Êàê ïîäàðîê ñóäüáû äëÿ íàñ - Ýòà âñòðå÷à â îñåííèé âå÷åð. Ïðèãëàøàÿ ìåíÿ íà âàëüñ, Òû ñëåãêà ïðèîáíÿë çà ïëå÷è. Áàáüå ëåòî ìîå ïðèøëî, Çàêðóæèëî â âåñåëîì òàíöå,  òîì, ÷òî ñâÿòî, à ÷òî ãðåøíî, Íåò æåëàíèÿ ðàçáèðàòüñÿ. Ïðîãîíÿÿ ñîìíåíüÿ ïðî÷ü, Ïîä÷èíÿþñü ïðè÷óäå ñòðàííîé: Õîòü íà ìèã, õîòü íà ÷àñ, õîòü íà íî÷ü Ñòàòü åäèíñòâåííîé è æåëàííîé. Íå

L'Agent Z?ro

L'Agent Z?ro Jack Mars Un Thriller d’Espionnage de L'Agent Z?ro #1 Vous ne trouverez pas le sommeil tant que vous n’aurez pas termin? L’AGENT Z?RO. L’auteur a fait un magnifique travail en cr?ant un ensemble de personnages ? la fois tr?s d?velopp? et vraiment plaisant ? suivre. La description des sc?nes d’action nous transporte dans une r?alit? telle que l’on aurait presque l’impression d’?tre assis dans une salle de cin?ma ?quip?e du son surround et de la 3D (cela ferait d’ailleurs un super film hollywoodien) . Il me tarde de d?couvrir la suite. Roberto Mattos, auteur du blog Books and Movie ReviewsDans ce d?but tr?s attendu de la s?rie ?pique d’espionnage de l’auteur best-seller Jack Mars, les lecteurs sont transport?s dans un thriller dont l’action se d?roule ? travers l’Europe. L’espion pr?sum? de la CIA Kent Steele, traqu? par des terroristes, par la CIA elle-m?me et par sa propre identit?, doit d?couvrir qui en a pr?s lui, quelle est la cible pr?vue des terroristes et qui est la femme si belle qu’il ne cesse de voir en songe. Kent Steele, 38 ans, brillant professeur d’Histoire de l’Europe ? l’Universit? de Columbia, m?ne une vie paisible dans une banlieue de New York avec ses deux filles adolescentes. Tout va changer quand, un soir vers minuit, il entend frapper ? sa porte. Il est alors enlev? par trois terroristes et se retrouve dans un avion qui traverse l’oc?an, pour ?tre finalement interrog? dans un sous-sol parisien. Ils sont convaincus que Kent est l’espion le plus mortel que la CIA ait connu. Il est persuad? qu’ils se sont tromp?s de personne. Est-ce vraiment le cas ?Victime d’une conspiration ? son sujet, avec des adversaires aussi intelligents que lui et un assassin ? ses trousses, le cruel jeu du chat et de la souris va mener Kent sur une pente glissante qui pourrait bien le ramener ? Langley o? l’attend une r?v?lation choc sur sa propre identit?. L’AGENT Z?RO est un thriller d’espionnage qui vous fera tourner les pages, encore et encore, jusque tard dans la nuit. L’un des meilleurs thrillers que j’ai lus cette ann?e. Books and Movie Reviews (? propos de Tous Les Moyens N?cessaires) Jack Mars est ?galement l’auteur de la s?rie best-seller de thrillers LUKE STONE (7 volumes), qui commence par Tous Les Moyens N?cessaires (Volume #1), t?l?chargeable gratuitement, avec plus de 800 avis cinq ?toiles! L’A G E N T Z ? R O (THRILLER D’ESPIONNAGE L’AGENT Z?RO—VOLUME 1) J A C K M A R S Jack Mars Jack Mars est actuellement l’auteur best-seller aux USA de la s?rie de thrillers LUKE STONE, qui contient sept volumes. Il a ?galement ?crit la nouvelle s?rie pr?quel FORGING OF LUKE STONE, ainsi que la s?rie de thrillers d’espionnage L’AGENT Z?RO. Jack adore avoir vos avis, donc n’h?sitez pas ? vous rendre sur www.Jackmarsauthor.com (http://www.Jackmarsauthor.com) afin d’ajouter votre mail ? la liste pour recevoir un livre offert, ainsi que des invitations ? des concours gratuits. Suivez l’auteur sur Facebook et Twitter pour rester en contact ! Copyright © 2019 par Jack Mars. Tous droits r?serv?s. ? l’exclusion de ce qui est autoris? par l’U.S. Copyright Act de 1976, aucune partie de cette publication ne peut ?tre reproduite, distribu?e ou transmise sous toute forme que ce soit ou par aucun moyen, ni conserv?e dans une base de donn?es ou un syst?me de r?cup?ration, sans l’autorisation pr?alable de l’auteur. Ce livre num?rique est pr?vu uniquement pour votre plaisir personnel. Ce livre num?rique ne peut pas ?tre revendu ou offert ? d’autres personnes. 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LIVRES DE JACK MARS S?RIE DE THRILLERS LUKE STONE TOUS LES MOYENS N?CESSAIRES (Volume #1) S?RIE D’ESPIONNAGE L’AGENT Z?RO L’AGENT Z?RO (Volume #1) LA CIBLE Z?RO (Volume #2) LA TRAQUE Z?RO (Volume #3) LE PI?GE Z?RO (Volume #4) LE FICHIER Z?RO (Volume #5) LE SOUVENIR Z?RO (Volume #6) CONTENU CHAPITRE UN (#u5a9beef7-3d8e-5399-981e-21a2b3a59ae7) CHAPITRE DEUX (#ubd6bedea-b26f-52f9-8de5-d46199d2b2ef) CHAPITRE TROIS (#ube6f8ea7-3c4b-52e5-9f41-41d4de3ec76a) CHAPITRE QUATRE (#u28f6c8e8-9918-555c-9a13-aa258ced63d5) CHAPITRE CINQ (#u21ceb097-1828-5215-bac4-8c3cbd582eb8) CHAPITRE SIX (#uc29b425f-b709-5f76-88a2-6680765cf70e) CHAPITRE SEPT (#ub19df2dd-3a0e-521a-aa33-e7c2e29d4c76) CHAPITRE HUIT (#ucdc565d2-3fb6-578e-88bf-325f094fc926) CHAPITRE NEUF (#litres_trial_promo) CHAPITRE DIX (#litres_trial_promo) CHAPITRE ONZE (#litres_trial_promo) CHAPITRE DOUZE (#litres_trial_promo) CHAPITRE TREIZE (#litres_trial_promo) CHAPITRE QUATORZE (#litres_trial_promo) CHAPITRE QUINZE (#litres_trial_promo) CHAPITRE SEIZE (#litres_trial_promo) CHAPITRE DIX-SEPT (#litres_trial_promo) CHAPITRE DIX-HUIT (#litres_trial_promo) CHAPITRE DIX-NEUF (#litres_trial_promo) CHAPTER VINGT (#litres_trial_promo) CHAPITRE VINGT-ET-UN (#litres_trial_promo) CHAPITRE VINGT-DEUX (#litres_trial_promo) CHAPITRE VINGT-TROIS (#litres_trial_promo) CHAPITRE VINGT-QUATRE (#litres_trial_promo) CHAPTITRE VINGT-CINQ (#litres_trial_promo) CHAPITRE VINGT-SIX (#litres_trial_promo) CHAPITRE VINGT-SEPT (#litres_trial_promo) CHAPITRE VINGT-HUIT (#litres_trial_promo) CHAPITRE VINGT-NEUF (#litres_trial_promo) CHAPITRE TRENTE (#litres_trial_promo) CHAPITRE TRENTE-ET-UN (#litres_trial_promo) CHAPITRE TRENTE-DEUX (#litres_trial_promo) CHAPITRE TRENTE-TROIS (#litres_trial_promo) CHAPITRE TRENTE-QUATRE (#litres_trial_promo) CHAPITRE TRENTE-CINQ (#litres_trial_promo) CHAPITRE TRENTE-SIX (#litres_trial_promo) CHAPITRE TRENTE-SEPT (#litres_trial_promo) CHAPITRE TRENTE-HUIT (#litres_trial_promo) ?PILOGUE (#litres_trial_promo) “La vie des morts consiste ? survivre dans l’esprit des vivants.” —Cic?ron CHAPITRE UN Le premier cours de la journ?e ?tait toujours le plus difficile. Les ?tudiants s’amassaient dans l’amphith??tre de l’Universit? de Columbia comme des zombies d?s?uvr?s aux yeux mornes, leurs sens alanguis par leurs sessions de r?visions nocturnes, leur gueule de bois, voire m?me un m?lange des deux. Ils portaient des pantalons de surv?tement et les tee-shirts de la veille. En main, ils tenaient des tasses en polystyr?ne contenant du moka au soja, du caf? blond artisanal ou toute autre boisson ? la mode que buvaient les jeunes actuellement. Le boulot du professeur Reid Lawson ?tait d’enseigner, bien s?r, mais on lui reconnaissait ?galement la capacit? de stimulant matinal : un bon compl?ment ? la caf?ine. Lawson leur laissa un moment pour prendre place et s’installer confortablement sur leurs si?ges, pendant qu’il enlevait son blouson en tweed et le passait par-dessus sa chaise. “Bonjour ? tous,” dit-il bruyamment. Cette annonce prit de court plusieurs ?tudiants qui lev?rent soudain les yeux, comme s’ils n’avaient pas r?alis? qu’ils avaient atterri dans une salle de cours. “Aujourd’hui, nous allons parler des pirates.” Cette phrase lui valut d’attirer l’attention. Les yeux se tourn?rent vers lui, clignant ? cause du manque de sommeil, essayant de d?terminer s’il avait bien dit “pirates” ou pas. “Des Cara?bes ?” plaisanta un ?tudiant au premier rang. “De la M?diterran?e en fait,” corrigea Lawson. Il se mit ? marcher lentement, mains jointes derri?re son dos. “Combien d’entre vous ont assist? aux cours du professeur Truitt sur les anciens empires ?” Environ un tiers de la classe leva la main. “Bien. Alors vous savez que l’Empire Ottoman fut une puissance mondiale majeure pendant, oh, disons pr?s de six cents ans. Ce que vous ne savez peut-?tre pas, c’est que les corsaires ottomans, plus famili?rement appel?s les pirates barbares, ont sillonn? presque toute la M?diterran?e pendant quasiment toute cette p?riode, en partant des c?tes du Portugal et en passant par le d?troit de Gibraltar. Que pensez-vous qu’ils cherchaient ? Quelqu’un ? Je sais que vous ?tes vivants dans le fond.” “De l’argent ?” demanda une fille au troisi?me rang. “Un tr?sor,” surench?rit l’?tudiant du premier rang. “Du rhum !” cria un ?tudiant dans le fond, r?coltant un rire g?n?ral. Reid esquissa ?galement un sourire. Finalement, il y avait de la vie dans cette masse d’?tudiants. “Que de bonnes d?ductions,” dit-il. “La r?ponse est ‘Tout ?a ? la fois.’ Vous voyez, les pirates barbares prenaient principalement pour cibles les navires de marchandises europ?ens pour les piller totalement. Je dis bien totalement : chaussures, ceintures, argent, chapeaux, marchandises, le bateau lui-m?me… et son ?quipage. On pense qu’en l’espace de deux si?cles, de 1580 ? 1780, les pirates barbares ont captur? et asservi plus de deux millions de personnes. Ils ramenaient tout ?a dans leur royaume d’Afrique du Nord. Cela a dur? des si?cles. Et que croyez-vous que les nations europ?ennes aient fait en retour ?” “La guerre !” cria l’?tudiant du fond. Une fille souriante ? lunettes leva l?g?rement la main pour poser sa question, “Est-ce qu’ils ont n?goci? un pacte ou un trait? ?” “On pourrait dire ?a comme ?a,” r?pondit Lawson. “Les puissances d’Europe ont accept? de payer un tribut aux nations barbares, sous forme de grosses quantit?s d’argent et de marchandises. Je parle l? du Portugal, de l’Espagne, de la France, de l’Allemagne, de l’Angleterre, de la Su?de, des Pays-Bas… Ils payaient tous les pirates pour les tenir ? distance de leurs bateaux. Les riches se sont encore enrichis et les pirates sont partis pour la plupart. Mais ensuite, entre la fin du dix-huiti?me et le d?but du dix-neuvi?me si?cle, il s’est produit une chose. Un ?v?nement a entra?n? la fin des pirates barbare. Quelqu’un ? une id?e de ce qui s’est produit ?” Personne n’ouvrit la bouche. ? sa droite, Lawson aper?ut un jeune pianoter sur son t?l?phone. “M. Lowell,” dit-il. L’?tudiant releva la t?te. “Une id?e ?” “Euh… la cr?ation des ?tats-Unis ?” Lawson sourit. “Est-ce que vous me posez la question ou est-ce que c’est une affirmation de votre part ? Ayez confiance en vos r?ponses et le reste de la classe sera au moins en mesure de penser que vous savez ce dont vous parlez.” “La cr?ation des ?tats-Unis,” dit-il de nouveau, d’un ton plus ?nergique cette fois. “Tout ? fait ! Les ?tats-Unis furent cr??s. Mais, comme vous le savez, notre nation n’en ?tait alors qu’? ses balbutiements Les ?tats-Unis ?taient plus jeunes que la plupart d’entre vous aujourd’hui. Nous devions ?tablir des routes commerciales avec l’Europe pour booster notre ?conomie, mais les pirates barbares commenc?rent ? prendre nos bateaux. Et quand nous leur avons demand? ‘C’est quoi ce bazar, les gars ?’, ils nous ont r?pondu de payer un tribut. Nous venions ? peine d’?tablir une tr?sorerie, si tant est qu’il y ait quelque chose dedans. Notre tirelire ?tait vide. Alors quel choix avions-nous ? Que pouvions-nous faire ?” “D?clarer la guerre !” cria une voix famili?re dans le fond de la salle. “Exactement ! Nous n’avions pas d’autre choix que de d?clarer la guerre. ? l’?poque, cela faisait d?j? un an que la Su?de se battait contre les pirates et, ensemble, entre 1801 et 1805, nous pr?mes le port de Tripoli et envahirent la ville de Derne, mettant enfin un terme au conflit.” Lawson se pencha en avant et replia ses mains face ? lui, sur le rebord de son bureau. “Bien s?r, je vous passe tout un tas de d?tails, mais il s’agit d’un cours sur l’histoire de l’Europe, pas sur celle des ?tats-Unis. Si vous en avez l’occasion, faites un brin de lecture ? propos du Lieutenant Stephen Decatur et de l’USS Philadelphia. Mais je m’?gare. Pourquoi parlions-nous des pirates au fait ?” “Parce que les pirates sont cool ?” dit Lowell, qui avait d?cid? pour de bon de d?laisser son t?l?phone. Lawson rigola. “J’avoue que ce n’est pas faux. Mais non, il ne s’agit pas de ?a. Nous parlons des pirates parce qu’il y a, dans la Guerre de Tripoli, quelque chose que l’on a rarement vu dans les annales de l’histoire.” Il se redressa d’un coup en parcourant des yeux la salle, croisant au passage le regard de plusieurs ?tudiants. Au mois, ? pr?sent, Lawson pouvait voir leurs yeux s’?clairer, preuve que la plupart des ?tudiants ?taient vivants ce matin, si ce n’est attentifs. “Pendant plusieurs si?cles, aucune puissance europ?enne ne s’?tait aventur?e ? s’opposer aux nations barbares. Il ?tait plus facile de se contenter de payer. Et ce furent les ?tats-Unis, alors consid?r?s comme une simple blague pour la plupart du monde d?velopp?, qui initi?rent le changement. Il fallut un acte de d?sespoir ?manant d’une nation ? l’arm?e ridicule et mal arm?e pour instaurer une transition dans la dynamique de puissance de la route commerciale qui avait le plus de valeur ? l’?poque. Et quelle le?on pouvons-nous en tirer ?” “On ne rigole pas avec les ?tats-Unis ?” proposa quelqu’un. Lawson sourit. “Voil?, c’est ?a.” Il leva un doigt en l’air pour ponctuer sa phrase. “Et au-del? de ?a, ce d?sespoir et ce cruel manque d’autre choix possibles peut, et a d?j? dans l’histoire, conduit ? certaines des plus grandes victoires que le monde ait pu conna?tre. L’histoire nous a enseign? ? maintes reprises qu’il n’existe pas de r?gime trop puissant qui ne puisse ?tre renvers?, pas de pays trop petit ou trop faible pour faire r?ellement la diff?rence.” Il d?cocha un clin d’?il ? l’assembl?e. “Pensez-y la prochaine fois que vous aurez l’impression de n’?tre rien de plus qu’un minuscule grain de poussi?re dans ce monde.” ? la fin du cours, on pouvait remarquer la diff?rence notable entre les ?tudiants fatigu?s et ? la tra?ne qui ?taient entr?s dans la classe et ce m?me groupe de jeunes en train de quitter la salle en rigolant et papotant. Une fille aux cheveux roses s’arr?ta devant son bureau avec un sourire pour commenter le cours, “Chouette discours, Professeur. Pouvez-vous me rappeler le nom du lieutenant am?ricain que vous avez mentionn? ?” “Oh, il s’agit de Stephen Decatur.” “Merci.” Elle le nota avant de presser le pas pour sortir de l’amphi. “Professeur ?” Lawson leva les yeux. C’?tait l’?tudiant du premier rang. “Oui, M. Garner ? Que puis-je faire pour vous ?” “Je me disais, est-ce que je peux vous demander un service ? Je suis candidat pour un stage au Mus?e d’Histoire Naturelle et, euh, ce serait bien si je pouvais avoir une lettre de recommandation.” “Bien s?r, aucun souci. Mais votre sp?cialit? n’est-elle pas l’anthropologie ?” “Si. Mais, euh, je me disais qu’une lettre de votre part pourrait avoir un peu plus d’impact, vous voyez ? Et, euh…” Le jeune homme regarda ses pieds. “Ce cours est celui que je pr?f?re.” “Pour l’instant, en tout cas.” dit Lawson avec un sourire. “Je serai ravis de vous aider. Je vous la pr?pare pour demain… Oh, en fait, j’ai un rendez-vous important que je ne peux pas rater ce soir. Pour vendredi, ?a vous va ?” “Pas d’urgence. Vendredi, ce sera tr?s bien. Merci, Professeur. ? tr?s vite !” Garner se d?p?cha de quitter la salle, laissant Lawson seul. Il parcourut du regard l’amphith??tre d?sormais vide. C’?tait son moment favori de la journ?e, entre les cours… Cette satisfaction provenant du cours pr?c?dant se m?lait ? l’anticipation du suivant. Une sonnerie de t?l?phone retentit soudain. C’?tait un SMS de Maya. RDV ? la maison ? 