Èñêàòü â ðàçðåæåííîñòè ÷óâñòâ Áûëóþ ñèëó, ðàäîñòü, ñâåæåñòü, Êîãäà ðàññâåò áåç òó÷ âñå ðåæå È îòäàí âå÷íîìó âðà÷ó. Ñîâñåì íå ìíîãèì ïî ïëå÷ó. Êóäà êàê ïðîùå, ñîãðåøèâ, Íàçâàòü ïðåñûùåííîñòü è ñêóêó Íåïîíèìàíèåì è ìóêîé. Ïèñàòü… Ëîìàòü êàðàíäàøè Î êðàé «íàäëîìëåííîé» äóøè, Ðûõëèòü, êàòàòü êàê ñêàðàáåé Êîìîê çàñòèðàííûõ ñòðàäàíèé, Êàê áóäòî ñâûøå ê

Le Grand Ski-Lift

Le Grand Ski-Lift Anton Soliman Anton Soliman LE GRAND SKI-LIFT (l???espace de Zerbi) Anton Soliman Le grand Ski-lift Titre original: Il grande skilift. Traduction: Ma??a Rosenberger Ce livre est une ??uvre de fiction. Tous les noms, personnages, lieux ou organisations cit?©s sont le fruit de l???imagination de l???auteur et ont pour seul objectif de participer ?  la v?©racit?© de l???intrigue. Toute analogie avec des faits av?©r?©s ou des personnes r?©elles, vivantes ou d?©c?©d?©es, serait le fait du hasard. Le grand Ski-lift Copyright ?© 2018 Anton Soliman Premi??re ?©dition: Novembre 2013 Juin 2018 pour l????©dition fran?§aise Traduction: Ma??a Rosenberger ??diteur: Tektime - www.traduzionelibri.it (http://www.traduzionelibri.it/) email: [email protected] (mailto:[email protected]) Tous droits r?©serv?©s. Aucun extrait de cette publication ne peut en aucun cas ??tre reproduit, y compris par quelque syst??me m?©canique ou ?©lectronique que ce soit, sans autorisation ?©crite pr?©alable de l????©diteur, ?  l???exception de quelques brefs extraits, ?  des fins de compte-rendu. Le Grand Ski-lift : un gigantesque r?©seau de remont?©es m?©caniques permettant aux skieurs d????©voluer dans un domaine qui couvre l???h?©misph??re bor?©al tout entier. Pouss?© par son besoin de renaissance, d?©sirant oublier le Monde connu et les r??gles de la Tradition, Oskar Zerbi s???introduit ill?©galement dans ce circuit. Dans cette infinit?© de pistes et de sommets blancs, il est poursuivi par un myst?©rieux interlocuteur, et fait des rencontres ?©tranges qui le renvoient aux bribes d???un pass?© oubli?©. Investi d???une dangereuse mission, il comprendra petit ?  petit la nature r?©elle de sa qu??te. Se dirigeant toujours vers le nord, il se r?©appropriera la connaissance de lui-m??me et de son pass?©, d?©couvrant ?  quel point il est li?© au Grand Ski-lift. Dans les terres d?©sol?©es du Nord extr??me, il acc??dera enfin ?  la r?©v?©lation ultime??¦ Le point d'?©mersion Oskar Zerbi ?©tait arriv?© au d?©part du Grand Ski-lift. Une gigantesque esplanade sans aucun b??timent, mis ?  part une baraque en bois qui devait ??tre la cabane des forfaits, et une autre construction inachev?©e, sans fen??tres. Des tiges de fer rouill?©es sortaient du toit. Des tas de neige sale, alourdis par une pluie fine, ?©taient amoncel?©s tout autour. De la montagne descendaient les bancs d'un brouillard ?©pais que les fa?®tes d'une for??t de conif??res s'?©tendant ?  perte de vue dans la vall?©e peinaient ?  retenir. Il descendit de voiture, mit un bonnet de laine pour se prot?©ger du froid, puis tourna lentement sur lui-m??me, ?  la recherche d'un habitant ?  qui demander des renseignements. Mais l'endroit ?©tait d?©sert. Les c??bles d'acier qui supportaient les cabines du t?©l?©ph?©rique sortaient de la baraque en bois. Il suivit du regard les pyl??nes de l'installation qui, comme une rang?©e de g?©ants p?©trifi?©s par l'hiver, montaient tout droit dans la montagne, disparaissant apr??s quelques centaines de m??tres, engloutis par le brouillard. Il se souvint alors de ce qu'on lui avait dit sur le Grand Ski-lift. Peut-??tre tout cela n'?©tait-il qu'un quiproquo. Il se trouvait en fait dans un lieu abandonn?©, et cette installation ne servait probablement qu'?  transporter le bois que l'on faisait en altitude pendant l'?©t?©. C'?©tait ?©trange : c'?©tait un ami, que l'on disait fiable, et passionn?© de montagne qui plus est, qui lui avait donn?© des informations sur le Grand Ski-lift. Il lui en avait parl?© avec passion : des centaines de milliers de pistes sur les pentes de cha?®nes de montagnes ensevelies sous la neige, des lacs gel?©s, des for??ts, des paysages alpins vierges... Il avait en somme ?©voqu?© un monde sublime dans lequel Oskar aurait pu passer ses vacances dans une libert?© absolue. Et o?? il esp?©rait pouvoir oublier bien des choses. Peut-??tre s????©tait-il tromp?© en chemin ? On lui avait pourtant clairement indiqu?© la route ?  prendre, avec des rep??res qu???il avait tous retrouv?©s sur son trajet. Il avait suivi les instructions de telle sorte qu???aucune erreur n????©tait possible. D???un autre c??t?©, il pouvait penser ?  des informations d?©form?©es, mais il se dit que, dans ces circonstances particuli??res, il ne devait pas s???agir d???un simple malentendu. ?« Mais pourquoi s????©tonner ? ?» se demanda-t-il enfin. Dans le fond, il n???avait jamais re?§u de ses semblables que des informations impr?©cises sur les objets de ce monde ; des faits, et des lieux, ?©voqu?©s de fa?§on excessive par une multitude d???hommes dont l????©go tente de se maintenir ?  la surface de la R?©alit?© comme un naufrag?© ?  la d?©rive. Ce n????©tait que le d?©but de l???apr??s-midi, mais il faisait d?©j?  presque sombre. Oskar avait froid ; impossible de rester plus longtemps sur cette esplanade sans vie. La fatigue se faisait sentir : il s????©tait lev?© ?  l???aube et avait conduit tout ce temps avec une concentration extr??me, car il s???agissait d???un voyage ?©trange ??¦ la travers?©e d???un territoire inconnu. Le trac?© de l???autoroute 26 sud dessinait un demi-cercle vers l???ouest et contournait les montagnes juste au pied de la cha?®ne de la Sierra, en direction des grandes plaines. Ensuite, il avait suivi une route foresti??re pleine de nids de poule, au trac?© sinueux, tout ?  fait in?©dit pour lui. Il avait d?©j?  remarqu?© en d???autres occasions cette cha?®ne de montagne que l???autoroute longeait pendant des miles et des miles, mais il n???avait jamais eu la curiosit?© de s???arr??ter. Il savait seulement que c????©taient des zones d?©peupl?©es dans un territoire qui ne lui appartenait pas. Un espace fictionnel dans lequel il n???aurait rien retrouv?© de familier : aucun programme ?  tenir, aucun point de rep??re. Il ?©tait tard, il devait trouver un h??tel pour la nuit. Il n????©tait pas prudent de rebrousser chemin dans une r?©gion inconnue. Le village ?©tait en aval de l???esplanade du t?©l?©ph?©rique. Les premi??res maisons n???apparurent qu???apr??s quelques virages : des constructions de pierre supportant des chemin?©es d???o?? sortait de la fum?©e. Quelques lumi??res ?©taient d?©j?  allum?©es. Aux abords du village, un homme d?©chargeait du foin d???une charrette crasseuse pour l???entreposer dans une ?©table. C????©tait un vieux, petit et trapu, avec une veste de velours marron. Il se d?©pla?§ait avec lenteur, haletant sous l???effort. ??? Je suis d?©sol?© de vous importuner -dit Oskar avec une expression incongrue, en se penchant par la vitre de la porti??re passager- mais je voudrais savoir s???il y a un h??tel, ici. Le vieux le regarda attentivement, puis s???approcha calmement de la voiture. ??? Plus bas, vers la sortie du village, il y a un gars qui s???appelle Ignazio. Tu verras une porte verte, avec une lampe jaune. Je sais qu???il a des chambres. ??? Ah, d???accord, je vous remercie. Une porte verte avec une lampe jaune, r?©p?©ta Oskar avec un accent appropri?©, pour montrer qu???il avait compris les indications. ??? C???est bien ?§a. Mais attention, souvent, il n???allume pas la lampe. Ce soir, elle sera m??me s?»rement ?©teinte. Il roula au pas en regardant les portes, scrutant tout avec la plus grande attention, comme un chat qui entre dans un grenier sombre. Il traversa une petite place, avec un bar illumin?© ; on entendait des voix rauques derri??re les vitres embu?©es. Les gens de la vall?©e s???y retrouvaient peut-??tre pour jouer aux cartes. ?? la sortie du village, il d?©couvrit l???h??tel sans difficult?©s : c????©tait une construction plus grande que les autres. On l???aurait dite sortie d???un livre pour enfants. Le b??timent avait une apparence humaine ; les fen??tres allum?©es avaient l???air de deux yeux ouverts et la lumi??re qui filtrait par les vitres de la porte faisait penser ?  une bouche grande ouverte. Exactement comme une maison creus?©e dans une citrouille??¦ Il sortit de la voiture et frappa ?  la porte verte. Un homme vint ouvrir : ??? Bonsoir, j???aurais besoin d???une chambre pour la nuit, et je voudrais d?®ner, aussi, si possible. ??? Je vous en prie, Monsieur, entrez. Vos bagages sont dans votre voiture ? Parfait, ne vous inqui?©tez pas, j???enverrai quelqu???un les chercher, entrez donc. Oskar entra, pendant que l???homme courait allumer les lumi??res. Il r?©gnait une odeur de soupe. Le patron le fit installer dans la salle ?  manger : des tables ?©taient entass?©es dans un coin, les carreaux du sol r?©v?©laient leur pi??tre qualit?©, la chemin?©e ?©teinte n???avait s?»rement jamais fonctionn?©. Elle avait l???air factice??¦ L???h??tel, r?©cent, ?©tait vraiment laid. Le patron passa en cuisine pour voir ce qui pouvait ??tre servi pour le d?®ner. Oskar remarqua que la salle ?  manger avait ?©t?© accol?©e ?  une construction plus ancienne. Les murs mitoyens de l???aile priv?©e ?©taient anciens, et la porte d???o?? provenait l???odeur de soupe ?©tait d???un vieux bois, peut-??tre un ch??ne abattu plusieurs si??cles auparavant. Il faisait froid dans la salle ?  manger, et cette attente prolong?©e le mit mal ?  l???aise. Il ?©tait transi, mais surtout d?©?§u par ce premier jour de vacances. Quelques minutes apr??s, dans un bruissement, une silhouette f?©minine glissa par la vieille porte qui s?©parait la partie priv?©e des pi??ces de l???h??tel. La silhouette ?©tait ?©lanc?©e. On entendit une voix l???appeler. Le patron revint, l???air satisfait : ??? Mon cher Monsieur, vous avez de la chance ! Ce soir nous avons une excellente soupe, de la viande cuisin?©e aux choux et les fromages de la maison. ??? Je vous demande pardon, fit Oskar en s????©claircissant la voix, qui r?©sonna dans la pi??ce vide, c???est un vrai frigo, ici ; j???ai froid jusque dans les os, maintenant??¦ Il n???y aurait pas, par hasard, une pi??ce plus chaude o?? manger ? L'homme fut g??n?©. ??? Vous avez tout ?  fait raison. On a allum?© un gros po??le dans votre chambre, et tout ira bien pour cette nuit. Mais c???est vrai qu???il fait froid ici??¦ On travaille peu en hiver, on n???a que quelques repr?©sentants qui viennent de temps en temps. Vous verrez, ?§a ira mieux apr??s un bon repas, conclut-il dans un sourire. Remarquant tous les d?©tails minables de la salle ?  manger, Oskar pensa que de toute fa?§on tous les lieux d???h?©bergement ?©taient affreux. Il n???y avait rien, ici, qui puisse s???harmoniser avec son pass?© ou ouvrir une fen??tre sur l???avenir. O?? qu???ils soient, les hommes ont toujours besoin de d?©nicher une trace d???eux-m??mes. Pourquoi dans l???avenir ? Parce qu???il n???y a aucune diff?©rence entre pass?© et avenir dans ce type de recherches. On peut tr??s bien se perdre dans l???avenir aussi. La rouille spirituelle d???Oskar venait peut-??tre de cette donn?©e initiale opaque : les circonstances dans lesquelles il avait gliss?© de l???autre c??t?© du Mur dont son ??tre originel s????©tait ?©chapp?©. Un ?©v?©nement remontant ?  l???enfance, sans aucun doute. Tout se passe dans l???enfance, quand tout se montre sous son vrai jour, quand r??gne une grande Unit?© et que les ?©v?©nements se succ??dent l???un apr??s l???autre, comme un paysage vu d???un train. Oskar pensait souvent ?  ce qui s????©tait pass?© pendant ces ann?©es-l?  ; il ?©tait maintenant certain d???avoir un jour vers?© dans une distraction extr??me. ??a avait pu se passer dans la rue, en regardant un chien, peut-??tre, ou chez le boulanger, ou m??me au cin?©ma. Peut-??tre qu???un matin, il s????©tait lev?© ?  l???aube et s????©tait regard?© dans la glace avec trop d???intensit?© : son ??tre r?©fl?©chi s????©tait trop ?©loign?©, et lui, il s????©tait perdu pour toujours dans l???espace des Symboles??¦ ??? Vous avez raison, Monsieur, il fait froid ici, et j???ai peur que le radiateur ?©lectrique ne puisse pas r?©chauffer la pi??ce. Venez manger avec nous ?  la cuisine ! J???esp??re que ?§a ne vous g??ne pas. C????©tait la silhouette f?©minine qu???il avait aper?§ue dans la p?©nombre. Une jeune femme soign?©e, ?  la chevelure nou?©e en deux tresses exactement r?©parties ; le col d???une chemise blanche d?©passait de sa robe bleue. Une image r?©confortante qui, ?  ce moment, plut ?  Oskar. ??? Je vous remercie, Mademoiselle, je crois que c???est une bonne id?©e. Ici il fait un froid insupportable qui m???est rentr?© jusque dans les os ! La jeune femme ouvrit une porte et le fit passer dans un couloir ?©troit qui conduisait ?  la cuisine. C????©tait une tr??s grande pi??ce ; au centre, un po??le bon march?© ?©tait allum?©, couvert de casseroles fumantes. Le patron, sa femme et une petite vieille silencieuse mangeaient autour d???une table d?©j?  dress?©e. Il faisait bien chaud. On ?©tait s?»rement dans la partie ancienne de l????©tablissement. ??? Installez-vous, je vous en prie ! dit le patron avec un large sourire, ma fille a raison, il fait trop froid dans la salle ?  manger. Vous savez, je vous aurais bien invit?© tout de suite, mais je me demandais si ?§a ne vous aurait pas g??n?©. Oskar s???assit en bout de table, pendant que la patronne lui servait une soupe bouillante. ??? C???est tr??s chaleureux, ici, Monsieur??¦ ? dit-il en lan?§ant un coup d?????il au plafond de bois. ??? Je m???appelle Ignazio. Je vous pr?©sente ma femme, Margherita, ma fille Clara, et cette vieille dame est ma m??re. Ils lui sourirent tous ; Clara lui servit de la bi??re en s???asseyant ?  