avais vu l'Oc?an Echilan," dit-il avec nostalgie. "Ouais." Oriken soupira, puis partit d'un grand rire. "Tu te souviens quand on est all?s jusqu'au bout du Mont Sentinelle ?" Dagra hocha la t?te. "On est all? par-dessus les contreforts pour voir aussi loin que possible au-dessus de l'eau ?" "On ne pouvait grimper plus haut." "Et il n'y avait rien que ces satan?es vagues ? perte de vue." Oriken rit. "C'est vrai. C'?tait la fin un peu d?cevante d'une aventure autrement g?niale. Tes grands-parents ?taient morts d'inqui?tude." "Ils ne m'avaient plus quitt?s pendant toute une semaine. Oui, je me souviens." "Messieurs, je d?teste mettre fin ? l’?vocation de vos souvenirs mais on dirait bien que les mar?cages sont de retour." Dagra regarda devant eux et vit qu'elle avait raison. Sa d?termination vacilla. Bien que le brouillard des marais se dissip?t, les signes annonciateurs d'un sol infest? de tourbi?res ?taient visibles non seulement sur leur gauche mais aussi devant eux, faisant obstacle ? leur chemin. ? un demi-kilom?tre de distance, une ligne vert sombre de conif?res marquait le retour de la terre ferme. "Si on continue vers l'ouest, peut-?tre que les mar?cages r?tr?ciront aux abords du littoral." "Voil? qui est bien dit." Oriken donna une tape sur l'?paule de Dagra. "On trouvera un chemin. On finit toujours par trouver. Pas vrai ?" "Ouais", grogna Dagra. "On finit toujours par trouver." Ils finirent par trouver ce qu'ils cherchaient juste ? l'approche du littoral. ? cinq cents m?tre le long du marais, ils trouv?rent un passage ? gu? fait de troncs d'arbres ? demi-engloutis qui avaient ?t? jet?s sur la surface en rang?es de trois. "Eh bien, voil? !" dit Oriken avec un sourire. "Quelqu'un a eu une g?n?reuse id?e." "Les dieux en soient remerci?s," dit Dagra. "Mais je ne vais pas rester ? attendre qui a fait ?a." Il posa un pied sur le premier tronc ? demi-submerg? pour tester sa stabilit?. "?a m'a l'air assez ferme." Il avan?a de quelques pas, trouva son ?quilibre, puis se dirigea vers le tronc suivant. Jalis sauta avec l?g?ret? sur le morceau de bois. "Ce passage a l'air vieux de plusieurs d?cennies, peut-?tre m?me d’un bon si?cle, et il a probablement ?t? jet? sur les ruines d'un gu? plus ancien. Quiconque l'a construit est mort depuis longtemps." "Cent ans, un jour, les dieux voient l'avenir et mettent les pi?ces en place," dit Dagra. "Ils nous mettent ? l'?preuve mais ils nous aident aussi." "Eh, Dag," cria Oriken ? l'arri?re. "Je me moque qu'il s'agisse de dieux ou de bergers. Du moment qu'on peut traverser." Dagra secoua la t?te. "Les dieux t'ont envoy? ? moi pour me mettre ? l'?preuve, Orik. Moque-toi tant que tu veux, mon ami. Un de ces jours, tu verras que j'ai raison." Souriant ? lui-m?me, il rajouta, M?me si ?a me prendra jusqu'? la vie suivante. Eriqwyn errait le long du littoral l?g?rement ascendant, ? quelques pieds de la c?te rocheuse. Le bruit ?touff? de la mar?e ?tait le seul bruit audible, ? part les cris lointains des mouettes derri?re elle. Devant, il n'y avait pas d'oiseaux car les herbes jaunissaient et se faisaient plus rares en direction de la terre sans vie. L'inclinaison de la c?te s'?levait r?guli?rement jusqu'? une falaise qui se jetait dans l'oc?an et encerclait un lointain promontoire de terre. La terre aride, pratiquement d?pourvue d'arbres, ? part quelques arbustes malingres, s'inclinait vers un mur d?chiquet? qui s'?tirait jusqu'? la lande. Un autre mur dominait le c?t? sud et, au-del? de ses remparts, on pouvait apercevoir les sommets brumeux de tours et de spires se dessinant vaguement contre le ciel bleu. Son arc ?tait tendu mais Eriqwyn ne s'attendait pas ? devoir s'en servir. Plus elle approchait du p?rim?tre du Lieu Interdit, moins il y avait de risques de voir des animaux sauvages de quelque esp?ce que ce soit. Ici, il n'y avait qu'une seule raison pour laquelle elle pourrait avoir besoin d'une arme ; et elle pria la d?esse qu'un tel ?v?nement ne vit jamais le jour. Il n'y avait pas besoin d'aller jusqu'au mur, elle voyait assez bien de loin pour s'assurer que rien ne se cachait pr?s des contreforts ni entre les cr?neaux au-dessus. Virant vers l'int?rieur des terres, elle marcha parall?lement au long mur, suivant un chemin que les Gardiens ou les chasseurs avaient parcouru depuis des g?n?rations. Loin ? l'est, les lignes angulaires des b?timents les plus au sud du Ruisseau du Vairon ?mergeaient derri?re le pied de la Colline du Dragon couvert d'arbres, la cachette naturelle du village au nord et ? l'ouest. Acc?l?rant le pas, elle resta en alerte et lan?ait des coups d'?il prudents tout autour d'elle, surtout vers la muraille du Lieu Interdit. Une demi-heure plus tard, Eriqwyn atteignit le coin nord-est du mur et la vaste lande s'ouvrit devant elle en bandes vertes et dor?es, le soleil, d?j? haut, rayonnait sur le paysage vallonn?. Le regard fix? sur le mur nord, elle le suivit des yeux jusqu'? ce qu'il disparaisse ? l'horizon. Ce n'?tait pas son tour aujourd'hui de v?rifier les entr?es. C'?tait le travail de Linisa, qui emm?nerait un chasseur en formation regarder pour la premi?re fois au travers des barri?res en fer du Lieu Interdit, tout comme un Gardien l'avait fait pour Eriqwyn quand elle n'?tait qu'une jeune fille, et tout comme Wayland le ferait bient?t avec Demelza. Apr?s s'?tre assur?e que le littoral ?tait vide, elle se dirigea vers le troisi?me et dernier tron?on de son circuit, suivant le chemin qui retournait au village. Apr?s quelques minutes, elle aper?ut une silhouette au devant d'elle. Demelza, pensa-t-elle. En vadrouille, encore une fois. Pour aller jeter un coup d'?il entre les barri?res ? Aussit?t qu'elle l'aper?ut, Demelza s'enfuit et partit ? couvert sous les arbres. Fron?ant les sourcils, l'instinct de chasseur d'Eriqwyn se r?veilla et elle entra dans la for?t, marchant avec pr?caution dans le sous-bois entre les arbres. Eriqwyn, apercevant Demelza qui remontait vers le haut de la Colline du Dragon R?veur, se pencha, ? demi-courb?e, et s'?lan?a ? sa poursuite. Au sommet plat de la colline se trouvait la clairi?re naturelle de l'?il du Dragon. Eriqwyn resta ? couvert et regarda la fille entrer dans la clairi?re. Demelza traversa en direction d'un bloc de pierre couvert de lierre au centre de la clairi?re, lieu d'offrande qui donna son nom ? l'endroit, avec aujourd'hui pour seule pr?sence celle du lierre, personne ne v?n?rant plus les dieux primordiaux depuis longtemps avant que Valsana ait chang? le monde. Eriqwyn attendit une longue minute, puis une deuxi?me, tandis que Demelza restait cach?e derri?re l'autel. De l'autre c?t? de la clairi?re, quelque chose remua dans les sous-bois. Les sens d'Eriqwyn se mirent en alerte. Ses yeux identifi?rent vite la cause du mouvement. Dans les buissons, ? ras du sol, une paire d'yeux jaunes espac?s refl?taient la lumi?re du soleil. La cr?ature sortit la t?te du sous-bois et, imm?diatement, Eriqwyn se saisit d'une fl?che. Sarbek, pensa-t-elle tout en armant sa fl?che. La cr?ature, qui ressemblait ? un loup et dont le dos ?tait par? d'une cr?te en os, tranchante comme une ?p?e, ?mergeant de sa fourrure sombre, s'avan?ait vers la clairi?re. Les loups erraient rarement si pr?s du Ruisseau du Vairon et les sarbeks encore moins. Ces b?tes pr?f?raient les collines bois?es du nord-est. Mais si l'une d'entre elles venaient ? croiser un humain isol? et sans arme... Le sarbek semblait se concentrer sur la pierre de l'autel derri?re laquelle se cachait Demelza. La cr?ature fit prudemment quelques pas en avant puis s'accroupit, pr?te ? bondir. Eriqwyn arma et l?cha sa fl?che qui alla se ficha dans le dos du sarbek. La cr?ature s'effondra dans un long g?missement aigu et Demelza sortit de sa cachette et accourut vers elle. Pench?e, elle posa une main sur le flanc de l'animal et, de l'autre, elle caressa doucement la t?te du sarbek. Eriqwyn sortit du sous-bois et la jeune fille la regarda de ses yeux emplis de larmes. Que pleure-t-elle donc, au nom de Valsana ? "Pourquoi vous avez fait ?a ?" sanglota Demelza. Eriqwyn fut prise de court. Ce n'?tait pas la r?action ? laquelle elle s'attendait. "Tu ne devrais pas ?tre si loin toute seule." Demelza cligna des yeux et des larmes coul?rent sur ses joues. Elle reporta son attention vers le sarbek. Apr?s un moment, la cr?ature cligna des yeux, puis les ferma et, dans un dernier souffle, mourut. Toujours agenouill?e, elle se tourna vers Eriqwyn. "Qu'est-ce qu'elle vous a fait ?" cria-t-elle. "Je..." balbutia Eriqwyn avant de se ressaisir. "Tu ?tais en danger, jeune fille ! Manifestement, tu n'es pas ? m?me de te d?brouiller toute seule. Tu devrais me remercier, petite ingrate ! Si je n'avais pas ?t? l?, tu serais en train de te faire d?chiqueter par les m?choires de cet animal, ? l'heure qu'il est." Demelza pencha la t?te, ses larmes s'?coulant sur la fourrure du sarbek mort. "Je n'?tais pas en danger. Elle ?tait mon amie. Vous ne pouviez pas voir ?a ?" Elle se releva et fit face ? Eriqwyn. "J'ai pas d'amis au village, non ?" dit-elle d'un ton accusateur. "Y a personne l?-bas qui m'aime." Eriqwyn prit une inspiration. "Ce n'est pas vrai, Demelza." "Si, c'est vrai. Et vous le savez, parce que vous ?tes de ceux qui m'aiment pas. Je le vois, vous savez ? Je suis pas stupide." Eriqwyn ne trouva rien ? dire. C'?tait vrai, elle n'aimait pas cette fille, sans pouvoir se l'expliquer. Et c'?tait aussi vrai pour beaucoup au village. Mais elle apercevait l? une facette de Demelza qu'elle n'avait jamais vue auparavant. La mort du sarbek avait ?mu la jeune fille ? un point qu'Eriqwyn n'avait pas imagin?. "Tu ne peux pas faire de ces pr?dateurs sauvages des amis," dit -elle. Mais malgr? toutes les ann?es de formation qu'elle avait acquises, sa d?claration manquait de fermet?. Est-ce que le sarbek ?tait vraiment sur le point d'attaquer ? Eriqwyn n'en ?tait plus tout aussi s?re. "Peut-?tre pas vous," sanglota Demelza. "Je ne tue que pour manger, pas parce que je crois que je vais me faire attaquer, et pas parce que ?a me pla?t." Eriqwyn fut indign?e. "?a ne me pla?t pas !" Demelza lui lan?a un regard noir puis s'enfuit en courant vers les bois. Eriqwyn posa son arc contre la pierre d'autel et laissa ?chapper un long souffle. Elle se tourna vers le sarbek, empoigna la fl?che plant?e dans son flanc et la d?logea. Avec un chiffon qu'elle gardait dans une poche retenue ? sa taille, elle en essuya la t?te et la remit dans son carquois puis, immobile, elle regarda la cr?ature morte. Peu importait la raison, le sarbek ?tait mort et, dans les plaines d?sertes du Plateau de Scapa, on ne pouvait rien gaspiller. Avec un haussement d'?paule, elle d?gaina son poignard, s'agenouilla et se mit au travail. Chapitre Cinq Complications Contractuelles Alors qu'il se penchait vers le tonneau de Saltcoast Tan en grima?ant, Maros soulagea sa jambe bless?e en faisant passer le poids de son corps sur son autre jambe. Il attrapa le rebord en fer du tonneau de bi?re, banda ses muscles et souleva le tonneau. D'une poigne aussi solide que l'objet en m?tal qu'il avait en main, il tint le tonneau plaqu? contre son torse et, verrouillant sa prise, le maintint fermement. S'appuyant sur sa mauvaise jambe, il fit un pas en avant. Une douleur lui traversant le c?t? de la jambe lui fit prof?rer un juron ; la brise soufflant dans l'arri?re-cour de la taverne lui rafra?chit la peau qui s'?tait couverte de sueur. "Maudite jambe," grommela-t-il. Il fut un temps o? je pouvais porter ce tonneau sans le moindre effort. Maintenant, ?a me fait grogner et suer comme un porc en rut, sans m?me parler de cette maudite charrette. Il sentit une envie soudaine d'envoyer un coup de pied ? sa charrette mais il se retint ; ce serait bien incons?quent de perdre son sang-froid pour vingt gallons de sa bi?re pr?f?r?e. D'un autre pas p?rilleux, il se rapprocha de l'arri?re de la charrette. Il d?posa son fardeau sur les planches ? c?t? du tonneau de Carradosi Pale de moindre taille et d'un baril encore plus petit de Vorinsian Redanchor. Frottant son ventre arrondi, il poussa un soupir et secoua la t?te. "C'est plus que jamais Maros la Montagne, ces jours-ci," marmonna-t-il. "Maudite soit cette cr?ature qui a plant? sa foutue dent dans mon genou." Il fit le tour de la charrette en boitant et s'arr?ta pour masser le c?t? endolori de sa jambe. Ah, si je pouvais tuer cette lyakyn encore une fois ! Lui aplatir ses dents et lui arracher ses m?choires de sa t?te... Ce serait aussi satisfaisant que la premi?re fois. Il soupira et secoua la t?te. Ouais, mais rien ne me fera plus jamais marcher comme avant. Soulevant le long bras de la charrette, il boita et grogna jusqu'? ce qu'il eut travers? l'arri?re-cour plong?e dans les t?n?bres de la nuit et atteint la porte de derri?re. Une fois l?, il se mit ? d?charger les tonneaux vers le Camelot Solitaire. La taverne ?tait calme. ? part quelques sabreurs assis ? l'une de leurs tables habituelles, il n'y avait que quelques citadins clairsem?s dans la salle commune. Maros avait laiss? le jeune barman Jecaiah rentrer plus t?t voir sa femme ; il avait aussi permis ? deux autres serveuses de rentrer plus t?t. Avec son stock de tonneaux pleins maintenant rang?s sous le bar ? c?t? de ceux d?j? ouverts, Maros posa le baril de Redanchor sur le dessus du comptoir, pr?t pour le lendemain, ou pour le jour d'apr?s pour les clients aux go?ts plus on?reux. Il attrapa son tabouret et sortit en claudiquant de derri?re son comptoir pour se rendre vers la table des sabreurs, et s'assit avec eux, le dos contre le mur. "Mais qu'avaient-ils donc en t?te ?" disait Alari. "Dix pour cent ? se partager pour les trois d'entre eux," elle hocha la t?te en direction de Maros, "moins la part du patron et de la bo?te ; c'est pas mal mais ?a ne les m?nera pas loin." ? c?t? d'Alari, le novice dont elle avait la charge ricana. "Ils auraient d? prendre une flop?e de petits boulots comme tu me l'as conseill? car d'ici un mois, peut-?tre un peu plus, il n'y en aura plus. Maros regarda le jeune homme, le sourcil fronc?. "Kirran, c'est tout ? fait l'attitude ? adopter pour un novice, surtout si tu veux le rester pour le restant de tes jours de sabreur." "Oh, d?sol?, patron." "Ne le sois pas. Ces petits boulots, quelqu'un doit bien les faire et, pour le moment, je ne vois que toi." Kirran pin?a les l?vres et ne dit plus rien. De l'autre c?t? de la table, Henwyn ?clata de rire. "Le patron t'a bien eu, l?." Il prit une gorg?e de vin. "S?rieusement, patron, tu penses que ce contrat en vaudra la peine ?" Maros grommela. "Ton avis vaudra bien le mien, Hen. En v?rit?, je me pose des questions sur les motivations de cette Chiddari. C'est un paquet d'argent qu'elle a propos? mais il y a quelque chose qui me chiffonne dans cette affaire. Tu as d?j? rencontr?, toi, quelqu'un qui manifeste tant d'int?r?t pour une babiole qu'elle n'a jamais vue ? ? son ?ge ?" Henwyn haussa les ?paules et regarda en direction d'Alari. "Moi, j'aurais pris le contrat rien que pour les dix pour cent. C'est d?j? une somme consid?rable. ? vrai dire, je m'en veux de ne pas avoir ?t? l? quand tu l'as ?pingl? au tableau. Je l'aurais arrach?. Un mois tout seul dans le d?sert ? Ah ouais, j'aurais bien pris ?a." "Tout seul ?" La fille ? ses c?t?s le regarda d'un air abattu. "Et tu ne m'aurais pas emmen?e pour me montrer les ficelles du m?tier ?" "Bah." Henwyn sourit ? travers sa barbe ras?e de pr?s. "Ne le prends pas mal, jeune fille, mais tu ne fais pas encore la diff?rence entre tes seins et tes orteils, au stade o? tu en es. Tu n'es pas encore pr?te ? ne faire qu'un avec la terre pour autant de temps." Elle lui jeta un regard froid. "Je connais le d?sert," dit-elle, puis elle tourna la t?te ailleurs. Alari se racla la gorge. "Tu en penses quoi de la l?gende ?" demanda-t-elle. "J'esp?re juste que tes amis sont bien pr?par?s, c'est tout." "Je n'en sais rien," admit Maros en d?pla?ant son poids sur son tabouret. "Je sais que certains ne sont pas d'accord, mais je pense qu'il n'y a que des sornettes l?-dedans. Si je le pouvais, je serais dehors l?