17h30 ? OK, r?pondit-il. J’y serai. Le “rendez-vous important” de ce soir-l? ?tait de passer une soir?e ? jouer chez Lawson. Il savourait ces bons moments pass?s avec ses deux filles. Cool, r?pondit sa fille. J’ai des trucs ? te dire. Quels trucs ? Tout ? l’heure fut sa seule r?ponse. Il fron?a les sourcils en lisant ce vague message. Soudain, il sentit que la journ?e allait lui para?tre tr?s longue. * Une fois sa journ?e de cours achev?e, Lawson rangea ses affaires dans sa sacoche, enfila son chaud manteau d’hiver et pressa le pas vers le parking. En f?vrier, ? New York, le froid ?tait g?n?ralement mordant et, r?cemment, cela n’avait fait qu’empirer. Le moindre petit coup de vent ?tait litt?ralement gla?ant. Il d?marra sa voiture et la laissa chauffer quelques minutes, portant ses mains ? sa bouche pour souffler de l’air chaud sur ses doigts gel?s. C’?tait le deuxi?me hiver qu’il passait ? New York, et il ne semblait pas s’accoutumer ? ce climat plus froid. En Virginie, il trouvait que quarante degr?s, c’?tait glacial en f?vrier. Au moins, il ne neige pas, se dit-il. Un manteau d’argent. La distance entre le campus de Columbia et son domicile n’?tait que de onze kilom?tres, mais le trafic ?tait dense ? cette heure de la journ?e, et les autres usagers de la route ?taient g?n?ralement ?nervants. Reid passait le temps gr?ce ? des livres audio, astuce que lui avait r?cemment conseill?e sa fille ain?e. En ce moment, il ?coutait Le Nom de la Rose d’Umberto Eco, bien qu’aujourd’hui, il entendait ? peine les paroles. Il pensait au myst?rieux message de Maya. La maison de Lawson ?tait en brique brune. C’?tait un petit pavillon ? deux ?tages, typique de Riverdale, ? l’extr?mit? nord du Bronx. Il adorait ce quartier suburbain bucolique, proche de la ville et de l’universit?, avec ses rues venteuses qui laissaient place au sud ? un grand boulevard. Les filles l’aimaient beaucoup aussi et, si Maya ?tait accept?e ? Columbia, ou m?me ? son ?cole de repli ? NYU, elle n’aurait pas besoin de quitter la maison. Reid se rendit tout de suite compte que quelque chose avait chang? quand il entra chez lui. Il le sentait dans l’air et, depuis le couloir, il entendit des voix chuchoter dans la cuisine. Il posa sa sacoche et retira en silence son manteau avant de se glisser sur la pointe des pieds en direction des voix. “Mais qu’est-ce que vous trafiquez ici ?” demanda-t-il en guise de bonjour. “Salut, Papa !” Sara, sa fille de quatorze ans, se hissait sur la pointe des pieds pour observer sa s?ur ain?e, Maya, en train de proc?der ? un rituel ?trange sur un plat de cuisson en Pyrex. “On pr?pare le d?ner !” “Je pr?pare le d?ner,” murmura Maya sans lever la t?te. “Elle n’est que spectatrice.” Les yeux de Reid clign?rent de surprise. “OK. J’ai quelques questions.” Il jeta un coup d’?il par-dessus l’?paule de Maya, alors qu’elle s’affairait ? appliquer une sorte de laquage violac? sur une s?rie de c?telette de porc en rang serr?. “? commencer par… euh ?” Maya n’avait toujours pas lev? les yeux. “Ne me regarde pas comme ?a,” dit-elle. “S’ils comptent faire de l’?ducation domestique un cours obligatoire, il faut bien que ?a me serve ? quelque chose.” Elle finit par regarder son p?re avec un l?ger sourire. “Mais ne t’y habitue pas.” Reid leva les mains en signe de d?fense. “Cela va de soi.” Maya avait seize ans et elle ?tait dangereusement intelligente. Elle avait clairement h?rit? de l’intellect de sa m?re et serait d?j? bacheli?re cette ann?e, ayant saut? le huiti?me cycle. Elle poss?dait les cheveux noirs de Reid, un sourire pensif et un talent inn? pour le dramatique. Sara, de son c?t?, ressemblait en tous points ? Kate. Maintenant qu’elle devenait adolescente, Reid avait parfois de la peine en regardant son visage, m?me s’il ne le montrait jamais. Elle poss?dait ?galement le temp?rament fougueux de Kate. Alors que, la plupart du temps, Sara ?tait un v?ritable amour, elle explosait parfois et les retomb?es pouvaient s’av?rer d?vastatrices. Reid observa avec ?tonnement les filles mettre la table et servir le d?ner. “Ce repas a l’air d?licieux, Maya,” dit-il. “Oh, attends. Il manque un truc.” Elle sortit quelque chose du frigo : une bouteille brune. “La belge est ta pr?f?r?e, pas vrai ?” Les yeux de Reid devinrent suspicieux. “Comment as-tu… ?” “Ne t’en fais pas, c’est Tatie Linda qui l’a achet?e.” Elle fit sauter la capsule et versa la bi?re dans un verre. “C’est bon. On peut manger maintenant.” Reid avait de la veine que Linda, la s?ur de Kate, ne vive qu’? quelques minutes de l?. Gagner sa vie en tant que professeur, tout en ?levant deux adolescentes, aurait ?t? tout bonnement impossible sans elle. Sa pr?sence avait ?t? l’une des principales motivations pour venir s’installer ? New York, afin que les filles aient un mod?le f?minin positif aupr?s d’elles. (M?me s’il devait bien admettre ne pas ?tre fan de l’id?e que Linda puisse acheter de la bi?re ? son adolescente, peu importe pour qui elle ?tait destin?e.) “Maya, c’est vraiment tr?s bon,” s’exclama-t-il d?s la premi?re bouch?e. “Merci. C’est un laquage mexicain chipotle.” Il s’essuya la bouche, posa sa serviette et demanda, “Bon, c’est trop beau pour ?tre honn?te. Qu’est-ce que tu as fait ?” “Quoi ? Mais rien du tout !” s’?cria-t-elle. “Alors, qu’est-ce que tu as cass? ?” “Je n’ai rien…” “Tu as ?t? renvoy?e ?” “Papa, enfin…” Reid saisit la table ? deux mains de fa?on totalement m?lodramatique. “Oh mon Dieu, ne me dis pas que tu es enceinte. Je n’ai m?me pas de fusil.” Sara explosa de rire. “Mais tu vas arr?ter ? la fin ?” souffla Maya. “J’ai le droit d’?tre gentille, tu sais.” Ils mang?rent en silence pendant environ une minute avant qu’elle ajoute innocemment, “Mais, maintenant que tu le dis…” “Oh, bon sang. Nous y voil?.” Elle se r?cla la gorge et dit, “J’ai une sorte de rendez-vous. Pour la Saint Valentin.” Reid faillit s’?touffer avec sa c?telette. Sara fit la grimace. “Je te l’avais bien dit qu’il allait devenir bizarre.” Une fois remis de ses ?motions, il leva la main. “Attends, attends, je ne suis pas bizarre. C’est juste que je ne m’attendais pas… Je ne pensais pas que tu, euh… Tu as un petit copain ?” “Non,” s’empressa de dire Maya. Puis, elle haussa les ?paules et baissa les yeux vers son assiette. “Enfin peut-?tre. Je ne sais pas encore. Mais, c’est un mec sympa et il veut m’emmener d?ner en ville…” “En ville,” r?p?ta Reid. “Oui, Papa, en ville. Et il me faut une robe. C’est un endroit chic. Je n’ai pas grand-chose ? me mettre.” Maintes fois, Reid aurait d?sesp?r?ment eu besoin que Kate soit l?, mais elle se serait peut-?tre sentie aussi d?pass?e que lui dans le cas pr?sent. Il avait bien conscience que ses filles auraient des petits copains ? un moment ou un autre, mais il esp?rait que ce ne serait pas le cas avant leurs vingt-cinq ans. C’?tait dans des moments pareils qu’il ressortait son acronyme parental f?tiche, QDK : que dirait Kate ? En tant qu’artiste ? l’esprit totalement lib?r?, elle g?rerait certainement la situation bien diff?remment de lui, et il t?cha de garder ?a ? l’esprit. Il devait avoir l’air particuli?rement perturb?, car Maya eut un l?ger rire, et posa la main sur la sienne. “Tu es d’accord, Papa ? C’est juste un rencart. Il ne va rien se passer. Ce n’est pas la fin du monde.” “Mouais,” dit-il doucement. “Tu as raison. C’est clair que ce n’est pas la fin du monde. Nous allons demander ? Tante Linda si elle peut t’emmener au centre commercial ce week-end et…” “Je pr?f?rerais que tu m’accompagnes.” “Vraiment ?” Elle haussa les ?paules. “En fait, je ne veux pas porter quoi que ce soit que tu d?sapprouverais.” Une robe, un d?ner en ville et un certain gar?on… ce n’?tait pas un truc qu’il aurait pens? devoir g?rer de sit?t. “Tr?s bien,” dit-il. “Dans ce cas, nous irons ensemble samedi. Mais ? une condition : c’est moi qui choisis le jeu ce soir.” “Hum,” dit Maya. “Ce n’est pas rien comme contrepartie. Laisse-moi consulter mon associ?e d’abord.” Maya se retourna vers sa s?ur. Sara acquies?a. “OK, c’est d’accord, tant que tu ne choisis pas Risk.” Reid prit un air moqueur. “Tu ne sais pas de quoi tu parles. Risk est le meilleur jeu qui existe.” Apr?s le d?ner, Sara lava la vaisselle, pendant que Maya pr?parait du chocolat chaud. Reid opta pour l’un de ses jeux pr?f?r?s, Ticket to Ride, un jeu classique consistant ? construire des rails de train dans tous les ?tats-Unis. Alors qu’il pr?parait les cartes et les wagons en plastique, il ne put s’emp?cher de penser ? comment il en ?tait arriv? l?. Comment Maya avait-elle pu grandir si vite ? Ces deux derni?res ann?es, depuis le d?c?s de Kate, il avait jou? le r?le des deux parents (avec l’aide pr?cieuse de Tante Linda). Elles avaient encore besoin de lui toutes les deux, du moins le pensait-il, mais elles iraient dans peu de temps ? l’universit?, puis elles auraient leurs carri?res ? mener, et ensuite… “Papa ?” Sara entra dans la salle ? manger et s’assit en face de lui. Comme si elle pouvait lire dans son esprit, elle lui dit, “N’oublie pas que j’ai une expo d’art ? l’?cole mercredi soir prochain. Tu seras l?, pas vrai ?” Il sourit. “Bien s?r, ma ch?rie. Je ne voudrais pas rater ?a.” Soudain, il tapa dans ses mains. “Bon ! Qui est pr?te ? prendre sa r?cl?e… Je veux dire, qui est pr?te ? jouer ? un jeu sympa en famille ?” “Am?ne-toi, mon vieux,” cria Maya depuis la cuisine. “Mon vieux ?” r?p?ta Reid indign?. “J’ai trente-huit ans !” “Je t?cherai de m’en rappeler.” Elle ?clata de rire en p?n?trant dans la pi?ce. “Oh, le jeu du train.” Son rire se transforma en l?ger sourire. “C’?tait le pr?f?r? de Maman, non ?” “Oh… si.” Reid fron?a les sourcils. “En effet.” “Je prends les bleus !” annon?a Sara en r?cup?rant ses pi?ces. “Orange,” dit Maya. “Papa, quelle couleur ? All?, Papa ?” “Oh.” Reid sortit de sa torpeur. “D?sol?. Euh, vert.” Maya poussa les pi?ces vertes vers lui. Reid s’effor?a de sourire, m?me si son esprit ?tait troubl?. * Au bout de deux parties, toutes gagn?es par Maya, les filles s’en all?rent au lit et Reid se retira dans son bureau, une petite pi?ce au premier ?tage, juste au-dessus de l’entr?e. Riverdale n’?tait pas un quartier bon march?, mais il avait sembl? important pour Reid de s’assurer que ses filles soient dans un environnement s?r et agr?able. ?tant donn? qu’il n’y avait que deux chambres, il avait revendiqu? comme bureau la piaule du premier ?tage. Tous ses livres et ses souvenirs s’entassaient sur presque chaque centim?tre carr? disponible de cette pi?ce de 9m?. Outre son bureau et un fauteuil en cuir, la seule chose encore visible ?tait un petit tapis us?. Il s’endormait souvent sur son fauteuil apr?s de longues soir?es ? prendre des notes, pr?parer ses cours et relire des biographies. Il commen?ait d’ailleurs ? avoir des probl?mes de dos. Et, pour ?tre tout ? fait honn?te, il ne dormait pas mieux dans son propre lit. M?me s’il avait emm?nag? ? New York avec les filles peu apr?s la mort de Kate, il avait toujours le lit et le matelas King Size qui avait ?t? le leur, ? lui et ? Kate. Il aurait pu penser que la douleur d’avoir perdu Kate se serait estomp?e ? pr?sent, du moins l?g?rement. Parfois, c’?tait temporairement le cas mais, en passant devant sa cha?ne de restaurants pr?f?r?e ou en tombant sur l’un de ses films favoris ? la t?l?, cette douleur revenait au galop, aussi vive que si ?a s’?tait pass? la veille. Si les filles ressentaient la m?me chose, elles ne l’exprimaient jamais en tout cas. En fait, elles parlaient souvent d’elle ouvertement, chose que Reid ?tait encore incapable de faire. Il y avait une photo d’elle sur l’une de ses ?tag?res, prise au mariage d’un ami une d?cennie plus t?t. Quasiment tous les soirs, il retournait le cadre, sans quoi il pourrait passer la nuit enti?re ? le regarder. Comme le monde pouvait ?tre incroyablement injuste. Avant, ils avaient tout : une jolie maison, des filles g?niales, de belles carri?res. Ils vivaient ? McLean, en Virginie. Il travaillait en tant que professeur adjoint ? l’universit? voisine George Washington. Il voyageait beaucoup pour son travail, entre les s?minaires et les congr?s, en tant que lecteur invit? sur l’histoire de l’Europe dans des ?coles du pays entier. Kate faisait partie du d?partement restauration du Mus?e d’Art Am?ricain Smithsonian. Leurs filles ?taient ?panouies. La vie ?tait parfaite Mais, comme Robert Frost l’a si bien dit, l’or n’est en rien ?ternel. Un apr?s-midi d’hiver, Kate s’?tait ?vanouie au travail, du moins c’est ce qu’avaient cru ses coll?ges quand elle s’?tait sentie faible et qu’elle ?tait tomb?e de sa chaise. Ils avaient appel? une ambulance, mais il ?tait d?j? trop tard. Son d?c?s avait ?t? constat? en arrivant ? l’h?pital. Une embolie, avaient-ils dit. Un caillot sanguin avait atteint son cerveau, provoquant un accident vasculaire c?r?bral isch?mique. Les m?decins