c??t?© de lui, une expression satisfaite sur le visage. Oskar commen?§a ?  manger de bon app?©tit, et sentit aussit??t se lib?©rer en lui une forte chaleur qui l???anima, le rendant m??me euphorique. Il ?©tait assis ?  une place de choix, et les personnes autour de la table semblaient intrigu?©es, pr??tes ?  l????©couter. Il ?©tait s?»r que l???atmosph??re qui s????©tait install?©e ?©tait favorable pour pouvoir se mettre en sc??ne dans un milieu nouveau. Une bonne occasion pour se mettre en valeur sous son meilleur jour : des images de lui-m??me compl??tement id?©alis?©es et d?©form?©es par la m?©moire. ??? Comment ??tes-vous tomb?© dans ce village perdu au milieu des montagnes ? Vous ??tes venu ici par hasard ? demanda la femme du patron. ??? Exactement ! Je suis ici pour des vacances. C???est un ami passionn?© de montagne qui m???a conseill?© Valle Chiara??¦ Il fit une pause imperceptible avant d???ajouter : ??? Mais je m???attendais ?  quelque chose de diff?©rent. ??? Que voulez-vous dire, Monsieur ? demanda la jeune femme. ??? Je vous en prie, appelez-moi par mon nom. Je m???appelle Oskar -il but une gorg?©e de bi??re- eh bien, je m???attendais ?  un endroit insolite, parce ce que cet ami n???aime pas les choses conventionnelles ??¦ Il appr?©cierait votre cuisine, par exemple. Mais quand je suis arriv?© au village et que j???ai vu l???esplanade avec les installations de remont?©e, j???ai ?©t?© d?©?§u. Le paysage est d?©primant, il ne promet rien de bien divertissant. Je ne voudrais pas vous offenser, messieurs-dames, mais j???oserais dire que Valle Chiara est un endroit oubli?© des Dieux. Ils approuv??rent tous trois, l???incitant ?  poursuivre avec encore plus d???assurance : ??? En somme, comment peut-on pr?©tendre que cette esplanade boueuse soit une liaison pour rejoindre le Grand Ski-lift ? Il pleut, ici, il n???y a pas de neige, et je n???ai pas l???impression que plus haut, en altitude, la situation soit tr??s diff?©rente. Ne croyez-vous pas ? Vous ??tes d???ici, vous devriez pouvoir le confirmer. Le patron semblait mal ?  l???aise : ??? Vous avez parfaitement raison, s???exclama-t-il avec difficult?©, Valle Chiara n???est en effet pas pr??te ?  accueillir des touristes. Mais l???affaire est compliqu?©e, croyez-moi. Il regarda un instant sa femme, qui semblait contrari?©e, et ajouta : ??? Je ne suis pas tr??s au courant, mais le pr?©c?©dent maire avait mis sur pied un programme ambitieux pour cette vall?©e. ??? J???imagine que ce programme a ?©t?© abandonn?© ! s???exclama Oskar, ironique. Clara le regardait en souriant, elle avait l???air de s???int?©resser ?  cette conversation. Il avait entre-temps termin?© sa soupe, ils pass??rent donc tous au plat suivant. Le patron r?©fl?©chissait ?  la question pos?©e par son h??te. Apr??s avoir bu quelques gorg?©es de bi??re, il se d?©cida ?  donner des d?©tails suppl?©mentaires. ??? Voyez-vous, le maire pr?©c?©dent ?©tait un homme instruit ; plus jeune, il ?©tait parti en Californie chez un de ses oncles qui ?©tait install?© l? -bas. Il para?®t qu???il avait fait plusieurs ann?©es d????©tudes dans une universit?© prestigieuse. Puis il est rentr?© au village en disant qu???il y revenait le temps de donner un coup de main, et il assuma ainsi la charge de maire. ??? Qu???a-t-il fait de bien dans cette p?©riode ? demanda Oskar. ??? La seule chose qu???il ait achev?©e est justement ce t?©l?©ph?©rique que vous avez vu sur l???esplanade cet apr??s-midi. Bon, certains d???entre nous ont pens?© qu???il allait permettre un grand d?©veloppement touristique, et on a donc fait des investissements. Pour ma part, avec l???argent que j???avais de c??t?©, j???ai agrandi l???h??tel qui ne tournait que pour quelques rares repr?©sentants et pour les chasseurs, en saison. ??? Que pensez-vous de ce projet, alors ? Je n???ai pas l???impression que la situation ait tellement chang?© depuis. ??? Pr?©cis?©ment, comme je vous le disais, le maire a fait construire cette installation, puis il a disparu de Valle Chiara. ??a remonte ?  quelques semaines. Plus exactement, il est parti d??s que les essais ont ?©t?© finis. Je me souviens qu???il ?©tait fatigu?© de son travail d???organisation. Avant de partir, il a dit qu???il ?©tait satisfait, et que son r??le ?©tait achev?©. Oskar s???adressa alors ?  Clara : ??? Que dis-tu de ce qu???a fait cet ?©trange maire, toi ? ??? C???est difficile ?  dire comme ?§a, en quelques mots. J???estimais beaucoup cet homme, il ?©tait instruit, il passait des nuits enti??res ?  lire. Je faisais mes ?©tudes en ville quand il est arriv?©, mais ?  Valle Chiara, tout le monde sentait sa pr?©sence. Il travaillait toute la journ?©e, et le soir, on le voyait se promener tout seul dans le bois. Toujours ?  la m??me heure. Oskar avait chaud, maintenant. Il enleva son blouson. Il se souvint un instant de la premi??re, horrible impression que lui avait faite l???atmosph??re glaciale de l???h??tel. M??me si la conversation ?©tait ?©trange dans cette cuisine, il ressentit pour la premi??re fois depuis son arriv?©e au village une vague atmosph??re de vacances. ??? Essayons d???y comprendre quelque chose, reprit-il avec assurance, maintenant d?©tendu. Valle Chiara a donc toujours ?©t?© isol?©e. Il y a quelques ann?©es, un monsieur plein d???id?©es, qui a fait ses ?©tudes en Californie, revient par ici. Cet homme projette de construire quelque chose qui soit en mesure de d?©velopper la vall?©e, pour rendre service ?  ses anciens concitoyens, peut-??tre. En premier lieu, il examine les possibilit?©s touristiques et d?©cide d???installer un t?©l?©ph?©rique pour attirer les skieurs en saison. Il ?©labore son projet, et quand l???initiative a pris forme, il quitte le village. C???est bien ?§a ? ??? Eh bien, je crois que toute l???affaire est un peu plus compliqu?©e, r?©pondit le patron ; au d?©but, moi aussi je croyais que les choses s????©taient pass?©es de la fa?§on que vous avez si bien reconstruite. Clara secoua la t??te : ??? Je crois que vous interpr?©tez mal le projet du maire. ??? Tu veux dire qu???il ne voulait pas d?©velopper le tourisme ? ?? quoi peut servir un t?©l?©ph?©rique, alors ? dit Oskar. ??? Je ne le sais pas exactement, mais le maire n???a jamais parl?© de tourisme, il parlait d???une connexion -Clara avait un peu de mal ?  r?©pondre- tout ce que je peux dire, au-del?  des bruits qui courent au village, c???est que le maire voulait relier Valle Chiara ?  quelque chose. Une fois, je l???ai entendu parler de connexion exp?©rimentale. C???est pour ?§a qu???il a fait construire l???installation et qu???il voulait que tout fonctionne au mieux??¦ ??? Mais alors ce t?©l?©ph?©rique n???est pas du tout abandonn?© ! s????©cria Oskar. Il existe peut-??tre une entreprise qui l???exploite. ??? Mais bien s?»r ! L???installation fonctionne, tout le monde peut l???utiliser. Si tu veux, demain matin, je t???emm??nerai voir le directeur, comme ?§a tu pourras tout savoir sur son utilisation par les clients. Il ne restait plus qu???Oskar et Clara dans la salle, les autres ?©taient all?©s se coucher. Pendant qu???il fumait un cigare offert par Ignazio, la jeune femme mettait de l???ordre dans la cuisine. Pour finir, elle passa tr??s rapidement la serpilli??re dans toute la cuisine. ??? Nous, on a l???habitude de tout remettre en ordre avant d???aller nous coucher. Mes parents se l??vent t??t le matin, et puis les odeurs du d?®ner pourraient g??ner les clients, m??me si en ce moment tu es le seul client de l???h??tel. L???humidit?© laiss?©e par la serpill??re s????©vapora presque imm?©diatement et la cuisine fut parfaitement en ordre. Exactement comme dans un dessin anim?© qu???il avait vu quand il ?©tait petit??¦ ??? Excuse-moi, je voudrais te poser une question personnelle : j???ai remarqu?© que tu t???exprimes tr??s bien. O?? as-tu fait tes ?©tudes ? demanda Oskar. ??? En ville. Je suis rentr?©e ?  Valle Chiara l???an dernier, apr??s l???Acad?©mie. Mais je n???ai pas envie de parler de moi. Elle se passa une main sur le front, et demanda, sur un autre ton : ??? Alors c???est ton ami qui t???a conseill?© cet endroit ? Tu as dit qu???il est passionn?© de montagne et qu???il t???a parl?© du Grand Ski-lift. ??? Oui, c???est ?§a. C???est quelqu???un de particulier, qui n???aime pas les endroits ?  la mode, une personne qui est toujours ?  la recherche de mondes non fr?©quent?©s. Moi, je suis sceptique sur le fait qu???on puisse encore trouver aujourd???hui des lieux pr?©serv?©s -il respira profond?©ment et ajouta- cette fois-ci je l???ai ?©cout?©, mais je crois que c???est une erreur, vu ce que j???ai trouv?© sur l???esplanade du t?©l?©ph?©rique. ??? A quoi t???attendais-tu ? ??? J???imaginais que j???allais arriver dans un endroit plus haut en couleurs. Je ne voudrais pas d?©nigrer ton village, mais tu dois reconna?®tre que ce n???est pas un endroit adapt?© au grand ski alpin ! J???imaginais trouver des chalets de bois, une place illumin?©e et ensevelie sous la neige, une atmosph??re de f??te, en somme, et puis, ?  l???horizon, des cha?®nes de montagnes enneig?©es. ??? Ce que tu dis est vrai, ?  premi??re vue. M??me si je suis n?©e ici, j???admets tr??s bien qu???il n???y a rien d???attrayant ?  Valle Chiara. Ce n???est d???ailleurs pas un village alpin. Je pensais comme toi, jusqu????  ce que je rencontre le maire. Lui, il avait ?©tudi?© la question ?  fond, et il pensait que le v?©ritable paysage de cet endroit ?©tait cach?© par une esp??ce de ?« Muraille ?». C???est pour ?§a qu???il voulait construire le t?©l?©ph?©rique, pour aller au-del?  d???une zone sans int?©r??t et arriver jusqu???aux plateaux. Mais ne me demande pas o?? se trouvent pr?©cis?©ment ces plateaux, parce que je ne suis jamais mont?©e en altitude. ??? Tu veux dire que tu ne connais pas le territoire o?? tu es n?©e ? ??? Je connais le village, et quelques circuits de promenades jusqu????  la premi??re clairi??re dans le bois. Et ce n???est pas qu???une question de paresse personnelle, parce que les gens d???ici ont tous plus ou moins la m??me connaissance limit?©e que moi. ??? Tu veux dire que les habitants de la vall?©e ne bougent pas ? Excuse-moi, mais un tel manque d???int?©r??t est incroyable. ??? C???est tout ?  fait ?§a ! Il n???y a que quelques habitants qui savent tout du territoire alentour. Des gens qui s????©loignent du village pour leur travail, les bergers ou les b?»cherons, par exemple. Mais leur exp?©rience est sans valeur pour ce qui t???int?©resse. Toi, tu es un citadin ?  la recherche de visions enchant?©es, qui ont d???une certaine mani??re quelque chose ?  voir avec les histoires qu???on t???a racont?©es quand tu ?©tais petit. Les citadins imaginent toujours des paysages fantastiques qu???un berger de m?©tier ne peut pas voir. Oskar se versa un peu de la bi??re que Clara avait laiss?©e sur la table. ??? J???ai compris. C???est la question de la ?« Reconnaissance ?», un gros probl??me, j???en ai entendu parler. Tu sais, je suis ing?©nieur, et ?  une certaine p?©riode, je me suis int?©ress?© aux mod??les et aux programmes de calcul. J???ai m??me lu plusieurs ouvrages sur l???intelligence artificielle -il respira profond?©ment- mais je crois que la discussion deviendrait trop difficile, d???autant plus que je ne peux vraiment pas dire que je sois expert en la mati??re. Il se passa nerveusement une main dans les cheveux, comme s???il avait ?©t?© troubl?© par un mauvais souvenir. Pourquoi avoir ?©voqu?© l???intelligence artificielle ? Il lui sembla que c????©tait une expression inappropri?©e, mieux valait changer de sujet tout de suite. ??? Excuse mes divagations, et revenons-en au t?©l?©ph?©rique. Il a ?©t?© construit pour passer au-del?  d???une muraille, alors. C???est une image bien myst?©rieuse, je trouve. ??? On m???a dit que l???installation passe au-dessus de la Tour en arrivant ?  un p??turage d???altitude. Je ne sais rien d???autre -elle semblait irrit?©e- je te l???ai d?©j?  dit, je ne suis jamais arriv?©e jusqu???aux plateaux ! ??? Et la neige commencerait ?  ces p??turages ? Un skieur pourrait donc monter jusque l? -haut, puis redescendre ?  l???esplanade du t?©l?©ph?©rique en suivant une piste quelconque. Alors c???est que ce n???est pas la bonne saison??¦ ?? moins que la neige ne soit en retard, cette ann?©e ? ??? Non, on est en plein hiver, et il fait m??me froid, pour nous. En r?©alit?©, il ne neige que rarement dans la vall?©e, il n???y a souvent qu???une boue un peu claire. En hiver, le ciel est presque toujours couvert, en g?©n?©ral on a du gr?©sil. Si, quelquefois, il neige la nuit, mais ?§a ne tient pas, la neige fond en deux ou trois jours. ??? Alors il faudrait utiliser ce t?©l?©ph?©rique en ?©t?©, pour monter faire des randonn?©es dans les p??turages ! s???exclama-t-il en riant. ??? Non, tu te trompes. Le maire l???avait vraiment fait construire pour se connecter au Grand Ski-lift, mais c???est le directeur de l???exploitation qui conna?®t tous les d?©tails. Je te le pr?©senterai demain matin. Ils chang??rent de sujet et discut??rent encore quelques instants, puis elle accompagna Oskar dans une chambre qui devait faire partie de la construction ancienne, o?? il pourrait dormir au chaud. C????©tait une vieille chambre qu???on utilisait ?©galement comme grenier : il y avait des meubles et des objets de famille. Clara lui dit que c????©tait la pi??ce des souvenirs. Elle ?©tait s?»re qu???il n???y aurait pas froid. Un peu comme dans la cuisine. ?? Valle Chiara Oskar se r?©veilla en sursaut. Il avait du mal ?  se souvenir des ?©v?©nements de la veille. Comment avait-il ?©chou?© dans cette chambre inconnue ? Par la fen??tre, une faible luminescence blanch??tre r?