-bas avec eux plut?t que clou? ? cette Folie. Je n'ai jamais eu envie de m'aventurer dans les Terres Mortes, ni d'aller explorer la Cit? Ravag?e mais—" une toux grasse se fit entendre depuis la table voisine. Maros jeta un coup d'?il ? Jerrick, un r?gulier du Camelot, assis tout seul comme ? son habitude et postillonnant dans son verre. "Cette toux empire, mon vieux," dit Maros. "Tu devrais prendre de la teinture." "Hein ?" Jerrick leva ses yeux chassieux et regarda Maros. "?a m'avance ? rien si c'est pour vous entendre, vous les jeunes." "C'est une affaire de sabreurs," le r?primanda Maros. "Ce n'est pas pour tes oreilles." "Ah bon, quand un homme entend ce qu'il entend, il a bien le droit de parler, non ? J'avais un ami sabreur autrefois, tu sais ? Ouais, je vois bien que c'est difficile d'imaginer qu'un vieux cabot comme moi ait eu des amis, hein ? Eh bien, j'en ai eu. Tous morts, maintenant. Lijah a ?t? le premier ? partir. Un bon gars." Jerrick soupira et fron?a les sourcils. "Laisse-moi r?fl?chir... ?a doit bien faire cinquante ans que Lijah et moi ?tions assis dans cette taverne et il s'en est all? pour une mission. Ouais, ?a s'appelait des missions en ce temps-l?." Maros lan?a un coup d'?il ? Alari et lui fit un signe discret de l'?paule. Jerrick toussa, portant une main ? sa bouche, qu'il essuya ensuite sur son pantalon avant de lever un sourcil blanc et touffu. "Il avait dit qu'il serait absent pour un moment, qu'il partait en direction du sud pour retrouver une pierre pour une fille. Enfin, vous voyez le genre de qu?tes insens?es qui vous plaisent ? vous, sabreurs. Je lui demande, au sud vers o? et, de tous les endroits au monde, il me dit dans la Cit? Ravag?e. Eh ben, il est parti. L'est jamais revenu. Les gens avaient dit qu'il s'?tait perdu, attrap? par des monstres ou autre chose, tomb? dans un marais, quelque chose comme ?a. Moi, j'en suis pas s?r. Lijah ?tait rus?." Alari remuait sur son tabouret et attendit pendant que Jerrick ?claircit bruyamment sa gorge derri?re sa main noueuse. Quand il eut fini, elle se pencha vers lui et demanda : "Qui ?tait la jeune fille ?" "?a, si je le savais..." Maros secoua la t?te. "Je n'avais jamais entendu ?a." "Pas de raison que tu en aies entendu parler," dit Henwyn. "Un contrat parmi mille autres, il y a un demi-si?cle de ?a ?" "V?rifie les archives," sugg?ra Alari. "Non, il y aura rien," dit Maros. "Les archives ne remontent qu'? dix ans. Les anciens contrats et les dossiers des membres sont tous gard?s ? Brancosi." Jerrick ?mit une autre quinte de toux puis tira de son manteau une pipe en bois et une poche de ce qui semblait ?tre aux yeux de Maros du tobah cors? de n?penth?s. Malgr? ses doigts noueux, il fourra habilement les feuilles humides dans sa pipe, puis prit une gorg?e de bi?re. "Vivre par l'?p?e, mourir par l'?p?e, c'est comme ?a que vous dites, vous les jeunes, non ? Oui, eh bien, moi, c'est ?a, mon ?p?e," dit-il en brandissant sa pipe et son verre, avalant ce qui restait de sa bi?re et se levant de sa chaise. "Au plaisir de bavarder avec vous, les gars." Il hocha la t?te en direction d'Alari. "? toi aussi, jeune fille." "Eh, Jerrick," le salua Maros. Une expression perplexe se posa sur le visage du vieil homme. "Hein, de quoi on parlait d?j? ?" Maros sourit tristement. "De vie et de mort, je crois." "Ah, oui." Le vieux sourit de toutes ses dents. "Deux sujets que je connais assez bien. Bon, allez." Il leva une main tachet?e vers sa t?te, comme s'il la portait ? un chapeau, puis il traversa la grande salle et sortit dans le soir. Tandis que les portes se refermaient dans un chuintement, Maros se perdit dans ses pens?es. La r?v?lation de Jerrick le d?rangeait. ?a le d?rangeait beaucoup. Henwyn le regardait. "La prochaine fois que le courrier passe, renvoie-le avec une requ?te pour les dossiers d'il y a cinquante ans." "Le courrier ne sera de retour que dans deux semaines," dit Maros. "Ensuite, il devra faire toute sa tourn?e avant de retourner ? la Baie. Et il se passera probablement plusieurs semaines avant qu'il ne revienne. C'est trop long." "Trop long pour quoi, patron ?" demanda la jeune fille assise pr?s d'Henwyn. Maros fron?a les sourcils. "D?sol?e, jeune fille, j'ai oubli? ton nom." "Leaf," dit-elle. "Hmm. Bon alors, Leaf. Que dirais-tu d'un petit contrat de coursier ? Pour montrer un peu ? Henwyn ce que tu es capable de faire." Les yeux de Leaf s'agrandirent. "Un travail rien que pour moi ? Et comment !" "Bien. Rendez-vous ici, demain ? midi. D'ici l?, j'aurai r?dig? le formulaire de requ?te." "O? est-ce que je vais ?" "Au quartier g?n?ral de la Guilde ? la Baie de Brancosi." Leaf resta bouche b?e. "Je ne suis jamais all?e ? la capitale." "Eh bien, voil? ta chance. Mais ne tra?ne pas en route, je veux ces papiers aussi vite que possible." "Quelle est l'urgence ?" Kirran essaya de garder un ton prudent. Maros d?visagea le novice. "L'urgence, mon gar?on, est que j'ai tendance ? croire Jerrick, que son ami n'est pas juste mort en route. Si un sabreur est envoy? en mission"— il se surprit ? utiliser la m?me expression ancienne que Jerrick et secoua la t?te — "alors la probabilit? est qu'il s'agit d'un v?t?ran, au moins d’un compagnon ou d’une compagne, sinon un ma?tre ou une ma?tresse-lame." "Qu'est-ce que tu sous-entends ?" demanda Henwyn. "Ce que je dis, Hen, c'est que je crois que ce Lijah a peut-?tre bien trouv? la Cit? Ravag?e. Plus pr?cis?ment, je crois que Jalis et les gars la trouveront aussi et je serais damn? plut?t que de les laisser subir le m?me sort." Le dernier des clients de la nuit disparut dans la nuit ? travers les portes de saloon, laissant Maros seul, en compagnie de deux serveuses qui devaient nettoyer le plancher et essuyer les tables. Des bruits de marmites et de casseroles leur parvenaient depuis la cuisine o? Luthan, le chef, terminait lui aussi ses corv?es de fin de journ?e. Apr?s quelques minutes, Maros entendit un swish-swish et regarda vers la passerelle derri?re le bar. Luthan avait quitt? la cuisine et se dirigeait vers Maros. Son tablier empes? et son bandana ?taient aussi immacul?s que quand il venait devant les clients, m?me s'il n'y en avait aucun. Plus qu'un chef, les fameux sandwichs de Luthan lui avaient valu une bonne r?putation dans le coin et il avait une image ? entretenir ; il g?rait tout cela avec panache, sereinement et avec plein d'assurance. "Tu manges avec moi ?" offrit le chef. "Je me pr?pare quelque chose avant de rentrer chez moi. On mange ensemble ? Patron ?" "Hmm ?" Maros r?alisa que Luthan le regardait et il gonfla ses joues. "Non, pas pour moi. C'est trop tard." Le chef, m?ticuleusement ras?, tira un tabouret et se hissa dessus. De ses yeux bleus, il ?tudia le visage de Maros. "Quelque chose te perturbe." Ce n'?tait pas une question ; avec Luthan, il n'y avait jamais de question. "Je me fais du souci pour Jalis et les gars. Je pensais les avoir envoy?s chasser des dragons mais je crois que ?a pourrait en fait ?tre pire." "Ah, il y a toujours ce risque avec les sabreurs," dit Luthan. "C'est vrai." Maros serra son poing et se frotta les jointures avec son autre main. "Mais cette fois, j'ai le sentiment que quelque chose cloche." ? l'autre bout de la salle, les portes s'ouvrirent. Un homme entra. Il s'arr?ta sur le palier, lissa les pans de son manteau et enleva sa casquette en tissu ?cossais. Puis il avan?a d'une d?marche assur?e vers le bar, les yeux fix? sur Maros. Luthan se racla la gorge et sauta de son tabouret pour filer en direction de la cuisine. "Nous sommes ferm?s pour la nuit," dit Maros au nouvel arrivant. "? moins que ce soit une chambre que vous cherchez ?" L'homme arriva au bar, l?cha un soupir et posa sa casquette sur le dessus de comptoir en ch?ne. "Je ne viens pas en tant que client, ma?tre tavernier." Maros le d?visagea. L'?tranger au visage indolent, ras? de pr?s, avait une tenue froiss?e mais de bonne facture et il n'avait pas l'air du genre ? se salir les mains. Maros estima qu'il avait largement d?pass? la quarantaine. "Je ne pense pas vous avoir encore vu dans le coin, l'ami. Vous ?tes venu offrir un contrat ?" "Pas tout ? fait." L'homme semblait fatigu?. "Je suis l? ? propos d'un contrat mais malheureusement il a d?j? ?t? octroy?." "Je vois." Maros ressentit une pointe d'agacement, il voulait que l'homme en vienne au fait. "Alors, de quoi s'agit-il, s'il vous pla?t ?" "J'ai quitt? le hameau de Balen il y a cinq heures," dit l'homme tout en fouillant dans son manteau. Puis il en retira un rouleau de parchemin qu'il posa sur le comptoir poli ? c?t? de sa casquette. "Je suis trop fatigu? pour de longues formalit?s. Je vais peut-?tre prendre cette chambre que vous avez ? offrir. ?a a ?t? une longue journ?e, vraiment singuli?re." "Onze cuivres pour une chambre," marmonna Maros. "Quinze, si vous voulez un petit-d?jeuner chaud avec." L'homme pin?a ses l?vres et maintint le regard de Maros. "Ma?tre tavernier, j'aimerais penser qu'apr?s avoir soigneusement lu et assimil? le contenu de ce document," il tapota le rouleau de parchemin devant lui, "vous envisagerez de me laisser disposer gratuitement de la chambre ? titre de bonne volont?." Maros serra les dents, jeta un coup d'?il vers le parchemin, puis lan?a un regard sombre vers le nouveau venu, venant ? bout de sa patience. Il fallait reconna?tre que l'homme ne semblait pas impressionn? par la r?putation de Maros, ni intimid? par sa taille de demi-j?tunn ; s'il le voulait, Maros aurait tr?s bien pu l'attraper depuis l'autre c?t? du comptoir et lui ?craser le visage dans son poing velu. M?me vo?t? et assis sur son tabouret, il d?passait l'homme de pas moins d'une t?te. "J'accepterai aussi le petit-d?jeuner par courtoisie," rajouta l'homme. Maros se renfrogna perceptiblement. Il se leva de son tabouret, posa ses grandes mains sur le dessus du comptoir et regarda l'homme de haut. "Et pourquoi," gronda-t-il, "devrais-je me montrer si g?n?reux, l'ami ?" L'?tranger prit une inspiration avant de r?pondre. "Il semble que, dans ma fatigue, j'ai oubli? de me pr?senter. Mon nom," dit-il l'air imperturbable, alors que ses yeux se lev?rent et se plant?rent dans ceux de Maros, "est Randallen Chiddari." "Ah." Maros le d?visagea. "Alors, je suis content que vous soyez l?. Il y a quelques ann?es, oui, cela fait maintenant un bon paquet d'ann?es, on dirait que l'un de nos sabreurs ait ?t? engag? pour se rendre dans le m?me territoire que l? o? trois des miens se trouvent en ce moment, pour remplir le contrat de votre m?re. Cet homme n'est jamais revenu et j'ai l'intime conviction qu'il avait ?t? engag? par votre m?re, ou par l'un des membres de votre famille. Je dois aller lui parler." Randallen maugr?a. "Je n'ai jamais connu ses parents. ?a fait cinquante ans que sa m?re est morte et enterr?e dans le lotissement familial d'Eihazwood. Quant ? ma ch?re m?re, je crains qu'elle ne puisse r?pondre ? aucune de vos questions." "Non ?" Maros pin?a les l?vres. "Et pourquoi pas ?" "Parce que, mon bon ma?tre tavernier, aux petites heures du matin, elle a perdu tout int?r?t pour votre petit accord. Pour parler en toute franchise, elle est morte." Chapitre Six Deux Fins De Route Maros quitta ses quartiers situ?s au-dessus de la salle commune et se rendit au rez-de-chauss?e, s'agrippant ? la solide rampe et prenant les marches d'escalier une ? la fois. Mais au nom de quoi est-ce que je garde ce logement priv? en haut ? Il prit note d'?changer les quartiers des sabreurs, qui comprenait ses appartements et ceux de ses trois amis absents, contre l'une des ailes r?serv?es aux clients au rez-de-chauss?e. ? une demi-douzaine de marches du bas, il fit une pause et ?touffa un b?illement derri?re sa main tout en jetant un coup d'?il ? la salle. ? cette heure matinale, il n'y avait que trois clients. Tous ?taient des clients de la nuit, prenant un petit-d?jeuner solitaire ? des tables s?par?es. La botte de Maros grattait le sol de pierre quand il tra?nait sa jambe handicap?e sur le reste des marches. Ses yeux se pos?rent sur un client en particulier et celui-ci leva son regard de son petit-d?jeuner pour rencontrer le sien. Il lui fit un bref signe de salut. Randallen Chiddari tenait un des fameux sandwichs de Luthan au-dessus d'une assiette, une coul?e de sauce d?goulinant de l'?paisse tranche de viande qui se devinait entre les deux tranches de pain croustillant. Maros marmonna un juron entre les dents tout en s'approchant de lui. La porte de la cuisine s'ouvrit dans un chuintement quand il passa devant et une serveuse en sortit, le gratifiant d'un sourire d?voilant des dents du bonheur. "Bonjour, Diela," dit-il, lui renvoyant un sourire. "Bonjour, patron. Caf? ?" Il hocha de la t?te. "Je l'am?ne tout de suite." Maros parvint ? la table de Randallen et le regarda. "Ma?tre Chiddari, puis-je m'asseoir ?" Randallen posa son sandwich sur l'assiette et leva les yeux. "Je vous en prie," dit-il platement. Maros percevait sa mauvaise humeur. Dieux, pensa-t-il, comme je d?teste cette diplomatie obligatoiredans la Guilde Officielle. "Merci," dit-il. Il s'abaissa sur un tabouret en face de son client, r?primant une grimace de douleur lorsqu'il pla?a sa jambe dans une position plus confortable. Je devrais mettre un si?ge de la taille d'un Maros ? chaque table pour ?viter des moments comme celui-ci. Se tortillant sur le tabouret de petite taille, il s'?claircit la gorge. "Ma?tre Chiddari—" Randallen leva les yeux au ciel. "Je n'ai pas de patience pour ces formalit?s. Je suis un villageois. ? Balen, tout le monde m'appelle Ral, m?me ceux avec qui je ne m'entends pas. Je vous demanderais de faire de m?me." Donc ce matin, il veut parler franchement. Moi, ?a me va. "Tr?s bien, Ral." Montrant la nourriture en partie consomm?e d'un geste de la main, Maros demanda : "Comment il est, ce petit-d?jeuner ?" Randallen lui lan?a un regard indiff?rent. "Avez-vous eu le temps de r?fl?chir ? notre probl?me ?" "Je n'ai pas fait grand-chose d'autre cette nuit", dit Maros. "Pas m?me dormir." "?a, je peux le comprendre." Maros sortit de la poche de son gilet un parchemin qu'il d?plia et qu'il posa sur la table. "Le contrat entre votre m?re et les Sabreurs de la Guilde porte sur la recherche d'un joyau fun?raire qui appartenait ? la famille Chiddari." "Oui, oui. Et il y a cinq cents des dari d'argent de ma m?re qui sont dans vos coffres." Maros hocha la t?te. "R?serv?s aux sabreurs qui ont remport? le contrat." "Ce qui nous am?ne ? notre probl?me." Voyant Diela s'approcher de la table, Randallen ?touffa un soupir. "Voil?, patron." Diela d?posa un pot de caf? fumant devant Maros. Il avala une goul?e du chaud breuvage, soupira d'aise et la remercia d'un hochement de t?te. La jeune serveuse partit poursuivre son travail. Randallen leva un sourcil. "Le probl?me ?" "Comme je vous le disais hier soir, un contrat n'expire pas en cas de d?c?s du client." Maros fit une pause pour avaler une gorg?e de caf?. "Je suis vraiment d?sol? pour votre m?re. Elle semblait—" "Je suis dans cette taverne depuis bien trop longtemps d?j?," dit brusquement Randallen. "Alors, s'il vous pla?t, ?pargnez-moi vos platitudes et finissons-en avec cette affaire. Vous avez en votre possession une somme d'argent qui se trouve ?tre la plus grande part des ?conomies de toute la vie de ma m?re. Comprenez-vous ce que cela signifie ?" "Je commence ? comprendre, en effet." "Cela signifie que, en tant que fils et h?ritier unique de ma ch?re m?re, je me retrouve tout ? coup sans h?ritage. ?a va pas le faire. J'ai une femme et deux filles. J'ai pris soin de ma m?re aussi longtemps que j'ai pu. Quand je mourrai, ma femme et mes filles recevront ce que j'aurai r?ussi ? amasser au cours de ma vie, tout comme je m?rite de recevoir les ?conomies de ma m?re." Maros ?tudia ses propos en plissant des l?vres. "Selon les termes et les conditions des contrats de la guilde," dit-il avec prudence, "les paiements ne sont rembours?s que dans les cas o? le contrat n'a pas ?t? ex?cut?. Auquel cas, les quatre-vingt-dix pour cent sont rembours?s au b?n?ficiaire." "Ah." "En effet. Mais je dois vous avertir, et je crains que cela soit l'aspect qui vous d?plaira le plus..." Maros prit le contrat de la table et le rapprocha de son visage, plissant des yeux en d?chiffrant sa propre ?criture jusqu'? ce qu'il trouva la partie qu'il cherchait. Retournant le document, il le pla?a devant Randallen et tapota du doigt le paragraphe en question. "Voyez l? ? Vous remarquerez que votre m?re n'a d?sign? aucun b?n?ficiaire. Techniquement, cela signifie que je ne suis pas oblig? de vous reconna?tre comme tel. Toutefois—" "Quoi ? Avez-vous au moins tent? de lui faire d?signer quelqu'un ?" Maros lui fit un sourire glacial. "Si un client souhaite d?signer un b?n?ficiaire, il peut le faire, mais ce n'est pas une partie essentielle de l'accord. Si votre m?re avait dans l'id?e de vous d?signer, elle avait toute latitude pour le faire." "L'ingrate..." Les joues de Randallen rougirent de col?re pendant qu'il d?chiffrait le parchemin. "C'est une situation difficile," dit Maros. "Je vous le conc?de. Nous avons donc parl? de votre probl?me, mais vous devez vous rendre compte que pour chaque pi?ce, il y a deux faces." Il se pencha et dit ? voix basse. "J'ai trois braves gens qui risquent leur vie ? s'aventurer dans un endroit o? personne n'a mis les pieds depuis des si?cles, un des rares lieux ? Himaera qui porte le symbole de la T?te de Mort. Mes sabreurs - ma famille - sont partis pour la Cit? Ravag?e chercher l'h?ritage de votre m?re. Les possibles dangers, vous serez d'accord avec moi, y sont inimaginables." Il pointa un doigt en direction du parchemin. "Ce contrat est l'assurance contre la mort de mes compagnons pendant cette mission. Vous avez perdu votre m?re. C'est regrettable. Mais si mes sabreurs ne reviennent pas des Terres Mortes—" "?a n'est pas mon probl?me ! Personne ne les a contraints ? prendre le contrat." "Ma?tre Chiddari." Maros se leva et domina la table de toute sa hauteur. "Vous avez une sale tendance ? m'interrompre. Si vous ne l'aviez pas fait, vous m'auriez d?j? entendu dire que j'envisageais de vous consid?rer comme b?n?ficiaire ? la place de votre m?re. Notez bien que j'ai dit envisager. Que je le fasse ou non, tout d?pend de vous. Et tel que je vois les choses, vous avez une option. Si mes compagnons reviennent avec l'h?ritage – et ils le feront si cet h?ritage existe ou ils perdront la vie en essayant de le faire – je vous conseille de l'accepter gentiment. S'il ne reviennent pas—" "C'est inacceptable !" Le visage de Randallen fr?missait de rage refoul?e. "J'exige que vous—" Maros serra les poings, ce qui fit craquer ses jointures, et les posa sur la table. Le bois craquant sous son poids ?tait le seul bruit que l'on put entendre dans la salle. "Vous n'exigez rien des Sabreurs de la Guilde, petit homme. Encore une incartade de mauvais go?t de votre part et, non seulement j'omets de vous ajouter comme b?n?ficiaire de ce contrat, mais je vous jette ? travers les portes de la taverne. Ne me mettez pas le dos au mur." Maros prit une inspiration pour se recomposer, content de voir Randallen d?glutir. Le message semblait ?tre pass?. "R?fl?chissez," dit Maros, de nouveau ? voix basse. "Le joyau sera ? vous. Je ne sais s'il vaut plus, ou moins, que les ?conomies de votre m?re, mais je parierais que ?a s'en approche. Si vous voulez vraiment de l'argent, rendez-vous service et vendez cette maudite chose. Je suis s?r que vous trouverez preneur ? la Baie de Brancosi. Je peux m?me vous mettre en contact avec quelques acheteurs potentiels, moyennant finances, bien entendu." Bien qu'il ait raval? sa col?re, la d?faite se lisait dans les yeux de Randallen, qu'il abaissa vers la table. "Je crains que vendre le joyau ne soit pas une option." "Pourquoi pas ?" "Parce que," dit Randallen en l?chant une expiration h?sitante, "M?re ?tait cat?gorique, elle voulait l'avoir ? elle ? sa mort. C'?tait la seule raison pour laquelle elle voulait tant cette maudite chose. J'esp?rais qu'avec sa disparition..." "Donc, vous essayiez de r?cup?rer l'argent pensant que le contrat ?tait annul?, c'est ?a ?" "Peut-?tre." Le visage de Randallen ?tait de pierre. "Eh bien," dit Maros en haussant des ?paules, "je suis d?sol? de vous dire que ?a n'est pas le cas. Peut-?tre que cela avait ?chapp? ? votre m?re, mais le contrat tient toujours. Le joyau sera ? vous et vous serez libre d'en disposer." Randallen secoua la t?te. "Eh bien, non. Elle ne voulait pas seulement que ce soit en sa possession avant de mourir." "Vous voulez dire qu'elle voulait ?tre br?l?e avec ?" Maros ?clata de rire. "Si ?a vous chante de jeter quelque chose de cette valeur sur le b?cher fun?raire, ?a vous regarde." "Oh, c'est pire que ?a. Bien pire. Vous voyez, cher ami, ma d?funte m?re veut que ce truc soit jet? en terre. Pour quoi faire ? Pour qu'il soit d?terr? dans cent ans par quelque prospecteur chanceux ? Elle, elle n'y gagnera rien, et moi, certainement pas non plus !" Randallen reprit son souffle. "C'est un foutu g?chis." Maros haussa les ?paules. "Ce n'est pas une requ?te d?raisonnable. On entend souvent des gens qui souhaitent que leurs biens soient enterr?s avec leurs cendres." Randallen aspira l'air ? travers ses dents serr?es. "Ai-je dit quoi que ce soit ? propos de cr?mation ?" Maros fron?a les sourcils. "Ah, euh... Oh !" "Voil?." Randallen sourit froidement et attrapa son manteau. Il en tira le rouleau de parchemin de la veille au soir et le brandit sous le nez de Maros. "Tout est l?