utilisent souvent des termes m?dicaux ? peine compr?hensibles dans leurs explications, comme si cela pourrait alt?rer le choc de la douleur. Et le pire, c’?tait que Reid ?tait en voyage quand cela s’?tait produit. Il ?tait ? un s?minaire pour ?tudiants de premier cycle, ? Houston au Texas, en train de faire des discours sur le Moyen ?ge, quand il avait re?u le coup de fil. C’est comme ?a qu’il avait appris la mort de sa femme. Un coup de t?l?phone, juste devant la porte d’une salle de conf?rence. Puis ?tait venu le vol de retour, les tentatives de consoler ses filles au beau milieu de sa propre douleur d?vastatrice et, enfin, le d?m?nagement ? New York. Il se leva de son fauteuil et retourna la photo. Il n’aimait pas penser ? tout ?a, ? la fin et ? l’apr?s. Il voulait se rappeler d’elle ainsi, sur la photo, Kate dans toute sa splendeur. C’est pourquoi il avait choisi de se souvenir. Il y avait autre chose, une chose dont il avait ? peine conscience, une sorte de souvenir brumeux qui tentait de refaire surface alors qu’il regardait la photo. C’?tait presque comme une sensation de d?j? vu, mais pas du moment pr?sent. C’?tait comme si son subconscient essayait de lui dire quelque chose. Il revint soudain ? la r?alit? en entendant frapper ? la porte. Reid resta interdit, se demandant bien qui cela pouvait ?tre. Il ?tait presque minuit et les filles ?taient au lit depuis deux heures d?j?. On frappa de nouveau. Craignant que les filles ne se r?veillent, il se h?ta d’aller r?pondre. Apr?s tout, il vivait dans un quartier s?r et n’avait aucune raison d’avoir peur d’ouvrir la porte, qu’il soit minuit ou non. Ce ne fut pas le cinglant vent d’hiver qui lui gla?a le sang. Il observa avec surprise les trois hommes sur le pas de sa porte. Ils ?taient certainement du Moyen Orient, chacun d’entre eux ayant la peau sombre, une barbe noire et des yeux ? l’intensit? profonde. Ils portaient des vestes noires ?paisses et des bottes. Les deux hommes flanqu?s de chaque c?t? de la porte ?taient grands et maigres. Derri?re eux, le troisi?me ?tait large d’?paules et massif, avec un air renfrogn? qui semblait ne jamais le quitter. “Reid Lawson,” pronon?a le grand homme de droite. “C’est bien vous ?” Son accent paraissait iranien, mais il ?tait l?ger, sugg?rant que cela faisait d?j? quelques temps qu’il ?tait aux ?tats-Unis. Reid eut la gorge s?che en remarquant, par-dessus leurs ?paules, une camionnette grise stationn?e au bord du trottoir, phares ?teints. “Hum, je suis navr?,” leur dit-il. “Vous devez faire erreur.” Sans quitter Reid des yeux, le grand homme de droite montra quelque chose ? ses deux acolytes sur son t?l?phone mobile. L’homme de gauche, celui qui avait pos? la question, acquies?a. Tout ? coup, l’homme massif fit un bond en avant ?tonnement rapide pour sa taille. Sa main charnue saisit Reid ? la gorge. Reid pivota hors d’atteinte par pur r?flexe, tituba en arri?re et tomba presque ? plat au sol. Il parvint ? parer la chute de justesse, touchant le sol carrel? du bout des doigts. Alors qu’il se redressait pour retrouver son ?quilibre, les trois hommes entr?rent dans la maison. Il paniqua en pensant ? ses deux filles, endormies dans leurs lits, ? l’?tage. Il se retourna et se mit ? courir dans le couloir, d?boulant dans la cuisine et contournant l’?lot central. En jetant un coup d’?il derri?re lui, il vit les hommes ? ses trousses. T?l?phone portable, pensa-t-il, d?sesp?r?. Il ?tait sur son bureau, ? l’?tage, et ses assaillants bloquaient le passage. Il fallait qu’il les ?loigne de la maison et de ses filles. ? sa droite, se trouvait la porte qui donnait sur la cour. Il l’ouvrit et se remit ? courir sur la passerelle. L’un des hommes l’insulta dans une langue ?trang?re, de l’arabe pensa-t-il, courant derri?re lui. Reid sauta par-dessus la rampe de la passerelle et atterrit dans la petite cour. Une d?charge douloureuse traversa sa cheville au moment o? il toucha le sol, mais il l’ignora. Il contourna l’angle de la maison et s’aplatit contre la fa?ade en brique, essayant d?sesp?r?ment de faire taire sa respiration haletante. La brique ?tait glaciale au toucher et le l?ger vent hivernal ?tait coupant comme un couteau. Ses orteils ?taient d?j? en compote, ?tant donn? qu’il s’?tait ru? hors de la maison en chaussettes. Il avait la chair de poule partout sur ses membres. Il pouvait entendre les hommes discuter en chuchotant, leurs voix rauques et pr?cipit?es. Il compta les voix qu’il distinguait : une, deux et enfin trois. Ils ?taient tous sortis de la maison. Parfait, ils n’en avaient qu’apr?s lui, et non apr?s les filles. Il fallait qu’il trouve un t?l?phone. Mais il ne pouvait pas retourner chez lui sans mettre en danger ses filles. Il ne se voyait pas non plus aller tambouriner ? la porte d’un voisin. Il se souvint qu’il y avait une borne jaune d’appel d’urgence fix?e ? une cabine t?l?phonique en bas du p?t? de maisons. S’il parvenait jusqu’ici… Il prit une profonde inspiration et sprinta pour traverser la cour sombre, osant passer ensuite dans le faisceau lumineux projet? par les lampadaires de la rue au-dessus de lui. Sa cheville le lan?ait en guise de protestation et le choc caus? par le froid ?tait comme des piquants s’enfon?ant dans ses pieds, mais il s’effor?a d’avancer aussi vite que possible. Reid jeta un ?il par-dessus son ?paule. L’un des deux grands l’avait rep?r?. Il cria pour appeler les autres, mais il ne se mit pas ? sa poursuite. Bizarre, pensa Reid, mais il n’avait pas le temps de r?fl?chir ? la question. Il arriva bient?t ? la borne d’appel d’urgence, l’ouvrit d’un coup sec et enfon?a son pouce contre le bouton rouge cens? alerter les services de police locaux. Il regarda de nouveau derri?re lui. Il ne voyait aucun des trois hommes. “All? ?” chuchota-t-il dans le combin?. “Est-ce que quelqu’un m’entend ?” O? ?tait la lumi?re ? Normalement, il devait y avoir une lumi?re qui s’allume quand on appuie sur le bouton rouge. Est-ce que ce truc marchait au moins ? “Je m’appelle Reid Lawson, je suis poursuivi par trois hommes, j’habite ?…” Une main puissante attrapa une poign?e des cheveux courts et bruns de Reid, puis le tira en arri?re. Ses mots rest?rent coinc?s dans sa gorge, se transformant en une pauvre respiration sifflante et enrou?e. La derni?re chose dont il eut conscience fut un tissu rugueux et aveuglant contre son visage : un sac sur sa t?te. En m?me temps, on lui passa les mains derri?re le dos et on le menotta. Il tenta de lutter, mais les mains puissantes le tenaient fermement, tordant presque ses poignets jusqu’? la rupture. “Attendez !” parvint-il ? crier. “S’il vous plait…” Un impact atteint si violemment son abdomen que l’air s’?chappa totalement de ses poumons. Il n’arrivait plus ? respirer, et encore moins ? parler. Des couleurs ?tourdissantes se mirent ? danser devant ses yeux et il fut au bord de l’?vanouissement. Puis, il fut tra?n?, ses chaussettes r?clant contre le pav? du trottoir. Il fut hiss? dans la camionnette et la porti?re se referma derri?re lui. Les trois hommes ?chang?rent quelques mots entre eux dans une langue gutturale dont le ton semblait accusateur. “Pourquoi… ?” finit par dire Reid dans un souffle. Il sentit la pointe d’une aiguille dans le haut de son bras, puis tout son monde s’?croula. CHAPITRE DEUX Aveugle. Froid. Grondant, assourdissant, bousculant, douloureux. La premi?re chose que Reid constata en se r?veillant, c’est que tout ?tait noir : il ne pouvait rien voir. Une odeur ?cre de carburant emplissait ses narines. Il essaya de bouger ses membres lancinants, mais il avait les mains li?es dans le dos. Il gelait, mais il n’y avait pas de vent, juste de l’air froid, comme s’il ?tait assis dans un frigo. Lentement, comme si le brouillard se dissipait, les souvenirs de ce qui s’?tait produit affluaient dans sa m?moire. Les trois hommes du Moyen Orient. Un sac sur sa t?te. Une aiguille plant?e dans son bras. Il fut pris de panique, tirant sur ses liens et agitant les jambes. La douleur lui br?lait les poignets et le m?tal des menottes s’enfon?ait dans sa peau. Sa cheville le lan?ait, envoyant des ondes de choc dans sa jambe gauche. Il ressentait une pression intense au niveau des oreilles et il n’entendait rien d’autre qu’un moteur vrombissant. Pendant une fraction de seconde, il ressentit une sensation de chute dans son estomac, cons?quence d’une acc?l?ration verticale d?sagr?able. Il se trouvait dans un avion. Et ? en croire le bruit qu’il faisait, ce n’?tait pas un simple avion de ligne. Ce vrombissement, ce moteur extr?mement bruyant, l’odeur de carburant… Il r?alisa qu’il ?tait certainement ? bord d’un avion de marchandises. Combien de temps ?tait-il rest? inconscient ? Qu’est-ce qu’ils lui avaient inject? ? Est-ce que les filles allaient bien ? Les filles. Des larmes embu?rent ses yeux alors qu’il esp?rait co?te que co?te qu’elles ?taient en s?curit?, que la police en avait entendu assez et que les autorit?s s’?taient rendues chez lui… Il se tortilla sur son si?ge m?tallique. Malgr? la douleur et l’enrouement de sa gorge, il s’aventura ? ouvrir la bouche. “B-bonjour ?” Les mots sortirent en un murmure inaudible. Il se r?cla la gorge et essaya de nouveau. “Bonjour ? Il y a quelqu’un… ?” Puis, il r?alisa que le bruit du moteur devait couvrir sa voix, ? moins que quelqu’un soit assis juste ? c?t? de lui. “Oh? !” tenta-t-il de crier. “S’il vous plait… quelqu’un peut me dire ce qui…” Une dure voix masculine lui chuchota quelque chose en arabe. Reid tressaillit. L’homme ?tait proche, pas plus de quelques m?tres. “S’il vous plait, dites-moi ce qui se passe,” supplia-t-il. “C’est quoi ce cirque ? Pourquoi faites-vous ?a ?” Une autre voix cria de fa?on mena?ante en arabe, ? sa droite cette fois. Reid grima?a ? cette vive r?primande. Il esp?rait que le vrombissement de l’avion parvenait ? cacher le tremblement de ses membres. “Vous faites erreur sur la personne,” dit-il. “Qu’est-ce que vous voulez ? De l’argent ? Je n’en ai pas beaucoup, mais je peux… Attendez !” Une grosse main se referma sur son avant-bras comme un ?tau et, l’instant d’apr?s, il fut arrach? ? son si?ge. Il chancela, essayant de se mettre debout, mais les secousses de l’avion et la douleur dans sa cheville l’en emp?ch?rent. Ses genoux se d?rob?rent et il tomba sur le flanc. Quelque chose de dur et lourd le frappa au beau milieu de sa chute. Une douleur aux multiples ramifications envahit son torse. Il essaya de protester, mais sa voix se perdit dans un sanglot inintelligible. Un autre coup de pied l’atteint dans le dos, puis encore un, au menton cette fois. Malgr? l’horreur de la situation, une pens?e bizarre saisit Reid. Ces hommes, leurs voix, les coups : tout sugg?rait une vengeance personnelle. Il ne se sentait pas seulement attaqu?, il se sentait carr?ment ha?. Ces hommes ?taient en col?re, et cette col?re ?tait dirig?e contre lui comme le faisceau d’un laser. La douleur s’apaisa, lentement, laissant place ? un engourdissement froid qui le submergeait alors qu’il ?tait en train de s’?vanouir. * Douleur. Dess?chante, palpitante, insupportable, br?lante. Reid se r?veilla de nouveau. Les souvenirs du pass?… Il ne savait m?me pas combien de temps cela avait dur?. Il ne pouvait pas dire si c’?tait le jour ou la nuit, ni o? il ?tait, qu’il fasse jour ou nuit d’ailleurs. Mais les souvenirs afflu?rent de nouveau, d?cousus comme des images uniques coup?es dans une bande de film et abandonn?es ainsi, sur le sol. Trois hommes. La borne d’urgence. La camionnette. L’avion. Et maintenant… Reid s’effor?a d’ouvrir les yeux. C’?tait difficile. On aurait dit que ses paupi?res avaient ?t? scell?es avec de la colle. Mais ? travers la peau fine, il pouvait percevoir qu’une lumi?re vive et crue l’attendait de l’autre c?t?. Il en sentait la chaleur sur son visage et parvenait ? voir le r?seau de minuscules vaisseaux sanguins ? travers ses paupi?res. Il plissa les yeux. Tout ce qu’il pouvait voir, c’?tait la lumi?re impitoyable, brillante et blanche, lui br?lant la t?te. Mon dieu, qu’il avait mal ? la t?te. Il essaya de g?mir et constata, par le biais d’une dose ?lectrique de douleur nouvelle, que sa m?choire le faisait ?galement souffrir. Sa langue ?tait p?teuse et s?che, comme s’il avait la bouche pleine de pi?ces. Le go?t du sang. Il r?alisa que ses yeux avaient eu du mal ? s’ouvrir parce qu’ils ?taient r?ellement coll?s. Un c?t? de son visage lui semblait chaud et poisseux. Le sang avait couru depuis son front jusque dans ses yeux, certainement ? cause de tous les coups qu’il avait re?us jusqu’? s’?vanouir dans l’avion. En tout cas, il pouvait voir la lumi?re. On avait donc retir? le sac de sa t?te. Qu’il s’agisse ou non d’une bonne chose restait ? voir. Alors que ses yeux tentaient de s’adapter, il essaya de nouveau de bouger les mains, en vain. Elles ?taient toujours li?es mais, cette fois, il ne s’agissait pas de menottes. Des cordes ?paisses et rugueuses les maintenaient en place. Ses chevilles ?taient ?galement attach?es aux pieds d’une chaise en bois. Ses yeux finirent par s’habituer ? la duret? de la lumi?re et des contours flous commenc?rent ? se former. Il se trouvait dans une petite pi?ce sans fen?tre, aux murs en b?ton irr?guliers. Il faisait chaud et humide l?