©v?©lait une lumi??re hivernale. Il regarda sa montre et d?©couvrit, surpris, qu???il ?©tait dix heures du matin. Il allait se lever d???un bond, mais se recoucha de nouveau : il n???avait rien ?  faire. Il ?©tait en vacances. Il se trouvait dans une pi??ce pleine d???objets anciens ; quand ses yeux se furent habitu?©s ?  la p?©nombre, il observa tranquillement les objets du pass?©, l???un apr??s l???autre. Aimait-il donc tant le pass?© ? Le pass?© est une obsession, les indices que livre le pr?©sent remontent toujours ?  l???enfance. C???est d?©sormais l???hypoth??se classique ?  laquelle presque tout le monde a recours. Il fallait donc repartir en arri??re et retrouver le fil coup?©??¦ et ensuite ? Ensuite, ?©merger ?  nouveau dans le pr?©sent, chang?©. Mais en cet instant, cette ?©ventualit?© lui sembla irr?©alisable. Il avait parfois r?©fl?©chi ?  la fa?§on dont, enfant, il percevait le monde. Il s???agissait d???un monde agr?©able, alors qu???il attendait l?????ge adulte avec impatience. Peut-??tre que les ?©v?©nements d?©sagr?©ables, qui existaient d?©j? , ne le touchaient pas de pr??s. ?? cette ?©poque, il ?©tait d?©tach?© du Mal. Il avait atteint l???Harmonie sans s???en rendre compte, puis tout s????©tait d?©sagr?©g?©, ?  cause des d?©sirs. Personne n???a jamais pu expliquer de quelle fa?§on commence la s?©paration d???avec l???harmonie. Il suffit d???une banalit?© quelconque, du fait de d?©sirer quelque chose avec une certaine intensit?©, peut-??tre??¦ Quand le d?©sir survient, un Centre se forme et prend une masse ?©norme, quelque chose se d?©forme, et c???est ainsi que l???harmonie s???en va pour toujours, avec le Pr?©sent, laissant l?????tre au milieu des scories ?©parses de la r?©alit?©. Apr??s, ?« les choses ne sont plus ce qu???elles sont ?». Cela s????©tait s?»rement pass?© ainsi. Il avait ?©t?© jet?© d???un train merveilleux, et forc?© ?  errer dans une toundra gel?©e en ramassant des fragments. Ce train devait aller ?  la vitesse de la lumi??re. On frappa ?  la porte et Clara entra avec le plateau du petit d?©jeuner. ??? Bonjour ! Bien dormi ? Je t???ai apport?© le petit d?©jeuner au lit parce que tu es un h??te important pour nous. Mon p??re m???a charg?©e de prendre soin de toi, dit-elle d???un air malicieux. Il fut surpris de cet accueil. Il repensa ?  la m?©lancolie du paysage de la veille, ?  l???esplanade d?©sol?©e du t?©l?©ph?©rique sous le gr?©sil. Sans savoir pourquoi, il pensa au premier jour d????©cole d???un enfant pauvre??¦ Il avait ?©t?© accueilli ?  l???h??tel comme un parent dans le besoin. Ce qu???il vivait n????©tait pas une situation qui pourrait durer pendant toute sa p?©riode de vacances. Il avait d?©j?  ressenti ces sensations de froid et chaud ailleurs, aupr??s d???autres. Mais il ?©tait arriv?© dans cet endroit dans un ?©tat d???esprit particulier, qui ?©tait d???une certaine fa?§on li?© au Changement. Oskar resta au lit en savourant son petit d?©jeuner. ??? Tu me parlais hier d???un directeur des installations ?  qui je pourrais demander des informations. ??? Oui, bien s?»r, je t???emm??nerai le voir ce matin. Le ciel ?©tait couvert, on ne voyait que de rares passants en chemin. Certains transportaient du foin, d???autres nettoyaient, ou r?©paraient un outil. Mais ils faisaient tout avec lenteur. Oskar pensa ?  certains automates que l???on trouve sur les horloges des clochers gothiques. Le bureau du directeur se trouvait ?  l???autre bout du village. C????©tait une construction r?©cente d???un seul ?©tage, sans attrait particulier. Clara frappa ?  la porte, et on vint aussit??t ouvrir. ??? Bonjour Monsieur Franchi ! Mon p??re vous transmet ses salutations -dit-elle, avant d???ajouter en regardant Oskar- je vous pr?©sente un de nos clients qui est ici en vacances. Il conna?®t l???existence du t?©l?©ph?©rique et souhaitait obtenir quelques informations. Les pr?©sentations termin?©es, la jeune femme salua, annon?§a qu???elle devait faire quelques courses au village et sortit rapidement. Le directeur ?©tait d???apparence timide. Il fit installer Oskar dans un fauteuil face ?  son bureau et demanda ?  un employ?©, qui travaillait dans la pi??ce ?  c??t?©, de pr?©parer du caf?©. ??? Vous prendrez une tasse de caf?© ? demanda-t-il avec un sourire. Dites-moi, Monsieur, comment avez-vous connu notre petite installation de montagne ? ??? Je voudrais d???abord me pr?©senter, je m???appelle Oskar Zerbi. C???est un de mes amis, passionn?© de montagne, qui m???a parl?© de cette installation. ?? vrai dire, il m???a parl?© d???une station de ski, ici ?  Valle Chiara, qui serait reli?©e au circuit du Grand Ski-lift. Il hocha la t??te et ajouta : ??? Voyez-vous, Monsieur le directeur, je suis arriv?© hier et la curiosit?© m???a pouss?© vers l???esplanade d???o?? devraient partir les remont?©es. Croyez-moi, j???ai ?©t?© impressionn?© par l????©tat d???abandon. Je peux m??me vous dire que j???ai du mal ?  croire que ce que j???ai vu puisse ??tre une station de ski. Le directeur avait ?©cout?© en faisant des signes d???approbation continus. D??s qu???Oskar eut fini, il lui dit avec un demi-sourire : ??? Monsieur Zerbi, qu???est-ce que vous a vraiment racont?© votre ami ? Cela vous semblera peut-??tre ?©trange que le responsable d???une station de sports d???hiver pose ce genre de questions ?  un client, mais au-del?  de tout jugement, je dois quoi qu???il en soit reconna?®tre que pour le moment, il faut consid?©rer le t?©l?©ph?©rique comme ?©tant??¦ exp?©rimental. Cette version plut ?  Oskar ; il se sentait enfin tir?© d???une situation d???irr?©alit?© totale. ??? Cet ami, qui, je le r?©p??te, est passionn?© de montagne, a mentionn?© le nom de ce village. Maintenant, je ne me souviens plus pr?©cis?©ment s???il avait utilis?© votre installation pour rejoindre les pistes ou au contraire pour redescendre dans la vall?©e. Mais, d???apr??s ce que j???ai pu voir pour le moment, il me semble que c???est un d?©tail important. ??? Vous avez raison de souligner cet aspect. Il est plus probable que votre ami soit redescendu par notre t?©l?©ph?©rique. Voyez-vous, d???apr??s mes souvenirs, il ne me semble pas qu???un usager inconnu de moi soit pass?© par ici. Nous n???avons pour le moment utilis?© l???installation qu???avec les techniciens, pour les tests. Le directeur r?©fl?©chit un instant, comme pour mieux peser ses propos, puis il affirma ?©nergiquement : ??? Notre soci?©t?© a justement d?©cid?© d???ouvrir la liaison au public ?  partir de cet hiver ! ??? Alors je serai le premier touriste ?  utiliser l???installation ? ??? Pas tout ?  fait. Disons qu????  part les techniciens, trois ou quatre autres usagers sont mont?©s. Des personnes de confiance, croyez-moi. Son expression trahit son embarras, et il s???exclama : ???Je vous en prie, je ne peux rien vous dire de plus. Oskar pensa ?  son ami qui, d???apr??s ce qu???il comprenait, n????©tait pas du tout arriv?© aux plateaux d???altitude en partant de l???esplanade ; il semblait plus vraisemblable qu???il ait utilis?© le t?©l?©ph?©rique pour redescendre. Peut-??tre ?©tait-il arriv?© par hasard sur les plateaux en venant d???une autre station connue. Et, passant d???une installation ?  l???autre, il ?©tait s?»rement redescendu ensuite ?  Valle Chiara. Il se serait donc agi d???un ?©v?©nement fortuit : un ?©v?©nement singulier. Il imagina alors une arriv?©e dans la vall?©e totalement diff?©rente du sc?©nario de la veille, quand il ?©tait arriv?© sur l???esplanade aux derni??res heures d???un apr??s-midi pluvieux. ??motivement, une arriv?©e est bien diff?©rente d???un d?©part, m??me s???il s???agit de deux ?©v?©nements sp?©culaires, comme l???aube et le cr?©puscule. ??? Monsieur le directeur, je voudrais vous poser une question : vous avez ?©voqu?© des usagers choisis qui ont utilis?© l???installation pour monter ; vous m???avez ?©galement laiss?© entendre que d???autres personnes l???ont utilis?©e pour descendre. Un homme arriva de la pi??ce ?  c??t?© avec une cafeti??re et deux tasses pos?©es sur un plateau. ??? C???est exact ! confirma le directeur, l???expression s?©rieuse. Voyez-vous, Monsieur Zerbi, le t?©l?©ph?©rique est tout juste termin?©. L???installation consiste en cabines qui permettent le transport de deux passagers sans skis aux pieds. Il s???arr??ta un instant pour formuler une explication plus logique, puis poursuivit : ??? D???accord, Monsieur Zerbi, puisque vous insistez, vous allez devoir prendre conscience d???une situation d?©sagr?©able. Il est possible, donc, que le t?©l?©ph?©rique, apr??s sa mise en service, ait ?©t?© utilis?© frauduleusement pour emmener dans la vall?©e des personnes qui n???ont rien ?  voir avec le tourisme. Oskar ?©tait ?©tonn?© : ??? Que voulez-vous dire ? Vous voulez parler de mon ami ? ???Non, pas du tout ! Je suppose que votre ami a utilis?© l???installation de fa?§on correcte, apr??s une randonn?©e en altitude. Peut-??tre se sera-t-il trouv?© dans une situation de n?©cessit?©. Je faisais r?©f?©rence ?  un autre type de personnes, voyez-vous. Je parle des illegales qui s???introduisent sur notre territoire de fa?§on subreptice. Il but son caf?©, puis poursuivit ?  voix basse, d???un air circonspect. ??? Monsieur Zerbi, j???ai appris que pendant les tests, l???installation ?©tait remise en fonction la nuit, toujours en cachette??¦ et c???est ainsi que les clandestins ont commenc?© ?  descendre dans la vall?©e ; ils disparaissaient dans le bois d??s qu???ils descendaient des cabines, sur l???esplanade. Je crois qu???ils avaient corrompu les machinistes d???une mani??re ou d???une autre ; l???histoire circulait parmi les gens du village qui avaient remarqu?© des visages asiatiques dans la vall?©e. Les traits du directeur ?©taient maintenant alt?©r?©s. Apr??s un moment d???h?©sitation, il poursuivit l???expos?© de sa version des faits. ??? Bien, les nuits suivant cette d?©couverte, nous nous sommes mis en embuscade au d?©part, et nous avons surpris quelques illegales sur l???esplanade. C????©taient deux Asiatiques, Mongols, peut-??tre, qui ne parlaient pas un tra?®tre mot de notre langue, et il n???a donc pas ?©t?© possible de d?©couvrir la raison de ce trafic ?  Valle Chiara. ??? Qu???avez-vous fait ? ??? Rien. Je les ai laiss?©s partir. Du reste, qu???aurais-je d?» faire ? Appeler la police ? Il se leva, visiblement embarrass?©. ??? Monsieur Zerbi??¦ En somme, vous avez parl?© avec Ignazio, le patron de l???h??tel, au sujet de la naissance de cette initiative ? ??? Oui. Il a fait allusion ?  un inspirateur venu de Californie. ??? C???est cela, exactement, un Californien. Une personne de g?©nie, qui, selon moi, ne voulait pas seulement rendre service ?  son village d???origine, mais aussi mettre en ??uvre une exp?©rience complexe de d?©veloppement du territoire. ??? Une exp?©rience ? ??? Pr?©cis?©ment ! Selon moi, cette personne avait ?©tudi?© dans le d?©tail un probl??me relatif aux r?©seaux. Vous connaissez ces sciences avanc?©es qui ?©tudient analytiquement les syst??mes r?©ticulaires ? ??? Oui, un peu. Je devrais m??me ??tre plus au courant, vu que j???ai un dipl??me d???ing?©nieur. Mais ce sont des choses que l???on apprend ?  l???universit?© et que l???on oublie par la suite. ???Donc vous ??tes ing?©nieur. F?©licitations ! Moi, je ne suis qu???un expert-technicien, mais je me suis un temps int?©ress?© aux r?©seaux, juste par curiosit?©, sans avoir la possibilit?© d???approfondir. Eh bien, je crois que le promoteur de cette initiative, le pr?©c?©dent maire du village, poursuivait un projet scientifique. Je suis m??me s?»r qu???il le suit encore, de l???ext?©rieur. Comme on vous l???a peut-??tre dit, apr??s l???inauguration de la ?« connexion ?», comme il l???appelait, il a donn?© sa d?©mission et a quitt?© Valle Chiara pour toujours. Le directeur resta un instant pensif, puis ajouta : ??? Je me souviens bien du jour de l???inauguration, le maire avait h??te de s???en aller, comme s???il avait eu d???autres choses ?  faire. Le chantier s????©tait peut-??tre prolong?© au-del?  des d?©lais convenus. Ils rest??rent tous deux silencieux, l???homme s????©tait approch?© de la fen??tre d???o?? filtrait la m?©lancolique luminescence hivernale. Dehors, il bruinait. ??? Monsieur l???ing?©nieur, nous nous sommes ?©loign?©s de notre sujet. Je vous parlais des illegales qu???il aurait fallu d?©noncer. Vous aurez maintenant compris que cette installation n???est pas tout ?  fait en r??gle. Le projet a un nom vague, il a ?©t?© officiellement homologu?© comme ?« t?©l?©ph?©rique ?  usage professionnel pour le transport de mat?©riaux ?». ??? Je n???en comprends pas la raison, il s???agit d???un projet de la commune de Valle Chiara pour d?©velopper le tourisme ! Pourquoi tous ces myst??res ? ??? Je crois que nous touchons au point critique de toute l???affaire. ??coutez-moi bien, Monsieur. La vall?©e est trop bas, elle est ?  l????©cart des grandes cha?®nes de montagnes. Une installation touristique pour le ski au sens strict ne serait pas faisable. ??? Enfin ! Il me semble que c???est l?  le n??ud de l???affaire. ??? Le circuit du Grand Ski-lift est trop loin de la vall?©e. Sur la Sierra, il y a des milliers de villages qui, au fil du temps, se sont tous dot?©s d???une belle petite installation pour accueillir le tourisme hivernal. Avec le temps, les villages ont construit des liaisons transversales et ont cr?©?© les circuits de vall?©es ; les circuits de vall?©es se sont ?  leur tour rassembl?©s et ont donn?© naissance aux consortiums de la Sierra. On en est d?©j?  ?  parler de amas. Vous ??tes au courant de ces initiatives, Monsieur ? ??? J???ai lu des choses dans les publicit?