-dedans. Les derni?res volont?s de M?re. Elle ne sera pas br?l?e ; elle sera enterr?e." Renfrey oscillait sur son tabouret ? sa table habituelle le long du mur de la grande salle du Camelot Solitaire. Il n'?tait pas encore midi et il avait d?j? perdu le compte de chopes de Redanchor qu'il avait bues. Les jours o? il ne travaillait pas au moulin, il buvait t?t pour ?viter la foule. Quand les clients du soir commen?aient ? emplir les lieux, il ?tait d?j? rentr? et au lit pour ne se r?veiller que deux heures avant l'aube. Puis il se mettait au travail, hissant et attelant les sacs de grain, les chargeant sur les chariots des fermiers, nettoyant les mottes de farine des engrenages qui faisaient tourner le moulin et d?barrassant le barrage et l'?tang des d?chets. Par les dieux, c'?tait un travail mis?rable mais ?a payait la bi?re. Renfrey tenait ? sa solitude. On avait bien le droit de s'asseoir seul et de prendre part aux plaisanteries de loin. Pas qu'il y avait beaucoup de plaisanteries avec la petite douzaine de clients du Camelot. Le connard de tenancier pr?tentieux l?-bas dans le coin avait deux gardes du corps costauds qui lui tenaient compagnie. Les deux b?cherons qui mangeaient calmement dans le coin le plus ?loign? n'avaient pas l'air amusant du tout. Et puis il y avait les sabreurs. Ils ne leur pisseraient pas dessus m?me s'ils ?taient en feu. Il fron?a les sourcils en regardant sa chope de Redanchor, puis avala une gorg?e de la bi?re cors?e et reposa la chope avec un boum. Du liquide se heurta contre le rebord de la chope avant de retomber ? l'int?rieur. "Ouais," marmonna Renfrey, "reste o? tu dois rester, toi, pourriture..." Son regard fit un tour d'horizon, survola les lanciers qui ?taient plong?s dans une conversation ? voix basse, puis sur l'?norme lourdaud qu'?tait le barman et enfin se posa sur la serveuse qui nettoyait une table au milieu de la salle. Jolies jambes. Cr?meuses. Douces. Jolis seins, aussi. De jolies petites choses, qu'elles ?taient, mises en valeur par sa tenue, petites oui, mais elles pointaient leur nez au-dessus du d?collet?. Mais bon, pas grand-chose ? dire ? propos du visage. Renfrey reluquait la chair tendre qui enrobait la taille de la jeune fille. La serveuse leva la t?te et croisa son regard. Il lui fit un grand sourire et elle lui sourit en retour. Oh, je me la ferais bien, comme un porc en rut, pensa-t-il tout en regardant son petit cul se balancer alors qu'elle s'?loignait. Il se l?cha les l?vres et, de la langue, titilla un espace qu'il avait entre les dents. La conversation depuis la table des sabreurs parvenait jusqu'? lui et Renfrey prof?ra un juron. Les sabreurs pouvaient aller pourrir dans la Fosse, pour autant qu'il s'en souciait, tous autant qu'ils ?taient, petits pr?tentieux voleurs de femmes. Ils ?taient un fl?au dans cette ville. S'il y avait eu une autre taverne ? la Folie de l'Aulne, il irait boire l?-bas au lieu d'?tre au Camelot. Il prit une gorg?e de bi?re et pr?ta l'oreille. "...cette quantit? de dari..." "...je ne l'aurais pas pris, en ce qui me concerne..." "Maros a dit..." "Et si c'?tait vrai ?" "Putain de sabreurs," grogna Renfrey. "Bons ? putain de rien." L'un d'eux, un barbu tout juste plus jeune que Renfrey, lan?a un regard en sa direction mais continua de discuter avec ses compagnons. "Ouais, vas-y," dit Renfrey, ?levant la voix. "Z'avez rien d'autre ? foutre que de dire des conneries !" Cela attira leur attention. "Je te demande pardon, Ren ?", dit le jeune barbu. "Est-ce qu'on t'a offens? de quelque mani?re que ce soit ?" Renfrey ne connaissait pas le nom de ce b?tard. Mais il n'appr?ciait pas que celui-ci connaisse le sien. "Offens? ?" Il abattit sa chope sur la table, oscilla sur son tabouret et retrouva son ?quilibre. "Ouais, je dirais ?a." "Et comment est-ce qu'on t'a offens?, Ma?tre Renfrey ?" dit la jeune fille assise pr?s du barbu. Ma?tre ? Je suis un putain de ma?tre, maintenant ? Je n'avais pas remarqu? cette petite salope dans le coin. "Eh toi, la fille, on va d'abord commencer par ne pas m'appeler Ma?tre." Il d?visagea le barbu assis ? c?t? d'elle. "Ni Ren, d'ailleurs. Qu'est-ce que t'en dis ?" Alors que les sabreurs ?changeaient des coups d'?il, une voix tonitruante provint depuis derri?re le bar. "Tu mets les basses, Renfrey. Tu connais le r?glement." Il tourna son attention vers la vilaine brute qui dominait le comptoir comme un ch?ne. "Pas ton affaire, barman. Laisse-moi et cette bande discuter de ?a, tu veux ?" "Ah." Le sang-m?l? croisa les bras. "Alors c'est barman, maintenant, hein ? Tu m'as r?trograd?, l? ?" "De quoi ?" Renfrey fron?a des sourcils pendant qu'un grand sourire fendait le visage meurtri de cicatrices de cet imb?cile. "Maros," se souvint-il. Ouais, c'?tait ?a son nom. Pas que ?a me pr?occupe, hein, du moment qu'il me sert de la bi?re. "Je vais te dire," dit Maros et Renfrey r?alisa que tout bavardage avait cess?, "je vais te laisser m'appeler ma?tre tavernier, juste une fois. Qu'est-ce que tu en penses, gars ?" Renfrey partit d'un grand rire, ce qui fit le postillonner. "Et qu'est-ce que t'en penses si je continue ? t'appeler barman ? Qu'est-ce que t'en dis, barman ? J'ai entendu une fois qu'on t'appelle aussi la Montagne. T'as plus l'air aussi imposant maintenant, hein ? ? ce qu'il para?t, tu t'es ?croul?." Maros plissa des yeux. Il se leva et, lentement, d?lib?r?ment, d?ploya toute sa hauteur. "Ouais, la montagne s'est peut-?tre ?croul?e," dit-il d'une voix contenue, "mais j'ai pas encore fini de tomber." Renfrey ricana. "Para?t que c'est une bestiole qui t'a abattue, tout comme c'est un b?uf a viol? ta m?re." Il voulut attraper sa chope mais ses doigts ?chou?rent sur le rebord. Le r?cipient en bronze s'inclina et son contenu se renversa sur la table en une flaque mousseuse. Il regarda la chope rouler vers le bord et tomber au sol dans un fracas. BOUM. Scratch. BOUM. Scratch... Il leva les yeux pour chercher la source de ce vacarme. Le tavernier souleva la trappe au bout du comptoir, claudiqua vers la grande salle et se dirigea tout droit sur Renfrey. "Merde." "Tu sais ce qui arrive aux petits merdeux qui se trouvent sur le chemin d'une Montagne qui s'?croule ?" Scratch. BOUM. Maros domina Renfrey de toute sa stature. "Ils s'?crasent." Deux mains ?normes le soulev?rent du sol. Il planta ses doigts dans les bras en troncs d'arbre. Il fut pris de tournis et ne voyait plus le monstre que de sa vue brouill?e. "Putain d'ogre !" cria-t-il. "Au secours !" Le contenu de son estomac mena?ait de se r?pandre alors qu'il virevoltait de droite et de gauche. "Dehors !" tonna l'ogre dans son oreille. Il vola. Il vola litt?ralement dans les airs. Une lumi?re brillante l'aveugla et il r?alisa vaguement qu'il regardait le soleil. "Aveia douce et b?nie !" cria-t-il. Puis il toucha terre, expulsa un jet de bi?re et perdit connaissance. La frustration s'emparait de Maros ? mesure que les minutes s'?coulaient. Le Camelot avait ?t? d?barrass? du reste de sa client?le et il avait tir? le verrou aux portes battantes pour emp?cher toute intrusion. Les seuls qui se trouvaient maintenant dans la salle ?taient Henwyn et Leaf, tous les deux victimes des propos agressifs de Renfrey, et ils ?taient assis avec Luthan pendant l'une de ses rares pauses. Il s'empara de son tabouret et les rejoignit en claudiquant. "Termine cette phrase," dit-il ? Leaf. "Quand un sabreur a un pressentiment..." Avec un sourire, Leaf regarda les quatre hommes tour ? tour. "C'est qu'elle a probablement raison." Henwyn rit. S'adressant ? Maros, il dit : "Tu parles de Jalis et des autres, l?." Maros hocha la t?te. "?coute," dit Henwyn, "je suis disponible en ce moment et Leaf s'en va pour la Baie de Brancosi. Si ?a peut te rassurer, je peux aller les trouver. ?a t'en co?tera un peu, bien s?r." Luthan s'accouda ? la table. "Si tu loues un chariot, tu pourrais les rattraper en quelques jours." Maros r?fl?chit. "C'est moi qui les ai mis dans cette situation en acceptant le contrat. Si quelqu'un doit les ramener, ?a me revient. J'ai pu aller ? Balen et en revenir, je peux bien m'aventurer jusqu'au Terres Mortes." Il surprit le regard qu'Henwyn ?changea avec Luthan pendant que Leaf regardait ailleurs l'air de rien. "Oh, je sais ce que vous pensez tous les trois. Vous ?tes en train de penser que je n'ai aucune chance de les rattraper." "Si tu me permets d'?tre franc," dit Luthan, "je pense que ?a te ferait du bien d'aller, euh, te d?gourdir les jambes. Je pr?f?re ?a plut?t que de te voir assis sur ton derri?re ici ? te faire du mouron pour tes amis ou ? jeter cet homme dehors." "Qu'est-ce que tu sous-entends ?" "Allons, patron. Tu sais que tu aurais pu traiter Renfrey avec un tout petit peu plus de d?f?rence. Bien qu'il soit un s?rieux cas de chiasse verbale et un g?chis pour notre bi?re, c'est un r?gulier et ses poches sont profondes." "Hmm. ?a faisait longtemps que ?a lui pendait au nez." "Peut-?tre, mais il faut dire ce qui est, tu n'arr?teras pas avant d'en avoir le c?ur net et une taverne n'est pas vraiment l'endroit r?v? pour une t?te br?l?e. Je te le dis en tant qu'ami. Quand tu m'as demand? de te rejoindre en tant que chef, je suis venu depuis Aster parce que j'avais confiance en tes qualit?s de ma?tre tavernier, m?me si c'?tait un travail que tu n'avais jamais fait auparavant. Tout autant, j'ai foi en toi maintenant." Maros grommela. "J'appr?cie le vote de confiance." Henwyn leva une main. "Au moins, laisse-moi me joindre ? toi. Je pr?f?re ?tre sur les routes plut?t que de tra?ner dans le coin ? attendre qu'un contrat pointe son nez." "Ha ! Hen, tu es le plus ancien de nous tous. Je serais heureux d'avoir ta compagnie. En plus, je pense avoir besoin d'un archer si je veux mettre quelque chose ? r?tir. Mais le mieux que je puisse te proposer, c'est un dixi?me des dix pour cent non remboursables." Henwyn haussa les ?paules. "C'est plus qu'acceptable. Mais s'il s'agissait de Fenn au lieu de Jalis, je demanderais plus." Maros souris, amus?. "S'il s'agissait de Fenn, nous n'aurions pas cette discussion." "Alors, si cet aspect est r?gl?," d?clara Luthan, "je ne veux pas que tu te fasses du souci pour la taverne pendant ton absence. Je m'en occuperai ? ta place, ouais, m?me en plus de mes attributions de chef." Henwyn sirota ce qui restait de son vin et se leva. "Je vais aller nous d?goter un chariot. Si aucun de ceux qui en ont n'est pr?t ? aider, je choisirai celui que j'aime le moins. Leaf a d?j? ta requ?te pour le QG. Elle se met en route bient?t. N'est-ce pas, petite ?" Leaf se leva et se tint debout pr?s de lui. "Mon sac est d?j? pr?t. J'ai juste besoin de passer le prendre ? la maison de la Guilde." "Bonne chance," lui dit Maros. "Et ne tra?ne pas." Leaf sourit. "Je ne tra?ne jamais." Avec un clin d'?il envers Henwyn, elle traversa la salle et se glissa entre les portes battantes. "Elle a plus de potentiel que la plupart des novices, celle-ci," dit Maros. "Et avec un tr?s bon professeur, Henwyn. Je ne pouvais demander meilleure ?quipe. Et tu en fais partie, Luthan." "Allons." Le chef repoussa sa chaise et lissa son tablier. "Retiens-moi cet ?lan de tendresse, surtout que j'ai des marmites ? nettoyer." Jalis s'accroupit, visa et pressa la d?tente de son arbal?te. Un instant plus tard, le balukha dans le lointain laisser ?chapper un croassement de douleur, fit quelques pas h?sitants et s'effondra. Elle gratifia ses compagnons d'un sourire satisfait. "Je l'ai eu !" "Bien vis?, copine," dit Dagra. Jalis sourit. "Je vis pour tes compliments, ? Homme ? Barbe." Elle se leva et mima une r?v?rence, tout ? fait consciente d'?tre compl?tement d?plac?e avec ses armes et sa tenue de voyage froiss?e. Elle partit au trot chercher le volatile qu'elle avait abattu et Oriken lan?a : "?a nous remplira la panse pour ce soir. Et ouis ?a changera des lapins malingres et des baies de mar?cages. On ferait peut-?tre mieux de faire une pause ici. Qu'est-ce que vous en dites ?" Jalis approuva, son estomac gargouillait d?j?. "D'accord," cria-t-elle par-dessus l'?paule tout en saisissant le balukha mourant. "J'ai fait la chasse, vous les hommes pouvez maintenant vous chamailler pour faire un feu et d?pecer la carcasse." Elle sortit Silverspire de son fourreau et glissa la fine lame dans le c?ur de la cr?ature. La soulevant par les pattes, elle retourna vers ses compagnons et la d?posa par terre. S'approchant d'un monticule herbeux, elle s'installa par terre et posa Silverspire dans l'herbe pr?s d'elle. Elle fouilla dans son sac ? dos ? la recherche d'un chiffon et de son cuir ? rasoir, tout en regardant Oriken et Dagra ; l'un d?gainait son couteau de chasse en s'agenouillant devant la carcasse et l'autre ramassait de quoi faire du feu dans les buissons avoisinants. Il y aurait encore de longues heures avant la tomb?e de la nuit mais manger maintenant serait tout aussi bien. Avec un soupir de frustration, elle cria en direction de ses compagnons : "Je n'arrive pas ? trouver mon cuir ? rasoir. Est-ce que l'un de vous l'a pris ?" "Non, ce truc est ? toi." Oriken fit une pause pour tapoter le sabre fix? ? sa taille. "Tu sais que je ne polis jamais ce vieux truc." "La pierre ? aiguiser se trouve dans le sac d'Oriken," cria Dagra de loin pendant qu'il se penchait pour ramasser du bois. "Je le prendrais bien pour toi," dit Oriken, "mais je suis pris jusqu'aux poignets dans les tripes de ce truc." "Oublie ?a. Je le retrouverai." Faisant une boule de son chiffon, Jalis se mit ? nettoyer la lame de sa dague ; son regard ?tait perdu vers la Route du Royaume qu'ils avaient pu rejoindre apr?s avoir travers? le mar?cage. Les marais ?taient loin derri?re eux ? pr?sent, bien que le paysage fut encore parsem? de parcelles boueuses. Que quiconque ait choisi de vivre ici ?tait un myst?re, ? moins que la r?gion n'ait ? l'?poque ?t? plus propice au fermage et au p?turage. Cela se voyait que le vaste mar?cage n'avait pas toujours recouvert la route et Jalis se demandait si quelqu'un ne l'avait pas cr??, tranchant ? l'int?rieur des terres dans une tentative d?lib?r?e de dissuader les voyageurs d'aller plus au sud. Si c'?tait le cas, c'?tait en effet d?courageant. Elle finit de nettoyer Silverspire et le remit dans son fourreau puis posa sa t?te contre l'herbe. Elle s'endormit vite et ne se r?veilla que plus tard au son du feu qui cr?pitait et ? l'ar?me de la viande qui r?tissait. "Ah, la princesse se r?veille," dit Oriken avec un clin d'?il tandis que Jalis s'?tirait. "Et au bon moment. Dag en a presque fini avec l'oiseau." Ils s'attaqu?rent ? la chair blanche br?lante du balukha pendant que le feu se r?duisait en braises. L'estomac plein, ils boucl?rent leur paquetage et reprirent leur voyage, suivant ce qu'il restait de la route. Les heures s'?grenaient, le globe dor? de Banael poursuivant sa course dans le ciel bleu. Tout en marchant, Jalis r?ajusta son sac dans son dos, puis pin?a sa chemise pour en d?coller le tissu de son dos en sueur. "Je devrais ?tre habitu?e ? cette chaleur," marmonna-t-elle. "J'ai ?t? ? Himaera trop longtemps. J'ai pass? plus de vingt ans dans l'Arkh et la plupart du temps ? Sardaya. La temp?rature ici, en comparaison, est beaucoup plus supportable." "Bah." Devant elle, Oriken ?changea un regard avec Dagra et sourit par-dessus son ?paule. "Il n'y a rien de tel que de passer trop de temps ? Himaera." Jalis se moqua. "Venant d'un homme qui n'a jamais mis les pieds en dehors de sa terre natale ? Excuse-moi si je ne te prends pas au mot." "Eh, on a tous pris le ferry pour l’?le de Carrados, tu te souviens ?" "Comment pourrais-je oublier ?" dit Dagra "Tu as pass? ton temps ? vomir sur le pont." "Ce n'?tait pas ma faute ! Personne ne m'avait pr?venu. Tu ne me verras plus sur un bateau, ?a, tu peux en ?tre s?r." Jalis secoua la t?te. "Carrados ne compte pas. ?a fait toujours partie d'Himaera. Mais bien tent?, va, l'Homme au Chapeau." Oriken agrippa le rebord de son chapeau et le souleva pour s'essuyer le front. "En vrai, j'ai beaucoup aim? ce temps en compagnie des moines sur cette ?le. Si ce n'?tait l'oc?an, ?a ne me d?rangerait pas de quitter Himaera pour aller m’y d?tendre. ? ?couter Jalis, Sardaya semble bien attrayant." "Attrayant ?" Jalis ?clata de rire. "Je n'en dirais pas tant. Le paysage est magnifique, certes. Les hommes et les femmes y sont beaux, pour la plupart. Leur culture est riche. Mais il y a la pr?sence constante des reivers et des troupes d'Ashcloak qui passent de ville en ville pour collecter les imp?ts. Et puis, bien que la faune soit beaucoup plus vari?e dans l'Arkh, il en est de m?me des monstres. Et puis, il y a les— Eh !" Elle tr?bucha contre Dagra qui s'?tait arr?t? net. "Dag, fais attention ! Ne me dis que tu as d?j? besoin d'une pause ?" Dagra lui toucha l'?paule et pointa devant. D'une voix sombre, il dit : "Je crois que nous avons atteint notre destination." Ils venaient d'arriver au sommet