-dedans, assez pour sentir de la sueur lui picoter la nuque, malgr? la sensation de froid et d’engourdissement partiel de son corps. Il ne parvenait pas ? ouvrir totalement son ?il droit et c’?tait douloureux d’essayer. Soit il avait pris un coup ici avant, soit ses ravisseurs avaient continu? de le frapper alors qu’il ?tait inconscient. La lumi?re vive provenait d’une fine lampe d’examen, reposant sur un long pied ? roulettes, r?gl?e ? sa hauteur et ?clairant son visage. L’ampoule halog?ne brillait violemment. S’il y avait quoi que ce soit au-del? de cette lampe, il ne pouvait pas le voir. Il tressaillit quand un tintement puissant r?sonna dans toute la petite pi?ce : le bruit d’un verrou m?tallique que l’on fait sauter. Les charni?res couin?rent, mais Reid ne voyait pas la porte. Elle se ferma de nouveau dans un bruit dissonant. Une silhouette barra la lumi?re, le baignant d’ombre, alors qu’elle se trouvait debout devant lui. Il tremblait, n’osant pas lever les yeux. “Qui ?tes-vous ?” La voix ?tait masculine, l?g?rement plus aigu? que celle des pr?c?dents ravisseurs, mais toujours fortement marqu?e par un accent du Moyen Orient. Reid ouvrit la bouche pour parler, pour leur dire qu’il n’?tait rien de plus qu’un professeur d’histoire, qu’ils faisaient erreur sur la personne, mais il lui revint rapidement en t?te que, la derni?re fois qu’il avait essay? de le faire, il avait re?u des coups de pied en retour. ? la place, un petit g?missement s’?chappa de ses l?vres. L’homme soupira et s’?loigna de la lumi?re. Quelque chose crissa contre le sol en b?ton : les pieds d’une chaise. L’homme ajusta la lampe afin que son faisceau s’?loigne l?g?rement du visage de Reid, puis il s’assit sur la chaise, face ? lui, si pr?s que leurs genoux pouvaient presque se toucher. Reid leva lentement les yeux. L’homme ?tait jeune, trente ans tout au plus, avec la peau fonc?e et une barbe noire proprement ras?e. Il portait des lunettes rondes en m?tal et un kufi blanc, sorte de casquette ronde sans visi?re. L’espoir envahit Reid. Ce jeune homme semblait ?tre un intellectuel, totalement diff?rent des sauvages qui l’avaient attaqu? et enlev?. Peut-?tre pourrait-il n?gocier avec cet homme. Peut-?tre que c’?tait lui le chef… “On va commencer par quelque chose de simple,” dit l’homme. Sa voix ?tait douce et pos?e, typiquement le ton qu’un psychologue pourrait employer avec un patient. “Comment vous appelez-vous ?” “L… Lawson.” Sa voix b?gaya d?s la premi?re tentative. Il toussa, et fut un peu alarm? en voyant des taches de sang au sol. L’homme qui lui faisait face lui essuya le nez avec d?gout. “Je m’appelle… Reid Lawson.” Pourquoi est-ce qu’ils lui demandaient encore son nom ? Il le leur avait d?j? dit. Avait-il fait involontairement du tort ? quelqu’un ? L’homme soupira lentement et il sentit son souffle sur son nez. Il posa ses coudes contre ses genoux et se pencha en avant, baissant un peu plus le ton de sa voix. “Il y a beaucoup de gens qui voudraient ?tre dans cette pi?ce ? l’heure actuelle. Heureusement pour vous, il n’y a que vous et moi. Toutefois, si vous n’?tes pas honn?te avec moi, je n’aurai pas d’autre choix que d’inviter… d’autres personnes. Et elles ne sont pas aussi compr?hensives que moi.” Il se redressa sur sa chaise. “Donc, je vous le demande ? nouveau. Quel… est… votre… nom ?” Comment pouvait-il le convaincre qu’il ?tait bien qui il disait ?tre ? Le c?ur de Reid s’emballa quand la dure r?alit? le frappa comme un coup port? ? la t?te. Il allait certainement mourir dans cette pi?ce. “Je vous dis la v?rit? !” insista-t-il. Soudain, un flot de paroles sortit de sa bouche, comme si un barrage venait de rompre. “Je m’appelle Reid Lawson. S’il vous plait, dites-moi pourquoi je suis ici. Je ne sais pas ce qui se passe et je n’ai rien fait du tout…” L’homme frappa violemment Reid ? la bouche d’un revers de la main. Sa t?te en fut fortement secou?e. Il ?mit un g?missement alors que la douleur rayonnait ? travers sa l?vre fra?chement fendue. “Votre nom.” L’homme essuya le sang sur la chevali?re en or qu’il portait ? la main. “Je… Je vous l’ai dit,” balbutia-t-il. “M-mon nom est Lawson.” Il ?touffa un sanglot. “Je vous en prie.” Il osa lever les yeux. Son interrogateur l’observait, impassible et froid. “Votre nom.” “Reid Lawson !” Reid sentit la chaleur envahir son visage alors que la douleur se changeait en col?re. Il ne savait pas ce qu’il pouvait dire d’autre, ni ce qu’il voulait qu’il dise. “Lawson ! C’est Lawson ! Vous pouvez v?rifier mon… mon…” Non, ils ne pouvaient pas v?rifier son identit?. Il n’avait m?me pas son porte-monnaie sur lui quand le trio de musulmans l’avait embarqu?. Son interrogateur fit non de la t?te, avant d’enfoncer son poing osseux dans le plexus de Reid. Une nouvelle fois, l’air sortit compl?tement de ses poumons. Pendant une longue minute, Reid fut incapable de respirer, avant d’y parvenir enfin dans un souffle haletant. Sa poitrine le br?lait vivement. De la sueur perla sur ses joues, br?lant au passage sa l?vre fendue. Sa t?te pendait mollement, le menton entre les clavicules, alors qu’il tentait de combattre une vague de naus?e. “Votre nom,” r?p?ta calmement l’interrogateur. “Je… Je ne sais pas ce que vous voulez me faire dire,” soupira Reid. “Je ne sais pas qui vous cherchez. Mais ce n’est pas moi.” Est-ce qu’il perdait la t?te ? Il ?tait pourtant s?r de n’avoir rien fait pour m?riter un tel traitement. L’homme au kufi se pencha de nouveau en avant, relevant cette fois gentiment le menton de Reid avec ses deux doigts. Il lui tourna la t?te, for?ant Reid ? le regarder dans les yeux. Ses fines l?vres s’?tiraient en un sourire ? moiti? grima?ant. “Mon ami,” dit-il, “la situation va beaucoup, beaucoup empirer avant de s’am?liorer.” Reid d?glutit et sentit un go?t de cuivre au fond de sa gorge. Il savait que le sang est un vomitif. L’?quivalent de deux tasses le ferait vomir, et il se sentait d?j? naus?eux et ?tourdi. “?coutez-moi,” implora-t-il. Sa voix ?tait tremblante et apeur?e. “Les hommes qui m’ont captur?, ils sont venus au 22 Ivy Lane, chez moi. Je m’appelle Reid Lawson. Je suis professeur d’histoire europ?enne ? l’Universit? de Columbia. Je suis veuf et j’ai deux filles…” Il s’arr?ta net. Jusqu’ici, ses ravisseurs n’avaient donn? aucun indice de leur connaissance ou non de l’existence des filles. “Si ce n’est pas ?a que vous cherchez, alors je ne peux rien pour vous. Je vous en prie. C’est la v?rit?.” L’interrogateur le fixa du regard un long moment, sans cligner des yeux. Puis il aboya brusquement quelque chose en arabe. Reid tressaillit en entendant le bruit soudain. Le verrou venait de s’ouvrir ? nouveau. Par-dessus l’?paule de l’homme, Reid entrevoyait ? peine les contours de l’?paisse porte en train de s’ouvrir. Elle semblait faite en une sorte de m?tal, du fer ou de l’acier certainement. Il r?alisa que cette pi?ce ?tait con?ue comme une cellule de prison. Une silhouette apparut dans l’embrasure de la porte. L’interrogateur cria quelque chose d’autre dans sa langue natale et la silhouette s’?vanouit. Il d?cocha ? Reid un sourire grima?ant. “Nous verrons bien,” dit-il simplement. Il y eut un grincement de roues, puis la silhouette r?apparut, poussant cette fois un chariot en acier sur le sol b?tonn? de la pi?ce. Reid reconnut son convoyeur comme ?tant la brute silencieuse et puissante qui ?tait venue chez lui, avec son ?ternel air renfrogn?. Sur le chariot, se trouvait une machine archa?que, un bo?tier marron avec une douzaine de boutons et de cadrans, ainsi que d’?pais fils noirs branch?s sur un c?t?. De l’autre c?t?, s’?tirait un rouleau de papier blanc avec quatre fines aiguilles appuy?es dessus. C’?tait un polygraphe, probablement aussi vieux que Reid lui-m?me. En tout cas, il s’agissait d’un d?tecteur de mensonges. Il poussa un soupir, ? moiti? soulag?. Au moins, ils allaient voir qu’il disait la v?rit?. Ce qu’ils feraient de lui ensuite… Il ne voulait m?me pas y penser. L’interrogateur se mit ? enrouler les capteurs Velcro autour de deux des doigts de Reid, posant un brassard sur son biceps gauche et deux cordons autour de sa poitrine. Il se rassit, sortant un crayon de sa poche et se collant la gomme rose dans la bouche. “Vous savez ce que c’est,” dit-il simplement. “Vous savez comment ?a marche. Si vous dites quoi que ce soit qui ne r?pond pas honn?tement ? mes questions, nous vous frapperons. C’est bien compris ?” Reid acquies?a. “Oui.” L’interrogateur enclencha le commutateur et r?gla les boutons de la machine. La brute renfrogn?e se tenait derri?re son ?paule, camouflant la lumi?re qui venait de la lampe d’examen, et regardant en direction de Reid. Les fines aiguilles dans?rent l?g?rement sur le rouleau de papier blanc, laissant quatre trac?s noirs. L’interrogateur gribouilla quelque chose sur la feuille avant de tourner de nouveau son regard froid vers Reid. “De quelle couleur est mon chapeau ?” “Blanc,” r?pondit calmement Reid. “De quelle esp?ce ?tes-vous ?” “Humaine.” L’interrogateur ?tablissait des bases pour les questions ? venir : en g?n?ral, quatre ou cinq v?rit?s connues afin de pouvoir d?tecter les mensonges potentiels. “Dans quelle ville vivez-vous ?” “New York.” “O? ?tes-vous maintenant ?” Reid prit un ton presque moqueur. “Sur une… sur une chaise. Je ne sais pas.” L’interrogateur inscrivait par intermittence des marques sur le papier. “Quel est votre nom ?” Reid fit de son mieux pour garder une voix pos?e. “Reid Lawson.” Les trois hommes observaient la machine. Les aiguilles continuaient de bouger, imperturbables. Il n’y avait pas de pics ou de creux significatifs dans les lignes qui se dessinaient. “Quel est votre emploi ?” demanda l’interrogateur. “Je suis professeur d’Histoire de l’Europe ? l’Universit? de Columbia.” “Depuis combien de temps ?tes-vous professeur ? l’universit? ?” “Treize ans,” r?pondit Reid avec franchise. “J’ai ?t? professeur assistant pendant cinq ans, puis professeur adjoint en Virginie pendant six ann?es de plus. Je suis d?sormais professeur associ? ? New York depuis deux ans.” “?tes-vous d?j? all? ? T?h?ran ?” “Non.” “ ?tes-vous d?j? all? ? Zagreb ?” “Non !” “ ?tes-vous d?j? all? ? Madrid ?” “N—oui. Une fois, il y a quatre ans ? peu pr?s. C’?tait pour un congr?s, je repr?sentais l’universit?.” Les aiguilles restaient stables. “Vous voyez ?” Reid avait tellement envie de hurler qu’il luttait pour garder son calme. “Vous vous ?tes tromp?s de personne. Je ne sais pas qui vous cherchez, mais ce n’est pas moi.” L’interrogateur souffla par les narines, mais ce fut sa seule r?action. La brute serra ses mains devant lui, faisant ressortir ses veines sur sa peau. “Avez-vous d?j? rencontr? un homme du nom de Cheikh Mustafar ?” demanda l’interrogateur. Reid secoua la t?te. “Non.” “Il ment !” Un homme grand et maigre entra dans la pi?ce : l’un des deux autres hommes qui l’avaient assailli chez lui, le m?me qui lui avait demand? son nom en premier. Il avan?a ? grandes enjamb?es, son regard hostile dirig? sur Reid. “On peut tromper cette machine. Nous le savons bien.” “Il y aurait des signes,” r?pondit calmement l’interrogateur. “Un langage corporel, de la sueur, des signes vitaux… Tout laisse ici ? penser qu’il dit la v?rit?.” Reid ne put s’emp?cher de penser qu’ils parlaient en anglais pour qu’il puisse comprendre. Le grand homme tourna les talons et commen?a ? faire les cent pas le long de la pi?ce nue, murmurant de col?re en arabe. “Demande-lui pour T?h?ran.” “C’est d?j? fait,” r?pondit l’interrogateur. Le grand homme se tourna de nouveau vers Reid, furieux. Reid retint son souffle, s’attendant de nouveau ? recevoir des coups. Au lieu de ?a, l’homme reprit sa marche. Il pronon?a quelques mots rapides en arabe. L’interrogateur lui r?pondit, et la brute observa Reid avec attention. “S’il vous plait !” dit-il assez fort pour couvrir leur bavardage. “Je ne suis pas la personne que vous croyez. Je n’ai aucun souvenir de ce que vous me demandez…” Le grand homme s’arr?ta de parler et ses yeux s’?carquill?rent. Il se tapa le front, avant de se remettre ? parler ? l’interrogateur d’un ton excit?. L’homme impassible au kufi se caressait le menton. “Possible,” dit-il en anglais. Il se leva et prit le visage de Reid ? deux mains. “Qu’est-ce qui se passe ? Que faites-vous ?” demanda Reid. Les doigts de l’homme t?taient m?ticuleusement le contour de son visage ? la naissance des cheveux. “Du calme,” dit pos?ment l’homme. Il sonda le cuir chevelu de Reid, sa nuque, ses oreilles… “Ah !” dit-il brusquement. Il appela sa cohorte qui d?boula d’un coup, penchant violemment la t?te de Reid d’un c?t?. L’interrogateur fit courir un doigt le long de l’os masto?dien de Reid, cette petite section d’os temporal juste derri?re l’oreille. Il y avait une masse oblongue sous la peau, ? peine plus grande qu’un grain de riz. L’interrogateur aboya des ordres au grand homme, et ce dernier quitta pr?cipitamment la pi?ce. Le cou de Reid le faisait souffrir ? cause de l’angle peu confortable auquel sa t?te ?tait maintenue. “Quoi ? Qu’est-ce qui se passe ?” demanda-t-il. “Cette boule, ici,” dit l’interrogateur en passant de nouveau son doigt dessus. “C’est quoi ?” “C’est… C’est juste un ?peron osseux,” dit Reid. “Je l’ai depuis un accident de voiture, quand j’avais la vingtaine.” Le grand homme ne tarda pas ? revenir, cette fois avec un plateau en plastique. Il le posa sur le chariot, juste ? c?t? du d?tecteur de mensonges. Malgr? la faible luminosit? et l’angle inconfortable de sa t?te, Reid put clairement voir ce qui se trouvait sur le plateau. Un n?ud d’effroi lui serra l’estomac. Sur le chariot, se trouvaient un grand nombre d’instrument m?talliques ac?r?s. “Pourquoi tout ceci ?” On sentait la panique dans sa voix. Il se tortilla contre ses liens. “Mais, qu’est-ce que vous faites ?” L’interrogateur donna un ordre bref ? la brute. Il s’avan?a, et la luminosit? soudaine de la lampe d’examen aveugla presque Reid. “Attendez… Attendez !” cria-t-il. “Dites-moi au moins ce que vous voulez savoir !” La brute s’empara de la t?te de Reid avec ses grandes mains et l’agrippa fermement, le for?ant ? rester immobile. L’interrogateur saisit un outil : un scalpel ? fine lame. “S’il vous plait, non… Je vous en prie…” La respiration de Reid ?tait saccad?e. Il ?tait presque en train d’hyperventiler. “Chut,” r?pondit calmement l’interrogateur. “Vous allez rester tranquille. Je ne voudrais pas vous couper l’oreille. Du moins, pas par accident.” Reid hurla alors que la lame s’enfon?ait dans la peau derri?re son oreille, mais la brute le maintenait immobile. Chaque muscle de ses membres se crispa. Un ?trange bruit parvint ? ses oreilles : une douce m?lodie. L’interrogateur chantait tranquillement en arabe, alors qu’il d?coupait quelque chose derri?re la t?te de Reid. Il laissa tomber le scalpel sanglant sur le plateau, alors que Reid essayait p?niblement de souffler entre ses dents. Puis, l’interrogateur s’empara d’une paire de pinces effil?es. “Je suis