©s des journaux. Il me semble qu????  certains endroits, on offre de longues travers?©es d???une vall?©e ?  l???autre en utilisant une sorte de super-forfait. ??? Exactement ! Ce sont des circuits de montagne avec des remont?©es interconnect?©es. Quand le Professeur est arriv?© au village pour assumer la charge de maire, il m???a embauch?© comme directeur des installations de Valle Chiara. Il m???a pr?©cis?©ment parl?© de ce Grand R?©seau et de la fa?§on dont il allait se d?©velopper. D???apr??s ses informations, les consortiums ?©voluaient toujours, et franchissaient les fronti??res nationales en int?©grant d???autres cha?®nes de montagnes, dans toutes les directions. En substance, il semble qu???en ce moment pr?©cis, personne n???a connaissance de l???extension r?©elle du r?©seau. Une immense toile d???araign?©e, avec des sous-r?©seaux p?©riph?©riques, des lignes abandonn?©es, des connexions sans issue, et ainsi de suite??¦ ??? Excusez-moi, Monsieur le directeur, mais pourquoi le maire, ou le professeur, comme vous dites, tenait tellement ?  relier le village ?  ce grand circuit ? ???Eh bien, je vous donne la version officielle qui a permis ?  l???initiative de voir le jour, avec l???accord des gens du village. La connexion au Grand Ski-lift allait ??tre une source de revenus pour cette vall?©e isol?©e. L'id?©e ?©tait donc de construire un t?©l?©ph?©rique jusqu???aux plateaux??¦ bien que les plateaux soient encore loin du Grand Ski-lift. Mais pour le maire, ce dernier point ?©tait sans importance dans le succ??s de l???entreprise. D???apr??s ses calculs, un flux de trafic jusqu???au Grand Circuit se cr?©erait spontan?©ment autour du terminal. Il serait une sorte ?« d???attracteur ?». Cette description laissa Oskar assez perplexe. ??? Une connexion ill?©gale au Grand Ski-lift??¦ Des gros sous, c????©tait ?§a, le projet ! ??? Plus ou moins. En r?©alit?©, notre installation s???arr??te sur le premier plateau, ?  plusieurs miles du glacier central. Il y a encore deux plaines d???altitude ?  traverser, et croyez-moi, cela n???a rien d???ais?©. D'autre part, vous vous rendez s?»rement compte de la valeur que peut avoir une voie d???acc??s au Grand Ski-lift. Vous y ??tes d?©j?  all?© ? ??? Non, jamais. ??? Des milliers et des milliers de pistes, de vall?©es recouvertes par la neige, d???h??tels, et un nombre inimaginable de structures de loisirs. Le tout ?  disposition des clients. ??? Mais il doit bien y avoir une proc?©dure de contr??le d???acc??s ?  ce Circuit ? demanda Oskar, abasourdi. Il doit falloir avoir une carte, il y a s?»rement des contr??les permanents de la part du personnel des remont?©es. ???Vous avez raison, mais cependant, d???apr??s les recherches demand?©es par le Professeur, le Grand Ski-lift est devenu au fil des ans un syst??me trop complexe. Je m???explique : il semble qu???il y ait actuellement des milliers de cartes en circulation, un type pour chaque village homologu?© par le Grand Ski-lift, et que chaque ann?©e plusieurs centaines de nouvelles cartes soient distribu?©es. Par ailleurs, le personnel de contr??le est r?©duit au minimum, ?  cause des frais de gestion. Oskar essaya de se souvenir des contr??les effectu?©s quand il allait skier, des ann?©es auparavant. Mais cela faisait trop longtemps qu???il n???allait plus ?  la montagne. C???est peut-??tre pour ?§a que ces vacances ?  Valle Chiara lui avaient fait envie. Il avait s?»rement besoin de se souvenir de choses qui s????©taient ?©vapor?©es de son ??me, et qui ?©taient peut-??tre li?©es au ski. Le directeur ouvrit un tiroir et en sortit une carte. ??? Nous aussi, dans la vall?©e, nous avons fait imprimer nos cartes. ??? Mais ce n???est pas ill?©gal ? ??? Pas vraiment, si l???on en croit les consultants que le maire avait sollicit?©s. Ce document a ?©t?© r?©dig?© de fa?§on ?  ne pas enfreindre la loi. C???est une carte avec le nom du village, voil?  tout. Oskar examina le petit morceau de carton color?© : ??? Je me souviens que pour acc?©der aux remont?©es m?©caniques il y avait des contr??les automatiques sur des bandes magn?©tiques. ???Ce n???est plus le cas, apparemment, les contr??les faits par des machines reviennent tr??s cher en entretien. C???est pour cela que le Grand Ski-lift ne peut pas exag?©rer avec les inspections, il faudrait pour cela un nombre excessif de contr??leurs et une for??t de dispositifs ?©parpill?©s sur la plus grande partie de l???h?©misph??re bor?©al. Oskar demanda encore au directeur le type de carte qu???ils avaient choisi ?  Valle Chiara : ils n???avaient fait imprimer que des cartes pluriannuelles. Un document de transit permanent, concr??tement : le summum de ce que le Grand Ski-lift pouvait offrir ?  un client. Oskar se leva. La logique de ce projet ?©tait d?©faillante et l???affaire tout enti??re ?©tait faite de bric et de broc. Mais il ?©tait r?©confort?© par ce qu???il avait d?©couvert : il s???agissait d???une installation ?« exp?©rimentale ?». Il fit une derni??re observation : ??? Pour r?©sumer, le maire pr?©c?©dent a voulu construire un t?©l?©ph?©rique non autoris?© aux abords du Grand Ski-lift, dans l???intention d???attirer un mouvement p?©riph?©rique vers la vall?©e. Une d?©rivation en mesure de s???int?©grer au Grand R?©seau avec le temps, en somme. C????©tait bien ?§a, le contenu du projet, n???est-ce pas, Monsieur le directeur ? Comme l???initiative en est encore ?  ses premiers pas, il est impossible de savoir si l???hypoth??se du maire est valable. D???apr??s ce que vous m???avez vous-m??me dit, on pourrait au d?©but constater un afflux ?©pisodique dans la vall?©e. Tr??s probablement des personnes ?©gar?©es ou en fuite, comme les Asiatiques, qui, une fois sur l???esplanade, s???enfuiraient dans le bois. Parce que c???est bien ce point qui reste obscur : l???id?©e n???est efficace que si ce programme touristique reste enti??rement clandestin. Vous ne trouvez pas ?§a contradictoire ? Vous me permettrez de vous dire qu???une structure touristique ne peut pas rester secr??te, par d?©finition. ???Votre raisonnement est irr?©prochable, Monsieur Zerbi, mais le maire pensait qu???il n???y avait pas d???autre solution. Au contraire, la clandestinit?© des d?©buts devait m??me devenir un atout, toujours d???apr??s les r?©flexions qu???il avait eues. Puis il regarda Oskar dans les yeux : ???Avez-vous id?©e du nombre de gens que brasse le Grand Ski-lift ? ??? Non, pas la moindre. ??? Eh bien, des millions de personnes, et pas uniquement des touristes. Le Circuit est maintenant devenu un gigantesque r?©seau dont personne ne conna?®t les limites. On dit qu???il existe des groupes ext?©rieurs qui se sont form?©s ?  l???insu des actionnaires, que des consortiums transnationaux sont en train de se constituer ; certains les appellent m??me les superamas. Quelque chose d???immense, o?? le ski alpin est devenu un ?©l?©ment mineur, peut-??tre m??me une simple fa?§ade. Dans le projet du maire, il suffit de s???approcher le plus possible du Circuit pour cr?©er mouvement et richesse dans la vall?©e. Le directeur s???interrompit un instant, puis affirma : ??? M??me si les clients potentiels devaient au d?©but ??tre des voyageurs perdus en montagne ! ??? Je vous remercie pour toutes ces informations, et, vu les circonstances, je vais r?©fl?©chir??¦ essayer de comprendre si c???est bien opportun de monter sur les plateaux. ??? Je comprends vos h?©sitations, Monsieur. Mais ce serait tout de m??me une exp?©rience importante, c???est du moins ce que pensait le maire, qui a ?©t?© le premier usager ?  tenter de rejoindre le point d???insertion dans le Grand Ski-lift. ??? Alors le maire a quitt?© la vall?©e en utilisant cette connexion ? Oskar posa sa question tr??s s?©rieusement. ???C???est exact, il est mont?©, sa carte autour du cou, et nous ne l???avons plus revu depuis. Du reste, il m???avait lui-m??me confi?© qu???il ne reviendrait plus ?  Valle Chiara. Prenant cong?©, Oskar serra la main du directeur. Dehors il ne pleuvait plus, il y avait un vent l?©ger qui arrivait du bois en bruissant. Il leva la t??te vers le ciel et entrevit le disque opaque du soleil passer d???un nuage ?  l???autre. Ce qui s????©tait dit dans le bureau du directeur l???avait jet?© dans un ?©tat de confusion. Il ne pouvait plus affirmer que la version de son ami ?©tait cr?©dible : celui-ci avait d?» se retrouver malgr?© lui au t?©l?©ph?©rique de Valle Chiara en arrivant d???une station d???altitude. Il avait probablement utilis?© dans un premier temps les installations du Grand Circuit, puis il avait d?» s????©loigner des pistes, et, skiant d???un refuge ?  l???autre, avait ?©chou?© sur cette connexion exp?©rimentale de Valle Chiara. Oskar devait prendre une d?©cision. Il ?©tait venu jusque-l?  pour passer ses vacances de No?«l, et pas pour affronter des situations limite. Il avait besoin de se changer les id?©es, besoin d???activit?© physique, c???est pour cela qu???il voulait se rendre dans une vraie station de sports d???hiver. Il ne pouvait pas rester ?  Valle Chiara, cet endroit n????©tait qu???un point marginal dans le domaine de la Sierra, une zone morte. Qu???il y ait derri??re cette installation une histoire ?©trange, fruit de l???esprit d?©lirant d???un maire ?  moiti?© fou, ne le concernait pas. Qu???est-ce que ?§a pouvait lui faire que cette remont?©e n???ait pas les autorisations pour se connecter au Grand Ski-lift ? Ou que Valle Chiara soit un village que le tourisme pouvait lancer ? D???apr??s ce qu???il avait pu comprendre, le directeur aurait quoi qu???il en soit fait fonctionner le t?©l?©ph?©rique pour l???emmener ?  ses risques et p?©rils sur les plateaux par une connexion exp?©rimentale. Il sentait maintenant qu???il avait perdu son enthousiasme d??s son arriv?©e sur l???esplanade. Et pourtant, il ?©tait arriv?© plein d????©nergie, et il lui avait m??me sembl?© un instant ??tre entr?© dans une nouvelle existence, loin de la grisaille qu???il avait laiss?© dans la Ville. Il faisait froid, on apercevait de nouveaux nuages charg?©s de pluie ?  l???horizon ; mieux valait s???abriter dans le bar de la place que Clara, la fille du patron, lui avait indiqu?©. Il entra dans le bar, peinant ?  ouvrir une petite porte vitr?©e ?  cause du bois qui frottait sur le sol ; ?  l???int?©rieur, quelques clients ?©taient assis autour de trois tables. On jouait aux cartes ?  deux d???entre elles, et ?  la une troisi??me on ?©coutait un vieil homme qui parlait en patois. Ils portaient tous un chapeau, bien que le local soit chauff?© par un ?©norme po??le de terre cuite plac?© dans un coin noirci par la fum?©e. Le gar?§on lui indiqua une table libre, en souriant. En savourant un verre de vin chaud, Oskar pensa que cette connexion exp?©rimentale ne pouvait pas ??tre une solution envisageable pour ses vacances de No?«l. Il ?©tait ?©vident que son ami lui avait donn?© de la situation une image qui, sans ??tre r?©ellement fausse, ?©tait simplifi?©e. Il y avait cependant des difficult?©s qu???il n???avait pas prises en consid?©ration ; ce n????©tait pas une excursion organis?©e comme celles que proposent les agences de tourisme. Il faut un temp?©rament affirm?© pour ce genre de vacances, alors que lui se retrouvait l?  dans un ?©tat d????©puisement qui ?©tait la cons?©quence des ann?©es v?©cues dans l???inconsistance. Son s?©jour ?  Valle Chiara ?©tait devenu paradoxal. L???information que lui avait initialement donn?©e son ami ?©tait peut-??tre incoh?©rente, pour ce que peut valoir un conseil sur une destination touristique hivernale, du moins. Du reste, il n???aurait pas pu pr?©tendre ?  des images pr?©cises sur les paysages qu???il allait trouver. C????©taient plut??t ses propres attentes qui lui semblaient maintenant d?©plac?©es. Qu???attendait-il de ces vacances ? Qu???est-ce qui avait pu susciter son enthousiasme initial ? Il ne s???attendait ?©videmment pas ?  arriver dans un village touristique ?  la mode, et encore moins ?  trouver un lieu organis?©. Il avait probablement imagin?© quelque chose de comparable ?  Valle Chiara, mais une fois sur place, tout lui avait sembl?© confus??¦ Sur la ligne du Pr?©sent, les couleurs d???origine de la vie apparaissent dans les intervalles, ces zones interm?©diaires entre un ?©v?©nement et l???autre. La veille, sur l???esplanade, il avait pris peur, il avait ressenti une grande solitude, sans aucune alternative. D???un certain c??t?©, il n???avait consid?©r?© que l???aspect ext?©rieur, une sorte de pellicule sur laquelle appliquer les images traditionnelles de No?«l. Il avait en revanche n?©glig?© son besoin d?????tre Reconnu et Accueilli par ses semblables. Apr??s les rites d???usage, il aurait pu d?©poser sa propre Structure, comme un lourd sac ?  dos, pour pouvoir se faire absorber dans le cadre. C???est cela, il avait imagin?© une danse de l???Accueil dans un village de montagne o?? il aurait ?©t?© Attendu. Il rentrerait en ville le lendemain, il n???avait plus envie, maintenant, de passer No?«l dans cette vall?©e perdue. Ses amis ?©taient en Ville ; le soir de No?«l, chez Joseph, il pr?©parerait une dinde farcie. Il avait des choses ?  faire, il pouvait passer quelques jours ?  mettre de l???ordre dans ses affaires avant de reprendre le travail. Il emm??nerait Elisa au th?©??tre, cela faisait un bon moment qu???ils n???y allaient pas. Un des clients se disputa avec son compagnon, mais apr??s quelques explications, il se remit ?  jouer en ronchonnant. Le gar?§on parlait avec un client. Une jeune fille entra par une porte lat?©rale, portant un plateau couvert de verres propres : bien que v??tue l?©g??rement, elle avait le visage ?©chauff?© ; elle rangea les verres sur les ?©tag??res et ressortit presque en courant par la porte lat?