d'un promontoire et devant eux s'?talait une vall?e peu profonde qui s'ouvrait ? perte de vue dans toutes les directions, son rebord remontant dans le lointain. Vers la droite, le murmure presque imperceptible de l'oc?an leur parvenait dans la chaude brise d'est, et devant eux... Oriken siffla. "Alors ?a, pour un mur." Une ligne sombre d?coupait la lande au-dessus de la vall?e, s'?tendant presque depuis la c?te occidentale pour dispara?tre derri?re le paysage vallonn? au loin ? l'est. Les sommets des cr?neaux, blanchis par le soleil, pointant comme les dents ab?m?es de la m?choire d'un incroyable g?ant, rappelait ? Jalis l'ancien dieu de la pierre, Cherak. "D'accord," dit-elle, la voix ?touff?e par l'admiration, "je dois l'admettre, ce mur est plus grand et aussi plus laid que n'importe quel mur de mon pays. Sur ce point, vous m'avez battue." Dagra serra son pendentif dans sa main. "Peu importe le mur," dit-il la voix serr?e. "Regarde au-del?. C'est la cit?." Il tourna un visage p?le dans la direction dont ils venaient d'arriver. Jalis abrita ses yeux des rayons du soleil. Son regard d?riva au-del? du mur vers le lointain, errant ? travers le paysage n?buleux. "Oh," murmura-t-elle. Au-dessus et bien au-del? des remparts d?chiquet?s, les sombres contreforts des derniers vestiges de la civilisation de l'?poque des Rois s'?tendaient, ? peine visibles dans l'horizon brumeux. "La cit? l?gendaire de Lachyla. Impressionnante." Oriken arracha ses yeux du spectacle pour regarder Jalis. "?a met les choses en perspective, non ?" "Que veux-tu dire ?" Elle avait les yeux fix?s sur les tours, les fl?ches et les d?mes qui marquaient le paysage comme des ampoules gonfl?es. La cit? de Lachyla ?tait impressionnante, mais de savoir que l'endroit ?tait mort et vide depuis des si?cles la fit frissonner. "Ce que je veux dire," dit Oriken, "c'est que notre contrat pour cette babiole est d?risoire en comparaison ?..." Il ?tendit les bras en direction de la cit? au loin. "? ?a." Dagra se retourna pour leur faire face. "J'?tais persuad? que cet endroit n'?tait qu'un mythe," dit-il. "Juste une fable pour que les vieux puissent faire peur aux enfants." "Et pour que les Tisseurs de Contes puissent faire peur ? tout le monde," dit Oriken. "Eh bien, ?a a march?. La l?gende de Lachyla me terrifiait ? chaque fois que ma grand-m?re nous la racontait quand on ?tait petits." Dagra prit une inspiration en tremblant. "Tu vas bien ?" Oriken demanda. Jalis capta le regard de Dagra. "Eh," dit-elle doucement. "Je sais. Je g?re." Il s'?claircit la gorge. Son visage se transforma en un masque de r?solution. Il regarda Jalis, puis Oriken, et leur fit un petit sourire forc?. "Alors ? On va aller chercher cette foutue babiole ou non ? Oui ? Allons-y, alors !" Dagra reprit sa marche sur la Route du Royaume. Oriken ?changea un regard terne avec Jalis avant de lui embo?ter le pas. Il avait l'habitude de cacher ses ?motions sous un comportement d?sinvolte mais Jalis savait qu'Oriken luttait contre quelque chose ? l'int?rieur de lui, tout comme Dagra, et ce n'?tait pas seulement de se retrouver face ? face avec une histoire de fant?mes. D'apr?s les bribes d'informations qu'elle avait glan?es en cours de route, la l?gende de Lachyla ?tait si fantaisiste que ni Oriken, ni Dagra ne pouvaient ?tre certains que ce lieu exist?t vraiment. Les gens avaient tendance ? user d'imagination pour faire appara?tre une l?gende ? partir de rien. Chaque l?gende avait une origine, aussi minuscule ou, en l'occurrence, aussi grande fut-elle. L'?norme cit? devant elle n'?tait pas une surprise mais le temps avait le don d'exag?rer les d?tails les plus petits de toute histoire. Jalis lan?a un coup d'?il en direction du nord et, pendant un moment, un sentiment de solitude s'empara d'elle. De se retrouver si loin de toute civilisation et en pr?sence d'une telle antiquit? fit na?tre en elle une envie inattendue de retourner dans son propre pass?. Mais cette envie fut ?clips?e par l'atmosph?re m?lancolique qui s'?chappait de Lachyla. Avec un soupir, elle suivit ses amis en direction de la Cit? Ravag?e. La terre compacte de la route et des chemins commen?ait d?j? ? s?cher apr?s la r?cente averse, gr?ce aux rayons chauds de Banael qui ?tait ? mi-course de son voyage d?clinant. Maros se tenait debout devant le Camelot Solitaire, ses mais pos?es sur la poutre de la cl?ture. Il ruminait tout en regardant les maisons et les ?choppes famili?res en pierre et en bois, qui avaient ?t? construites sans aucun souci de sym?trie. C'?tait ainsi avec les migrants et les colons. ? travers les habitations, il regarda en direction des collines et des bois. Ses pens?es ?taient tourn?es vers Jalis, Oriken et Dagra, ses compagnons, avant qu'il ne fut forc? ? raccrocher ses lames. Sa certitude que quelque chose clochait avait consid?rablement augment? depuis qu'il avait entendu l'histoire de Jerrick. Et puis il y eut cette complication suppl?mentaire de Cela Chiddari qui avait pass? l'arme ? gauche... "Patron." "Agh !" Maros se retourna brusquement pour voir Henwyn debout pr?s de lui. "Par les couilles en feu de Banael, mec ! Tu essaies de m'envoyer de vie ? tr?pas ou quoi ?" Le lancier v?t?ran r?prima un sourire et inclina la t?te en s'excusant. "Bonne nouvelle," dit-il. "Leaf est en route pour le quartier g?n?ral et j'ai pu trouver un chariot et un conducteur. Je dis pas que deux mules nous ferons avancer plus vite mais je pr?f?re ?a que d'avoir ? te porter sur mon dos si tu fatigues. Sans vouloir t'offenser, patron, mais tu es l?g?rement lourd m?me si ma force est l?gendaire." "Ha !" Maros claqua une main sur l'?paule d'Henwyn, ce qui fit fl?chir ses genoux d'un bon pouce. "Peu de mots plus vrais ont jamais ?t? prononc?s, Hen. Qui as-tu embauch? ?" "Le meunier. Wymar." Maros grommela. "Ouais, je sais. J'en ai essay? d'autres avant lui mais personne ne voulait risquer de s'aventurer au-del? des limites du Plateau avec rien de que des petits hameaux aux alentours. Wymar ?tait le seul qui n'ait pas protest? d'office. L'app?t du gain, sans aucun doute." "Avec quelle facilit? les gens d'ici oublient que les sabreurs leur facilitent la vie rien qu'en vivant dans cette ville. Par contre, quand il s'agit de rendre une faveur—" "Ce n'est pas tout, patron." Maros ?mit un grondement sourd. "Quoi d'autre ?" "Wymar est ?nerv?, il a d? r?partir sa charge de travail parmi le restant de son personnel pour ce qui semble ?tre quelques bonnes semaines." "Par Verragos, qu'est-ce qu'il raconte l? ?" "Renfrey," dit Henwyn en guise d'explication. "Pfff, cette petite fouine ? Je l'ai ? peine effleur?. Quel est le probl?me ?" "Eh bien, on dirait qu'il est arriv? ? rentrer chez lui apr?s que je lui ai renvers? un seau d'eau sale sur la t?te pour le r?veiller. Mais quand il s'est r?veill? de son sommeil d'ivrogne, il s'est aper?u que son doigt ?tait cass?." "Son doigt ?" "Et donc, il est en arr?t de travail." "Ouais, et Wymar, il veut en tirer le plus grand profit. Je vois. L'?tendue des d?g?ts ?" "Il veut dix pi?ces d'argent pour la perte de travail." "Dix ! Cet ivrogne de Renfrey ne doit pas gagner plus d'une pi?ce par semaine !" Henwyn haussa les ?paules. "C'est vrai mais le meunier pr?tend que la redistribution des t?ches lui occasionne des co?ts suppl?mentaires, plus la couverture des dommages pour la perte de travail qualifi?, la chute du niveau de production, pour ainsi dire." "Travail qualifi?. Je lui en donnerais, moi, du travail qualifi?. Bon, dix pi?ces d'argent pour ce sale voleur. Et le chariot ?" "Eh bien, Wymar sera notre conducteur, et puis il parle de nourriture pour les mules, d'usure des roues du chariot—" "Par la verge poilue de Cherak !" Maros agrippa la cl?ture. Les muscles de son bras se contract?rent tandis qu'il serrait la poutre en bois. "Doucement, patron," le pr?vint Henwyn comme la cl?ture commen?ait ? se fissurer. "Bien. Bien. Finissons-en, Hen. Je garde mon calme." "Cinquante pi?ces d'argent." La poutre fut arrach?e de la cl?ture. Maros la jeta sur le c?t?. Un sourire crisp? lui fendit le visage. "La violence me calme." Il leva les sourcils pour souligner le fait. "D'accord," soupira Henwyn. "Je suis content que tu aies eu autre chose que ma pomme sous la main." "Cinquante, ?a fait dix pour cent du budget pour ce travail. Et tout ?a va finir dans la poche de Wymar s'ils ne retrouvent pas le joyau, ou la moiti? de la part qui me revient s'ils le trouvent. Par tous les dieux, mon gras, ?a aurait co?t? moins d'acheter deux mules pour toi et un chariot pour moi." "J'ai essay? ?a aussi." Henwyn haussa les ?paules. "Tu sais qu'il y a peu de mules disponibles. Personne n'est dispos? ? en vendre. Si je me mets ? leur place, je ne les bl?me pas. Je ne peux m?me pas en vouloir ? Wymar de vouloir garder un ?il sur ses bestioles plut?t que de nous les confier." Maros soupira. "Bah, on ferait tout pour les amis, non ? Va dire ? ce voleur de meunier que pour le prix qu'il demande, on s'en va avant le coucher du soleil ce soir. Il a quatre heures pour se magner le cul et on est parti. Je ne suis pas parvenu ? ce stade de ma vie sans faire confiance ? mes tripes, et mes tripes me disent que Jalis et les gars sont en danger." Chapitre Sept Patience et Pri?res Dagra et ses amis descendaient dans la vall?e alors que le soleil du cr?puscule plongeait dans l'horizon lointain. Les fl?ches et les tours fant?mes de la cit? au loin s'?vanouirent ? la vue, de m?me que le mur lui-m?me et ses cr?neaux. Le mur ?tait encore ? une heure de marche mais la nuit tomberait aussit?t une fois arriv?s. Dagra regarda vers l'est, plissant des yeux en direction d'un gawek solitaire nich? au pied d'un promontoire. Ses troncs jumeaux ?taient enroul?s l'un autour de l'autre, les hautes branches jetant une ombre longue sur le versant de la vall?e. "On ne met pas les pieds dans ce lieu oubli? des dieux avant le lever du jour," dit-il. Voyant l'expression d'Oriken, il rajouta : "Pas de discussion. Je n'y mettrai les pieds qu'en plein jour et avec assez de marge devant nous. C'est d?j? suffisant d'avoir ? se promener dans une crypte au sein d'un cimeti?re, alors je ne vais pas passer des si?cles ? le faire dans l'obscurit? s'il n'y a pas lieu de le faire." Oriken haussa les ?paules. "C'est d?sert, Dag. Je ne vois pas o? est le probl?me." "Dagra a raison," dit Jalis. "On ne sait pas ce qui s'y trouve. Pour autant qu'on sache, il pourrait y avoir un nid de lyakyn. Ou des cravants qui se sont adapt?s ? vivre dans des ruines plut?t que parmi les arbres. Ou encore d'anciens pi?ges tendus secr?tement dans l'obscurit?." "?a," dit Dagra d'une voix rauque, "et les esprits de tous ces pa?ens morts qui hantent probablement les lieux. Non, non, oublie ?a. Je suis d'avis de camper ici jusqu'? demain. On est bien arriv?s jusqu'ici, qu'est-ce qui presse ?" "On va aller jusqu'au point le plus haut et on trouve un endroit o? camper," proposa Jalis. "On pourrait tout aussi bien s'abriter sous cet arbre." Dagra fit un signe en direction du gawek. "Cet endroit en vaut bien un autre dans cette zone maudite." Oriken secoua la t?te. "On y est presque et tu te d?gonfles." Dagra lui lan?a un regard f?ch?. "C'est une sage d?cision," dit Jalis en se dirigeant vers l'arbre. Alors que Dagra lui embo?ta le pas, elle jeta un regard en direction d'Oriken. "Allez, on termine la journ?e ici et on attaque demain avec l'?nergie du matin." "D'accord, d'accord." Oriken tordit le rebord de son chapeau et se tra?na derri?re eux. En approchant du gawek, il dit : "Laissez-moi au moins explorer l'entr?e avant la tomb?e de la nuit. Je promets de ne pas y entrer seul." "Non. Personne ne va nulle part seul. Pas cette fois. Et puis, l'entr?e est barr?e. On aura besoin du grappin pour escalader." Voyant l'expression d??ue d'Oriken, Jalis le regarda avec insistance. "Il y a un dicton de Vorinsia : c'est l'empressement qui a mis fin aux Edel." "Je n'ai aucune id?e de ce que cela veut dire." "C'est une phrase attribu?e au Premier Ascendant ? l'?poque o? Vorinsia avait conquis les terres du sud de l'Arkh, en commen?ant par Sardaya, puis Khalevali. Les nobles, appel?s les Edel en langue vorinsienne, de Khalevali et de ma patrie, surestimant leurs forces, avaient mont? une r?volte contre la mainmise des forces de Vorinsia. La haute noblesse fut ?cras?e mais l'Arkhus appela ? la cl?mence, autorisant aux membres survivants des familles ? quitter leurs domaines et leur fortune." Arrivant ? l'ombre des grandes branches du gawek, elle ajouta : "Ne joue pas au h?ros, Oriken." Il se renfrogna. "C'est toi le patron, patron." "Arr?te avec ?a." "Comme tu veux, patron." Jalis le mena?a du doigt. "Malan-gamir !" Oriken eut un sourire narquois. "Je le ferais avec plaisir, siosa, pouvons-nous attendre jusqu'? ce qu'il fasse noir ?" Jalis leva le bras et, d'une tape, fit voler le chapeau de la t?te d'Oriken. "Eh !" Alors qu'il se penchait pour le r?cup?rer, elle lui lan?a un regard d’avertissement. "La verge divine, cher Orik, pointe aussi bien vers le tr?sor que vers le pi?ge. Prends bien garde o? tu pointes la tienne. Et maintenant, prends un bol et va voir si tu peux nous trouver des baies fra?ches." "Je me servirai de mon chapeau." De par son ton, il ?tait clair qu'elle l'avait froiss?. "On ne mange pas dans ton vieux machin tout ab?m?," dit Dagra. "Les baies de mar?cage ont d?j? assez mauvais go?t comme ?a, sans y ajouter ta sueur et tes sales cheveux." Oriken haussa les ?paules et fouilla un bol dans son sac. "Passe-moi l'arbal?te, jeune fille," dit Dagra. "Je vais aller avec lui." Oriken le regarda pendant qu'il refermait son bardas. "C'est un peu excessif." Dagra rigola tout en prenant l'arbal?te des mains de Jalis. "T'inqui?te, je ne vais pas te tirer dessus juste pour avoir d?sob?i au chef." "Ne commence pas," pr?vint Jalis. Dagra inclina la t?te et lui fit discr?tement un clin d'?il avant de suivre Oriken. M?me si son humeur s'?tait un peu all?g?e, son agitation int?rieure demeurait. Dagra s'appuya sur les troncs enchev?tr?s du gawek et laissa son regard courir sur le paysage du soir recouvert de lumi?re argent?e. Quelques nuages obscurcissaient la course ascendante d'Haleth qui n'?tait qu'une p?le lueur dans le ciel ?toil?. Au-del? des pierres qui formaient la route, les endroits o? se trouvaient des bancs de mar?cages ?taient signal?s par les minuscules point lumineux des feux follets qui luisaient au-dessus de la lande. Tout ?tait calme, ? part le gazouillis et le p?piement des passereaux, le lointain croassement d'une grenouille et les ronflements discrets d'Oriken. Dagra posa ses coudes sur ses genoux et, pour ce qui lui semblait ?tre la milli?me fois depuis qu'il avait p?n?tr? les Terres Mortes, il appela les dieux de ses pens?es. Aveia et Svey'Drommelach b?nis. Proph?te Avato. Sage Ederron. ?coutez votre d?vou? en ce moment de besoin. Prot?gez-le de vos ailes alors qu'il se dirige vers les t?n?bres et faites que votre divine bont? chasse le mal et les ombres. Donnez-lui la force d'aller l? o? vous n'?tes pas et, de l?, de retourner dans votre domaine. Si c'est votre volont?, guidez son retour pour qu'il continue de vous servir, ou bien, si c'est votre volont?, guidez son ?me vers Kambesh pour qu'il puisse rena?tre. Alors que Dagra finissait sa pri?re, Oriken renifla dans son sommeil et claqua des l?vres. Dagra regarda dans sa direction et il se figea, l'estomac nou?. Une silhouette p?le, bip?de, ?tait accroupie au-dessus d'Oriken, sa t?te informe pench?e sur la couverture qui recouvrait le torse d'Oriken, ses bras g?latineux sans mains tapotant le tissu de laine. Dagra, paralys?, fixait cette curiosit? informe. Sortant de sa transe, il appela Oriken ? voix basse. Bien que la cr?ature ne sembl?t manifester aucune agressivit?, il ne voulait pas la provoquant en poussant un cri. Une r?gle fondamentale dans la nature sauvage ?tait de ne jamais sous-estimer une faune ou une flore inconnue. Oriken grommela et se mit ? ronfler doucement. Dagra empoigna son glaive et s'accroupit. Il avan?a avec pr?caution mais la cr?ature semblait concentr?e, la t?te perdue dans la couverture. Une fois tout proche, il l'attaqua de son glaive. La lame s'enfon?a profond?ment dans la chose mais celle-ci r?agit ? peine. Il retira la lame et remarqua, abasourdi, l'absence de sang sur la peau blanch?tre ; bouche b?e, il observa la plaie se refermer sur elle-m?me. "C'est ?a, sale b?tard," murmura-t-il tout en tranchant dans la t?te de la cr?ature d'un coup de glaive lat?ral. Le glaive plongea dans la chair molle qui offrit peu de r?sistance mais la lame passa au travers et la chair sembla se cicatriser instantan?ment. La cr?ature leva la t?te et se tint debout. Elle s'?loigna de la couverture et tourna son visage sans trait vers Dagra, puis s'en alla. "Orik ! R?veille-toi !" Dagra se redressa, poursuivant du regard la cr?ature qui s'?vanouit dans la nuit. Jalis se r?veilla et se mit sur son s?ant. Alors qu'elle scrutait l'obscurit?, un couteau ? lancer apparut dans sa main. Dagra attrapa Oriken par les ?paules et il le secoua violemment. "R?veille-toi, merde !" "Hein..." Paresseusement, Oriken se frotta le visage et finit par ouvrir les yeux. "Quelqu'un a mis de la mandragore dans mon th? ?" "Tu n'as pas bu de th?," marmonna Jalis en remettant le couteau dans sa poche. Oriken souleva la t?te et regarda autour de lui. "Alors, Dag ?" dit-il encore endormi. "T'as vu quelque chose ?" "Oui ! Non. Je ne sais pas. Il y avait..." Mais la cr?ature ?trange avait disparu. Jalis lui lan?a un regard s?v?re. "Tu t'es assoupi et tu as fait un r?ve ?" "Non ! Je vous jure, il y avait quelque chose..." "Eh !" Oriken se redressa et s'assit. Il jeta un coup d'?il ? sa couverture. "C'est quoi ce truc blanc dont je suis couvert ? Dag ? Je ne plaisante, tu ferais mieux de ne pas—" "Il y avait une cr?ature !" protesta Dagra pendant qu'Oriken se d?barrassa violemment de sa couverture. "C'?tait un... ah, je sais pas !" Il bafouillait d'exasp?ration. "D?go?tant." Oriken pin?a sa chemise entre deux doigts. "C'est pass? au travers." "Laisse-moi voir." Jalis se pencha au-dessus de lui et souleva sa chemise pour exposer la peau de son