navr?, mais ce n’est que le d?but,” murmura-t-il ? l’oreille de Reid. “L’?tape suivante va vraiment faire mal.” Les pinces attrap?rent quelque chose sous la peau de Reid : ?tait-ce son os ? Puis l’interrogateur tira dessus. Reid hurla, ? l’agonie, alors qu’une douleur vive envahissait son cerveau, atteignant ses terminaisons nerveuses. Ses bras tremblaient et ses pieds cognaient contre le sol. La douleur ne cessa d’augmenter jusqu’? ce que Reid se dise qu’il ne pourrait plus la supporter. Du sang coulait dans son oreille et ses propres cris lui semblaient ?tre des sons lointains. Puis, la lumi?re de la lampe s’estompa et sa vision s’assombrit, alors qu’il glissait vers l’inconscience. CHAPITRE TROIS ? l’?ge de vingt-trois ans, Reid avait eu un accident de voiture. Le feu ?tait pass? au vert et il s’?tait engag? sur le croisement. Un camion pick-up avait grill? le feu et avait percut? le c?t? passager ? l’avant. Sa t?te avait heurt? la vitre et il ?tait rest? inconscient quelques minutes. Sa seule blessure avait ?t? une fracture de l’os temporal cr?nien. Il s’en sortait bien : la seule preuve de l’accident ?tait une petite excroissance derri?re l’oreille. Le m?decin lui avait expliqu? qu’il s’agissait d’un ?peron osseux. Le truc bizarre concernant cet accident, c’?tait que bien qu’il se souvienne de l’?v?nement, il ne se rappelait aucunement la douleur ressentie, ni sur le moment, ni m?me apr?s d’ailleurs. Mais il la sentait bien ? pr?sent. Alors qu’il reprenait connaissance, le petit morceau d’os derri?re son oreille lui faisait souffrir le martyre. La lampe d’examen brillait de nouveau dans ses yeux. Il les plissa, puis poussa un l?ger g?missement. Le moindre petit mouvement de t?te provoquait une nouvelle piq?re dans son cou. Soudain, son esprit fut saisi par une constatation. La lumi?re vive dans ses yeux n’?tait pas du tout celle de la lampe. Le soleil de l’apr?s-midi ?tincelle sous un ciel bleu sans nuages. Un A-10 Warthog survole la zone, virant ? droite, puis plongeant en altitude sur les toits tristes et plats de Kandahar. La vision n’?tait pas claire. Elle arrivait par flashs, comme plusieurs photos fixes dans une s?quence, comme regarder quelqu’un qui danse sous un stroboscope. Tu te trouves sur le toit beige d’un immeuble ? moiti? d?truit, un tiers du b?timent ayant explos?. Tu cales le manche contre ton ?paule, regarde dans le viseur, puis aper?ois un homme en-dessous… Reid secoua la t?te et g?mit une nouvelle fois. Il ?tait dans la salle b?tonn?e, sous l’?il inquisiteur de la lampe d’examen. Ses doigts tremblaient et ses membres ?taient froids. De la sueur coulait sur son front. Il ?tait probablement encore sous le choc. ? sa gauche, il pouvait voir que sa chemise ?tait tremp?e de sang au niveau de l’?paule. “?peron osseux,” pronon?a la voix placide de l’interrogateur. Puis, il partit d’un rire sardonique. Une main fine apparut dans le champ de vision de Reid, tenant la paire de pinces effil?es. Cal?e entre ses lames, se trouvait quelque chose de minuscule et d’argent?, mais Reid ne distinguait pas ses contours. Sa vision ?tait floue et la pi?ce lui semblait tournoyer l?g?rement. “Savez-vous ce que c’est ?” Reid secoua lentement la t?te. “J’avoue que je n’ai vu ?a qu’une fois auparavant,” dit l’interrogateur. “Une puce de suppression de m?moire. C’est tr?s utile pour les gens dans votre cas unique.” Il laissa tomber les pinces et le petit grain argent? sur le plateau en plastique. “Non,” grommela Reid. “Impossible.” Le dernier mot sortit ? peine plus fort qu’un murmure. Suppression de m?moire ? On nageait en pleine science-fiction. Pour que ?a puisse marcher, il faudrait que la totalit? du syst?me limbique du cerveau soit affect?e. Le cinqui?me ?tage du Ritz ? Madrid. Tu ajustes ta cravate noire avant de mettre un grand coup de talon dans la porte, juste au-dessus de la poign?e. L’homme ? l’int?rieur est pris par surprise. Il bondit sur ses pieds et s’empare d’un pistolet sur le bureau. Mais avant qu’il puisse le lever sur toi, tu saisis son arme et la retourne vers lui. La force fait facilement rompre son poignet… Reid chassa cette s?quence confuse de son cerveau, alors que son interrogateur prenait place dans la chaise en face de lui. “Vous m’avez fait quelque chose,” murmura-t-il. “Oui,” acquies?a l’interrogateur. “Nous venons de vous lib?rer de votre prison mentale.” Il se pencha en avant avec un petit sourire narquois, cherchant quelque chose dans les yeux de Reid. “Vous vous souvenez. C’est fascinant ? observer. Vous ?tes perdu. Vos pupilles sont anormalement dilat?es, malgr? la lumi?re. Qu’est-ce qui est r?el, ‘Professor Lawson’ ?” Le Cheikh. Par tous les moyens n?cessaires. “Quand notre m?moire nous fait d?faut…” Derni?re cachette connue : une maison s?curis?e de T?h?ran. “Qui sommes-nous ?” Une balle fait le m?me bruit dans toutes les langues… Qui a dit ?a ? “Qui devenons-nous ?” C’est toi qui as dit ?a. Reid se sentit de nouveau glisser dans le vide. L’interrogateur lui mit deux gifles, afin qu’il revienne ? ce qui se passait dans la pi?ce. “? pr?sent, nous pouvons nous y remettre s?rieusement. Alors, je vous pose de nouveau la question. Quel… est… votre… nom ?” Tu entres seul dans la salle d’interrogatoire. Le suspect est menott? ? un anneau fix? ? la table. Tu cherches dans la poche int?rieure de ton veston et en sort un badge d’identification en cuir… “Reid. Lawson.” Sa voix ?tait h?sitante. “Je suis professeur… d’histoire de l’Europe…” L’interrogateur soupira de d?ception. Il fit un signe de la main ? la brute renfrogn?e. Un lourd poing s’abattit alors contre la joue de Reid. Une de ses molaires ricocha sur le sol dans une gicl?e de sang frais. Pendant un moment, il n’y eut m?me pas de douleur. Son visage ?tait engourdi, palpitant sous l’impact. Puis une nouvelle agonie n?buleuse prit le dessus. “Arggh…” Il essayait de former des mots, mais ses l?vres refusaient de bouger. “Je vous le demande encore,” continua l’interrogateur. “T?h?ran ?” Le cheikh se terrait dans une maison s?curis?e, camoufl?e par une usine textile abandonn?e. “Zagreb ?” Deux iraniens, sur le point de monter dans un avion charter pour Paris, sont appr?hend?s sur une piste priv?e. “Madrid ?” Le cinqui?me ?tage du Ritz : une cellule dormante activ?e avec une bombe dans une valise. Destination pr?sum?e : la Plaza de Cibeles. “Cheikh Mustafar ?” Il a n?goci? pour garder la vie sauve. Il nous a dit tout ce qu’il savait : les noms, les lieux, les plans. Mais il en savait tellement… “Je sais que vous vous souvenez,” reprit l’interrogateur. “Vos yeux vous trahissent… Z?ro.” Z?ro. Un flash lui vint en t?te : Un homme portant des lunettes de soleil aviateur et une veste de motard noire. Il est debout, ? l’angle d’une rue, dans une ville europ?enne. Il avance parmi la foule. Personne n’en a conscience. Personne ne sait qu’il est l?. Reid tenta de nouveau de chasser les visions de son esprit. Qu’est-ce qui lui arrivait ? Les images dansaient dans sa t?te comme des s?quences en stop-motion, mais il refusait de reconna?tre qu’il s’agisse de souvenirs. Elles ?taient fausses. Implant?es, en quelque sorte. Il ?tait professeur ? l’universit?, p?re de deux adolescentes, vivant dans une humble maison du Bronx… “Dites-nous ce que vous savez de nos plans,” demanda pos?ment l’interrogateur. Nous ne parlons pas. Jamais. Les mots firent ?cho dans la caverne de son esprit, encore et encore. Nous ne parlons pas. Jamais. “C’est trop long !” cria le grand iranien. “Force-le.” L’interrogateur soupira. Il tira ? lui le chariot m?tallique, mais pas pour se tourner vers le d?tecteur de mensonge. Au lieu de ?a, ses doigts s’attard?rent sur le plateau en plastique. “Je suis un homme patient en g?n?ral,” dit-il ? Reid. “Mais je dois admettre que la frustration de mes associ?s est assez contagieuse.” Il s’empara du scalpel sanglant, l’outil utilis? pour lib?rer le petit grain d’argent de sa t?te, et il appuya doucement la pointe de la lame contre le jean de Reid, environ dix centim?tres au-dessus du genou. “Nous voulons simplement savoir ce que vous savez. Les noms. Les dates. ? qui vous avez dit ce que vous savez. L’identit? des autres agents de votre camp sur le secteur.” Morris. Reidigger. Johansson. Les noms lui travers?rent l’esprit et, avec eux, des visages qu’il n’avait jamais vus auparavant. Un homme plus jeune aux cheveux noirs et au sourire arrogant. Un gars au visage rond et ? l’air sympa, v?tu d’une chemise blanche. Une femme aux cheveux blonds ondul?s et aux yeux gris comme l’acier. “Et qu’est devenu le cheikh ?” Bizarrement, Reid savait tout ? coup que le cheikh en question avait ?t? arr?t? et emmen? dans un endroit tenu secret, au Maroc. Ce n’?tait pas une vision. Il le savait, un point c’est tout. Nous ne parlons pas. Jamais. Un frisson glac? traversa le dos de Reid, alors qu’il luttait pour ne pas devenir fou. “Dites-moi,” insista l’interrogateur. “Je ne sais pas.” Les mots furent ?tranges, roulant dans sa bouche enfl?e. Il leva les yeux, alarm?, et vit l’autre homme lui sourire dans un rictus. Il avait compris la demande prononc?e en langue ?trang?re… et venait d’y r?pondre dans un arabe parfait. L’interrogateur enfon?a la pointe du scalpel dans la jambe de Reid. Il hurla, alors que la lame atteignait le muscle de sa cuisse. Il tenta instinctivement de retirer sa jambe, mais ses chevilles ?taient attach?es aux pieds de la chaise. Il serra fort les dents, faisant presque d?lib?r?ment souffrir sa m?choire en guise de protestation. La blessure dans sa jambe lui faisait terriblement mal. L’interrogateur sourit et inclina l?g?rement la t?te. “Je dois admettre que vous ?tes plus r?sistant que beaucoup d’autres, Z?ro,” dit-il en anglais. “Malheureusement pour vous, je suis un professionnel.” Il tendit la main et retira lentement l’un des chaussettes crasseuses de Reid. “Je n’ai pas souvent recours ? cette tactique.” Il se redressa et regarda Reid droit dans les yeux. “Voici ce qui va se passer maintenant : Je vais d?couper des petits morceaux de vous, puis vous les montrer un par un. Nous allons commencer par vos orteils. Ensuite, les doigts. Et apr?s… Nous verrons o? nous en sommes.” L’interrogateur se mit ? genoux et appuya la lame contre le plus petit orteil de son pied droit. “Attendez,” supplia Reid. “Attendez, je vous en prie.” Les deux autres hommes pr?sents dans la pi?ce se rapproch?rent avec int?r?t pour regarder, un de chaque c?t?. D?sesp?r?, Reid toucha des doigts les cordes qui maintenaient ses poignets en place. C’?tait un n?ud droit avec deux boucles oppos?es, serr?es par un demi-n?ud… Un frisson ?norme partit du bas de son dos jusqu’? ses ?paules. Il savait. Peu importe comment, il savait, c’est tout. Il eut une intense sensation de d?j? vu, comme s’il s’?tait d?j? retrouv? dans cette situation… ou plut?t, ces visions d?mentes, implant?es dieu sait comment dans sa t?te, lui disaient que c’?tait le cas. Mais, le plus important est qu’il savait quoi faire. “Je vais tout vous dire !” haleta Reid. “Je vais vous dire ce que vous voulez savoir.” L’interrogateur leva les yeux. “Ah oui ? Parfait. Toutefois, je vais d’abord vous retirer cet orteil. Je ne voudrais pas que vous pensiez que je bluffe.” Derri?re la chaise, Reid attrapa son pouce gauche de la main droite. Il retint son souffle et le secoua vivement. Il sentit le craquement alors que son pouce se disloquait. Il s’attendait ? subir une douleur vive et intense, mais il ne ressentit rien de plus qu’une palpitation sourde. Il r?alisa de nouveau quelque chose : ce n’?tait pas la premi?re fois que ?a lui arrivait. Il hurla, alors que l’interrogateur ?tait en train de trancher la peau de son orteil. Avec son pouce d?sormais ? l’oppos? de son angle normal, il fit glisser sa main pour la lib?rer de ses liens. Une fois cette boucle ouverte, l’autre c?da aussi. Il avait les mains libres, mais ne savait pas quoi en faire. L’interrogateur leva les yeux et son front se plissa de confusion. “Qu’est-ce… ?” Mais il ne put prononcer un mot de plus. La main droite de Reid avait surgi pour attraper le premier instrument ? sa port?e sur le plateau : un couteau chirurgical ? manche noir. Alors que l’interrogateur tentait de se relever, Reid lui planta son couteau dans le cou, la lame lui tranchant la carotide. L’homme porta ses deux mains ? sa gorge. Le sang s’insinuait entre ses doigts alors qu’il s’?croulait au sol, les yeux ?carquill?s. La grosse brute rugit de fureur en se jetant en avant. Il enroula ses mains massives autour de la gorge de Reid et serra fort. Reid essayait de trouver une solution, mais la peur le paralysait. Ce dont il se souvint ensuite, c’est d’avoir lev? de nouveau le couteau et de l’avoir enfonc? ? l’int?rieur du poignet de la brute. Il fit pivoter ses ?paules en poussant, et tailla un boulevard dans toute la longueur de l’avant-bras de l’homme. La brute poussa un cri avant de s’effondrer au sol, serrant sa grave blessure. L’homme grand et maigre observait la sc?ne, incr?dule. Tout comme avant, dans la rue face ? la maison de Reid, il semblait h?siter ? s’approcher de lui. Au lieu de ?a, il se rua sur le plateau en plastique pour s’emparer d’une arme. Il attrapa une lame courbe pour l’enfoncer directement dans la poitrine de Reid. Reid se jeta en arri?re de tout son poids, emportant la chaise et ?vitant de justesse le couteau. Il tira en m?me temps sur ses pieds de toutes ses forces pour les ?carter. Quand la chaise heurta le sol en b?ton, ses pieds c?d?rent de l’assise, lib?rant les liens. Reid se releva en tremblant, les jambes f?briles. Le grand homme appela ? l’aide en arabe, puis se mit ? fendre l’air avec son couteau dans de larges mouvements de part et d’autre pour maintenir Reid ?loign?. Reid garda ses distances, regardant la lame osciller de fa?on hypnotique. L’homme balan?a son bras ? droite, et Reid bondit, emprisonnant le bras et le couteau entre ses mains. Ce mouvement les poussa en avant et, alors que l’iranien basculait, Reid pivota et trancha net dans l’art?re f?morale ? l’arri?re de sa cuisse. Il planta un pied et fit balancer le couteau dans l’autre