©rale. Quelques minutes apr??s, elle rentra ?  nouveau dans la salle en portant sur ses bras des b?»ches destin?©es au po??le. Oskar remarqua qu???elle faisait son travail avec concentration, les gestes s?»rs, sans jamais se laisser distraire par l???atmosph??re environnante. Cette particularit?© suscita en lui jalousie et admiration : il aurait aim?© ex?©cuter ces t??ches. Par la fen??tre, on voyait une neige mouill?©e qui, en tombant, fondait dans la boue de la rue. ??? Je savais que je te trouverais ici ! Oskar s????©tonna de conna?®tre quelqu???un dans ce village ?©tranger. Dans un ?©lan d???affection, il se leva et pris la jeune femme dans ses bras. ??? Je suis content de te voir ! Une m?©lancolie m???avait pris, ?  rester l? , tu sais. ??? Je suis d?©sol?©e. ??? Je ne sais pas, mon malaise vient peut-??tre de ce que j???avais des attentes diff?©rentes. Cette histoire de connexion avec le Grand Ski-lift m???a fait venir un tas de questions en t??te. ??? Je comprends ?§a ! s???exclama Clara, qui, se rappelant la rencontre du matin, lui demanda : ??? Que t???a dit le directeur ? C???est possible de monter aux plateaux avec la nouvelle installation ? ??? C???est l?  toute la question. Le directeur m???a assur?© que tout peut fonctionner. Au sens strict, l???installation a ?©t?© construite pour d?©velopper le tourisme, m??me s???il y a des doutes sur sa l?©galit?©. Mais d???apr??s lui, ce n???est pas un probl??me pour un usager. ??? Ne t???inqui??te pas, cette affaire n???est pas si importante que ?§a. Tu passeras quand m??me tes vacances avec nous. Je n???ai pas grand-chose ?  faire ?  cette p?©riode, les chasseurs ne viendront pas de tout l???hiver, au moins. Je t???accompagnerai faire de belles promenades, et, m??me s???il n???y a pas de pistes de ski, on passera un beau No?«l. Ces mots lui faisaient plaisir, et il regarda Clara avec tendresse. Cette femme lui plaisait. Quand ils rentr??rent ?  l???h??tel pour d?©jeuner, elle l???aida ?  d?©faire ses valises dans la chambre des grands-parents, o?? il avait d?©j?  dormi la nuit pass?©e. Elle alluma du feu dans la petite chemin?©e, qui n????©tait pas utilis?©e depuis des ann?©es : la pi??ce se remplit de fum?©e, et tous deux essay??rent alors de nettoyer le conduit en s???aidant du manche d???un balais. Dans la cuisine de l???h??tel, les propri?©taires avaient d?©j?  fini de manger. ??? Bonjour Monsieur Zerbi ! dit l???homme en souriant. Ma femme et moi pr?©f?©rons manger t??t, nous avons des horaires ?  respecter. Mais ne vous inqui?©tez pas, ma fille vous tiendra compagnie. ??? Alors, que dis-tu de rester ?  Valle Chiara pour No?«l ? lui proposa Clara apr??s le repas, tandis qu???elle mettait les assiettes dans l????©vier. ??? D'accord. Je n???ai pas encore pris ma d?©cision pour le t?©l?©ph?©rique qui monte aux plateaux??¦ honn??tement je ne m???attendais pas ?  ce que les choses soient si compliqu?©es. Mais je pense que je resterai encore quelques jours avec vous. Clara semblait heureuse de cette d?©cision. Mais lui ?©tait contrari?© : son programme initial pour les vacances de No?«l ?©tait compromis, et il se sentait d???autant moins enclin ?  prendre de nouvelles initiatives. Il ?©tait d?©courag?©, en somme, il voyait devant lui une trame tr??s serr?©e qui ne lui laisserait aucune libert?©. Il retourna dans sa chambre, l???esprit fatigu?©, et le cerveau piqu?© par des milliers d????©pingles. Il s???allongea sur le lit, fixant dans la p?©nombre les objets anciens ?©parpill?©s sur les meubles et accroch?©s aux murs, des objets de mauvais go?»t que, de toute ?©vidence, les propri?©taires avaient achet?© dans des foires de campagne. C????©taient des souvenirs qui n???auraient rien d?» signifier pour lui, mais que, conditionn?© par sa m?©moire, il sentait pourtant comme familiers, exactement comme la cuisine de l???h??tel. C????©tait la part ?« archa??que ?» de son ??tre. Tout commence dans l???enfance : sans aucune d?©fense, sans avoir la possibilit?© de choisir les situations favorables, par d?©finition. Le fait que les souvenirs ne soient s?©lectionn?©s qu???au cours de la ?« vie ?» ?©tait un fait qu???Oskar tenait pour un aspect ?©trange de l???existence. Cela voulait dire que l?????tre est enferm?© pour toujours dans une esp??ce d???aquarium. Une banalit?© ?  laquelle il n???avait jamais r?©fl?©chi s?©rieusement. Il avait parfois examin?© la possibilit?© de vies pr?©natales ou de r?©incarnations, mais il ?©tait convaincu qu???il s???agissait d????©vocations qui n???allaient pas au-del?  des explications sur le ?« d?©j?  vu ?». Il s???endormit et r??va qu???il glissait sur une longue vague, parfaitement lisse, sans la moindre strie. C????©tait certainement un r??ve important, dont il ne voulait pas se d?©tacher, il s???agissait peut-??tre d???un Arch?©type incarn?© dans des signaux purs, comme le mouvement ondulatoire, par exemple. Quand il ouvrit les yeux, il faisait encore nuit noire, la pi??ce lui apparut ?  la seule clart?© irr?©guli??re des braises de la chemin?©e. Il se sentait ?©puis?©. Il regretta d???avoir quitt?© la Ville, m??me s???il se rendait compte qu???il y vivait mal, noy?© dans l???inutilit?© qui lui avait rong?© l?????me. Il ?©tait malade depuis trop longtemps, du reste, pour pouvoir esp?©rer une r?©surrection et, pour survivre, il avait abus?© des ?©motions, qui avaient fini par se d?©former. Il d?©cida donc qu???il rentrerait en Ville le lendemain. Il ne pouvait pas rester dans cet h??tel ?  mendier la compagnie de la fille des propri?©taires, qui s????©taient peut-??tre entendus entre eux pour ne pas le laisser seul. Clara ?©tait charmante, ou du moins elle lui paraissait charmante dans ces circonstances. Il lui semblait qu???elle vivait une vie plut??t compacte, de celles o?? les pens?©es existent ?  l????©tat solide. L???id?©e d???acc?©der au Grand Ski-lift ?©tait maintenant devenue un exploit hors de sa port?©e. Oskar n????©tait plus en mesure d???emprunter seul le t?©l?©ph?©rique, et encore moins de passer la nuit en altitude dans un chalet d???alpage perdu. Il pensa qu???il en serait certainement mort, an?©anti par une immensit?© qu???il ne pouvait assimiler. Malgr?© sa fragilit?©, il oubliait parfois son mal-??tre et r??vait de parcourir le vaste monde, seul, sans destination pr?©cise, comme aurait pu le faire n???importe quel sage capable d???identifier les infinies nuances de la libert?©. Il ?©tait maintenant tout ?  fait r?©veill?©, et ne se sentait plus fatigu?©. Ses yeux s????©taient habitu?©s ?  la p?©nombre, la chambre commen?§ait ?  lui procurer une sensation de bien-??tre, car il ?©tait allong?© sur une surface sur laquelle glissaient les sentiments de s?©curit?© et de continuit?© : un lieu lunaire, la Mer de la Tranquillit?©. Clara ouvrit lentement la porte, s???approchant du lit pour v?©rifier si Oskar dormait : en le voyant les yeux ouverts, elle sourit et lui posa une main sur le front. ??? Je suis venue il y a un bon moment pour t???emmener aux sources voir le coucher de soleil. Tu te plaignais dans ton sommeil, tu as d?» faire un cauchemar. ??? C???est vrai ? ??? Tu avais le front br?»lant, dit-elle ?  voix basse. ??? Quelle heure est-il ? ??? Presque minuit. Oskar fut surpris, il devait ??tre tr??s fatigu?© pour avoir dormi autant. Mais il se sentait mieux. Ils trouv??rent une lampe ?  p?©trole et l???allum??rent, puis s???assirent pr??s de la chemin?©e, restant l???un ?  c??t?© de l???autre devant le feu, sans rien dire. Ce fut Oskar qui rompit le silence : ??? Qu???est-ce que tu faisais, quand tu ?©tais en Ville ? ??? J????©tais inscrite ?  l???Acad?©mie des Beaux-Arts, et tant que je faisais mes ?©tudes, je me suis amus?©e. J???avais plein d???amis, j???ai m??me jou?© dans un bar, j???aime la musique. ??? Bien ! Bravo, tu ne pouvais pas faire mieux. Et qu???est-ce qu???il s???est pass?©, ensuite ? Clara se fit s?©rieuse, s???installa plus confortablement dans son fauteuil. ??? Les probl??mes sont apparus quand j???ai commenc?© ?  travailler. Le travail est quelque chose d???incompr?©hensible, en Ville. Je crois qu???il n???y a que tr??s peu de gens qui comprennent comment cela fonctionne. ??? Je pense que tu as raison, le travail est une chose vraiment myst?©rieuse??¦. Et tu es donc rentr?©e ?  Valla Chiara ? ??? Bien s?»r. Quel sens ?§a avait de rester en Ville ? J???aurais fini par avoir une existence plate. C????©tait vrai, pensa Oskar. Par certains aspects, les impressions de Clara n????©taient pas tr??s diff?©rentes des siennes. ??? Toi, par contre, tu es ing?©nieur, pas vrai ? O?? travailles-tu ? ??? ?? la H.M.C. comme expert des mat?©riaux. ??? ??a doit ??tre int?©ressant, comme travail. ??? Assez. Mais les derniers temps, j???ai trop travaill?©, c???est pour ?§a que je suis en vacances. Il y avait une place qu???il connaissait bien, en Ville, et c???est l?  qu???il avait retrouv?© un homme qui ne lui avait pas propos?© de partir en vacances, mais??¦ de s???ins?©rer dans le Grand Ski-lift, comme si c????©tait un travail ?  accomplir. Clara se tourna vers lui et lui posa d?©licatement une main sur le front, et le caressa. ??? Je sais tout. J???ai compris que quelque chose n???allait pas d??s que je t???ai vu dans la salle ?  manger. Je me suis int?©ress?©e ?  toi parce que j???ai pens?© que tu avais besoin de quelqu???un. Ils s???embrass??rent longuement, puis s???endormirent dans les bras l???un de l???autre. Il se r?©veilla en sursaut. La jeune femme dormait. Clara lui sembla tr??s belle, il sentit qu???il s???attachait. Cette pi??ce pleine de souvenirs de famille lui plaisait, et il aimait parler avec Clara : il ne se sentait plus seul, et ressentait m??me quelque chose de plus essentiel, la Protection. Le lendemain, ils partirent se promener dans la for??t, le soleil apparaissait de temps ?  autres entre deux nuages, et ses rayons illuminaient alors le paysage ; puis il disparaissait ?  nouveau, laissant les arbres dans une p?©nombre opaque. Oskar et Clara pass??rent quelques jours ensemble. La nuit, ils parlaient longuement dans la chambre des souvenirs, puis ils s???endormaient, enlac?©s. Un jour ils all??rent jusqu????  l???esplanade du t?©l?©ph?©rique. C????©tait le matin, la lumi??re ?©tait forte, Oskar regarda les c??bles d???acier monter au-dessus de la for??t : on voyait les petites cabines ?©merger apr??s une deuxi??me cr??te, puis, de plus en plus haut, les c??bles s???enfiler dans un passage qui disparaissait contre le ciel. On devinait que l???installation continuait ensuite ?  monter pour atteindre une altitude invisible de l? . Mais, aussi loin que portaient les yeux, on n???apercevait aucune trace de neige, ?  l???exception de quelques taches blanches pr??s des buissons. Il n????©prouva aucune r?©pulsion, cette fois-ci, et observa m??me avec curiosit?© la cha?®ne interminable de pyl??nes qui s????©tirait le long des pentes de la montagne. De leur point d???observation, l???existence des plateaux semblait invraisemblable...L???installation ressemblait ?  une ?©chelle magique pour s????©lever vers le Ciel, et Oskar ?©mit l???hypoth??se que son promoteur avait peut-??tre voulu ouvrir une esp??ce de trappe vers un autre Monde. Il pensa qu???en cet instant, il aurait pu monter seul sur les plateaux ; mais au village, il avait rencontr?© Clara, la fille du propri?©taire de l???h??tel. Il la prit dans ses bras : ??? Clara, je t???aime. ??? Tu vas rester encore quelques jours ? demanda la jeune femme en souriant. ??? Tu sais, maintenant que je te connais, j???aime cet endroit. Mais oui, Valle Chiara est un endroit magnifique ! s???exclama-t-il. Ce soir-l? , le coucher du soleil le surprit alors qu???il ?©tait derri??re l???h??tel, ?  fendre du bois. Les eaux d???un ?©tang tout proche s????©taient teint?©es de rouge. En levant les yeux, il vit les murs de la maison, les fen??tres, les pots de fleurs et les tuiles s???envelopper d???une lumi??re feutr?©e. ?? l???est, le ciel mourait dans des langues de feu, et de l???autre c??t?©, l?  o?? le soleil se couchait, le paysage hivernal s????©tait illumin?© de fa?§on presque imp?©rieuse. Il entendit un par un les bruits de la vall?©e : les aboiements d???un chien, le cri d???un enfant, des coups de marteau sur une planche de bois, une charrette qui s????©loignait??¦ il pensa alors qu???elle devait d?©j?  ??tre ailleurs. Elle devait s?????tre arr??t?©e, ?  certains bruits. C????©tait le monde, quoi qu???il en soit, et il tournait. Ce qu???il voyait et entendait ?©tait-il le r?©sultat d???un fonctionnement ? Oui, il se souvenait parfaitement qu???un jour il avait ?©crit quelque part : Le Monde existe parce qu???il fonctionne. Ce n????©tait pas le vers d???une po?©sie, mais un aphorisme par lequel il avait commenc?© une recherche scientifique, peut-??tre r?©volutionnaire, qu???il avait bizarrement oubli?©e. Il ne se rappela de rien d???autre. Il voyait peu les propri?©taires ?  l???h??tel, il mangeait en g?©n?©ral avec Clara apr??s que le patron et sa femme ?©taient all?©s se coucher. Il ?©tait s?»r qu???ils en avaient parl?© entre eux et qu???ils avaient d?©cid?© d???encourager l???idylle. Oskar pr?©sentait bien, il ?©tait citadin, il travaillait dans un cadre professionnel. Tout ?©tait en r??gle. Ce soir-l?  aussi, en entrant dans la cuisine, Oskar remarqua que les propri?©taires l???avaient d?©j?  quitt?©e. La jeune femme mettait la table avec une expression concentr?©e, trop s?©rieuse. ??? L???autre jour, tu m???as dit que tu m???aimes. Oskar s???approcha, lui prit les deux mains en murmurant : ??? Avec toi, je suis heureux. ??? Qu???est-ce que tu veux dire ? Tu crois que tu pourrais vivre avec moi ? ??? Pendant les quelques jours pass?©s ici, j???ai pens?© ?  rester dans la vall?