torse. Il y avait trois amas de cette substance collante emm?l?s aux poils de sa poitrine et des cercles rouges se dessinaient au travers. "Qu'est-ce que..." dit Oriken en attrapant la couverture pour essuyer le liquide. "C'est engourdi." Dagra fixait la couverture des yeux. Les parties de laine o? la cr?ature avait pos? sa t?te et ses mains commen?aient ? se d?sint?grer. Jalis l'avait ?galement remarqu?. En toute h?te, elle s'empara de son sac et en sortit une serviette et une pochette et elle versa de l'eau sur la poitrine d'Oriken. Avec le coin de la couverture, elle ?pongea la substance collante des plaies autant qu'elle le put. De la pochette, elle prit une feuille humide et la pla?a sur la plus grande des trois plaies. "Le n?penth?s est le meilleur traitement que nous ayons sous la main pour le moment. Peut-?tre cette cr?ature n'?tait-elle pas venimeuse." Oriken hocha la t?te et regarda Dagra. "?a ressemblait ? quoi ?" Dagra ?tait perplexe. Il d?crivit la cr?ature du mieux qu'il put mais ni Oriken, ni Jalis ne purent s'en faire une id?e pr?cise. "Nous allons devoir ?tre plus vigilants." Jalis prit deux feuilles de plus de la pochette et dit ? Dagra : "Bravo de l'avoir vue ? temps. On ignore l'?tendue du mal que ?a a pu causer ? Oriken pendant son sommeil. J'imagine que la s?cr?tion contenait un anesth?sique." Oriken p?lit pendant que Jalis continuait d'appliquer les feuilles de n?penth?s sur ses plaies. "Je te revaudrai ?a, Dag. ?coute, je m'excuse de t'avoir cri? dessus." Dagra bougonna. "Oublie ?a. Retourne te coucher. Je vais monter une autre garde et je te r?veille dans deux heures. Je veux faire une rapide surveillance aux alentours de toutes fa?ons. Si j'attrape cette chose, je la mets en pi?ces." "Merci," dit Oriken. "Je doute de pouvoir me rendormir pourtant." "Reste ?veill? alors," proposa Jalis. "Mais repose-toi. Si tu te sens bizarre, appelle Dag ou r?veille-moi." Elle jeta un coup d'?il ? son bras. "Comment va cette blessure que tu as eue avec le cravant ?" Oriken serra et desserra son poing. "Beaucoup mieux." Il fouilla dans le fond de son sac et en sortit sa veste en peau de nargut doubl? de fourrure et l'enfila. Tout en fermant la rang?e d'agrafes sur le devant de sa veste, il regarda Dagra et Jalis, tour ? tour. "Eh, ?a va, je ne veux plus courir aucun risque." Il s'allongea et posa son chapeau sur sa poitrine. Jalis retourna s'enrouler dans sa couverture et, en moins d'une minute, se rendormit. Oriken croisa les bras derri?re la t?te et fit un signe de t?te en direction de Dagra. Apr?s avoir rengain? son glaive et v?rifi? que l'arbal?te ?tait charg?e, Dagra partit faire sa patrouille. Des cadavres, des cravants, des hommes sauvages et des trucs bizarres blancs et g?latineux, pensa-t-il. Et au matin, sans doute les esprits de gens morts depuis longtemps. Il envoya rapidement une autre pri?re aux dieux et aux proph?tes pour que demain ne soit pas une ?preuve suppl?mentaire. Il s'agissait maintenant d'attendre si, et comment, ils r?pondraient ? ses pri?res. Chapitre Huit Observateurs du Bout du Monde Oriken m?chonnait un coriace bout de viande s?ch?e tout en suivant les plaies de son abdomen du bout d'un doigt. Le n?penth?s avait fait son travail. La peau ?tait ? vif mais elle cicatrisait, des cro?tes avaient commenc? ? appara?tre et, ? la fin de son tour de garde, l'engourdissement avait diminu?. Il prit l'un des trois ?ufs de caille bouillis dans la coupe qu'il gardait pr?s du feu et l'?cala. Il regarda le petit ?uf d'un air maussade. C'?tait tout ce qu'il avait pu trouver la veille, bien qu'il eut poursuivi le cri de l'insaisissable caille. Leurs derni?res provisions de viande sal?e, un petit ?uf chacun et un bol de baies des mar?cages, c'?tait l? tout leur petit-d?jeuner. Il goba l'?uf et l'avala en quelques secondes. "Moi, je vous le dis," annon?a-t-il, "si on trouve l'un de ces cravants dans la cit?, je m'en avale un." Dagra fit une grimace. "Bah quoi, qui sait quand on aura un autre repas digne de ce nom ? Je suis juste... innovateur." "Si j'?tais toi, je m'en abstiendrais," dit Jalis. "De quoi, d'?tre innovateur ?" Jalis lui lan?a un regard sarcastique. "La chair de cravant est plus coriace que le cuir, ? moins de la faire mijoter une journ?e enti?re." Dagra essuya ses mains sur son pantalon et se leva. "Ne me dis pas que tu sais ?a d'exp?rience." "Eh bien, en fait, si." Pendant un moment, Jalis parut perdue dans ses pens?es. "C'est quelque chose de rare ? Sardaya, du moins quand j’?tais petite fille. Les cravants volants ?taient un vrai fl?au les fois o? ils descendaient des montagnes. Mon p?re prenait souvent part ? la chasse mensuelle et, parfois, il apportait un jarret de cravant que les bonnes faisaient mijoter." Elle regarda Oriken. "Mais nous n'en trouverons pas dans la cit? parce que nous n'y allons pas. ?a n'est pas n?cessaire. Pendant mon tour de garde, j'ai ?tudi? la carte que Cela a donn?e ? Maros. Les Jardins Fun?raires sont directement au-del? du portail. Nous n'avons donc pas besoin d'entrer dans Lachyla." "Hmm." Oriken saisit son ceinturon pos? au sol et se leva. "C'est vraiment dommage. J'?tais impatient d'aller faire un tour ? l'int?rieur." Dagra soupira. "Bien s?r que tu l'?tais." "On en reparlera plus tard." Jalis se redressa elle aussi et frappa dans ses mains. "Avant tout, les gar?ons, je crois que nous avons un joyau ? trouver." Le mur d'enceinte s'?levait au-dessus d'eux, aussi solide que le temps lui-m?me, ? part quelques moellons effrit?s et quelques morceaux de mortier cass? au pied du mur. Oriken se sentait petit et insignifiant devant ces vieilles pierres imposantes. "S'il y avait des archers sur ces cr?neaux," dit-il, "il n'y aurait aucun moyen d’acc?der ? l'int?rieur, pas m?me avec une arm?e, et encore moins un trio de sabreurs." "Heureusement qu'on a le grappin," dit Jalis. "Et qu'il n'y a personne d'autre," r?plique Oriken. "N'est-ce pas, Dag ?" "J'esp?re," dit Dagra sourdement. Oriken remarqua le long du mur les restes d'une corde qui pendait depuis les remparts cr?nel?s. "Y a pas quelque chose qui vous d?range, vous deux ?" Jalis fron?a les sourcils en regardant la corde us?e. "?a a l'air tr?s vieux," dit Dagra. Oriken hocha la t?te. "Mais je ne crois pas que ?a date du fl?au. Et si ce que je dis est vrai, ?a veut dire que nous ne sommes pas les premiers ? nous ?tre aventur?s ici depuis que les cartes ont marqu? ce territoire de la t?te de mort. Il porta son attention vers la herse abaiss?e dont les pointes ?taient plant?es dans la poussi?re entre les dalles fendill?es. Les barres de fer rouill?es ?taient chacune aussi ?paisse que son poignet. Il avan?a pour jeter un ?il au travers et regarda au-del?, bouche b?e. "Le mot mort prend tout son sens..." murmura-t-il. Jalis ?tait ? ses c?t?s. "Oh...," murmura-t-elle, puis elle recula d'un pas. "Eh bien, Orik. ? toi l'honneur ?" Avec un sourire, il se d?barrassa de son sac. Il en sortit un long rouleau de corde dont l’une des extr?mit?s ?tait attach?e ? un lourd grappin. "Reculez," dit-il. Il enroula la corde autour de son bras et s'avan?a vers le mur. Il bloqua l'extr?mit? libre de la corde sous son pied, jaugea la hauteur du rempart et fit osciller le crochet ? l'autre extr?mit? de la corde. Puis, il l?cha la corde et le crochet s'?leva dans les airs, passa au-dessus, puis au-del? du mur et, dans un mouvement d'arc, redescendit et accrocha un rebord sur la passerelle qui longeait le haut du rempart. Il tira sur la corde pour tester l'ancrage du grappin puis il remit son sac ? dos sur ses ?paules. "Honneur aux dames ?" dit-il ? Jalis. "Ah, merci, sios. Tr?s aimable ? toi." Elle empoigna la corde, s'?lan?a avec agilit? et commen?a ? grimper. Oriken surveillait son ascension jusqu'? ce qu'elle ait atteint le sommet. Puis, il se tourna vers Dagra. "Apr?s toi." Dagra ne dit pas un mot. Le visage crisp?, il suivit le mur du regard. Il saisit son pendentif Avato et le pressa contre ses l?vres avant d'empoigner la corde ? son tour. Il commen?a ? se hisser, ses bottes trouvant ? s'agripper dans les irr?gularit?s des pierres. Oriken l'entendait grogner sous l'effet de l'effort, puis Dagra parvint ? se hisser jusqu'aux cr?neaux. Vers son sommet, le mur avait une l?g?re inclinaison mais cela n'en facilitait pas moins son ascension. Avec ses longs membres et le poids de son bardas, les muscles des ?paules d'Oriken ?taient au supplice quand il atteignit enfin le sommet. De la sueur d?goulinait le long de son visage pendant qu'il se r?tablissait ? travers les cr?neaux. Sans observer de pause, il tira la corde et l'enroula sur elle-m?me. Dagra ?tait accroupi pr?s de lui, le regard troubl?. "Eh," lui dit Oriken, "on finira ce travail. Nous sommes des sabreurs. C'est notre vocation." Apr?s avoir rang? la corde et le crochet dans son sac, Oriken se redressa et, pour la premi?re fois, il ?tudia le paysage des Jardins Fun?raires et de la cit? de Lachyla au-del?, puis il comprit pourquoi Dagra avait l'air pr?occup?. Il se frotta la barbe tout en regardant les innombrables rang?es de pierres tombales align?es dans le vaste p?rim?tre du cimeti?re. Des vases d'argile fissur?s ?taient debout ou couch?s pr?s de leurs plaques fun?raires. Des statues de pierre partiellement effondr?es parsemaient le sinistre paysage, certaines avec leurs bras et leurs t?tes rassembl?es ? leur pied. Les statues de bronze, ?rig?es telles des sentinelles ? c?t? de portes de cryptes sophistiqu?es, ?taient plus rares. Des silhouettes d'arbres sans feuilles qui, ? cette ?poque de l'ann?e devaient ?tre en pleine floraison, projetaient leurs ombres, telles des doigts s'agrippant au sol. Tout ?tait recouvert du poids des si?cles. "Tu as perdu ta langue ?" demanda Jalis. "Pour une fois, oui," avoua-t-il. Le terrain plant? de tombes descendait puis remontait dans le lointain vers une muraille qui enfermait les morts dans un grand rectangle de pierre. Les remparts au loin paraissaient petits de l? o? ils se trouvaient, mais le large couloir central qui traversait le cimeti?re se d?roulait jusqu'? une deuxi?me herse au milieu de la muraille. Le Litchgate, le Portail des Morts-Vivants. Oriken se rappela avoir entendu ce nom dans les contes. Aussi lugubres que les Jardins Fun?raires puissent ?tre, la cit? au-del? ?tait compl?tement diff?rente. Des murs lourdement fortifi?s ceignaient l'ensemble de la cit?. Les b?timents les plus proches ?taient cach?s derri?re la muraille du cimeti?re mais, au fur et ? mesure que le terrain remontait au-del? de la herse, on apercevait une art?re principale qui se faufilait entre des rang?es de constructions en d?me, obliques et cr?nel?es, vers une sinistre forteresse. La masse du ch?teau dominait la cit?, juch? au sommet d'une basse colline comme une redoutable sentinelle, pr?te ? bondir au moindre signe d'intrusion. "Et nous y voil?," murmura Oriken. "Bonjour, Ch?teau de Lachyla." "Pas le plus accueillant des endroits, hein ?" dit Jalis. "Difficile de croire que ?a ne fait pas partie des endroits qu’il faut absolument visiter ? Himaera." Oriken jeta un ?il en direction de Dagra. "Et toi qui trouvais la Citadelle Valekha minable." "Ah mais, ?a l'?tait." Le visage de Dagra ?tait un masque de sto?cisme. Le pied de la colline sur laquelle tr?nait le ch?teau ?tait plant? d'une myriade de constructions, plus petites que le ch?teau, mais de tailles imposantes, rassembl?es telles des fid?les autour d'un sanctuaire. ? mesure que l'on s'?loignait du c?ur de la cit?, les constructions devenaient moins hautes, plus petites et avaient l'air moins majestueux. Les fl?ches et les toits en coupole avaient peut-?tre ?t? jolis dans une cit? vibrante de vie mais aujourd'hui, ils n'?taient plus que les fant?mes d'une grandeur pass?e ; des traces du fl?au, sorties tout droit de la terre elle-m?me. Oriken devait l'admette, Lachyla ?tait sans doute l'endroit le plus lugubre qu'il ait jamais vu. De l'endroit o? il se trouvait, des nappes brumeuses d'oc?an scintillaient ? l'est et ? l'ouest, rappelant que Lachyla ?tait construite sur une p?ninsule effil?e. Il pouvait imaginer les falaises escarp?es, au-del? des murs de d?fense, donnant sur les profondeurs tumultueuses de l'Oc?an Echilan inexplor?. Le bout du monde, pensa-t-il, se rappelant une fois de plus comment Dagra et lui s'?taient agripp?s aux flancs abrupts du Mont Sentinelle et avait contempl? l'oc?an. Il se retourna au bruit des pas de Jalis et Dagra qui marchaient le long des cr?neaux en direction d'une tour de treuil. Ramassant ses affaires, il courut les rattraper. Le toit de la tour, fait de ch?ne, s'?tait d?form? avec le passage du temps et des intemp?ries, mais il semblait encore intact. Au-dessous se trouvait le m?canisme du treuil avec, sur le c?t?, une longue poign?e en fer. L'extr?mit? de la cha?ne disparaissait ? travers un trou dans le sol de pierre au-dessus du c?t? de la herse. "?a n'a pas l'air trop rouill?," remarqua Jalis. "En repartant, on essaiera le m?canisme ; s'il marche, ?a nous ?vitera d'avoir ? descendre le long du mur et risquer de laisser le grappin derri?re nous s'il est coinc?." Oriken empoigna le manche de ses deux mains, banda ses muscles et pesa dessus de son poids. Il y eut du mouvement, la cha?ne s'enroula autour de la bobine avec le clink-clink-clink sourd des maillons qui s'entrechoquaient, suivi du grincement de la herse qui semblait protester contre le r?veil de son long sommeil. "Je pense qu'on arrivera ? l'ouvrir," dit-il en ?poussetant ses mains sur son pantalon. Depuis la tour du treuil, une vol?e de marches en pierre menait vers le cimeti?re. Oriken suivit Jalis vers le terrain aride, Dagra sur ses talons. Ils travers?rent en direction des ruines de l'All?e des Morts-Vivants et se tinrent devant la herse. Oriken jeta un coup d'?il ? travers les barres de fer vers la lande au-del? des murs et, pendant un court instant, il se sentit prisonnier, comme pi?g? dans les filets des mots du Tisseur de Contes, transport? dans un temps qui aurait peut-?tre d? rester enferm? dans les paroles de contes anciens. Repoussant cette pens?e, il vit Jalis sortir de la poche de ses jambi?res un vieux parchemin jauni par le temps et qu'elle se mit ? ?tudier. "Regardez l?," dit-elle. Les hommes se rassembl?rent. Du bout d'un ongle, elle tra?a une ligne vers le nord jusqu'? point situ? aux trois-quarts du chemin. "?a devrait ?tre assez simple. On suit le chemin principal jusqu'? ce point." Elle dessina du doigt une ligne vers la droite et pointa jusqu'? un X trac? par leur cliente. "Puis, on va vers la droite et, on y sera." "Sans cette carte," dit Dagra avec une expression sombre, "nous aurions pass? ce cimeti?re au peigne fin." "Eh bien, nous irons remercier Cela ? notre retour." Jalis fit signe d'avancer. "Pour l'instant, notre prix nous attend." Oriken lui pressa doucement l'?paule, puis partit en direction de la voie centrale. Jalis et Dagra lui embo?t?rent le pas ? ses c?t?s. Alors qu'ils avan?aient, une impression s'infiltra dans son esprit et il ouvrit ses sens ? ce qui l'entoura. J'ai raison, pensa-t-il. Une pointe d'inqui?tude naquit au fond de son estomac. Non seulement les arbres ?taient-ils morts et noircis, ils ?taient ?galement recouverts de pustules fongiques. Il n'y avait pas non plus d'arbustes en vue, ? part de rares amas de ronces dess?ch?es. Et aucun bruit provenant de quelconques cr?atures. ?a nous permettra de les entendre venir, ? d?faut de les voir. Quel qu'ait ?t? cet endroit auparavant, il devrait ?tre envahi d'animaux et de plantes ? l'heure qu'il ?tait. Mais il en ?tait d?pourvu. Pas de criquets, pas de mouches, pas d'oiseaux. Des arbres morts et aucune herbe de quelque sorte que ce soit. Quel merdier ! "Il n'y a aucun signe de vie dans cet endroit," dit Dagra. "Rien, ? part nous trois." Oriken fron?a les sourcils. "Ouais, j'?tais sur le point de—" "Il y a une odeur dans l'air," dit Jalis, son regard survolant les rang?es de pierres tombales inclin?es. Oriken aussi pouvait la sentir. Ce n'?tait pas juste l'odeur moisie des longues ann?es d'isolation, ni l'odeur sal?e de l'oc?an voisin ; c'?tait autre chose, ? peine perceptible, mais pr?sent n?anmoins. Il renifla, plissa les yeux. Doux, comme le parfum qui persiste longtemps apr?s qu'une fille qui l'a port? ait quitt? la pi?ce. "C'est malsain," dit Dagra. "Rien n'est vivant ici. La moisissure recouvre tout et m?me celle-ci a s?ch?." "Tu connais la l?gende," dit Oriken. "Il y a peut-?tre une once de v?rit? dans la l?gende de la Cit? Ravag?e apr?s tout." Dagra ren?cla. "Un nom appropri?, s'il en est un." Oriken ?clata de rire. "Ouais, et puis ces soi-disant Jardins Fun?raires, un v?ritable..." il frotta son pouce contre sa barbe et regarda en direction de Jalis. "Quel est ce mot que tu utilisais ? Non-s?cateur ? Ouais, c'est ?a. Cet endroit ne pourrait ?tre plus mort. ?a, ils ont vu juste. Mais pourquoi des Jardins ? Un nom stupide pour un endroit o? il n'y a pas le moindre brin d'herbe." Jalis le regarda, amus?e. "C'est g?nial que tu aies pr?t? attention ? ma langue maternelle. Je crois que l'expression que tu cherches est non sequitur. Des s?cateurs, ce sont des cisailles de jardinage. Mais dans un sens, tu as raison. Ces Jardins n'ont pas du tout besoin d'entretien." "Eh bien, fl?au ou pas, ?a s'est pass? il y a tr?s longtemps." Oriken regarda au-dessus de la ligne de toits de la cit? tentaculaire. "Maintenant qu'on est tout proche, c'est franchement tentant d'aller jeter un coup d'?il." Dagra souffla. "Toi-m?me tu ressens comment c'est malsain ici, Orik. Ne tente pas le destin plus que nous ne l'ayons d?j? fait. Je ne suis pas un l?che et tu le sais, mais je me souviens de la peur que j'?prouvais pour cet endroit quand j'?tais gar?on, et je n'ai pas besoin de p?n?trer dans cette cit? pour que cette peur revienne. ?tre entour? de ces cryptes impies, ces tombes et ces statues est d?j? bien suffisant." "Je disais juste, c'est tout. Eh Dag, tu n'as pas ? serrer ton pendentif si fort. Tu n'as pas besoin des Dyades, on est avec toi." Oriken fit un clin d'?il ? Jalis. Ses l?vres esquiss?rent un sourire. "Je prendrai les Dyades et vous deux en plus," dit Dagra. "Plus on est