sens, transper?ant la jugulaire. Il n’aurait su dire comment, mais il savait qu’il ne restait que quarante-sept secondes ? vivre pour l’homme atteint. On entendait des bruits de pas marteler un escalier non loin de l?. Les doigts tremblants, Reid se pr?cipita vers la porte ouverte et se plaqua contre un c?t?. La premi?re chose qu’il vit ? travers fut un pistolet, qu’il identifia imm?diatement comme un Beretta 92 FS, puis un bras suivi d’un torse. Reid pivota, attrapa l’arme dans le creux de son coude et enfon?a le couteau chirurgical sur le c?t?, entre deux c?tes. La lame transper?a le c?ur de l’homme. Un cri d’agonie sortit de sa bouche, alors qu’il glissait sur le sol. Ensuite, ce fut le silence complet. Reid recula d’un pas. Il avait beaucoup de mal ? respirer. “Oh mon dieu,” souffla-t-il. “Oh mon dieu.” Il venait juste de tuer, ou plut?t assassiner quatre hommes en l’espace de quelques secondes. Et le pire, c’est qu’il avait agi par pur r?flexe, comme on se rappelle comment faire du v?lo. Ou de se mettre soudain ? parler en arabe. Ou encore de conna?tre le destin du cheikh. Il ?tait professeur. Il avait des souvenirs. Il avait des enfants. Une carri?re. Mais son corps savait clairement comment se battre, m?me si lui n’en avait pas conscience. Il avait su comment se d?faire de ses liens. Il avait su o? porter un coup fatal. “Qu’est-ce qui m’arrive ?” dit-il dans un soupir. Il se cacha les yeux un instant, alors qu’une vague de naus?e d?ferlait sur lui. Il avait du sang sur les mains, litt?ralement. Du sang sur sa chemise. Alors que l’adr?naline s’estompait un peu, les courbatures gagn?rent ses membres rest?s immobiles trop longtemps. Sa cheville le lan?ait encore pour avoir saut? de la passerelle. On lui avait poignard? la jambe. Il avait une blessure ouverte derri?re l’oreille. Il n’osait m?me pas penser de quoi son visage avait l’air. Va-t’en, lui hurla son cerveau. D’autres pourraient venir. “OK,” pronon?a Reid ? haute voix, comme s’il r?pondait ? quelqu’un d’autre dans la pi?ce. Il essaya de calmer au mieux sa respiration et balaya les alentours du regard. Ses yeux tomb?rent sur certains d?tails comme le Beretta, un bloc rectangulaire dans la poche de l’interrogateur, ou encore une marque ?trange dans le cou de la brute. Il s’agenouilla pr?s de ce dernier pour observer la cicatrice. Elle se trouvait pr?s de la ligne de sa m?choire, partiellement camoufl?e par sa barbe, pas plus grosse qu’une pi?ce de dix centimes. On aurait dit une sorte de br?lure, marqu?e au fer sur la peau, similaire ? un hi?roglyphe ou ? une lettre dans un alphabet diff?rent. Mais il ne la reconnut pas. Reid l’examina pendant plusieurs secondes pour la fixer dans sa m?moire. Puis il se mit ? fouiller dans la poche de l’interrogateur mort et en sortit un vieux t?l?phone portable. S?rement un mobile pr?pay?, lui indiqua son cerveau. Dans la poche arri?re du grand homme, il trouva un bout de papier froiss?, dont un coin ?tait recouvert de sang. Griffonn?e dans une ?criture presque illisible, se trouvait une longue s?rie de chiffres commen?ant par 963 : le code pays pour passer un appel international en Syrie. Aucun des hommes n’avait de papiers d’identit? sur lui, mais celui qui avait voulu lui tirer dessus poss?dait un portefeuille rempli de billets en euros dont le montant s’?levait facilement ? quelques milliers. Reid s’en empara ?galement, avant de finir par prendre le Beretta. Le poids du pistolet dans ses mains lui parut naturel. Calibre neuf millim?tres. Chargeur 15 coups. Canon cent-vingt-cinq millim?tres. Ses mains expertes ?ject?rent le chargeur dans un mouvement fluide, comme si quelqu’un d’autre les contr?lait. Treize coups. Il le remit en place et enclencha le cran de s?ret?. Puis, il s’?loigna de cet enfer. Au-del? de la porte ?paisse en acier, se trouvait un couloir sombre s’achevant par un escalier qui montait. En haut de celui-ci, on pouvait voir qu’il faisait jour. Reid grimpa les marches avec pr?caution, pistolet en avant, mais il n’entendit aucun bruit. L’air devenait plus frais au fur et ? mesure de son ascension. Il se retrouva dans une petite cuisine miteuse, la peinture s’?caillant sur les murs et les plats sales formant une haute pile dans l’?vier. Les vitres ?taient translucides, elles avaient ?t? enduites de graisse. Dans l’angle, le radiateur ?tait froid au toucher. Reid visita le reste de la petite maison. Il n’y avait personne d’autre que les quatre hommes morts dans la cellule. La seule salle de bains ?tait dans un ?tat encore pire que la cuisine, mais Reid y d?nicha un vieux kit de premiers secours. Il n’osa m?me pas se regarder dans le miroir, alors qu’il tentait de laver autant de sang que possible sur son visage et son cou. De la t?te aux pieds, tout lui faisait mal, ou le br?lait. Le minuscule tube d’antiseptique ?tait p?rim? depuis trois ans d?j?, mais il l’utilisa quand m?me, grima?ant en collant les pansements sur ses plaies ouvertes. Puis, il s’assit sur les toilettes et prit sa t?te dans ses mains, s’accordant un court moment de r?pit pour se remettre de ses ?motions. Tu pourrais partir, se dit-il. Tu as de l’argent. Va ? l’a?roport. Non, tu n’as pas de passeport. Va ? l’ambassade. Ou trouve un consulat. Mais… Mais il venait juste de tuer quatre hommes, et son propre sang se trouvait partout dans la pi?ce. En outre, il y avait un autre probl?me encore plus ?vident. “Je ne sais pas qui je suis,” dit-il ? haute voix. Ces flashs, ces visions qui assaillaient son esprit, venaient de sa propre perspective. De son point de vue. Mais il n’avait jamais, n’aurait jamais rien fait de tel. Suppression de m?moire, avait dit l’interrogateur. Est-ce que c’?tait possible au moins ? Il repensa ? ses filles. Est-ce qu’elles allaient bien ? Avaient-elles peur ? ?taient-elles… ses ? Cette id?e l’angoissa au plus profond de son ?tre. Et si, en quelque sorte, ce qu’il croyait ?tre r?el ne l’?tait pas du tout ? Non, se dit-il cat?goriquement. Elles ?taient ses filles. Il avait assist? ? leur naissance. Il les avait ?lev?es. Aucune de ces visions bizarres et intrusives ne pourraient le contredire. Et il fallait qu’il trouve un moyen de les contacter, de s’assurer qu’elles allaient bien C’?tait sa premi?re priorit?. Il ne pouvait en aucun cas utiliser le t?l?phone pr?pay? pour contacter sa famille : il ne savait pas s’il ?tait trac? ou si quelqu’un pourrait ?couter la conversation. Il se rappela tout ? coup le bout de papier avec le num?ro de t?l?phone dessus. Il se leva pour le sortir de sa poche. Le papier tach? de sang lui sauta aux yeux. Il ne savait pas ce dont il retournait, ni pourquoi ils croyaient qu’il ?tait quelqu’un d’autre que celui qu’il leur disait ?tre, mais une lueur d’urgence affluait ? la surface de son subconscient, lui disant qu’il ?tait ? pr?sent totalement impliqu? dans quelque chose de bien plus important que lui. D’une main tremblante, il composa le num?ro sur le t?l?phone pr?pay?. Une voix masculine bourrue r?pondit ? la deuxi?me sonnerie. “C’est fait ?” demanda-t-il en arabe. “Oui,” r?pondit Reid. Il essayait du mieux possible de masquer sa voix et de simuler un accent. “Vous avez l’information ?” “Mmm.” La voix garda le silence un long moment. Le c?ur de Reid battait ? tout rompre. Avaient-ils compris qu’il n’?tait pas l’interrogateur ? “187 Rue de Stalingrad,” finit par dire l’homme. “Vingt heure.” Puis, il raccrocha. Reid raccrocha ? son tour et prit une profonde inspiration. Rue de Stalingrad ? pensa-t-il. En France ? Il ne savait pas encore ce qu’il allait faire. C’?tait comme si son esprit venait de briser un mur pour d?couvrir une toute autre pi?ce de l’autre c?t?. Il ne pouvait pas rentrer chez lui sans savoir ce qui ?tait en train de lui arriver. Et quand bien m?me, combien de temps mettraient-ils pour les retrouver, les filles et lui ? Il n’avait qu’une seule piste. Il devait la suivre. Il sortit de la petite maison et se retrouva dans une all?e ?troite qui s’ouvrait sur une voie du nom de Rue Marceau. Il sut imm?diatement o? il ?tait : un faubourg de Paris, ? quelques m?tres de la Seine. Il eut presque envie de rie. Il aurait cru s’aventurer dans les rues d’une ville du Moyen Orient, d?vast?e par la guerre. Au lieu de ?a, il s’avan?ait vers un boulevard bord? de boutiques et d’une rang?e de maisons, avec des passants qui vaquaient paisiblement ? leurs occupations, sous la fra?che brise de ce mois de f?vrier. Il fourra le pistolet dans la ceinture de son jean et s’engagea sur le boulevard, se fondant dans la masse en essayant de ne pas attirer l’attention sur sa chemise tach?e de sang, sur ses pansements, ni sur ses contusions voyantes. Il serra ses bras le long de son corps : il allait avoir besoin de nouveaux habits, d’une veste et de quelque chose de plus chaud qu’une simple chemise. Il devait s’assurer que ses filles allaient bien. Ensuite, il obtiendrait des r?ponses. CHAPITRE QUATRE Marcher dans les rues de Paris donnait l’impression d’?tre dans un r?ve, mais pas dans le sens d’une attente ou d’un d?sir combl?. Reid arriva ? l’intersection entre la Rue de Berri et l’Avenue des Champs-?lys?es, toujours tr?s touristique malgr? le temps frais. On apercevait l’Arc de Triomphe plus loin, au nord-ouest, ?picentre de la Place Charles de Gaulle, mais sa grandeur se perdait pour Reid. Une nouvelle vision ?tait en train de traverser son esprit. Je suis d?j? venu ici. Je me suis tenu pile ? cet endroit et j’ai lev? les yeux vers ce panneau de signalisation. Je portais un jean et un blouson de motard noir, les couleurs du paysage ?taient alt?r?es par mes verres solaires polaris?s… Il tourna ? droite. Il n’?tait pas s?r de ce qu’il allait trouver ainsi, mais il avait l’intime conviction qu’il le saurait en le voyant. C’?tait une sensation incroyablement bizarre de me pas savoir o? il allait jusqu’? ce qu’il y soit. C’?tait comme si chaque nouvelle vision apportait des vignettes de souvenirs vagues, chacune ?tant d?connect?e de la suivante, tout en ?tant pourtant congruentes. Il savait que le caf? du coin servait le meilleur pastis qu’il ait jamais go?t?. La douce odeur des palmiers provenant de la p?tisserie de l’autre c?t? de la rue lui donnait l’eau ? la bouche. Il n’avait jamais go?t? aux palmiers auparavant, si ? M?me les sons l’?branlaient. Les passants discutaient innocemment entre eux en se promenant sur le boulevard, jetant par moment des coups d’?il ? son visage meurtri et band?. “Je n’aimerais pas tomber sur l’autre gars,” murmura un jeune fran?ais ? sa petite amie. Ils se mirent ? rire tous les deux. OK, pas de panique, pensa Reid. Apparemment, tu connais l’arabe et le fran?ais. La seule autre langue que parlait le Professeur Lawson, c’?tait l’allemand, m?me s’il avait aussi quelques notions d’espagnol. Il y avait ?galement autre chose, quelque chose de difficile ? d?finir. Cach?e sous ses nerfs agit?s et son envie de fuir, de rentrer chez lui et de se cacher quelque part, se trouvait une r?serve froide comme l’acier. C’?tait comme si la main puissante d’un fr?re ain? ?tait pos?e sur son ?paule et qu’une voix au fond de sa t?te lui disait, Du calme. Tu connais tout ?a. Tandis que cette voix lointaine lui murmurait doucement ? l’esprit, sa principale pens?e ?tait pour ses filles et leur s?curit?. O? ?taient-elles ? Qu’est-ce qu’elles ?taient en train de penser ? Est-ce qu’elles croyaient maintenant avoir perdu leurs deux parents ? Il n’avait jamais cess? de penser ? elle. Alors m?me qu’il ?tait tabass? dans la sordide cellule du sous-sol, m?me quand ses visions flash s’insinuaient dans son esprit, il avait pens? aux filles, et en particulier ? cette derni?re question. Qu’est-ce qui allait leur arriver s’il mourrait dans ce sous-sol ? Ou s’il mourrait ? cause des choses tr?s imprudentes qu’il ?tait sur le point de faire ? Mais, il devait savoir. Il devait y aller quoi qu’il en co?te. Toutefois, il lui fallait d’abord acheter une veste, et pas seulement pour couvrir sa chemise macul?e de sang. Les temp?ratures approchaient des quinze degr?s en ce mois de f?vrier, mais il faisait encore trop frais pour ne porter qu’une chemise. Le boulevard agissait comme un tunnel venteux et la brise ?tait vive. Il entra dans la premi?re boutique de v?tements et choisit le premier blouson qui lui tapa dans l’?il, un bomber en cuir marron fonc? avec une doublure polaire. Bizarre, se dit-il. Il n’aurait jamais choisi une telle veste auparavant, avec son amour pour le tweed et le tissu ?cossais, mais il ?tait attir? par celle-ci. Le bomber co?tait deux-cent-quarante euros. Peu importe, il avait plein d’argent. Il choisit ?galement une nouvelle chemise, un tee-shirt gris ardoise, un jean et des bottines marron de bonne qualit?. Il amena ses emplettes au comptoir et paya cash. Il y avait une empreinte de sang laiss?e par un pouce sur l’un des billets. Le vendeur aux l?vres fines fit semblant de ne pas le voir. Un flash stroboscopique passa dans son esprit… “Un mec entre dans une station-service, couvert de sang. Il paie son carburant et tourne les talons pour s’en aller. Le caissier, perplexe, le rappelle, ‘H?, mec, tout va bien ?’ Le gars sourit. ‘Oh… ouais, je vais bien. Ce n’est pas mon sang.’” Je n’avais jamais entendu cette blague avant. “Est-ce que je peux utiliser la cabine d’essayage ?” demanda Reid en fran?ais. Le vendeur pointa du doigt l’arri?re du magasin. Il n’avait pas prononc? un seul mot de toute la transaction. Avant de se changer, Reid s’examina pour la premi?re fois dans un miroir propre. Bon sang, il avait une sale gueule. Son ?il droit ?tait fortement gonfl? et du sang tachait les bandages. Il fallait qu’il trouve une pharmacie pour acheter un kit de premier secours digne de ce nom. Il fit glisser son jean, crasseux et l?g?rement ensanglant? au niveau de sa cuisse bless?e, en grima?ant de douleur. Quelque chose le surprit en tombant au sol. C’?tait le Beretta. Il avait presque oubli? qu’il l’avait. Le pistolet ?tait plus lourd qu’il ne l’aurait imagin?. Neuf-cent-quarante-cinq grammes, non charg?, savait-il. Le tenir en main ?tait comme embrasser une ancienne ma?tresse, familier et ?tranger ? la fois. Il le posa pour finir de se changer, fourra ses anciens v?tements dans le sac de shopping, et remit le pistolet dans la ceinture de son nouveau jean, au creux de son dos. Une fois de retour sur le boulevard, Reid garda la t?te basse et marcha d’un pas rapide, ne quittant pas des yeux le trottoir. Il n’avait pas besoin que d’autres visions viennent le distraire pour le moment. Il jeta le sac contenant ses anciens v?tements dans une poubelle ? l’angle d’une rue, sans m?me cesser de marcher. “Oh ! Excusez-moi,” dit-il alors que son ?paule venait de heurter violemment une passante v?tue d’un tailleur. Elle le fusilla du regard. “C’est ?a, d?sol?.” Elle soupira dans un souffle avant de s’?loigner. Il fourra ses mains dans les poches de son blouson, ainsi que le t?l?phone mobile qu’il venait de d?rober dans le sac de la femme. C’?tait facile. Trop facile. Deux croisements plus loin, il s’arr?ta sous l’auvent d’un grand magasin et sortit le t?l?phone de sa poche. Il poussa un soupir de soulagement : il avait choisi la femme d’affaires pour une raison pr?cise, et son instinct s’av?rait payant. Skype ?tait install? sur son t?l?phone et son compte ?tait associ? ? un num?ro am?ricain. Il ouvrit le navigateur internet du t?l?phone, chercha le num?ro du Pap’s Deli dans le Bronx, et lan?a l’appel. Une jeune voix masculine ne tarda pas ? r?pondre. “Pap’s, que puis-je faire pour vous ?” “Ronnie ?” L’un de ses ?tudiants de l’ann?e pass?e travaillait ? mi-temps chez le traiteur pr?f?r? de Reid. “C’est le Professeur Lawson.” “Salut, Professeur !” r?pondit le jeune homme avec entrain. “Comment allez-vous ? Vous voulez passer commande ? emporter ?” “Non. Enfin, oui… on peut dire ?a. ?coutez, j’ai vraiment besoin que vous me rendiez un gros service, Ronnie.” Pap’s Deli n’?tait qu’? six p?t?s de maisons de chez lui. Quand il faisait beau, il n’h?sitait pas ? s’y rendre ? pied pour aller chercher des sandwiches. “Vous avez Skype sur votre t?l?phone ?” “Ouais ?” dit Ronnie d’une voix ?tonn?e. “Bien. Voici ce que j’aimerais que vous fassiez. ?crivez ce num?ro…” Il demanda ? son ancien ?tudiant de faire un saut chez lui en vitesse, de voir qui ?tait l?, si toutefois il y avait quelqu’un, puis de rappeler le num?ro am?ricain sur le t?l?phone. “Professeur, est-ce que vous avez des ennuis ?” “Non, Ronnie, je vais bien,” mentit-il. “J’ai perdu mon t?l?phone et une gentille dame me laisse utiliser le sien pour faire savoir ? mes filles que je vais bien. Mais je n’ai que quelques minutes. Donc si vous pouviez, s’il vous plait…” “C’est bon, Professeur. C’est un plaisir. Je vous rappelle tr?s vite.” Ronnie raccrocha. En attendant, Reid fit les cent pas sous l’auvent du magasin, regardant le t?l?phone sans cesse pour ne pas manquer l’appel. Quand le t?l?phone sonna, il eut l’impression d’avoir attendu une heure, alors que seulement six minutes s’?taient ?coul?es. “All? ?” Il r?pondit ? l’appel Skype d?s la premi?re sonnerie. “Ronnie ?” “Reid, c’est toi ?” pronon?a une voix f?minine agit?e. “Linda !” dit Reid dans un souffle. “Je suis content que tu sois l?. ?coute, j’ai besoin de savoir…” “Reid, qu’est-ce qui s’est pass? ? O? es-tu ?” demanda-t-elle. “Les filles, elles sont ?…” “Qu’est-ce qui s’est pass? ?” insista Linda. “Les filles se sont lev?es ce matin, paniqu?es parce que tu ?tais parti, donc elles m’ont appel?e et je suis venue imm?diatement…” “Linda, s’il te plait,” tenta-t-il de l’interrompre, “O? sont-elles ?” Elle parlait sans l’?couter, clairement affol?e. Linda avait beaucoup de qualit?s, mais g?rer une situation de crise n’en faisait pas partie. “Maya a dit que tu partais parfois te promener le matin, mais que les deux portes ?taient ouvertes ? l’avant et ? l’arri?re de la maison. Du coup, elle voulait appeler la police et elle a dit que tu ne pars jamais en laissant ton t?l?phone ? la maison. Et maintenant, voici cet employ? du traiteur qui me tend ce t?l?phone…” “Linda !” cria Reid brusquement. Deux hommes d’un certain ?ge qui passaient par l? se retourn?rent d’?tonnement. “O? sont les filles ?” “Elles sont ici,” dit-elle, haletante. “Elles sont toutes les deux ? la maison, avec moi.” “Elles n’ont rien ?” “Non, rien du tout. Reid, qu’est-ce qui se passe ?” “As-tu appel? la police ?” “Pas encore, non… ? la t?l?, ils disent toujours qu’il faut attendre vingt-quatre heures avant de signaler une disparition… Est-ce que tu as des ennuis ? D’o? est-ce que tu m’appelle ? C’est le compte Skype de qui ?” “Je ne peux pas te le dire. Contente-toi de m’?couter. Demande aux filles de faire leur valise et am?ne-les ? l’h?tel. Pas quelque chose de proche, sors de la ville. Peut-?tre ? Jersey…” “Reid, de quoi ?” “Mon portefeuille est sur mon bureau, ? l’?tage. N’utilise pas directement la carte de cr?dit. Retire des sous avec n’importe quelle carte qu’il y a dedans et utilise cet argent pour payer le s?jour. Ne donne pas de date de d?part.” “Reid ! Je ne ferai rien du tout tant que tu ne me diras pas… attends une seconde.” La voix de Linda devint ?touff?e et distante. “Oui, c’est lui. Il va bien, je crois. Attends, Maya !” “Papa ? Papa, c’est toi ?” Une voix diff?rente avait pris l’appareil. “Qu’est-ce qui s’est pass? ? O? es-tu ?” “Maya ! Je, euh, j’ai eu une urgence, ? la toute derni?re minute. Je ne voulais pas vous r?veiller…” “Tu te moques de moi ?” Sa voix ?tait aigu?, agit?e et inqui?te en m?me temps. “Je ne suis pas stupide, Papa. Dis-moi la v?rit?.” Il soupira. “Tu as raison. Je suis d?sol?. Je ne peux pas te dire o? je suis, Maya. Et je ne dois pas rester au t?l?phone trop longtemps. Fais seulement ce que ta tante te demande, OK ? Tu vas quitter la maison pour un petit moment. Ne va pas ? l’?cole. Ne va nulle part. Ne parle pas de moi que ce soit au t?l?phone ou sur l’ordinateur. Tu comprends ?” “Non, je ne comprends pas ! Est-ce que tu as des ennuis ? Doit-on appeler la police ?” “Non, ne fais pas ?a”, dit-il. “Pas encore. Laisse-moi… juste du temps pour r?soudre un truc.” Elle garda le silence un long moment. Puis, elle finit par dire, “Jure-moi que tu vas bien.” Il grima?a. “Papa ?” “Ouais,” dit-il un peu trop fort. “Je vais bien. S’il te plait, fait juste ce que je te demande et va avec ta Tante Linda. Je vous aime toutes les deux. Dis-le ? Sara et fais-lui un c?lin de ma part. Je vous contacte aussi vite que possible…” “Attends, attends !” dit Maya. “Comment vas-tu nous contacter si tu ne sais pas o? nous sommes ?” Il prit le temps d’y r?fl?chir. Il ne pouvait pas demander ? Ronnie de s’impliquer encore plus l?-dedans. Il ne pouvait pas non plus appeler les filles directement. Et, enfin, il ne pouvait pas risquer de savoir o? elles ?taient, car cela pourrait se retourner contre lui… “Je cr?erai un faux compte,” dit Maya, “sous un autre nom. Tu le sauras. Je le consulterai uniquement depuis les ordinateurs de l’h?tel. Si tu as besoin de nous contacter, envoie un message.” Reid comprit imm?diatement. Il se sentit soudain tr?s fier : elle ?tait si intelligente et bien plus cool face ? la pression qu’il ne l’aurait cru. “Papa ?” “Ouais,” dit-il. “C’est parfait. Prend soin de ta s?ur. Je dois y aller…” “Je t’aime,” dit Maya. Il mit un terme ? l’appel. Puis, il renifla. Elle revenait de nouveau, cette folle envie de se pr?cipiter chez lui pour les retrouver, les garder en s?curit?, emporter tout ce qu’ils pourraient et tout quitter, partir quelque part… Il ne pouvait pas faire ?a. Peu importe ce dont il s’agissait, ceux qui en avaient apr?s lui l’avaient d?j? trouv? une fois. Il avait ?t? extr?mement chanceux qu’ils ne s’en soient pas pris ? ses filles. Peut-?tre ne connaissaient-ils pas leur existence. La prochaine fois, s’il y en avait une, il n’aurait probablement pas autant de chance. Reid ouvrit le t?l?phone, en retira la carte SIM et la cassa en deux. Il laissa tomber les morceaux dans une grille d’?gout. Reprenant sa marche dans la rue, il d?posa la batterie dans une poubelle, et les deux parties du t?l?phone dans d’autres. Il savait qu’il avan?ait en direction de la Rue de Stalingrad, m?me s’il n’avait aucune id?e de ce qu’il ferait une fois qu’il y serait. Son cerveau lui hurlait de changer de direction, d’ailler n’importe o? ailleurs. Pourtant, le sang-froid dans son subconscient l’exhortait ? continuer. Ses ravisseurs lui avaient demand? ce qu’il savait de leurs “plans.” Les lieux ? propos desquels ils l’avaient questionn? (Zagreb, Madrid et T?h?ran), il devait y avoir un lien entre eux et ils ?taient clairement li?s aussi aux hommes qui l’avaient enlev?. Quelles que soient ses visions (il refusait toujours de les reconna?tre comme ?tant autre chose), elles ?taient au courant de quelque chose qui s’?tait soit d?j? pass?, soit qui allait se produire. Mais cette connaissance, il ne la poss?dait pas. Plus il y r?fl?chissait et plus il sentait dans son esprit qu’il y avait urgence. Non, c’?tait m?me plus fort que ?a. Il lui semblait que c’?tait une obligation. Ses ravisseurs lui avaient paru r?solus ? le tuer ? petit feu pour obtenir des r?ponses. Et il avait la sensation que, s’il ne d?couvrait pas ce dont il s’agissait et ce qu’il ?tait cens? savoir, beaucoup de gens allaient mourir. “Monsieur.” Les r?flexions de Reid furent stopp?es par une femme emmitoufl?e dans un manteau et une ?charpe, lui touchant gentiment le bras. “Vous saignez,” dit-elle en anglais, montrant son propre sourcil. “Oh. Merci.” Il toucha son sourcil droit du bout des doigts. Une petite coupure avait imbib? le pansement et une goutte de sang ?tait en train de couler sur son visage. “Il faut que je trouve une pharmacie,” murmura-t-il. Puis, il eut le souffle coup? en r?alisant quelque chose : il y avait une pharmacie pas loin et il fallait juste descendre deux rues et en remonter une autre. Il n’?tait jamais rentr? dedans, du moins pas ? sa connaissance, ? laquelle on ne pouvait pas se fier d’ailleurs. Pourtant, il le savait, tout simplement, aussi bien qu’il connaissait la route pour se rendre au Pap’s Deli. Un frisson parcourut son dos de bas en haut. Les autres visions avaient ?t? visc?rales et s’?taient toutes manifest?es par des stimuli externes : des visions, des bruits et m?me des odeurs. Cette fois, aucune vision n’?tait venue accompagner ?a. Il s’agissait v?ritablement d’un souvenir, de la m?me mani?re qu’il avait su o? tourner ? chaque panneau de rue, de la m?me mani?re qu’il savait comment charger le Beretta. Il prit une d?cision avant que le feu pi?ton ne passe au vert. Il irait au rendez-vous dans l’id?e d’obtenir toutes les informations possibles. Ensuite, il d?ciderait quoi en faire : peut-?tre les donner aux autorit?s et laver son nom en ?change pour le meurtre des quatre hommes dans le sous-sol. Les laisser proc?der aux arrestations pendant qu’il rentrerait chez lui retrouver ses filles. Une fois ? la pharmacie, il acheta un petit tube de super glue, une bo?te de pansements papillon, des cotons-tiges et un fond de teint correspondant le plus possible ? sa carnation de peau. Il emporta ses achats dans les toilettes et en verrouilla la porte. Il d?colla les pansements qu’il s’?tait mis n’importe comment sur le visage, dans l’appartement, et lava les cro?tes de sang de ses blessures. Sur les coupures les plus petites, il appliqua les pansements papillon. Pour les blessures plus profondes qui auraient normalement n?cessit? des points de suture, il rapprocha les bords de la peau et y colla une bande de super glue, sifflant entre ses dents en m?me temps. Puis, il retint son souffle environ trente secondes. La glue le br?lait vivement, mais la douleur diminuait au s?chage. Pour finir, il ?tala le fond de teint sur les contours de son visage, en particulier aux endroits que ses anciens ravisseurs sadiques avaient arrang?s ? leur sauce. Il n’?tait pas possible de camoufler totalement son ?il enfl? et sa m?choire tum?fi?e. Mais ainsi, au moins, il y aurait moins de gens pour le regarder bizarrement dans la rue. La totalit? des op?rations prit environ une demi-heure et, deux fois dans cet intervalle de temps, des clients frapp?rent ? la porte des toilettes (la deuxi?me fois, une femme hurla en fran?ais que son enfant ?tait sur le point de se pisser dessus). Par deux fois, Reid se contenta de crier, “Occup? !” Enfin, une fois sa t?che achev?e, il s’examina de nouveau dans le miroir. Il ?tait loin d’?tre parfait mais, au moins, il n’avait plus l’air d’avoir ?t? battu dans une cellule de torture souterraine. Il se demandait s’il aurait d? choisir un fond de teint plus sombre, quelque chose qui lui aurait donn? l’air plus ?tranger. Est-ce que l’homme au bout du fil savait qui il allait rencontrer ? Allaient-ils le reconna?tre ou reconna?tre la personne qu’ils le croyaient ?tre ? Les trois hommes qui ?taient venus chez lui avaient sembl? h?sitants et avaient v?rifi? sur une photographie. “Qu’est-ce que je fous ?” se demanda-t-il. Tu te pr?pares ? rencontrer un dangereux criminel qui est certainement un terroriste notoire, dit une voix dans sa t?te, pas cette nouvelle voix intrusive, mais sa propre voix, celle de Reid Lawson. C’?tait son propre bon sens qui se moquait de lui. Puis cette personnalit? s?re et affirm?e, celle qui se trouvait juste en-dessous de la surface, reprit la parole. Tout ira bien, lui dit-elle. Rien que tu n’aies d?j? fait avant. Sa main saisit instinctivement le manche du Beretta enfonc? ? l’arri?re de son jean, cach? par son nouveau blouson. Tu connais tout ?a. Avant de quitter la pharmacie, il acheta quelques articles suppl?mentaires : une montre pas ch?re, une bouteille d’eau et deux barres de chocolat. Une fois de retour sur le trottoir, il d?vora les deux barres chocolat?es. Il ne savait pas combien de sang il avait perdu, et il voulait ?tre s?r de faire remonter son taux de sucre. Il vida la totalit? de la bouteille d’eau d’un trait, puis demanda l’heure ? un passant. Il mit sa montre ? l’heure et la glissa autour de son poignet. Il ?tait dix-huit heures trente. Il avait du temps devant lui pour se rendre en avance au rendez-vous et pour s’y pr?parer. * Il faisait presque nuit quand il arriva ? l’adresse qu’on