©e pour toujours, parce que je suis serein ici. Ce soir, j???ai vu le coucher du soleil. Dans la Ville, il n???y en a pas. La jeune femme ne dit rien, mit le couvert, et tous deux s???assirent pour manger. ??? Je pense que je pourrais ??tre heureux avec toi, r?©p?©ta enfin Oskar. Quand il eut fini de manger, il se versa ?  boire. Il resta absorb?© dans ses pens?©es, sans rien dire. Clara l???avait ?©cout?© attentivement, mais avec une expression qui ne lui ?©tait pas habituelle. ??? Alors tu serais pr??t ?  rester ?  Valle Chiara ? lui demanda-t-elle, et, hochant la t??te, elle ajouta : ??? Je ne te demande pas de quitter la Ville et ton travail. Il vit une forte d?©termination dans son regard. Clara acceptait donc l???id?©e de se mettre avec lui, mais l???id?©e de rester dans la vall?©e ne lui plaisait pas. ??? Je croyais que ta vie ici te plaisait bien. ??? Oui, c???est vrai, dans un certain sens. Tu vois, seule, je pr?©f??re rester l?  o?? je suis n?©e. Mais dans le cas d???un mariage, c???est diff?©rent??¦ je ne trouve pas ?§a bien de vivre ici, isol?©s. Il sourit un instant ?  l???id?©e que Clara pensait au mariage, puis s????©cria : ??? Tu m???as dit que quand tu m???as vu la premi??re fois j???avais un air abattu... Eh bien, je suis arriv?© ici ?©puis?©, parce que je vivais mal en Ville. ??? Mais moi je te tiendrais compagnie ! Les fa?§ons directes de la jeune femme troublaient Oskar. Ils rest??rent silencieux quelques minutes. Il se sentit comme quand il ?©tait arriv?© sur l???esplanade de l???installation, le premier soir : un paysage d?©sol?© s????©tait form?© dans cette cuisine. ??? Qu???est-ce que tu trouves d????©trange ?  ma proposition ? Tu es un homme m?»r, maintenant, tu as peur de la solitude, et moi, je te tiendrais compagnie. Quand je t???ai vu dans la salle ?  manger, tu avais l???air perdu, et j???ai d?©cid?© de t???aider, je t???ai introduit dans ma famille, je t???ai m??me log?© dans la chambre de mes grands-parents. Tu ne vois pas que je t???ai aid?© en te faisant vivre dans une atmosph??re chaleureuse ? Avec des objets familiers qui t???ont aid?© ?  ne pas te sentir seul. Eh bien, j???ai ?©t?© utile ! Tu ne crois pas ? J???ai jou?© un r??le important, que seules les femmes peuvent jouer, avec leur douceur inn?©e. Ce discours sembla logique ?  Oskar, mais il eut cependant la sensation que quelque chose d???important y manquait. Elle sourit, et ajouta : ??? Tu vois, c???est bien d?????tre sinc??re dans les rapports humains. Il n???y a rien de magique dans la vie en commun. Je crois que j???ai pr?©sent?© la situation sous ses aspects concrets. Il dut reconna?®tre que Clara avait correctement pos?© le probl??me, mais il relevait de la Tradition, qu???il fuyait. ??? Ce que tu as dit sur la solitude est vrai, et je te f?©licite d???avoir compris mon ?©tat d???esprit. Ce n???est malheureusement pas qu???une question de solitude, il s???agit de quelque chose de pire : je vis dans l???isolement. ??? De quoi t???occupes-tu en Ville ? Si je ne suis pas trop indiscr??te??¦ Oskar r?©fl?©chit avant de r?©pondre. Il n???avait jamais ?©t?© lucide sur ce sujet. D???une voix mal assur?©e, il essaya de l???expliquer d???une phrase : ??? Je crois que je fais un travail inutile. Il se leva pour prendre la chope de bi??re pos?©e sur le buffet, retourna ?  sa place, et ajouta : ??? Quelques fois, j???ai ?©t?© jusqu????  penser que mon travail n????©tait m??me pas utilis?©. Des feuilles de papier qu???on pose sur des ?©tag??res et qu???on br?»le quelques mois apr??s. Oskar remarqua des signes de fatigue sur le visage de la jeune femme, et dit alors : ??? Quand je suis arriv?© sur l???esplanade du t?©l?©ph?©rique je me suis rendu compte que j???avais commis une erreur??¦ et je me suis senti perdu. Mais quand je t???ai vue ici, ?  l???h??tel, j???ai cru que tu allais pouvoir me sauver. ??? Te sauver de quoi ? ??? C???est difficile ?  expliquer. Peut-??tre que j???ai pens?© que tu avais la solution ?  port?©e de main??¦ ??? C???est ?©trange, j???ai pens?© la m??me chose ! s???exclama Clara. La connexion Oskar ?©tait sur l???esplanade du t?©l?©ph?©rique, avec un sac ?  dos de montagne et ses skis. Un l?©ger vent froid, qui soufflait du nord, avait balay?© les nuages pendant la nuit. Le directeur avait accueilli sa demande avec satisfaction ; apr??s lui avoir remis une carte pluriannuelle du Grand Ski-lift, il n???avait demand?© que quelques heures pour effectuer les derniers contr??les sur l???installation. Oskar monterait sur les plateaux avec un guide qui l???accompagnerait en altitude, jusqu???en bordure des pistes : c????©tait un homme de la vall?©e, jeune, trapu, qui avait lui aussi un sac ?  dos sur les ?©paules, et un bonnet de laine. ??? Bonjour, Monsieur l???ing?©nieur, je m???appelle Mario. Le directeur m???a charg?© de vous accompagner jusqu???aux plateaux. ??? Bien. Quand penses-tu que nous pourrons partir ? ??? Le machiniste a t?©l?©phon?© au bureau pour dire que tout ?©tait pr??t. On peut d?©j?  entrer dans la cabine. D???une petite fen??tre de la baraque du d?©part, un homme fit un signe de la main. On entendit les moteurs ?©lectriques se mettre en marche. L???installation ressemblait ?  un man??ge qui s????©tirait vers le haut, ?  perte de vue. Les deux hommes mont??rent dans une cabine ovale et s???assirent l???un en face de l???autre, sur deux strapontins de plastique. Le guide ferma la porte d???une secousse, et la cabine commen?§a son ascension. ??? Si j???ai bien compris, cette installation arrive jusqu???aux plateaux, fit Oskar, pour dire quelque chose. ??? Oui, Monsieur. ??? Et le circuit du Grand Ski-lift est encore loin, apr??s ? ??? Il faut traverser le plateau jusqu????  un col, puis on descend dans une cuvette : une des pistes p?©riph?©riques du Grand Ski-lift passe de l???autre c??t?©. Disons qu???il faudra partir demain ?  l???aube pour arriver en bordure du Circuit apr??s midi. Oskar regardait vers le haut, vers le dernier pyl??ne visible qui brillait d???une lumi??re particuli??re. Au fur et ?  mesure que la cabine montait, le panorama du fond de la vall?©e se d?©voilait dans son immensit?©. De cette hauteur, le village n????©tait d?©j?  plus qu???une tache de maisons marron d???o?? montaient des rubans de fum?©e. Une fum?©e qui, en altitude, semblait se fondre dans une aur?©ole ?©vanescente qui flottait sur la vall?©e tout enti??re. Lentement, une for??t de conif??res ?©mergea, s????©tendant ?  perte de vue, envahissant presque tout le champ de vision ; le village ?©tait maintenant de la dimension d???un petit rectangle irr?©gulier. Un cadre d???une beaut?© remarquable, qui devait avoir frapp?© son ami, redescendant dans la vall?©e apr??s avoir laiss?© le Grand Ski-lift derri??re lui. La cabine arriva au dernier pyl??ne visible, et la nu?©e disparut, r?©v?©lant un monde vierge aux couleurs vives. Oskar ?©tait entr?© dans un univers ?  haute r?©solution, incroyablement lumineux. On apercevait, encore plus haut, le ruban blanc des glaces ?©ternelles. En bas, Valle Chiara ?©tait condens?©e en une tache rouge??tre entour?©e d???une ?©norme for??t ?  la parure d???hiver ; de l???autre c??t?©, alors que la cabine montait toujours, les grands massifs de la Sierra apparaissaient lentement sur la ligne de l???horizon. Une ?©tendue de neige de plus en plus uniforme courait sous la cabine, alors que les conif??res se clairsemaient avec l???altitude, jusqu????  ce que la v?©g?©tation ne disparaisse compl??tement pour c?©der la place ?  un manteau blanc. Un manteau blanc absolu. Oskar vit enfin les plateaux. Il s???agissait probablement d???alpages de haute montagne qui s????©levaient doucement jusqu???aux pieds de deux cimes pointues, entre lesquelles on apercevait un autre pyl??ne, peut-??tre le dernier. Il montra ?  son guide le point sur l???horizon : ??? C???est l???arriv?©e ? ??? Pas encore. Nous traversons le premier plateau, qui finit sous ces sommets. Puis le deuxi??me plateau commence apr??s ce pyl??ne, et la baraque d???arriv?©e est au bout de celui-l? , r?©pondit le guide. Oskar ?©tait curieux de voir le type de paysage qui allait appara?®tre derri??re le col, dont ils s???approchaient rapidement. Ils quitt??rent le premier plateau dans une secousse, puis la cabine passa au-dessus d???une esp??ce de cuvette ensevelie sous la neige ; le ciel ?©tait d???un bleu extr??me, irr?©el. Il sentit une distance impossible ?  combler entre lui et la Ville, les lieux de la peine, les visages souffreteux de ses relations. L???image de Clara s????©tait enti??rement r?©sorb?©e dans une immense tache verte qui s???aplatissait contre la ligne d???horizon. Du monde de l???h??tel, de la fille de son propri?©taire, il ne restait que des figurines imaginaires, qui rejoignaient un paysage enfantin, anim?© d???une vache qui paissait, d???un cochon, de poules, et de la fum?©e qui sortait des chemin?©es des maisons aux balcons fleuris??¦ Il ne restait rien d???autre. Le trajet en t?©l?©ph?©rique, interminable, s???acheva enfin ; le froid ?©tait p?©n?©trant, l???air l?©ger. Un homme, le machiniste, probablement, vint ?  leur rencontre. ??? Bonjour, Monsieur Zerbi. On m???a averti par t?©l?©phone que vous arriveriez avec un guide. ??? Bonjour, r?©pondit Oskar. Puis, regardant autour de lui, il ajouta : ??? Vous ??tes vraiment tranquille, dirait-on ! Le machiniste hocha la t??te : ??? ??a, pour la tranquillit?©, je ne peux pas me plaindre. Mais je pr?©f??rerais ??tre au village avec ma famille. L???hiver, les nuits sont longues, ici. Oskar pensa que dans le fond, les gens simples disent toujours les m??mes choses. Ces phrases ?©l?©mentaires dans lesquelles les mots sont li?©s par le bon sens, une esp??ce de barri??re de protection de l???esp??ce. L???arriv?©e ?©tait une construction de b?©ton arm?©, prot?©g?©e par une ligne de sommets. Vers l???ouest, ?  quelques centaines de m??tres de la construction, il y avait un autre col d???o?? on acc?©dait au dernier plateau ; il s???agissait probablement de la cuvette mentionn?©e par le guide, celle qu???ils traverseraient ?  pied le lendemain, jusqu???aux pistes p?©riph?©riques du Grand Ski-lift. Le machiniste actionna une sonnette et le bruit des moteurs de l???installation cessa aussit??t. Un grand silence tomba. ??? Je vous accompagne ?  vos chambres, dit le machiniste en indiquant un escalier de bois qui conduisait ?  un long couloir. Ce n???est pas vraiment un refuge, ici, mais le directeur a fait am?©nager deux petites chambres pour les skieurs de passage. La chambre attribu?©e ?  Oskar ?©tait chauff?©e par un po??le ?©lectrique s?»rement allum?© depuis peu ; la petite pi??ce ?©tait encore glac?©e. Le plafond bas reposait presque sur le mobilier compos?© de lits superpos?©s en fer, de deux chaises et d???une table supportant une bougie. La vitre de la petite fen??tre ?©tait couverte d???une mince couche de glace transparente qui d?©formait la vue que l???on avait de l???ext?©rieur : on aurait dit qu???un oc?©an bleu ondoyait, chaotique. ??? Mettez-vous ?  l???aise, il n???y a pas grand-chose ?  faire, ici. La salle ?  manger est en bas, il y a une chemin?©e. On mangera t??t, si ?§a ne vous d?©range pas, mettons ?  sept heures. Oskar pensa que le machiniste devait ??tre aigri par la vie solitaire qu???il menait. Peut-??tre l???homme aurait-il ?©t?© encore plus malheureux au village, aux c??t?©s d???une vieille ?©pouse. Il n???avait vu personne de gai, ?  Valle Chiara, les gens marchaient en g?©n?©ral en silence, l???air bris?©. Il se rappela des Mangeurs de pommes de terre de Van Gogh. Il faisait froid dans la pi??ce, aussi posa-t-il ses bagages pour sortir aussit??t ; le soleil brillait encore. Derri??re la construction de b?©ton, au nord, le paysage ?©tait born?© par les cimes des montagnes, qui emp??chaient de voir les territoires du Grand Ski-lift. Au sud, par contre, un demi-cercle blanc s????©tendait, coup?© en deux par les c??bles d???acier du t?©l?©ph?©rique qui arrivaient en faisant une saillie de la vall?©e qu???il avait quitt?©e. Il se rendait compte que, de l???esplanade de Valle Chiara, il n???aurait jamais pu imaginer trouver en altitude un spectacle naturel aussi imposant. Il ?©tait sans aucun doute entr?© dans un autre monde. Il n???aurait pas ?©t?© ?©tonn?© si, au coucher du soleil, deux lunes s????©taient lev?©es. Il se trouvait dans le territoire des monts de la Sierra, en bordure du Grand Circuit. Un endroit encore vierge. Oskar n???avait qu???une connaissance vague de la g?©ographie, et il n????©tait encore jamais venu dans cette r?©gion. Cela faisait d???ailleurs plusieurs ann?©es qu???il n???allait plus ?  la montagne : c????©tait une activit?© exigeante, pour laquelle il fallait un ?©tat d???esprit favorable. Enfant, il allait souvent skier, mais c????©tait une autre ?©poque, ant?©rieure aux grands Attachements au sein desquels la Chaleur lui montrait les traces qu???il devait suivre. C????©tait comme si, ?  cette ?©poque, sa conscience n???avait ?©t?© sensible qu???aux infrarouges. En fait, face aux myst?©rieux champs de neige, il avait toujours ressenti une sensation d????©garement, se demandant, en proie ?  une sensation de myst??re : ?« Que peut-il y avoir derri??re ces sommets ? ?» Il fut encore une fois sid?©r?© par le panorama grandiose des plateaux, immenses et sans limites : pour lui, ces lieux auraient aussi bien pu avoir ?©t?© mont?©s la nuit pr?©c?©dente par de myst?©rieux architectes. Le soleil ?©tait bas, effleurant ?  peine le manteau neigeux ; les plaques de glace brillaient sous la lumi??re qu???il r?©fl?©chissait. Le paysage p?©n?©tra avec force dans le cerveau d???Oskar, et balaya toute la m?©lancolie accumul?