nombreux..." "Ouais— Woohoo !" Oriken s'arr?ta quand il aper?ut quelque chose qui ?mergeait de la poussi?re ? quelques pas du chemin. Il fit quelques pas et se pencha pour observer de plus pr?s. Il y avait un amas de petits os partiellement d?terr?s dans la terre fissur?e, une main humaine, ?a ne faisait aucun doute. "Faut croire qu'ils n’enterraient pas bien profond par ici." "Qu’est-ce qu’il y a ?" La voix de Dagra ?tait nerveuse. "Tu te souviens de cette maison o? on est tomb? sur les cravants ?" "Oui." "Eh bien, quand je dis qu'il vaut mieux s'en aller, rends-toi service et ?coute-moi, cette fois. Tu es d?j? assez sur les nerfs comme ?a, on n'a pas besoin que tu nous fasses une crise de panique totale." Dagra se rebiffa et tourna la t?te. "C'est not?." Ils continu?rent le long de l'All?e des Morts-Vivants jusqu'? ce qu'ils soient en mesure d'apercevoir au lointain le mur qui s?parait le cimeti?re de la cit?, avec la herse abaiss?e tout comme au portail d'entr?e. Oriken jeta un ?il par-dessus son ?paule aux tours et aux remparts du mur de la lande, ? peine visible derri?re les entr?es sur?lev?es des cryptes, les statues plus grandes que nature et les arbres squelettiques. "La crypte Chiddari devrait ?tre proche maintenant," dit-il. Jalis replia la carte et la glissa dans sa poche. "Il y a pas mal de cryptes par ici. Je propose qu'on se s?pare et qu'on les v?rifie s?par?ment." Dagra secoua vigoureusement la t?te. "Oublie ?a. Je n'irai pas seul dans ces lieux." Jalis r?prima un soupir. "Je n'ai pas dit qu'on y entrait, Dagra. Je dis qu'on devrait v?rifier les noms au-dessus des entr?es et sur les statues, l? o? il y en a." "Oh." Il s'?claircit la gorge. "D'accord. Tr?s bien." Oriken regarda son ami barbu. En v?rit?, le courage de Dagra avait diminu? au fur et ? mesure qu'ils avaient p?n?tr? le Plateau de Scapa et l?, au milieu du cimeti?re, il n'en avait plus. ?a n'allait pas. ?a n'allait pas du tout. Il claqua des doigts devant le visage de Dagra et lui jeta un regard s?v?re. "Eh. Allez, l?. Arr?te ?a tout de suite. Je comprends que tu aies des probl?mes spirituels en ce moment, mais fais-nous une faveur ? nous, tes amis, et mets un couvercle dessus. Allons v?rifier ces plaques comme Jalis vient de le dire." "Va te faire foutre," marmonna Dagra. Il leva les yeux pour rencontrer le regard d'Oriken et lui fit un bref signe de la t?te. Puis, il tourna les talons et se dirigea vers la crypte la plus proche. Oriken ?changea un regard avec Jalis avant de s'en aller explorer la douzaine d'entr?es de cryptes des environs imm?diats. Devant la premi?re, il s'?tira pour inspecter les inscriptions grav?es dans la pierre au-dessus de l'entr?e. La pierre avait une fissure verticale qui coupait le nom Hauverydh juste en son centre. La statue qui ornait la crypte gisait couch?e pr?s de la porte, sa face de pierre effrit?e et us?e, ses mains serrant sa poitrine, ce qu'elle avait tenu par le pass? ? pr?sent ?rod? ou tomb? depuis longtemps. Oriken passa entre des pierres tombales pour se rendre vers la seconde crypte. Certaines des plaques avaient disparu, d'autres s'?taient enfonc?es ou ?taient pench?es, tandis que d'autres encore ?taient demeur?es parfaitement droites. Plusieurs des inscriptions comportaient le nom Chiddari, ou ce qui semblait ?tre une variante. "?a s'en rapproche par ici !" appela-t-il. Arriv? ? la crypte, il se tint debout devant sa statue et v?rifia le nom effac? par le temps sur la plinthe. Cunaxa Tjiddarei. Les traits alt?r?s ?taient ceux d'une femme fi?re, tenant contre sa poitrine ce qui semblait ?tre un marteau et un ciseau. La statue en bronze ?tait dans une posture oblique, pench?e vers l'avant, comme sur le point de faire une r?v?rence ? Oriken, le f?licitant d'avoir trouv? son lieu de repos. "Ouais," appela-t-il. "C'est ici !" "Bien jou?," dit Jalis dans son dos, ce qui le fit presque sauter hors de lui-m?me. "Par les putain d'?toiles et de lunes, Jalis !" siffla Oriken. "Ne fais pas ?a !" Elle lui sourit. "D?sol?e." ? l'approche de Dagra, Jalis prit la lampe ? huile et la poudri?re de son paquetage et s’occupa ? produire des ?tincelles pour enflammer un morceau de tissu ? br?ler. Une fois que le feu prit, elle pla?a un b?ton de soufre sur la flamme et s'en servit pour allumer la lampe. Quand la lampe fut allum?e, Dagra dit : "Donne-la moi." Il avait une expression hagarde mais il avait l'air plus d?termin? que plus t?t. Jalis le regarda. "Tu es s?r ?" "Non. Mais donne quand m?me." Il prit la lampe et les guida vers l'entr?e t?n?breuse de la crypte Chiddari. Chapitre Neuf Rien Sans Peur "Finissons-en avec cette affaire." Dagra souleva la lampe et scruta la cage d'escalier. Les flammes projetaient une lueur tremblante sur les murs rugueux et les marches en pierre. Au-del? du halo de lumi?re, la fosse du caveau s'ouvrait dans une sinistre invitation. Se pr?parant mentalement, il pressa son pendentif Avato sur ses l?vres, puis avan?a dans l'obscurit? d'un pas lent et d?lib?r?. Un pas, deux... Ses bottes crissaient doucement dans la poussi?re de pierre us?e. Sa respiration ?touff?e et le bruit des pas de ses compagnons le suivaient dans les profondeurs. "Ne t'inqui?te pas, Jalis," dit Oriken. "Si quelque chose passe au-dessus de Dag, je te prot?ge." Jalis rigola. "Tu es un bien brave compagnon de d?clarer ?a ? une ma?tresse-lame quand elle bloqu?e derri?re toi dans un couloir." "Que dit le dicton d?j? ? Garde tes esprits plus aff?t?s que ta lame." Le ton d'Oriken ?tait nettement enjou? mais Dagra savait que c'?tait pour masquer son propre malaise. Quand il parvint ? un virage dans les escaliers, Dagra se figea sur place. "Par la souffrance des dieux." La lumi?re de la lampe ?clairait les murs ? angle droit, ce qui projeta des ombres sur les pierres. De sa main libre, il saisit la poign?e de son glaive. "Que se passe-t-il ?" demanda Oriken. "Rien. J'ai juste... Tout va bien." "Tu ferais mieux d'oublier cette l?gende," conseilla Jalis. "Ce n'est pas ce qui me d?range." Non, pensa-t-il. C'est l'obscurit?. ?a, et le poids ?crasant de la terre au-dessus. Et le fait qu'on soit en train de descendre dans un endroit encore plus abandonn? des dieux que l'ensemble des Terres Mortes. Il scruta les t?n?bres au-del? du coude avec angoisse. Pour autant qu'il s?t, l'escalier ?tait vide. "Je me comporte comme une petite fille qui croit aux fant?mes," marmonna-t-il, se for?ant ? poursuivre la descente. Sauf que, si les fant?mes existaient, c'est bien dans cette crypte impie qu'ils se trouveraient. Apr?s le virage suivant, les marches d?bouch?rent sur un sol plat qui s'?tendait en un couloir long et ?troit. Des ?tais de bois couraient le long des murs entre des dalles de pierre carr?es. Des amas de toiles d'araign?e poussi?reux pendaient depuis les coins des traverses. L'obscurit?, humide et p?n?trante, alli?e ? l'odeur de moisi qui provenait de la gorge noire du couloir, envoya un frisson le long de la colonne vert?brale de Dagra. "Foutues Dyades," dit Oriken, oblig? de se pencher dans l'espace exigu. Dagra le fusilla du regard. "S'il te pla?t, ne jure pas pendant que je prie." Oriken inclina la t?te davantage, cachant son visage dans l'obscurit? ainsi que son sourire narquois. "S?rieusement, j'ai entendu la m?me d?sinvolture de ta part depuis qu'on ?tait gosses et ?a ne vaut vraiment pas la peine qu'on en discute. Ce n'est pas du tout le moment de me pousser ? d?fendre l'existence des forces d'au-dessus, d'au-dessous et par-del? Verragos que je sais ?tre r?elles et que tu t'obstines ?—" "Tout ce que j'ai dit, c'?tait Foutues Dyades." "Ha !" Dagra leva les yeux. "J'esp?re que tu n'es pas si occup? ? jurer que t'as pas le temps de voir qu’il y a des toiles d'araign?e." Oriken s'arr?ta et g?mit. "Par les ?toiles... Il fallait qu'il y ait des toiles d'araign?e ici, n'est-ce pas ? J'aurais pu le parier." Dagra poursuivit sa marche, Oriken le suivant de pr?s. Peu de temps apr?s, ils aper?urent une arcade ouvrant sur quelque horreur impie qui les attendait ? l'int?rieur. Tous ses sens concentr?s sur l'arcade sombre, il faillit s'?vanouir et manqua de laisser tomber la lampe quand le cri d'Oriken transper?a le couloir. Le c?ur de Dagra battit ? tout rompre quand il se retourna pour voir Oriken se dandiner et battre des bras avec affolement, battant le rebord de son chapeau et reculant en plein sur Jalis, amus?e. Elle l'attrapa par la taille, sans doute plus pour se prot?ger de son poids que pour calmer ce balourd sans cervelle. En d?pit de sa petite stature, elle parvint sans mal ? arr?ter leur compagnon de haute taille dans sa lanc?e. Les mouvements d'Oriken avaient provoqu? un nuage de poussi?re et un fin voile restait en suspens dans le corridor, r?duisant davantage leur visibilit?. Les cheveux en sueur et d?coiff?s, alors qu'il retirait son chapeau, Oriken fixa avec effroi les toiles d'araign?e qui s'?taient accroch?es au rebord et sur la couronne gondol?e de son chapeau. Avec une grimace, il s'en d?barrassa. Jalis posa ses mains sur ses hanches, leva le menton et lui jeta un regard d??u. Remarquant le reproche, Oriken haussa les ?paules tout en s'excusant et remit son chapeau sur la t?te. "Ah ! ?a me fout les jetons !" Dagra soupira. "On le sait !" Jalis ne pouvait r?primer son sourire narquois, puis elle dit, "Tu en as rat? une, l?." Elle tendit le bras et retira un fil de toile de sa barbe, puis l'essuya contre le mur. "Voil?. C'est fini." Elle plissa les l?vres, puis rajouta, "Vas-tu maintenant te comporter comme un brave sabreur ?" "J'avais bien dit qu'on aurait mieux fait d'emmener plusieurs torches au lieu de cette stupide lampe," marmonna Oriken. "On aurait pu flamber tout le satan? plafond en passant." Dagra secoua la t?te et tourna son attention vers l'arcade plong?e dans les t?n?bres. Il avan?a prudemment, chaque pas amenant son lot d'angoisse. Ses peurs avaient repris le dessus. Je n'ai aucune h?te ? aller trouver ce qui se cache l?-bas, pensa-t-il. Personne n'est entr? dans ce caveau mortuaire depuis des si?cles. C'est contre nature ! Mais bon, on est arriv?s jusqu'ici, ? d?faut on ram?nera une bonne histoire. Ressaisis-toi. On y est presque. Il atteignit l'arcade et s'immobilisa. "Pour une pi?ce de cuivre, pour une pi?ce d'argent," grommela-t-il. Prenant une profonde inspiration, il franchit le seuil et entra dans un couloir au plafond haut, beaucoup plus large que le couloir exigu. Tout ?tait silencieux et immobile. Trop calme. Trop immobile. Il scruta dans l'obscurit? pendant un long moment. Les poils sur son cuir chevelu s'?taient dress?s alors qu'il fit un pas de c?t? pour laisser les autres passer. Oriken se pencha pour franchir l'arcade en souriant et s'?tira de toute sa hauteur. "Ah, voil? qui est bien mieux !" "Content que tu sois heureux," dit Dagra, "mais pourrais-tu exprimer ta joie avec un peu moins de bruit ?" "Ah, allez, Dag. L'incident de la cave, c'?tait il y a des ann?es." "Ouais, parfaitement ! Sept, pour ?tre pr?cis. Et je n'ai pas besoin que tu me le rappelles encore une fois, merci beaucoup." Oriken railla. "Si tu continues ? crier comme ?a, tu vas finir par r?veiller les morts, sans parler des plafonds qui risquent de s’effondrer et les entr?es qui seront bloqu?es." Dagra frissonna, serra les dents et lan?a ? Oriken un regard furieux. "Les m?mes, ?a suffit," Jalis les rappela ? l'ordre. "Gardez vos plaisanteries pour quand on sera de retour sur la lande. Vous pourrez m?me plaisanter tout le long du chemin du retour mais essayons de nous comporter comme des sabreurs pendant que nous sommes ici." Elle regarda Dagra. "Je te laisse nous guider." Il avan?a avec pr?caution dans le hall. La flamme de la lampe vacillait alors qu'il la balan?ait de droite et de gauche pour scruter les alc?ves creus?es dans les murs ? intervalles r?guliers. Des ombres tremblaient tout autour d'eux comme des spectres fuyant le halo de lumi?re. Dans les alc?ves ainsi que sur des pi?destaux align?s le long du centre du couloir, des assortiments de pierres pr?cieuses captaient la lumi?re ; il reconnut de l'obsidienne, de la pierre d'?toile, du lapis, des cymophanes, de la pierre de tonnerre et plusieurs autres pierres, jolies mais peu pr?cieuses. ? l'arri?re de l'une des alc?ves, une pierre de soleil vein?e de rouge attira son attention. Il s'en approcha pour la regarder de plus pr?s. Le joyau ?tait ench?ss? ? hauteur de taille au centre d'une dalle de granit allant des genoux de Dagra jusqu'? sa poitrine, deux fois plus grande en largeur, et dont les c?t?s ?taient fermement encastr?s dans des piliers d'angle. Il saisit la pierre de soleil pour la d?loger mais elle ?tait fermement incrust?e dans le granit. Il y avait des mots et des dates grav?s autour de la pierre. Dagra se pencha plus pr?s mais les lettres grav?es ?taient en himaerien ancien et ? peine lisible. Secouant la t?te, il retourna vers le couloir. Alors qu'il passait pr?s d'un pi?destal central, la lampe illumina des ?raflures dans la poussi?re ? quelques pas d'eux. Il s'en approcha et s'accroupit pour mieux observer ces traces dans le sol poussi?reux. Oriken et Jalis le rejoignirent. "On dirait que nous ne sommes pas les premiers," dit-il. "Probablement des rats," dit Oriken envers qui Jalis leva un sourcil. "De tr?s gros rats, alors ?" Dagra lui lan?a un regard d?sapprobateur. "Bon !" Il haussa les ?paules. "Un nargut, alors. Et il y a probablement un terrier quelque part." "Pas des rats." Il y avait une pointe d'inqui?tude dans la voix de Jalis. "Pas un nargut non plus, Oriken, mais merci pour la suggestion. Et, quoi que ce soit, ?a se d?place sur deux jambes. Peut-?tre un cravant. Mais je pense que nous sommes d'accord, c'est peu probable, puisque le cimeti?re est ferm?." "Moins probable qu'un nargut ?" Jalis ferma les yeux. "Oublie ce nargut. Je t'en attraperai un plus tard, si tu y tiens. Tu pourras lui nouer une corde autour du cou et le garder comme animal de compagnie en chemin." Puis en plissant des l?vres, elle ajouta, "Ces empreintes sont loin d'?tre fra?ches, c'est important de le remarquer." "Tu crois que ?a date de quand ?" demanda Oriken. "?tant donn? que cette crypte n'a probablement pas ?t? entretenue depuis votre Grand Soul?vement... c'?tait quand d?j? ? Au d?but du cinqui?me si?cle ?" "? peu pr?s, oui," dit Dagra qui gardait un ?il sur les t?n?bres autour d'eux. Jalis se releva ; Dagra et Oriken en firent de m?me. "Dans ce cas," dit-elle, "il doit y avoir l? une couche de poussi?re vieille de deux ou trois si?cles." "Ouh la," dit Oriken. "Ces empreintes n'auraient pas ?t? recouvertes de poussi?re depuis tout ce temps ?" "Pas n?cessairement. La couche de poussi?re dans la crypte n'est pas vraiment ?paisse, comme celle qu'on trouverait dans une maison apr?s le m?me nombre d'ann?es. Ces empreintes pourraient ne dater que de quelques d?cennies." Les coins de ses l?vres se relev?rent en un sourire sans joie. "Dagra, je t'invite ? prier pour que ce soi-disant joyau fun?raire soit encore l?. Orik, toi, tu peux invoquer les ?toiles et les lunes, si ?a te fait plaisir. Pour ma part, apr?s ce long voyage sinistre au bout de nulle part, j'ai h?te de mettre la main sur notre tr?sor. Mais si quelqu'un nous a devanc?s..." "Pas de conclusions h?tives," dit Dagra. Moi qui commen?ais ? me faire ? l'id?e que peut-?tre on allait le trouver, ce joyau, apr?s tout. Les pi?ces d'argent de ce contrat leur assureraient des repas chauds et des chopes pleines pour une ann?e enti?re et pour tous les trois. M?me la part de Maros en tant qu'Officiel de la Guilde lui rapporterait un petit pactole. Aucun d'entre eux n'avait les moyens de cracher dessus. Ils reprirent leur progression dans le couloir. Dagra ouvrit la marche, muni de la lampe, en suivant les anciennes traces de pas et v?rifiant les alc?ves de part et d'autre. Il examina chacune d'entre elles ? la recherche du joyau mais elles ne contenaient que des dalles de granit et des pierres de peu de valeur. "J'ai remarqu? une chose ? propos de cette salle," dit Oriken en se frottant la barbe. "Depuis le couloir derri?re nous, je n'ai pas vu l'ombre d'une toile d'araign?e. ? moins que le plafond l?