©e dans les petites rues boueuses de Valle Chiara, dans lesquelles il avait subi l???envo?»tement d???un Arch?©type. La salle ?  manger du machiniste avait ?©t?© confortablement am?©nag?©e, il y avait quelques meubles de bonne facture. Une grande chemin?©e ?©tait allum?©e sur le c??t?©. La table ?©tait mise, le machiniste annon?§a qu???il avait pr?©par?© un rago?»t de viande : ??? Du gibier, d?©clara-t-il, l???air satisfait. Il y a beaucoup de cerfs par ici, les bois sont pleins d???animaux parce que plus personne ne vit ici, sur la Sierra, ajouta-t-il. ??? Tu veux dire qu???il n???y a pas ??me qui vive aux alentours ? demanda Oskar. ??? Ces sont des zones d?©peupl?©es, maintenant ! L????©levage a ?©t?© abandonn?©, les montagnes sont retourn?©es ?  l????©tat sauvage. Pas vrai, Mario ? Au signe d???assentiment du guide, il poursuivit : ??? Il y a quelques ann?©es, des touristes venaient l????©t?© pour des randonn?©es, mais ?§a a ?©t?© une mode passag??re, c???est trop dur, la montagne. Ils allaient aussi loin qu???une jeep pouvait se tra?®ner, mais le gouvernement les a interdites, parce qu???elles perturbent le Grand Ski-lift. ??? Pas de mouvement, donc, par ici. Mais la construction de l???installation am??nera s?»rement des touristes ! affirma Oskar pour dire quelque chose, bien qu???il conn?»t d?©j?  la r?©ponse. Le machiniste m??chait son fromage, mais il r?©pondit quand m??me, la bouche pleine : ??? Pour ce que j???en sais, ils sont en train de faire une p?©riode d???essai. Il n???y aura en tout et pour tout qu???une dizaine de personnes qui sont pass?©es jusqu????  aujourd???hui. Un peu ?  la mont?©e, dont le maire, et le reste ?  la descente. Certains viennent du Grand Ski-lift, en g?©n?©ral des skieurs perdus en hors-piste -l???homme se mit un nouveau morceau de fromage ?  la bouche- mais les illegales sont arriv?©s presque tout de suite, ils prenaient les cabines d???assaut d??s qu???elles avaient pass?© le col. ??? C???est-? -dire ? Oskar ?©tait intrigu?©. ??? Eh bien ces singes-l?  s???agrippaient aux cabines en se jetant des pyl??nes, et puis, avant d???arriver dans la vall?©e, ?  l???endroit o?? le c??ble passe en tra?®nant presque au sol, ils se jetaient dans les arbres de la for??t. ??? Qu???est-ce que vous avez fait ? ??? Nous avons arr??t?© les installations qui tournaient ?  vide toute la journ?©e pour attirer les touristes, c???est du moins ce qu???esp?©rait le directeur. Mais avec ces Asiatiques qui rodent dans la Sierra, toutes les voies de communication doivent ??tre attentivement surveill?©es. ??? Il y a vraiment des clandestins partout ! Oskar hochait la t??te. ??? Ces maudites gens sont partout. Je les entends m??me la nuit : ils tournent autour de l???installation et m??me les temp??tes ne les arr??tent pas, quelques fois j???en trouve un mort, gel?©, sous les pyl??nes. Le machiniste avait mis les petits plats dans les grands, sans rien oublier. ??? Pour ce qui est de boire et de manger, je n???ai pas ?  me plaindre. Mais je suis mieux au village, avec ma famille. ??? Mais alors, excusez-moi, pourquoi avez-vous accept?© ce poste ? demanda Oskar. ??? J???avais besoin de travailler. Et puis je ne pensais pas que la vie serait si dure, ici, sur la Sierra. Le guide ne disait rien, il s????©tait install?© devant le feu et fumait sa pipe. ??? Vous n???aimez pas ??tre seul, alors ? ??? Ah non, vraiment pas. Quand les nuits sont tranquilles, ?§a va, bien s?»r, mais vous devriez voir ce que c???est quand ?§a tourne ?  la temp??te. On dirait que toutes les ??mes du purgatoire frappent ?  votre porte. L???homme continua une bonne heure encore ?  parler de ses probl??mes ; sa crainte v?©ritable ?©tait d???avoir un malaise pendant une temp??te, de nuit, et de mourir seul. Oskar pensa que pour lui, le meilleur endroit devait ??tre le bar du village, o?? il pouvait jouer aux cartes avec ses amis. Il se rendit compte qu???il ?©prouvait un sentiment de r?©pulsion ?  l????©gard du machiniste, ?  cause de son indigence sournoise ; quelque chose qui remontait ?  tr??s loin. Il devait cependant surmonter cet ?©tat d???esprit n?©gatif par la ?« compassion ?». Mais c????©tait impossible ?  ce moment, le machiniste transmettait des ?©motions d???un type traditionnel : un mur qu???Oskar essayait d???abattre. Il resta donc silencieux, ?©coutant les plaintes de l???homme qui avait juste besoin de parler, sans ?©couter de r?©ponses. Pendant ce temps, le guide s????©tait endormi devant le feu. Allong?© sur sa couchette, Oskar passa une mauvaise nuit, ?  cause du froid. On frappa ?  sa porte aux premi??res lueurs de l???aube. ??? Monsieur Zerbi, courage, habillez-vous ! Nous devons y aller, dit le guide gentiment, mais d???une voix r?©solue et autoritaire. Il se leva p?©niblement, et s???habilla en toute h??te. Il ?©tait ?©mu, il se rendait compte qu???il ne s???agissait pas d???une banale randonn?©e en montagne. Il y avait quelque chose de plus essentiel, qui ne transparaissait pas encore du projet g?©n?©ral du promoteur de l???installation. Ils burent tous les deux un caf?© noir, alors qu???on devinait par la fen??tre la lueur enchant?©e de la lumi??re de l???aube. Le machiniste leur dit que pendant la nuit, la temp?©rature ?©tait tomb?©e bien en-dessous de z?©ro ; puis il les accompagna jusqu????  la lourde porte qu???il lui fallut presque ouvrir ?  coups d????©paule, ?  cause du gel. Mario s????©tait mis une coiffe de fourrure et, pour la premi??re fois, Oskar remarqua qu???il avait les cheveux rassembl?©s en une queue de cheval. Il semblait diff?©rent de l???homme de la vall?©e que le directeur lui avait envoy?© la veille au matin, il ressemblait maintenant ?  un animal sauvage qui aurait enfin retrouv?© sa libert?©. Le guide se mit en chemin d???un pas d?©cid?© : ??? ??a va, comme allure, Monsieur ? Puisque l???homme lui avait adress?© la parole, Oskar lui demanda : ??? Qu???est-ce que tu penses de ce type ? ??? Qui, Franz, l???employ?© de l???installation ? C???est le r??leur de service, comme beaucoup au village. Il se plaint tout le temps. J????©tais l? , le jour o?? il s???est quasiment mis ?  genoux devant le maire pour avoir ce boulot. Il avait m??me dit que plus les endroits o?? on le mettrait seraient isol?©s, mieux il s???en trouverait, vu que sa femme est vieille et qu???elle sent mauvais. ??? C???est ce que j???imaginais, fit Oskar. Il pensa que la compassion ?©tait tout de m??me n?©cessaire ?  son ?©quilibre spirituel. Une autre forme subtile d????©go??sme ? ??videmment. C????©tait la patine de protection qu???adoptent les saints et les professionnels du Bien : une esp??ce de cr??me solaire. D??s qu???ils arriv??rent au col, le vent devint violent. Ils franchirent une ar??te de glace prise entre d????©normes blocs d???une roche blanch??tre. Une fois qu???ils l???eurent franchie, ils descendirent ?  moindre altitude et le vent ne fut ?  nouveau plus qu???une brise l?©g??re. Le dernier plateau s????©tendait devant eux, apr??s quoi ils verraient les trac?©s des pistes du Grand Ski-lift. ??? Mettez vos lunettes, Monsieur, le soleil est tr??s fort, ici. On va suivre le sentier jusqu????  ce rocher sombre, et puis on chaussera les skis pour traverser le replat. Le rocher qu???il lui avait indiqu?© ?©tait assez loin, mais ils marchaient d???un bon pas. Au d?©but, Oskar sentit sa fatigue, puis il prit un bon rythme, et entra enfin dans un ?©tat de bien-??tre profond dans lequel il aurait pu aller n???importe o??. Ses vacances se mettaient peut-??tre sur une bonne voie. Les choses lui apparaissaient sous un jour ?©trange, c????©tait comme s???il s????©tait ?©chapp?© d???un jeu de tarot o?? un sortil??ge l???aurait retenu prisonnier. Contrairement ?  ce qui lui ?©tait arriv?© pendant les ann?©es pass?©es en Ville, il se sentait d?©tach?© des circonstances : il se trouvait avec un guide en haute montagne, aux confins ind?©finis de la Sierra, sans points de rep??res, sans m??me une date de retour??¦ Quand ils arriv??rent au rocher sombre, Mario s???arr??ta tout net et fit signe ?  Oskar de s???accroupir, puis il tira des jumelles de son sac ?  dos pour mieux voir quelque chose qui bougeait sur la neige. ??? Juste un peu de patience, Monsieur. Il sortit une carabine de pr?©cision d???un ?©tui de toile, prit une grosse cartouche verte qu???il enfila dans le canon, et dit, tout en manipulant son fusil : ??? Les f?©d?©raux me donnent une r?©compense pour chaque clandestin que je capture. Il ajusta son tir ?  travers la lunette mont?©e sur la carabine et tira un coup pr??s d???un tas de neige blanche, ?  deux cents yards environ. La neige se teinta d???un vert fluorescent et trois Asiatiques se lev??rent, les mains en l???air. Tout ?  coup, l???un d???entre eux se mit ?  courir, alors Mario, calmement, tira un autre coup. Le clandestin continua quelques m??tres encore, ?  pas incroyablement lents, avant de tomber dans la neige. ??? Il est mort ? demanda Oskar. ??? Non, pardieu, je l???ai juste endormi. Ils arriv??rent pr??s des deux Asiatiques assis dans la neige, les mains sur la t??te : ils n???avaient aucune expression hostile, ils souriaient m??me. Mario les menotta l???un ?  l???autre et fit d?©placer le petit groupe pr??s de l???homme endormi. Les illegales avaient des visages tr??s ronds, presque sph?©riques, comme des ballons. Leurs yeux, ceux d???une jeune fille en particulier, ?©taient deux fentes minces au travers des paupi??res. Mario tira de son sac ?  dos une tablette de chocolat qu???il tendit ?  ceux qui ?©taient r?©veill?©s, qui le remerci??rent en inclinant la t??te. Puis, devinant ce qu???allait faire le guide, ils remont??rent chacun une manche. Mario hocha la t??te, prit une seringue automatique et fit une piq?»re ?  chacun d???entre eux. ??? C???est un tranquillisant, pour qu???ils ne s???enfuient pas, expliqua-t-il. Avec une petite bonbonne, il gonfla un ballon rouge attach?© ?  un fil qu???il laissa s????©lever une vingtaine de m??tres en l???air. ??? Nous pouvons y aller ! Le satellite aura d?©j?  localis?© le signal, ils enverront un h?©licopt??re les prendre dans quelques heures. ??? Mais s???il n???arrive pas avant la nuit ces pauvres gens vont mourir de froid ! ??? En g?©n?©ral, il arrive tout de suite, en deux ou trois heures, disons. Mais m??me s???il n???arrivait pas, ils s???en sortiront tr??s bien avec leurs sacs. Qu???est-ce que vous croyez, Monsieur, que quand la nuit tombe ils vont dormir ?  l???h??tel ? Ils chauss??rent tous deux leurs skis et entreprirent de traverser le dernier plateau. ??? ??a doit ??tre des gens tr??s forts, avec un syst??me nerveux de fer, dit Oskar. ??? En effet, ils n???ont besoin de manger qu???une fois par jour. Enfant, il devait lui aussi avoir ?©t?© aussi fort que les illegales. Il en ?©tait s?»r. Ils arriv??rent au bout du plateau vers midi, exactement comme l???avait pr?©vu Mario. Pendant tout le trajet, gagn?© par l???enthousiasme, Oskar n???avait jamais demand?© de pause ; mais il se sentait maintenant fatigu?©. ??? Monsieur Zerbi, je proposerais qu???on mange quelque chose. Apr??s, je vous montrerai la piste dam?©e du Circuit. ??? O?? est-elle ? Le guide lui indiqua un relief en bordure de la cuvette : le terrain se relevait exactement comme le bord d???une bassine. Ils s???abrit??rent derri??re un repli de terrain et Mario pr?©para du caf?© sur un r?©chaud ?  alcool. Le soleil ?©tait violent, les yeux d???Oskar avaient rougi malgr?© les verres fonc?©s de ses lunettes. Ils mang??rent ce que Mario avait emport?©, puis celui-ci sortit de son sac deux jambi??res de fourrure qu???il attacha au bas de son pantalon avec des lacets de cuir. ??? Tu rentres au village ? L???homme secoua la t??te en s????©criant : ??? Il n???y a rien ?  faire au village ?  cette saison ! Je vais chasser vers le nord-est en longeant le Grand Ski-lift. ??? Tu vas prendre des illegales ? ??? Oui, aussi. ??? Tu chasses des animaux ?  fourrure ? Ils se sont s?»rement multipli?©s au-del?  du raisonnable dans la Sierra. ??? Bien s?»r ! Je chasse aux pi??ges tout l???hiver, mais ?§a ne rapporte pas grand-chose. ??? Tu as essay?© de travailler dans des villes ? ??? Je n???aime pas les villes. Ils se lev??rent et contourn??rent l???ar??te ?  pied. Plus bas, les conif??res r?©apparaissaient, et encore plus bas, au beau milieu de la for??t, une langue blanche de neige courait comme un fleuve gel?©. C????©tait une piste du Grand Ski-lift. Oskar ?©tait ?©mu. Le guide lui passa ses jumelles : il vit glisser de nombreux points color?©s sur la langue de neige. C????©taient s?»rement des skieurs, dans leurs tenues de couleurs vives. ??? Eh bien, je suis arriv?© ! s???exclama Oskar. ??? Monsieur Zerbi, souvenez-vous que vous ne devez pas vous arr??ter trop longtemps au m??me endroit, comme ?§a??¦ en r??gle g?©n?©rale. Oskar avait chauss?© ses skis avec grand soin, il allait bient??t ??tre un touriste quelconque dans le circuit du Grand Ski-lift. C???est du moins ce qu???il croyait. ??? Gardez toujours votre carte bien en ?©vidence, et quand vous arriverez sur la piste, suivez-la jusqu????  la vall?©e, puis cherchez un endroit o?? vous loger. Je vous conseille d???aller au ?« Petit Cerf ?» ; d???autres chasseurs m???ont dit que c????©tait un endroit tranquille. Oskar retira un de ses gants et tendit la main ?  son guide, puis lui demanda, l???air s?©rieux : ??? Mario, une derni??re chose, et je te laisse ?  ton travail. Tu as aussi accompagn?© le dernier maire jusqu???ici ? Celui qui a fait construire l???installation??¦ Mario fit un signe de t??te affirmatif. ??? Quel genre d???homme c????©tait ? ??? Je ne peux pas vous dire grand-chose, le maire ?©tait un gars qui ne parlait pas beaucoup, mais quoi qu???il en soit, il m???a sembl?© qu???il connaissait bien cette partie de la Sierra. Oskar descendit entre les arbres et tomba souvent. N????©tant plus all?© ?  la montagne depuis des ann?©es, il avait perdu toute habitude du ski. Il d?©cida donc de poursuivre ?  pied, il aurait rechauss?© sur la piste, o?? la neige ?©tait dam?©e. C????©tait p?©nible de marcher dans la for??t sur l????©paisse couche de neige, il progressait lentement, mais il ?©tait s?»r de retrouver le trac?© t??t ou tard. Tout serait plus facile ensuite. Il avait march?© une heure quand il entendit la rumeur produite par les touristes : le crissement des carres des skis qui mordaient la neige, les voix des personnes qui passaient, quelques cris??¦ Il arriva, ?©puis?©, aux abords de la piste. Il ?©tait couvert de neige. Il devait avant tout se reposer sans attirer l???attention ; il craignait en effet que des surveillants ne puissent le remarquer en ce moment critique, l???instant de la transition : l???entr?©e dans le Grand Ski-lift. Il d?©cida alors d???aller jusqu???au bord de la piste pour donner l???impression de reprendre son souffle apr??s une chute??¦ Il attendit un moment de calme, puis parcourut en courant la distance qui le s?©parait encore de l???or?©e de la for??t pour rejoindre le bord de la piste. D??s qu???il atteignit la neige dam?©e, il jeta ses skis, simulant une chute. Quelques skieurs pass??rent : ils n????©taient pas nombreux, des groupes de quatre, cinq personnes au maximum. Plus rarement quelques couples. Mais aucun skieur isol?©. Il ?©tait donc arriv?© sur le circuit du Grand Ski-lift ! Une remarquable preuve de caract??re, peut-??tre le d?©but d???un changement qui ?©tait son v?©ritable objectif. En r?©alit?©, il n???avait pas de tableau pr?©cis de la situation, et encore moins de strat?©gie sur le comportement ?  adopter. Dans l????©tat actuel des choses, il ne se demandait pas combien de temps ces vacances pouvaient durer, il savait simplement qu???il avait encore de nombreux jours devant lui, il r?©fl?©chirait au reste en cours de route. Le froid se fit sentir ; il se leva, rechaussa ses skis pour descendre dans la vall?©e. Ensuite, il chercherait l???h??tel. La piste ?©tait form?©e par un ravin qui serpentait dans la for??t. De part et d???autre tr??naient les montagnes derri??re lesquelles le soleil avait depuis peu disparu. La lumi??re ?©tait uniforme, une luminescence diffuse dans laquelle on devinait cependant l???approche de l???obscurit?© : il en ?©prouvait de l???inqui?©tude et de la m?©lancolie. Il commen?§a ?  descendre en pensant qu???il s???en sortirait quoi qu???il en soit, il se souvenait avoir ?©t?© plut??t bon skieur, des ann?©es auparavant. En fait, il n???avait jamais atteint un grand niveau technique ?  cause de certains d?©fauts de position qu???il avait et du manque d???entra?®nement s?©rieux. Peut-??tre avait-il ?©t?© trop d?©sireux d???atteindre la perfection stylistique. Cette forme d???esprit l???avait sans aucun doute p?©nalis?©, puisqu???elle ne lui avait jamais permis de d?©velopper l???harmonie de ses mouvements. Quelques m??tres plus bas, il croisa ses skis et tomba. Il se releva aussit??t, conscient d???avoir oubli?© les mouvements de base. Il se concentra alors sur la position de d?©part, et, cherchant ?  faire porter son poids vers l???aval, il recommen?§a ?  descendre en diagonale. Il fit un virage en chasse-neige, puis un autre, sans tomber, mais d??s qu???il essaya de rapprocher ses skis, il se retrouva ?  nouveau dans la neige. La piste ?©tait d?©serte, il ?©tait tard. Ce devait ??tre l???heure du coucher du soleil. Il avait donc oubli?© comment on skiait. Il d?©plora cet inconv?©nient et se demanda ce qu???il avait bien pu faire pendant toutes ces ann?©es. De toute ?©vidence, il avait ?©t?© prisonnier d???un monde dont le ski ?©tait exclu. En un instant, il comprit qu???il s????©tait n?©glig?©??¦ ?? ce moment-l? , le probl??me contingent ?©tait de descendre dans la vall?©e sans ?©veiller de soup?§ons. Alors, patiemment, et avec un brin d???astuce, Oskar profita des parties les plus faciles pour descendre en diagonale, faisant ses virages sans trop d???accrocs. En bas, on apercevait d?©j?  le village, de nombreuses lumi??res allum?©es. Au d?©bouch?© de la piste, il y avait un t?©l?©si??ge. Des machinistes en contr??laient la m?©canique, les installations ?©taient maintenant ?  l???arr??t. Le guide lui avait conseill?© d???aller au ?« Petit Cerf ?», un endroit modeste, pour ne pas se faire remarquer. Oskar se trouvait au centre d???une vaste clairi??re ouverte dans la for??t ?  travers laquelle il ?©tait descendu, le village s????©tendait devant lui. Des skieurs ?©taient install?©s dans les bars, il y avait une certaine animation bien que l???endroit ne f?»t pas bond?©. ??? Excusez-moi, Monsieur, pourriez-vous m???indiquer l???h??tel ?« Le Petit Cerf ?» ? demanda-t-il ?  un homme qui passait. ??? Vous allez voir, c???est simple : vous devez suivre cette petite rue qui monte et puis tourner ?  gauche pr??s de la petite tour avec l???horloge. Vous ne pourrez pas rater l???enseigne. Bien, l???h??tel n????©tait pas loin. Les indications de l???homme ?©taient pr?©cises, il arriva ?  l???h??tel en quelques minutes. Il laissa ses skis sur un r??telier et entra par une porte qui fit tinter une clochette. ??? Bonsoir, vous arrivez tout juste ? Vous devez ??tre fatigu?© par la travers?©e -l???accueillit une dame assez grasse, aux cheveux jaunes. De quelle vall?©e venez-vous ? Oskar r?©fl?©chit un instant, et mentit : ??? Des pistes du Nord. Oui, en effet, je suis tr??s fatigu?©, avez-vous une chambre libre ? ??? Bien s?»r ! De toute fa?§on, m??me si nous sommes dans la p?©riode de No?«l, on trouvera toujours une chambre libre pour un membre permanent du Grand Ski-lift. La patronne afficha un sourire bienveillant en regardant la carte gliss?©e dans une poche transparente de sa veste matelass?©e. Oskar comprenait, maintenant, pourquoi elle lui avait demand?© de quelle r?©gion il arrivait. Au fond, il aurait aussi bien pu arriver par un moyen de transport classique. Mais il avait la carte du Grand Ski-lift, et des skis pour tout bagage. Rien que de tr??s normal, donc, pour un membre permanent. La chambre qu???on lui donna ?©tait tr??s confortable. Il ferma la porte ?  clef, mangea une tablette de chocolat et se glissa entre les draps. Une clart?© hivernale entrait par la fen??tre, une esp??ce de lumi??re absolue qui ?©veillait depuis toujours en lui une grande m?©lancolie, comme si cela avait ?©t?© un signe d???immobilit?© : un cadre inchang?©, les m??mes choses pour l????©ternit?©, et un Soi perdu pour toujours dans des mondes parall??les. Le lendemain, il se r?©veilla t??t, descendit dans la salle ?  manger, o?? une dame prenait son petit d?©jeuner avec une petite fille. Il n???y avait personne d???autre, la dame le salua, puis, apr??s un bref moment de silence, s???adressa ?  lui : ??? Vous avez vu le beau temps que nous avons pour No?«l ? Mes enfants m???ont dit que la neige est merveilleuse. Vous skiez, vous aussi ? ??? Oui, bien s?»r. Mais cela fait des ann?©es que je ne vais pas ?  la montagne, je pense que je devrais prendre quelques cours. ??? ??a fait du bien. Mais ne vous inqui?©tez pas, mon mari a eu le m??me probl??me. Jeune homme, il ?©tait m??me champion en herbe, mais ?  cause de son travail, il a arr??t?© de venir ?  la montagne. Il y a quelques ann?©es, il a recommenc?© ?  skier avec un moniteur, et il affirme que maintenant, il skie mieux qu???avant. Oskar ?©baucha un sourire forc?© : ??? C???est toujours la m??me histoire, pour tout le monde. Quand on est jeune, on a du temps pour soi, mais apr??s, avec le travail??¦ Il se limita ?  cette phrase automatique, mais il sentit en un ?©clair l???odeur d???une atmosph??re l?©tale qui se lib?©rait. Cette dame se sentait stable, son centre de gravit?© ?©tait dans la Vie Conventionnelle. Elle n???avait pas de doutes ?  confesser, elle, c????©tait un individu s?©lectionn?© au cours de millions d???ann?©es pour vivre en captivit?©. Une personne inutile, sans aucun doute, pour quelqu???un qui, comme lui, devait franchir le Mur. ??? Je suis heureux d???avoir fait votre connaissance, madame, mais je dois y aller, j???ai un rendez-vous sur les pistes. Dehors, le soleil extr??mement lumineux surexposait le paysage. De toute fa?§on Oskar ne se trouvait pas dans un endroit qui lui ?©tait familier. Le cadre qui s????©talait sous ses yeux lui donnait la sensation que les Autres se trouvaient ?  leur aise, il voyait en effet une multitude de skieurs qui, par petits groupes, se dirigeait vers les installations. Ils avaient l???air tranquilles, s?»rs de ce qu???ils devaient faire. On voyait qu???ils avaient tous un programme. Quand il arriva ?  la sortie du village, il remarqua que quelques skieurs isol?©s se dirigeaient vers une petite vall?©e : peut-??tre aurait-il trouv?© par l?  des pistes moins fr?©quent?©es. Il ne devait pas oublier qu???il ?©tait entr?© ill?©galement dans le Grand Ski-lift et qu???il esp?©rait se fondre dans cet environnement. Les skis sur l????©paule, il arriva au fond de la petite vall?©e o?? tournait une remont?©e peu utilis?©e. Il pourrait montrer sa carte et commencer ?  s???entra?®ner sur les pistes dam?©es, sans crainte d?????tre rep?©r?©. Il passa sa journ?©e ?  monter et descendre la m??me piste. Personne ne lui pr??tait attention, les employ?©s des remont?©es ?©taient distraits, ils discutaient entre eux. Ce fut une journ?©e de ski p?©nible. Il avait essay?© de se rappeler des mouvements de base, mais c????©tait difficile, il ne se souvenait presque de rien. Quiconque l???aurait vu, haletant, le pantalon tremp?© de neige, aurait in?©vitablement pens?© qu???Oskar Zerbi ?©tait d?©butant. Au cours de cette premi??re journ?©e, il pensa plusieurs fois qu???il ?©tait inutile de rester dans le Grand Ski-lift. Cela n???avait aucun sens. Et il se demanda quel pouvait ??tre le v?©ritable motif pour lequel il s????©tait aventur?© de fa?§on si risqu?©e dans des vacances de ce genre. Voulait-il se retrouver lui-m??me par le ski ? Une id?©e incompr?©hensible, en apparence. Oskar observait attentivement les autres skieurs pour en reproduire le style, et comprendre ?©ventuellement quelque chose d???essentiel qu???il ne savait pas encore. Pendant sa derni??re descente, il vit un skieur expert qui faisait ses virages avec une grande souplesse, et il essaya de l???imiter. Mais il ne put r?©ussir un seul virage sans d?©fauts, comme l???avait en revanche fait le skieur-guide ; il per?§ut cependant quelque chose, et comprit qu???en restant quelques jours, il pourrait faire des progr??s importants. ?? l???h??tel, il d?®na dans sa chambre, car il avait peur de rencontrer la dame-qui-avait-envie-de-parler. Avant de s???endormir, il pensa que ce qu???il faisait ?©tait encore ?« standard ?», et que cela n???aurait apport?© aucun changement. Malgr?© tout, quand il aurait retrouv?© un peu d???habitude du ski, il se serait peut-??tre amus?©. Il ne pensa plus ?  rentrer en Ville. Il n???avait rien ?  faire l? -bas. Le r?©veillon de No?«l Il passa plusieurs jours ?  s???entra?®ner seul, toujours sur la m??me piste. Il en connaissait maintenant par c??ur chaque creux et chaque variation de pente. Il savait bien ?  quels endroits il devait se concentrer pour pouvoir descendre sans fautes, au moins sur cette piste. Cela faisait plusieurs jours qu???il skiait dans le Grand Ski-lift sans encombre. ?? midi, il s???arr??ta dans une buvette au d?©part du t?©l?©si??ge. Il s????©tait assis de fa?§on ?  avoir le visage ?  l???ombre pour ne pas ??tre g??n?© par la lumi??re intense du soleil. Il regardait vers le village, l???esprit vide. Dans ces journ?©es d???exercice intense, il ne pensait pas, se bornant ?  r?©examiner mentalement la piste, pour pouvoir encore mieux la descendre. Il s????©tait install?© ?  une table ?  l????©cart, un jeune couple ?©tait assis ?  quelques m??tres : les deux enfants qui jouaient un peu plus loin devait ??tre les leurs. ?? un certain moment, il se rendit compte que l???homme le regardait : il n???y avait pas d???autres touristes install?©s, et cela l???inqui?©ta. Il n???avait pas compl??tement oubli?© qu???il se trouvait ill?©galement dans le Circuit, et il sentit un frisson de peur en se sentant observ?©. Ces vacances ?©tranges avaient commenc?© de fa?§on non conventionnelle, et il devait les normaliser d???une fa?§on ou d???une autre. Il aurait par exemple pu rentrer en Ville, ?  son travail et ?  sa famille. Mais apr??s cette consid?©ration de bon sens, il sentit comme un vide, prouvant que dans la r?©alit?© des choses les ?©v?©nements ?©taient enchev??tr?©s de fa?§on plus complexe. L???homme se leva et vint vers lui en souriant. ??? Excusez-moi, Monsieur, mais ma femme et moi ?©tions en train de penser qu???il est parfaitement ridicule que dans un endroit aussi isol?© vous mangiez tout seul dans votre coin. Êîíåö îçíàêîìèòåëüíîãî ôðàãìåíòà. Òåêñò ïðåäîñòàâëåí ÎÎÎ «ËèòÐåñ». Ïðî÷èòàéòå ýòó êíèãó öåëèêîì, êóïèâ ïîëíóþ ëåãàëüíóþ âåðñèþ (https://www.litres.ru/pages/biblio_book/?art=40851253&lfrom=688855901) íà ËèòÐåñ. Áåçîïàñíî îïëàòèòü êíèãó ìîæíî áàíêîâñêîé êàðòîé Visa, MasterCard, Maestro, ñî ñ÷åòà ìîáèëüíîãî òåëåôîíà, ñ ïëàòåæíîãî òåðìèíàëà, â ñàëîíå ÌÒÑ èëè Ñâÿçíîé, ÷åðåç PayPal, WebMoney, ßíäåêñ.Äåíüãè, QIWI Êîøåëåê, áîíóñíûìè êàðòàìè èëè äðóãèì óäîáíûì Âàì ñïîñîáîì.
Íàø ëèòåðàòóðíûé æóðíàë Ëó÷øåå ìåñòî äëÿ ðàçìåùåíèÿ ñâîèõ ïðîèçâåäåíèé ìîëîäûìè àâòîðàìè, ïîýòàìè; äëÿ ðåàëèçàöèè ñâîèõ òâîð÷åñêèõ èäåé è äëÿ òîãî, ÷òîáû âàøè ïðîèçâåäåíèÿ ñòàëè ïîïóëÿðíûìè è ÷èòàåìûìè. Åñëè âû, íåèçâåñòíûé ñîâðåìåííûé ïîýò èëè çàèíòåðåñîâàííûé ÷èòàòåëü - Âàñ æä¸ò íàø ëèòåðàòóðíûé æóðíàë.