-haut n'en soit infest? ; heureusement, on n'en voit pas grand-chose et donc nous ne saurons pas." Dagra regarda Jalis. "Il a raison." "C'est presque comme si..." le visage d'Oriken semblait plong? en pleine concentration. Dagra s'impatientait. "Oui ?" Oriken leva les bras en signe d'abandon. "Je ne sais pas c'est presque comme quoi. Quelque chose, sans doute." "Merci pour ta perspicacit?," dit Jalis. "Qui a besoin d'un oracle quand on a Oriken ?" "Ouais, oublie ?a." Il abaissa le rebord de son chapeau et ils reprirent leur progression en silence. Pour Dagra, l'obscurit? devenait de plus en plus oppressante et ?touffante au fur et ? mesure qu'ils avan?aient. Il essuya la sueur de son front du dos de la main et tira sur le col de sa chemise d?j? desserr?. D'ici, le plafond ?tait ? peine visible ; quelques lignes gris?tres et des contours que dessinaient la pierre brute et les traverses, mais ce qui l'?crasait plus que ce couloir ?troit, c'?tait cet espace ouvert. La derni?re chose qu'il voulait ?tait de se retrouver enferm? du mauvais c?t? d'une chute de pierres, nulle part o? s'enfuir, pendant que les fant?mes de personnes mortes depuis longtemps s'?chappaient des murs, leurs lueurs fantomatiques s’approchant de plus en plus pr?s... "Lieu impie," marmonna-t-il en r?primant un frisson. Il ?tait bien content d'?tre celui qui tenait la lampe. Puis il pensa ? Jalis qui fermait la marche et, en silence, il admira sa bravoure. De lui faire confiance, ? lui, pour voir ? sa place, voil? qui ?tait culott? de sa part. Tu as plus de cran que moi, copine. Je te le conc?de. Il avait les yeux baiss?s sur les dalles de pierre poussi?reuses quand quelque chose bougea en bordure de son champ de vision. Il se figea, un hoquet se formant dans sa gorge. La lumi?re ?clairait un amas de formes sombres et tremblantes qui glissaient sur le sol depuis une alc?ve sur la gauche. Il se pr?cipita sur son ?p?e, ses doigts oubliant ses ann?es d'entra?nement, et son glaive ?tait d?j? ? moiti? d?gain? quand il r?alisa ce que ces formes ?taient ; il poussa un cri de soulagement. Par les dieux, je n'avais pas besoin de ?a. Ce n'?tait que des d?bris, des morceaux de dalle de granit tomb?s de leur niche, rien qui ne soit accroupi ni ? l'aff?t. Juste une illusion provoqu?e par les ombres et la lumi?re. Et par ton imagination, se reprocha-t-il. Les formes n'avaient pas boug? d'un pouce. Comme il s'approchait de l'?boulis, il remarqua avec inqui?tude que les traces qu'ils avaient suivies menaient tout droit ? cet amas de dalle fracass?e. Il jeta un coup d’?il vers Jalis. Elle hocha la t?te en r?ponse ? la question muette. Encourag? par son assurance, Dagra avan?a dans l'alc?ve, les fragments ?pars de granit craquant sous ses bottes. Ses yeux scrutaient l'endroit exigu, attir?s par la niche tout au fond, d'o? la dalle ?tait tomb?e. Le vide qu'elle avait laiss? r?v?lait un ?pais tapis de toiles d'araign?es. Il se trouvait peut-?tre des araign?es tout au fond, mais il n'y avait aucun moyen de le savoir ; les fils dens?ment tiss?s semblaient compl?tement absorber la lumi?re de la lampe, l'aspirant au-dedans, gardant ses secrets. Son attention fut attir?e par le coin sup?rieur droit de la cavit? oblongue. Une t?che de moisissure sombre, d'aspect friable, collait au mur, ressemblant ? la substance qui recouvrait les arbres dans le cimeti?re. Au-dessus de la t?che de moisissure tr?nait un amas de petites poches de couleur claire stri?s de lignes rouges sombre. Dagra se pencha de plus pr?s pour inspecter ces curieuses excroissances. D'un doigt, il toucha l?g?rement la plus grande d'entre elles. Avec un l?ger pop, la membrane dess?ch?e se d?sint?gra dans un petit nuage de poussi?re. Il tressaillit en reculant ; une odeur piquante envahit ses narines. Mais le nuage s'?tait d?j? dissip?. Il ?ternua et se frotta le nez avec fr?n?sie. Il recula, jetant un regard sombre sur le nid de toiles d'araign?e, les excroissances de moisissure, les d?bris dispers?s et la poussi?re qui avait ?t? d?plac?e. Quelle mani?re de vivre dans l'au-del?, pensa-t-il, ?c?ur? ? l'id?e d'?tre abandonn? ? pourrir dans un trou plut?t que d'?tre d?cemment br?l? jusqu'aux os. C'?tait des sauvages, du temps des Rois, vraiment. Les corps devraient ?tre br?l?s pour que l'esprit soit lib?r? et puisse voyager vers Kambesh. Les esprits... Une l?g?re odeur de moisi d?riva de la cavit? tapiss?e de toile. Il frissonna et rejoignit ses compagnons. "Quelque chose d'int?ressant ?" demanda Oriken. Dagra lui lan?a un regard sombre. "Rien que tu n'aies envie de savoir." "Des araign?es." Oriken fit une grimace. "Si c'est des araign?es, tu n'as qu'? le dire, il y a des araign?es. Je pr?f?re savoir plut?t que de ne pas savoir." "Je n'ai pas vu d'araign?es." Oriken eut l'air sur ses gardes. "D'accord." "Mais..." "Mais quoi ?" "Tu as remarqu? qu'il n'y a pas une toile ici ?" Oriken plissa les yeux en anticipant les prochaines paroles de Dagra. "Je crois les avoir trouv?es." Dagra pointa de son pouce par-dessus son ?paule. "Elles sont toutes r?unies dans ce trou. Du moins, ?a en a tout l'air." Oriken grima?a ; Dagra haussa innocemment les ?paules. "Eh, c'est toi qui as demand? ? savoir." "Oui, mais il y a une diff?rence entre information et trop d'information. Tu ne pouvais pas r?sister, hein ?" Oriken pointa un doigt accusateur. "Je te revaudrai ?a." Dagra eut un sourire en coin. Les plaisanteries all?geaient quelque peu l'?tat d'esprit dans lequel il se trouvait. Dans les d?combres, une petite pierre de sang attira son attention. Il se pencha, la ramassa et l'essuya sur son pantalon. C'?tait une pierre lisse de forme ovale, d'un vert profond parsem? de taches ?carlates. Pas de grande valeur mais une jolie babiole. ?a ne fait plus partie d'un tombeau, rationalisa Dagra, balayant ainsi le probl?me moral que son geste occasionnait. Je pourrais demander au forgeron de me l'incruster dans le pommeau de mon glaive. Un souvenir de ce voyage, pensa-t-il sournoisement tout en fourrant la pierre de sang dans sa poche. "Ces babioles ne valent presque rien," dit-il tranquillement, "mais quel genre de voleur ordinaire laisserait ?a derri?re ? Est-ce que l'un de vous a vu d'autres traces de vandalisme mis ? part cette dalle cass?e ?" Oriken fron?a les sourcils. "Maintenant que tu en parles, eh bien non. Mais si quelqu'un est venu ici, il cherchait probablement ce que nous sommes venus chercher. Peut-?tre m?me des sabreurs, d'ailleurs. Tout est possible." Jalis secoua la t?te. "Sauf que personne n'a travers? les Terres Mortes depuis des si?cles." "Pr?tendument," dit Dagra. Oriken haussa les ?paules. "Peut-?tre que notre cliente a embauch? quelqu'un avant nous et c'est dans ce tombeau qu'ils ont trouv? le joyau." Jalis donna un l?ger coup de pied dans les d?combres. "Cette dalle ench?ssait une pierre de la m?me taille que les autres." Elle lan?a ? Dagra un long regard entendu. "Aucune de celles que nous avons vues jusqu'ici n'est aussi grande que celle que nous cherchons." Oriken jeta un regard en direction de l'alc?ve. "Peut-?tre que c'est enterr? avec le corps et non pas incrust? dans une dalle de granit." Jalis sembla en douter. "Ces gens ont fait tout leur possible pour d?corer cet endroit de pierres pr?cieuses. Pourquoi iraient-ils enfermer ce bijou l? ou personne ne le verrait ?" Dagra secoua la t?te et dit ? Oriken. M?me si le joyau ?tait ? l'int?rieur, toi tu n'as pas vu ce nid de toiles d'araign?e. Personne n'y a touch?. Et c'est tr?s ?pais. Celui qui a d?log? la dalle n'a pas pris la peine d'explorer plus loin. Ou, si il l'a fait, alors ?a s'est pass? il y a vraiment longtemps comme l'a soulign? Jalis." Les yeux emplis d'effroi sous le rebord de son chapeau, Oriken se risqua ? aller regarder l'alc?ve de plus pr?s. "Je ne peux pas lui en vouloir de ne pas ?tre all? plus loin. Pour cette toile, moi, je romprais le contrat. Essaie de me faire ramper dans un trou plein de toiles d'araign?e. C'en est fini. Pas m?me pour un sac rempli de dari d'or." Il passa un pouce dans son ceinturon. "Pas pour tout le dari en Himaera. Pas une chance." "Dieux !" Dagra p?lit. "J'esp?re que le joyau n'est pas cach? au fond de l'un de ces trous, avec un pauvre cadavre dont le corps a ?t? abandonn? ? la putr?faction et l'?me vou?e ? l'errance dans les limbes et que nous, nous ayons ? grimper et fourrager dedans..." Jalis claqua des doigts sous le nez de Dagra. "Arr?te ?a tout de suite. Tu continues sur ta lanc?e et je t'aiderai ? trouver un rem?de exp?ditif contre ta phobie." "Hein ?" Confus, Dagra fron?a les sourcils, puis il suivit le regard de Jalis en direction de l'alc?ve tapiss?e de toile d'araign?e. Il la regarda de travers et elle hocha de la t?te alors qu'il reculait d'un pas. "Tu ne ferais pas ?a." Elle posa un doigt sur ses l?vres. "Alors chut, Dag. Tous les deux." Regardant tour ? tour Dagra et Oriken, elle abaissa les yeux vers les traces de pas dans la poussi?re. "Je n'aime pas ?a mais, je viens de r?aliser un truc ? propos de ces empreintes." Dagra soupira, "De bonnes nouvelles, pour changer ?" Jalis lui fit un coup d'?il sarcastique. "Vas-y, crache le morceau." "Tu avais vu juste quand tu disais que tu n'avais vu aucune trace de vandalisme. ?a m'a fait r?fl?chir. Si quelqu'un ?tait entr? ici, il aurait du y avoir deux s?ries de traces de pas. Une qui y entre, et une autre qui en sort. Mais, ? part nos propres traces, je n'en ai vu qu'une." Un doute envahit Oriken. "Tu penses que celui qui est entr? n'en est jamais ressorti ? Qu'il est... mort ici ? Oh ! Tu penses qu'il y a une autre sortie !" "C'?tait ma premi?re id?e. Mais s'il y a un autre acc?s, la carte n'en dit rien. Mais l? n'est pas la question. Regardez." Elle pointa en direction des d?combres et Dagra suivit le mouvement de sa lampe pour ?clairer l'endroit. "Les traces s'arr?tent l?," dit Jalis, l'air assombri. Ce que Dagra avait vu ?tait juste. Au-del?, la poussi?re n'avait pas ?t? d?rang?e. Alors qu'un sc?nario lugubre se faisait jour dans son esprit, il se frotta le menton de son pouce. Il regarda Jalis avec prudence et secoua la t?te. "Ne le dis pas." "Il ne s'agit pas de quelqu'un qui est venu," dit-elle. "Mais de quelqu'un qui en est sorti." "Il fallait que tu le dises, vraiment ?" Oriken croisa les bras. "De mieux en mieux." Jalis haussa les ?paules, comme ? regret. "Pour l'amour des dieux," grommela Dagra. "C'est ? mourir de trouille avant m?me d'avoir trouv? ce maudit bijou. Allez, on continue ? chercher." Il pin?a les l?vres et sortit son glaive de son fourreau tout en regardant ses compagnons dans les yeux. Oriken inclina la t?te et d?gaina son sabre. Bien qu'elle les gard?t dans leurs fourreaux, Jalis v?rifia ses poignards qu'elle gardait accroch?s ? sa cuisse et ? sa taille. "D'accord," dit-elle. "Mais savoir ? quoi nous faisons face ne peut que nous donner un avantage." Dagra bougonna. "Tu ne diras pas ?a quand le seul avantage qu’on aura est que j’ai chi? dans mon froc." Ils poursuivirent leur progression dans la chambre fun?raire, inspectant rapidement chaque alc?ve en passant, jusqu'? ce qu'ils parvinrent finalement au fond de la crypte. Devant eux, une grande dalle rectangulaire en granit ?tait ancr?e dans le sol et dont la hauteur atteignait le haut du chapeau d'Oriken. Une rang?e de pi?destaux ? hauteur de taille courait le long de chaque mur et sur chacun d'eux reposait une collection de pierres pr?cieuses recouvertes de poussi?re. Il fut bouche b?e quand il d?couvrit sa particularit? principale. Serti dans le granit ? hauteur des yeux de Dagra se trouvait un joyau magnifiquement cisel? et dont la taille faisait deux fois son poing. Par les Dyades, la vieille Cela ne plaisantait pas. Elle n'a pas exag?r? non plus. Une bande d'argent encerclait le bijou, le maintenant fermement dans son ch?ssis de pierre. Les reflets de la lampe ? huile scintillaient sur la surface du joyau aux multiples facettes, lan?ant des reflets roses et verts. "Douce Khariali," murmura-t-il, invoquant le nom de la d?esse primitive des pierres et des m?taux. "Douce Khariali, comme tu dis," lui fit Oriken en ?cho. "Le voil? donc !" "Il est magnifique," murmura Jalis. Dagra posa la lampe sur le pi?destal le plus proche, repoussant les pierres qui s'y trouvaient pour faire de la place, et fit un pas en arri?re. C'?tait peut-?tre son imagination, ou la fa?on dont la lumi?re se refl?tait sur les nombreuses facettes du joyau, mais il semblait en ?maner une chaleur, non pas physique, mais plut?t comme une qui?tude qui touchait l'?me. Cette pierre avait ?t? plac?e dans une chambre fun?raire mais sa place devrait ?tre ailleurs, tout comme Dagra souhaitait ?tre ailleurs. Il serait heureux de l'emmener avec lui. "Je m'attendais ? quelque chose comme un diamant," dit Jalis avec humilit?. Elle avan?a d'un pas pour toucher la surface anguleuse du doigt. "Mais ceci n'est pas qu'un simple diamant, ou bien je suis une poissonni?re." Elle en a bien le droit, pensa Dagra. Compar?s ? celui-ci, les quelques diamants qu'il avait vu jusque l? n'?taient que morceaux de verre. Les mots Ladjie Cunaxa Tjiddarei ainsi que les dates 152 et 225 ?taient grav?s en lettres ornementales au-dessus du bijou. D'anciens symboles ?taient m?l?s ? de l'himaerien ancien et du sosarran ancien et les lettres formaient des cercles concentriques autour du joyau. Dagra supposait que ces mots repr?sentaient soit une pri?re, soit un r?sum? de la vie de la dame. "Elle est morte bien avant le fl?au," remarque Oriken. "Elle ?tait probablement la premi?re de sa lign?e," dit Jalis. "Ou la premi?re qui soit devenue importante, en tout cas. Sa place tout au fond de la crypte sugg?re qu'elle a ?t? la premi?re enterr?e ici." "Comment les b?tisseurs ont su combien de Chiddari il y aurait ?" demanda Oriken. "On dirait que toutes ces alc?ves abritent des tombes. Leur hypoth?se a ?t? bien men?e." "Je pense que seules les personnes importantes ont leur place dans le caveau familial. Les autres sont probablement enterr?s au dehors. Et si on prenait le temps d'inspecter chacune des alc?ves, on d?couvrirait peut-?tre qu'elles ne sont pas toutes occup?es, mais simplement r?serv?es." Dagra bougonna. "C'est dommage que la vieille Cunaxa n'ait pas ?t? la derni?re a ?tre enterr?e ici. ?a nous aurait ?vit? de traverser toute la longueur de ce maudit endroit." "Mais je suppose que si elle avait vraiment ?t? enterr?e tout proche de l'entr?e," dit Oriken, "elle ne serait pas celle qui veille sur le joyau, non ?" Dagra lui lan?a un regard glacial avant de reporter son attention sur le joyau. Il montra du doigt un groupe de symboles sculpt?s dans l'inscription qui entourait le joyau. "Voil? quelques unes des runes qui t'int?ressent, Jalis. Comme celles sur mon ?p?e." Il porta la grande lame de son glaive sous la lumi?re de la lampe, montrant les inscriptions obscures qui couraient sur sa longueur. "Attik quelque chose, non ?" "Antik rukhir." L'accent sardayen de Jalis donnaient ? ces mots un ton mystique, accentuant le k ? la fin d'antik d'un claquement sec de la langue et roulant le r ? la fin de rukhir. Elle se pencha pour observer les runes de plus pr?s. "Le langage de l'?re Ombrale ne cessera jamais de m'?tonner. Il y a eu tant de variations r?gionales qui semblent avoir ?volu? compl?tement s?par?ment l'une de l'autre et pourtant elles ont toutes maintenu des ?l?ments communs reconnaissables. On parle l? d'il y a des milliers d'ann?es, avant que les premi?res chaloupes n'aient travers? le D?troit de Feu, pourtant antik rukhir ?tait aussi r?pandu en Himaera que sur le continent de Sosarran. Et ?a date d'avant toutes les anciennes tribus." Oriken haussa les ?paules. "Qui s'en soucie ? C'est ce que j'avais dit quand tu as vu les runes sur l'?p?e de Dagra la premi?re fois. Bien s?r, c'est une arme singuli?re, mais pourquoi s'exciter ? propos d'une langue morte ?" "Je me demande quel tr?sor est le plus grand," soupira Jalis avec un sourire sarcastique. "Le joyau ou ta perspicacit? l?gendaire." "Tout ce que je dis, c'est qu'on a le joyau et qu'il vaut beaucoup plus que ce que Cela Chiddari nous donne. M?me moi, je le vois." "Nous sommes tous d'accord que nous avons trouv? une petite fortune," dit Dagra, "mais qui a les moyens de nous payer ce que ?a vaut vraiment ? Certainement personne que je connaisse. Cinq cents dari d'argent, tout de m?me." Jalis approuva d'un signe de la t?te et jeta un coup d'?il ? Oriken. "De plus, nous sommes li?s par le code. Orik lui-m?me ne peut ignorer les r?gles de la guilde." Oriken ajusta son chapeau. "Bien s?r que non. Loin de moi cette id?e. Mais est-ce que ces r?gles avaient pr?vu comment extirper un bijou pr?cieux ench?ss? dans un solide morceau de granit ? Je pr?f?rerais livrer l'objet entier, si possible." Dagra haussa les ?paules et regarda en direction de Jalis, qui secoua la t?te. "Je veux dire," poursuivit Oriken, "ce n'est pas comme si on avait un marteau et un ciseau, n'est-ce pas ?" Jalis se le reprocha ? voix basse. "En r?trospective, voil? un oubli." "Alors, comment on le d?loge de l? ?" "Avec nos lames." Dagra pointa en direction des poignards que Jalis portait ? sa ceinture. "Les tiens feraient tr?s bien l'affaire, copine." Jalis rigola. "Tu plaisantes ? Je ne vais pas ab?mer mes lames sur ce bijou, peu importe la valeur qu'il a." Elle tapota le poignard ? lame noire ? sa hanche ainsi que celui plus fin en argent sur sa cuisse. "Dusklight et Silverspire sont plus que des armes ou des outils. Ce sont des ?uvres d'art, elles sont irrempla?ables." Dagra soupira et rengaina son glaive. "D'accord. Laissez-moi m'en occuper." Il fit signe ? Oriken de se retourner. Oriken obtemp?ra et Dagra d?fit la poche lat?rale de son sac ? dos, fouilla ? l'int?rieur et en sortit le couteau de chasse ? lame courte. "Celui-ci ne porte pas de petit nom fantaisiste," dit Dagra ? Jalis tout en levant un sourcil. "C'est un bon vieux morceau d'acier qu'Orik poss?de depuis notre enfance." "En fait, je lui ai donn? un nom," dit Oriken, une lueur dans l'?il. "Je l'ai nomm? Akantu, du nom du patron des viles cr?atures." "Non," dit Dagra. "Rien de tout ?a. Et tu ne devrais pas te moquer des dieux, encore moins au fond de cette crypte." Oriken railla. "Les patrons ne sont pas des dieux. Ce sont des hommes et des femmes, pas diff?rents de... eh bien, pas diff?rents de moi, ni de Jalis." Il fit un grand sourire ? Dagra. "Va te faire voir," lui offrit Dagra. Il pla?a la pointe de la lame recourb?e dans l'interstice entre le granit et l'anneau d'argent et appliqua un mouvement de levier, progressant prudemment sur le pourtour du bijou. "Ne glisse pas," dit Oriken. "Je doute que ton couteau n'entaille le joyau," dit Jalis. "C'est pour ?a que je ne veux pas ?mousser mes armes dessus. ?a m'a l'air plus dur que le diamant." Le c?ur de Dagra battit la chamade lorsque le couteau de chasse glissa sur l'anneau d'argent. Sa pointe ac?r?e d?rapa sur le joyau avec un crissement aigu. "Par les pierres de Cherak, Dag !" dit Oriken. "Est-tu en train d'essayer de d?truire notre r?compense ?" Dagra gonfla ses joues et laissa ?chapper un long souffle pour calmer ses nerfs. Il pensait avoir endommag? le tr?sor mais il n'y eut pas la moindre ?gratignure, sur aucune des facettes anguleuses de l'objet. Jalis soupira. "Merci d'avoir confirm? mes doutes, Dagra," dit-elle platement. "Je crois que c'est maintenant ?tabli." La main de Dagra tremblait l?g?rement lorsqu'il r?ins?ra la pointe de sa lame dans la rainure. Il fit tourner la lame de ci et de l? et le crissement de l'acier contre la pierre se fit entendre dans tout le couloir. "Vous croyez qu'il y a de la magie ?" demanda-t-il. Oriken ?clata de rire. "Ne sois pas ridicule." "Peut-?tre qu'il y a des incantations grav?es dessus. Vous vous souvenez de cette fille ? je-sais-plus-o? ?" Dagra fron?a les sourcils pour essayer de s'en souvenir. "Celle que Maros a sauv?e ?" "Je ne dirais pas qu'il est venu ? son secours," dit Oriken. "Elle ?tait poursuivie par un essaim d'abeilles." "Dag a raison," dit Jalis. "Cette fille a transform? un ch?ne en arbrisseau." "C'est ce qu'on nous a dit." Dagra se raidit. "Eh ben, apr?s ?a, ils l'ont exp?di?e dans l'Arkh, il y a du y avoir un brin de v?rit? dans tout ?a." Le joyau commen?ait ? se d?tacher. Oriken renifla. "Si je l'avais vu de mes propres yeux, je l'aurais cru. Je ne prends pas tout ce que j'entends pour vrai." "Je sais." Dagra soupira. "C'?tait une feyborn, Orik," dit Jalis ? voix basse. Dagra pouvait sentir son souffle sur son cou pendant qu'elle le regardait travailler. "Dis ce que tu veux sur tout ce que tu veux mais je peux t'assurer que les feyborn existent." Oriken ne r?pondit pas et la conversation cessa. Dagra travaillait, tout comme son imagination. Dans son esprit, il revit la cavit? remplie de toiles d'araign?e. Quelque part derri?re ce mur de soie gisait un parent d?cr?pit de leur cliente. Et derri?re la dalle sur laquelle il s'activait reposaient les os du plus ancien de leurs anc?tres, Cunaxa. Un squelette ? l'heure qu'il est, se rassura-t-il. Rien que des os. Pas de quoi avoir la frousse. Il imprima ? la lame un mouvement d'avant en arri?re et, avec une derni?re torsion, le joyau fun?raire se d?logea de la pierre... Des orbites remplies de toile d'araign?e ?taient fix?es sur lui. Dans une horreur muette, il fut comme hypnotis?. L'anneau du joyau encerclait ? pr?sent les traits affaiss?s de Lady Cunaxa Chiddari recouverts de fils de soie et elle le regardait depuis le trou. Sa peau ?tait tendue sur son cr?ne, comme du cuir bouilli, avec des touffes de cheveux colmat?es sur sa chair momifi?e. Ses sourcils et ses pommettes ?taient couvertes de cro?tes rugueuses et son horrible bouche sans l?vres lui faisait un rictus, comme si elle ?tait ravie de sa compagnie apr?s ces longs si?cles de solitude. Ses dents noircies sembl?rent bouger et s'?carter. Horrifi?, Dagra regarda alors que les fils de soie se d?chir?rent et que la m?choire s'abaissa grande ouverte, puis celle-ci glissa derri?re la dalle et tomba sur le sol dans un chtonk assourdi. "Ah !" Dagra sauta en arri?re, invoquant le nom des Dyades dans l'espoir qu'elles l'emportent loin de cet endroit impie et l’emm?nent sur la lande. De la bile lui monta ? la gorge alors qu'il arracha ses yeux de ce cr?ne dess?ch?. "Ce n'est qu'un cadavre, Dag," dit doucement Jalis. "?a a boug? !" "Tu as du le faire bouger, c'est tout." Sa bouche se remplit de salive. Il d?glutit. "Ouais. Rien qu'un cadavre. Bien s?r. Un cadavre, bien s?r !" Il ?mit un rire, bref et hyst?rique. Surprenant le regard amus? de ses amis, il s'?claircit la gorge et se calma. Le joyau ?tait dans les mains d'Oriken. Il le tint ? hauteur des yeux et l'observa, indiff?rent au macchab?e qui les regardait. Jalis s'empara de la lampe pos?e sur le pi?destal et l'?leva ? la hauteur de l'?paule d'Oriken. La lumi?re ?tincelait sur les facettes du joyau. La face avant ?tait circulaire, l'anneau d'argent serti fermement sur son pourtour semblant forg? dessus. De c?t?, l'objet ?tait plus plat mais renfl? en son centre autour d'un noyau de teinte sombre qui se brisait en prismes ? la lueur de la lampe. La t?che noire ?voquait pour Dagra les ?ufs aux jaunes noircis d'un balukha du soir, ou ? une t?che d'encre prise dans une sculpture de verre. Il r??valua son estimation de la valeur esth?tique du joyau. Oriken brossa l'arri?re du bijou de sa main. Son visage montrait du d?go?t. "On nettoiera ?a plus tard. Il y a un peu de son visage coll? dessus." L'estomac de Dagra se souleva et ses genoux fl?chirent. Il s'agrippa au pi?destal pr?s de lui. Jalis ouvrit son sac ? dos et donna une couverture ? Oriken. Elle maintint le sac ouvert pendant qu'il enveloppait le bijou et le fourra ? l'int?rieur. Puis elle resserra la corde et fit un n?ud, attacha les courroies et enfila le sac sur son dos. "J'esp?re que c'?tait ta couverture et pas la mienne," lui dit Dagra. Comme il rel?chait le pi?destal, ses yeux se pos?rent sur la t?te sans yeux, sans nez, et ? pr?sent sans m?choire, de Cunaxa. Alors qu'il jetait ? l'anc?tre des Chiddari un regard noir, la t?te bougea ? nouveau. "Douce m?re des proph?tes ! Ne me dites pas que j'ai vu ce que je viens de voir !" La t?te ?tait inclin?e, comme un enfant attentif qui voulait savoir ce qu'?tait tout ce grabuge. "Tu peux l?cher mon bras, Dagra," dit Jalis. Il marmonna des excuses et tituba vers le mur, s'appuya contre le mur et vomit. Quand il eut finit, il essuya sa barbe de sa manche et se retourna pour voir Jalis et Oriken qui l'observaient, leurs visages semblant de cendre dans la lueur de la lampe. Dagra se for?a ? rire. "Ah, je ne sais pas d'o? ?a m'est venu." D'un geste de la main, il refusa le mouchoir que Jalis lui offrait. "Non. ?a va aller, vraiment. Juste un..." Il pouvait sentir le cadavre qui le regardait mais maintint toute son attention fermement sur Jalis. "Nous avons ce que nous sommes venus chercher. Fichons le camp d'ici. Pas de raison de s'attarder, n'est-ce pas ?" Jalis acquies?a et se retourna pour partir mais Oriken mit une main sur son ?paule. "Pourquoi ne nous faisons-nous pas un peu plaisir en partant ?" D'un geste de la main, il d?signa les pi?destaux et les alc?ves o? des pierres pr?cieuses chatoyaient dans l'ombre. Alors que Jalis soupesait sa proposition, il insista. "On devrait au moins prendre celles sur les pi?destaux pour notre cliente, puisqu'ils font manifestement partie du lot avec le joyau. Non ? Apr?s si elle n'en veut pas..." il haussa les ?paules. Jalis n'eut pas l'air convaincu. "Tais-toi et avance," dit Dagra. Il prit la lampe des mains de Jalis et s'engouffra dans le couloir ; ses amis lui embo?t?rent le pas, suivant la seule source de lumi?re. "Le contrat ne fait ?tat que du joyau," dit Jalis. "Si nous prenons autre chose, ?a pourrait ?tre consid?r? comme sacril?ge." Dagra prof?ra un juron. "Tout cet endroit est un sacril?ge." Oriken railla. "Pourquoi est-ce acceptable de voler le plus grand des tr?sors et pas ceux plus petits ?" "Eh," dit Jalis, "ce n'est pas moi qui ai d?fini les r?gles." Oriken soupira. "C'est pas comme si Dagra n'avait pas empoch? une pierre." "Oh, fais pas l'enfant !" Dagra se retourna d'un coup. "S?rieusement ? C'est une babiole sans valeur ! Un joli caillou qui vient d'une tombe pill?e !" Jalis grogna entre ses dents. "C'est ce que tu penses, Dag, ou c'est ce que tu esp?res ?" "Ne commence pas avec ?a. Pas maintenant. Allez, on rentre, la richesse et un bain chaud nous attendent." "Aucune contestation l?-dessus," dit-elle. "Orik, les tombeaux dans cette crypte appartiennent aux anc?tres de notre cliente. Si nous d?rangeons ne serait-ce que l'un d'entre eux - et la plupart semble de peu de valeur en comparaison, comme l'a fait remarquer Dagra - ce serait voler Cela elle-m?me, ind?pendamment de nos intentions, aussi bien motiv?es qu'elles puissent ?tre." Elle regarda Oriken attentivement. "Dagra a trouv? sa pierre dans des d?combres ; il peut la garder mais on laisse le reste." "C'est toi le patron," dit Oriken en poussant un soupir. "Et la cit? ?" Jalis aspira l'air entre ses dents serr?es et lui lan?a un regard de c?t?. "Nous parlerons de ?a apr?s avoir quitt? le cimeti?re. Nous avons d?j? perdu plus de la moiti? la journ?e." Oriken la regarda un moment mais garda le silence. Leur conversation retomba dans le silence alors qu'ils revenaient sur leurs pas le long du couloir. Dagra se fichait de cette pierre de sang qu'il avait ramass?e. Ses pens?es ?taient tourn?es vers le joyau fun?raire qui allait leur rapporter une v?ritable petite fortune. Mais, plus que cela, il pensait ? la matrone de la crypte, ? son regard sans yeux qui les regardait partir de son lieu de repos. Bient?t, le trou de la s?pulture profan?e se profila. Les traces de pas, ? pr?sent recouvertes des empreintes de Dagra et de ses compagnons, menaient de la dalle cass?e vers l'escalier... Afin de distraire son imagination fertile, Dagra dit, "Orik a raison sur un point, quand m?me. C'est discutable que nous puissions profaner une tombe parce que ?a fait partie d'un contrat et qu'en dehors de ce contrat, ce soit r?pr?hensible." Il ?mit un rire sec et fouilla dans sa poche ? la recherche de la pierre de sang. "Vous savez quoi ? Je n'en veux m?me pas de cette camelote. Je pensais que ?a aurait l'air joli sur mon glaive mais avec les sous que nous allons gagner, je pourrais m?me acheter les t?tons scintillants de Khariali si je le voulais." "Vaut mieux les t?tons de Khariali, plut?t que les cailloux de Cherak," plaisanta Oriken. D'un coup de poignet, Dagra balan?a la pierre de sang dans les t?n?bres et ?couta son ?cho retentir dans le couloir. "Dag," ? c?t? de lui, Jalis lui fit un sourire. "Je n'ai pas dit que les autres cryptes dans le cimeti?re n'en valaient pas la peine, juste la crypte Chiddari. Tout cet endroit a d?j? ?t? ravag? par une d?esse et abandonn? depuis des si?cles. Quelques petits mortels ne peuvent pas le profaner plus qu'il ne l'a d?j? ?t?." Dagra lui rendit son sourire, bien que le sien soit plus p?le. "C'est vrai. Mais je ne suis pas s?r que ?a m'int?resse. C'est pas comme si on avait emmen? des mules ; il nous faudrait trimbaler nous-m?mes tout ce qu'on aura trouv? ? travers toute l'?tendue du Plateau de Scapa et une partie de Caerheath. Merci, jeune fille, mais non. Je veux juste m'en aller de cet endroit maudit, mort et poussi?reux et respirer l'air frais, ravag? ou pas." Oriken marmonna alors qu'il marchait derri?re eux, mais ?tait-ce par approbation ou pas, Dagra ne put le dire et s'en fichait compl?tement. Il se for?a ? penser ? leur voyage de retour, et ? passer le reste de l'ann?e aux environs de la Folie de l'Aulne, sans plus de contrats longs et compliqu?s, sans lieux lugubres et souterrains, et sans plus de cadavres. Dieux, pensa-t-il. S'il vous pla?t, plus de cadavres. Chapitre Dix Intrus Dagra souffla dans le col de la lampe pour ?teindre la flamme, puis il la passa ? Jalis. Avec un soupir de soulagement, il franchit le seuil de la crypte Chiddari et retrouva le sinistre cimeti?re. L'orbe rouge de Banael se devinait derri?re un ciel d'?pais nuages, son ventre plus proche de l'horizon que Dagra n'aurait pr?f?r?. Il posa sur la statue de Cunaxa un regard sombre. Eh bien, madame, pensa-t-il. Vous ?tiez d'une grande beaut? autrefois, sauf que j'ai vu votre m?choire tomber. De fins petits filets de brume s'?chappaient des crevasses du sol ass?ch?. Ils s'enroulaient et ?treignaient les socles des pierres tombales recouverts de moisissure et rampaient le long des chemins en ruine. La brume se propageait sous ses propres yeux. "Combien de temps avons-nous pass? l?-dedans ?" demanda Oriken dont les yeux pliss?s ? l'ombre de son chapeau fixaient le soleil bas. "Des heures," r?pondit Jalis. "?a n'a pas sembl? si long." "Peut-?tre pas pour toi," r?torqua Dagra. Oriken tourna son attention sur la cit?, gonfla les joues et laissa ?chapper un long sifflement. "Il doit y avoir une montagne de tr?sors l?-bas. Le ch?teau seul doit d?tenir une fortune. On pourrait s'abriter dans un des b?timents pour la nuit. ?a ?t? abandonn? pendant des si?cles ; je doute que l'un des propri?taires s'en formalise." "Allons, Orik," dit Jalis. "Es-tu un homme ou une pie voleuse ? N'oublie pas que nous avons une tr?s longue marche ? travers les mar?cages jusqu'aux premiers signes de civilisation, et encore deux jours de voyage avant d'atteindre la Folie de l'Aulne. Je ne me sens pas de transporter un lourd tr?sor pendant des centaines de kilom?tres d'un terrain min? de marais, de monstres et peut-?tre pire encore que ceux que nous avons crois?s en venant." "Je ne parle pas de lester nos poches et nos sacs, juste une poign?e en guise de souvenir. ?a ferait pas de mal." Pendant un court instant, Dagra se surprit ? peser le pour et le contre. Il ?tait sinc?re quand il avait dit ? Jalis que ?a ne l'int?ressait pas de piller des pierres de peu de valeur, mais en regardant en direction de la grande cit?, il ?tait difficile de penser qu'elle ne renfermait pas de tr?sors plus riches. Il devait y avoir des pi?ces d'argent de partout. Et des bijoux avec de pr?cieux diamants et des saphirs, et des ?meraudes, et des rubis. Ou des armes, comme son glaive ancien ; les ?p?es courtes ? lame large n'?taient plus forg?es depuis le Grand Soul?vement, et s'il y avait un endroit o? il pouvait y en avoir, c'?tait bien Lachyla. J'aimerais bien un deuxi?me glaive, pensa-t-il, mais pas tant que ?a. Aussi ?prouvant que ?a l'ait ?t?, ?a n'avait pas ?t? aussi horrible qu'il ne l'avait imagin?. Peut-?tre demain, quand il fera plein jour... Il secoua la t?te pour chasser la tentation et fron?a les sourcils en remarquant la brume grandissante. "Nous devrions nous mettre en route avant que ce truc ne devienne un probl?me." "Mais, ?coutez—" Jalis mit Oriken en garde d'un regard. "J'ai dit qu'on en discutera plus tard, et on en discutera plus tard. Pour l'instant, Dagra a raison. On retourne ? la herse." Surprenant Oriken qui regardait le Litchgate au loin, s?parant le cimeti?re de la cit?, elle pointa son doigt vers le nord en direction de la lande. "Cette herse." Ils se mirent en chemin sur l'?troit sentier qui partait de la crypte Chiddari vers l'All?e des Morts-Vivants. Pendant qu'ils avan?aient, Oriken ?tait plong? dans un monologue sur les sortes de tr?sors qu'ils pourraient d?couvrir dans le ch?teau. Il ?tait en pleine ?num?ration lorsque Jalis l'interrompit brusquement et leva la main en signe d'arr?t. "Qu'est-ce qu'il y a ?" demanda Oriken. "Dis-moi," dit-elle. "Sommes-nous bien s?rs que la cit? est d?serte ? Les citoyens de Lachyla sont-ils bien morts pendant le fl?au ?" "Hein ? Bien s?r. M?me ceux qui ont pu s'?chapper sont morts depuis longtemps maintenant. Pourquoi tu demandes ?a ?" Jalis regardait au-del? de l’?paule de Dagra vers le cimeti?re recouvert de brume. "Donc, tu me dis que nous trois, sabreurs intr?pides, sommes les seules personnes pr?sentes ici ?" Dagra fron?a les sourcils. "Je connais cette intonation, copine, et ce n'est jamais bon signe. Si tu as quelque chose ? dire, dis-le. Sinon—" Le visage de Jalis se figea. "Je me demandais juste pourquoi l'heure des visites a sonn? dans li Gardine dessa Mortas." "Je n'ai aucune id?e de ce que—" R?duit au silence par l'expression de Jalis, Dagra suivit la direction vers laquelle son doigt pointait. Oh, dieux, pensa-t-il. Non... De fr?les silhouettes ?mergeaient de la brume et se d?pla?aient comme sans but entre les tombes. D'autres se mat?rialisaient au loin dans la brume et elles se confondaient avec les silhouettes des arbres noircis et des pierres tombales. L'une d'entre elles se trouvait plus pr?s – Dagra l'avait vue mais l'avait prise pour un arbre tordu. Elle oscillait dans la brise, ses membres squelettiques tendus devant elles comme des branches. "S'il vous pla?t," murmura Oriken en regardant ces formes sinistres, "dites-moi que quelqu'un a organis? une visite guid?e et a oubli? d'en parler." Le m?tal des poignards de Jalis crissa quand elle d?gaina. "Je crains que non." "Que sont ces choses ?" demanda Oriken. Alors que Dagra regardait ces apparitions, les remarques de Jalis lui revinrent ? l'esprit : ces empreintes ne se dirigeaient que dans une seule direction. Il avait suppos? que quelqu'un ?tait entr? dans la crypte, mais si... "On y va," dit-il. "Maintenant." Il s'?lan?a au pas de course le long du chemin, Jalis et Oriken sur ses talons. La brume s'?paissit vite en un brouillard envahissant et les nuages au-dessus semblaient faire de m?me, obscurcissant le d?but de soir?e en un cr?puscule artificiel. D'autres silhouettes arrivaient depuis les confins du cimeti?re, marchant lentement, mais r?solument, vers l'All?e des Morts-Vivants. Devant eux, en bordure du chemin, une main dess?ch?e s'agrippa au mur d'une crypte et une forme grotesque apparut. Ce qu'il ?tait rest? de ses v?tements ne faisait plus qu'un avec le corps ravag? dont la chair vieillie par le temps flottait avec le tissu. Le visage ?maci? se tourna vers Dagra. Ses l?vres ratatin?es et ses gencives noircies aux dents cass?es s'ouvraient en un cri silencieux. Il ralentit ; la cr?ature avan?a vers lui d'un pas h?sitant. Les rayons de Banael perc?rent les nuages pendant un court instant et ?clair?rent le visage d?compos?, ce qui en accentua les sombres cavit?s. Le cadavre leva une main pour se couvrir le visage. Il vacilla dans la lumi?re du soleil mais poursuivit sa lente marche. "Ch?re et douce Aveia," souffla Dagra. "C'est un mort. Ce sont tous des morts. Dieux mis?ricordieux, Cunaxa Chiddari avait vraiment boug? ! Je le savais ! Elle avait boug?, et nous ?tions l? ? bavarder !" Oriken arriva ? son c?t? et lui saisit le bras avec force. "Arr?te ?a, Dag ! Arr?te de le regarder. Et sers-toi de ton ?nergie pour courir au lieu de d?blat?rer." Il reprit sa course, ses longues jambes l'emportant rapidement le long de l'All?e. La perspective de se retrouver ? l'arri?re fut suffisante pour propulser Dagra hors de son acc?s de panique et le pousser en avant. Il d?tacha ses yeux du cadavre qui le fixait du regard et activa ses jambes courtaudes. Jalis le rattrapa et courut ? ses c?t?s. "Les morts de Lachyla," haleta-t-il entre deux respirations, "sont cens?s rester ? Lachyla." "Les morts sont cens?s rester morts," dit Jalis. "Mais si tu as raison, nous le saurons bien assez t?t." Les cr?atures arrivaient maintenant de partout. Un g?missement guttural se fit entendre provenant de ceux qui ?taient le plus pr?s ; c'?tait comme un soupir, cr?pitant, humide comme un liquide ?pais que l'on versait sur des feuilles dess?ch?es. De plus en plus de cadavres se joignirent dans un ch?ur ?pouvantable et le bruit s'intensifia. En quelques instants, le cimeti?re r?sonna du murmure persiflant de ses habitants. Le pas de course d'Oriken le mena rapidement au bas du chemin, tout droit vers un groupe de macchab?es. Comme il sauta au-dessus d'une pierre tombale, son chapeau se souleva de sa t?te. Il l'attrapa dans les airs et, tout en maintenant sa course, il le repla?a fermement o? il devait ?tre, sans m?me faire une pause. Конец ознакомительного фрагмента. Текст предоставлен ООО «ЛитРес». Прочитайте эту книгу целиком, купив полную легальную версию (https://www.litres.ru/pages/biblio_book/?art=57159616&lfrom=688855901) на ЛитРес. 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