lui avait donn?e au t?l?phone. Le coucher de soleil sur Paris projetait de longues ombres sur le boulevard. Le 187 Rue de Stalingrad ?tait un bar du 10?me arrondissement portant le nom de F?line, un tripot de bo?te de nuit aux vitres recouvertes de peinture et ? la fa?ade fissur?e. Il ?tait situ? dans une rue autrement remplie de studios d’art, de restaurants indiens et de caf?s boh?mes. Reid s’arr?ta, la main sur la porte. S’il entrait, il ne pourrait pas faire machine arri?re. Il pouvait encore passer son chemin. Non, d?cida-t-il, il ne le pouvait pas. O? irait-il ? Chez lui pour qu’ils viennent de nouveau le chercher ? Et pour vivre avec ces ?tranges visions dans sa t?te ? Il entra ? l’int?rieur. Les murs du bar ?taient peints en noir et rouge, recouverts de posters des ann?es 50 ? l’effigie de silhouettes, de pin-up souriantes et de publicit?s pour des cigarettes. Il ?tait trop t?t, ou peut-?tre trop tard, pour que l’endroit soit fr?quent?. Les rares clients autour de lui parlaient ? voix basse, repli?s sur leur boisson en guise de protection. Un air de blues m?lancolique ?manait doucement d’un poste st?r?o derri?re le comptoir. Reid balaya de nouveau la pi?ce du regard, de gauche ? droite. Personne ne regardait dans sa direction et il n’y avait apparemment personne qui ressemblait aux types qui l’avaient pris en otage. Il s’installa ? une petite table dans le fond de la pi?ce et s’assit face ? la porte d’entr?e. Il commanda un caf?, qui arriva encore fumant presque imm?diatement devant lui. Un cinquantenaire au dos courb? se glissa au bas de son tabouret et se dirigea en bo?tant vers les toilettes. Le regard de Reid fut rapidement attir? par ce mouvement, d?taillant l’homme de la t?te aux pieds. N? ? la fin des ann?es soixante. Dysplasie ? la hanche. Doigts jaunis, respiration difficile : un fumeur de cigares. Ses yeux se tourn?rent vers l’autre c?t? du bar, sans bouger sa t?te, o? deux hommes ? l’allure bourrue, v?tus de bleus de travail, avaient une conversation anim?e ? voix basse ? propos de sport. Des ouvriers d’usine. Celui de gauche ne dort pas assez, certainement un jeune p?re de famille. L’homme de droite s’est battu r?cemment ou, du moins, a donn? un coup de poing : les jointures de ses doigts sont meurtries. Sans m?me s’en rendre compte, il se retrouva en train d’examiner les ourlets de leurs pantalons, leurs manches et la fa?on dont ils posaient leurs coudes sur la table. Quelqu’un avec une arme se prot?gerait, essayerait de la dissimuler, m?me inconsciemment. Reid secoua la t?te. Il devenait parano?aque et ces pens?es ?trang?res constantes ne l’aidaient pas. Mais il se souvint de la sc?ne ?trange ? propos de la pharmacie, du souvenir de son emplacement rien qu’en pensant au besoin d’en trouver une au plus vite. L’acad?micien qui se trouvait en lui prit le dessus. Peut-?tre y a-t-il une le?on ? tirer de tout ?a ? Peut-?tre qu’au lieu de lutter contre ?a, il faudrait accepter la chose ? La serveuse ?tait une jeune femme ? l’air fatigu? et ? la crini?re brune emm?l?e. “Vous auriez un stylo ?” demanda-t-il alors qu’elle passait pr?s de lui. “Ou un crayon ?” Elle chercha dans l’enchev?trement de ses cheveux et en sortit un stylo. “Merci.” Il ?tendit une serviette en papier devant lui et posa la pointe du stylo dessus. Cette fois, il ne s’agissait pas d’une nouvelle comp?tence qu’il n’avait jamais apprise. C’?tait la tactique du Professeur Lawson, mise en pratique ? maintes reprises par le pass? pour se souvenir des choses et faire travailler sa m?moire. Il repensa ? sa conversation, s’il pouvait appeler ?a ainsi, avec les trois ravisseurs arabes. Il essaya de ne pas penser ? leurs yeux mornes, au sang sur le sol, ni aux instruments ac?r?s du plateau, con?us pour d?couper n’importe quelle v?rit? qu’ils pensaient que Reid d?tenait en lui. Au lieu de ?a, il se concentra sur les donn?es qui avaient ?t? exprim?es et il nota le premier nom qui lui vint en t?te. Puis, il le pronon?a doucement ? voix haute. “Cheikh Mustafar.” Un site secret au Maroc. Un homme qui a pass? sa vie enti?re dans la richesse et l’opulence, pi?tinant les moins chanceux que lui, les ?crasant sous ses chaussures. ? pr?sent, il est apeur? car il sait que tu peux l’enterrer dans le sable jusqu’au cou et que personne ne trouvera jamais ses os. “Je vous ai dit tout ce que je sais !” insiste-t-il. Non, non. “Mon intuition me souffle le contraire. Quelque chose me dit que vous en savez bien plus, mais que vous avez peut-?tre peur des mauvaises personnes. Je vais vous dire, Cheikh… Mon ami, dans l’autre pi?ce, il commence ? s’impatienter. Et il a ce marteau, vous savez ? C’est juste un petit outil pour briser de la roche, un truc utile aux g?ologues par exemple. Mais ?a fait des merveilles sur les petits os, les jointures des doigts…” “Je le jure !” Le cheikh se tord nerveusement les mains. Tu sais que c’est un signe qui ne trompe pas. “Il y a eu d’autres conversations au sujet des plans, mais elles ?taient en allemand, en russe… Je n’ai rien compris !” “Vous savez, Cheikh… une balle fait le m?me bruit dans toutes les langues.” Reid se retrouva de nouveau dans le tripot. Il avait la gorge s?che. Ce souvenir ?tait intense, tellement vivace et pr?cis qu’il sut qu’il l’avait v?ritablement v?cu. Et c’?tait bien sa voix dans sa t?te, prof?rant des menaces, disant des choses qu’il n’aurait jamais pens? dire ? qui que ce soit. Des plans. Le cheikh avait bien dit quelque chose ? propos des plans. Quelle que soit la chose terrible qui harcelait son subconscient, il avait la sensation claire que ?a ne s’?tait pas encore produit. Il avala une gorg?e du caf?, ? pr?sent ti?de, pour se calmer les nerfs. “OK,” se dit-il. “OK.” Durant son interrogatoire dans le sous-sol, ils lui avaient pos? des questions ? propos des autres agents de son camp et trois noms lui ?taient venus en t?te. Il en nota un, puis le lut ? haute voix. “Morris.” Un visage lui revint imm?diatement ? l’esprit, un homme d’une petite trentaine d’ann?es, charmant et conscient de l’?tre. Un demi-sourire arrogant sur un coin de la bouche. Des cheveux bruns, coiff?s pour le faire para?tre plus jeune. Une piste priv?e de d?collage ? Zagreb. Morris court ? c?t? de toi. Vous avez tous les deux vos flingues en main, point?s devant vous. Vous ne pouvez pas laisser les deux iraniens atteindre l’avion. Morris vise entre les pas et tire deux coups. L’un atteint le mollet et le premier homme tombe. Tu touches l’autre qui s’?croule brutalement sur le sol… Un autre nom. “Reidigger.” Un sourire d’enfant, des cheveux coup?s courts. Un peu de bide. Son poids serait mieux r?parti s’il mesurait quelques centim?tres de plus. Ce n’est pas un apollon, mais il le prend avec bonhommie. Le Ritz de Madrid. Reidigger surveille le couloir pendant que tu balance un coup de pied dans la porte et prend le terroriste par surprise. L’homme veut saisir l’arme sur le bureau, mais tu es plus rapide. Tu lui tords le poignet… Plus tard, Reidigger te dira qu’il a entendu le bruit depuis le couloir. Que ?a lui a retourn? l’estomac. Vous ?clatez de rire tous les deux. Le caf? ?tait froid d?sormais, mais Reid s’en aper?ut ? peine. Ses doigts tremblaient. Il n’y avait plus aucun doute : peu importe ce qui ?tait en train de lui arriver, il s’agissait de souvenirs… ses souvenirs. Ou ceux de quelqu’un. Les ravisseurs avaient sorti quelque chose de son cou et avaient parl? de suppresseur de m?moire. Cela ne pouvait pas ?tre vrai, ce n’?tait pas lui. C’?tait quelqu’un d’autre. Les souvenirs de quelqu’un d’autre se m?laient aux siens. Reid posa de nouveau le stylo sur la serviette en papier et inscrivit le troisi?me nom. Il le pronon?a ? haute voix : “Johansson.” Une silhouette se forma dans son esprit. De longs cheveux blonds et brillants. Des pommettes lisses et rebondies. Des l?vres pulpeuses. Des yeux gris, couleur ardoise. Une vision le submergea… Milan. De nuit. Un h?tel. Du vin. Maria est assise sur le lit, jambes repli?es sous elle. Les trois premiers boutons de sa chemise sont ouverts. Ses cheveux sont ?bouriff?s. Tu n’avais jamais remarqu? avant ? quel point ses cils sont longs. Deux heures plus t?t, tu l’as vue tuer deux hommes dans une fusillade. Mais, maintenant, il n’y a plus que le Sangiovese et le Pecorino Toscano. Vos genoux se touchent presque. Son regard croise le tien. Aucun de vous deux ne parle. Tu peux lire du d?sir dans ses yeux, mais elle sait bien que tu ne peux pas. Elle demande des nouvelles de Kate… Reid grima?a ? la venue d’un mal de t?te, se r?pandant dans son cr?ne comme un nuage de fum?e. En m?me temps, la vision s’estompa et s’effa?a. Il ferma les yeux, serra fortement ses paupi?res et posa ses mains sur ses tempes une minute enti?re, jusqu’? ce que le mal de t?te s’att?nue. C’?tait quoi ce bordel ? Pour dieu sait quelle raison, il semblait que le souvenir de cette femme, Johansson, avait d?clench? chez lui une l?g?re migraine. Toutefois, une sensation encore plus g?nante que le mal de t?te s’?tait empar?e de lui. Il ressentait du… d?sir. Non, c’?tait bien plus que ?a : il ressentait de la passion, renforc?e par de l’excitation et m?me par un brin de danger. Il ne pouvait s’emp?cher de se demander qui ?tait cette femme, mais il chassa ces pens?es. Il ne voulait pas qu’elles d?clenchent un autre mal de t?te. De nouveau, il dirigea le stylo sur la serviette en papier, sur le point d’?crire le dernier nom : Z?ro. C’?tait ainsi que l’avait appel? l’interrogateur iranien. Mais, avant qu’il n’ait pu l’?crire ou le prononcer, une sensation bizarre le saisit. Les poils se dress?rent sur sa nuque. Quelqu’un l’observait. En relevant les yeux, il vit un homme, debout sur le pas de porte sombre du F?line, son regard tourn? vers Reid, tel un faucon ?piant une souris. Reid en eut le sang glac?. Quelqu’un l’observait. C’?tait l’homme qu’il ?tait venu rencontrer ici, il en ?tait certain. Est-ce qu’il le reconnaissait ? Il n’avait pas eu cette impression avec les trois arabes. Est-ce que cet homme-l? attendait quelqu’un d’autre ? Il reposa le stylo. Lentement et subrepticement, il froissa la serviette en boule et la laissa tomber dans sa tasse de caf? ? moiti? vide. L’homme lui fit un signe de t?te. Et Reid fit de m?me. Puis, l’homme chercha quelque chose derri?re lui, quelque chose de cal? ? l’arri?re de son pantalon. CHAPITRE CINQ Reid se leva avec une force telle qu’il reversa presque sa chaise. Sa main enveloppa imm?diatement le manche textur? du Beretta, chaud contre le bas de son dos. Son esprit lui hurlait fr?n?tiquement dessus. C’est un lieu public. Il y a des gens ici. Je n’ai jamais tir? au pistolet avant. Avant m?me que Reid ait pu d?gainer, l’?tranger sortit un portefeuille de sa poche arri?re. Il d?cocha un sourire ? Reid, manifestement amus? par sa nature nerveuse. Personne d’autre dans le bar ne semblait y avoir pr?t? attention, sauf la serveuse avec sa queue de rat en guise de cheveux, qui se contenta de lever un sourcil. L’?tranger approcha du bar, posa un billet sur le comptoir, et murmura quelque chose ? la barmaid. Puis, il se dirigea vers la table de Reid. Il resta debout un long moment devant la chaise vide, un l?ger sourire sur les l?vres. Il ?tait jeune, trente ans tout au plus, avec des cheveux coup?s courts et une barbe naissante. Il ?tait plut?t maigre et son visage ?tait tr?s fin, rendant presque caricaturaux ses pommettes et son menton saillants. Le plus ?tonnant ?tait la paire de lunette ? monture en corne noire qu’il portait. On aurait vraiment dit un Buddy Holly n? dans les ann?es 80 qui aurait d?couvert la coca?ne. Reid remarqua qu’il ?tait droitier, tenant son coude gauche pr?s de son corps, ce qui signifiait certainement qu’il avait un pistolet accroch? ? un ?tui d’?paule, sous l’aisselle, afin de pouvoir le d?gainer de la main droite en cas de besoin. Son bras gauche ?pousait sa veste en daim noire pour cacher son arme. “Mogu sjediti ?” finit par demander l’homme. Mogu… ? Reid ne comprit pas imm?diatement, comme cela avait ?t? le cas en arabe et en fran?ais. Cette langue n’?tait pas le russe, mais assez proche tout de m?me pour qu’il puisse d?duire le sens de ses mots. L’homme demandait s’il pouvait s’asseoir. Reid montra d’un geste la chaise vide face ? lui et l’homme s’assit, gardant toujours son coude gauche coll? ? lui. D?s qu’il fut assis, la serveuse apporta un verre de bi?re brune ambr?e et le posa devant lui. “Merci,” dit-il. Il fit un sourire ? Reid. “Votre serbe n’est pas tr?s bon ?” Reid secoua la t?te. “Non.” Serbe ? Il aurait pari? que l’homme qu’il allait rencontrer serait arabe comme ses ravisseurs et l’interrogateur. “En anglais, alors ? Ou en fran?ais ?” “C’est le dealer qui donne.” Reid fut surpris par le ton calme et pos? de sa voix. Son c?ur le br?lait presque de peur dans sa poitrine et… s’il devait ?tre honn?te, au moins d’une once d’excitation anxieuse. Le sourire du serbe s’?largit. “J’aime bien cet endroit. C’est sombre. C’est tranquille. C’est le seul bar que je connaisse dans cet arrondissement qui serve de la Franziskaner. C’est ma pr?f?r?e.” Il but une longue gorg?e de son verre, les yeux ferm?s et un r?le de plaisir s’?chappa de sa bouche. “Que delicioso.” Il rouvrit les yeux et ajouta, “Ce n’est pas vous que j’attendais.” Une vague de panique enfla dans le ventre de Reid. Il sait, lui cria son esprit. Il sait que ce n’est pas toi qu’il ?tait cens? rencontrer et il est arm?. Du calme, lui dit l’autre voix, la nouvelle part de lui. Tu peux g?rer la situation. Reid d?glutit, mais parvint toutefois ? conserver son attitude cool. “Moi non plus,” r?pondit-il. Le serbe rigola. “Tr?s juste. Mais nous sommes nombreux, n’est-ce pas ? Et vous, vous ?tes am?ricain ?” “Expatri?,” r?pondit Reid. “Ne le sommes-nous pas tous ?” Un nouveau rire. “Avant vous, je n’avais rencontr? qu’un seul autre am?ricain dans notre, euh… quel est le terme… conglom?rat ? Oui. Donc, pour moi, ce n’est pas si bizarre.” L’homme lui fit un clin d’?il. Reid se raidit. Il n’aurait su dire si c’?tait une blague ou pas. S’il ?tait au courant que Reid ?tait un imposteur et qu’il faisait semblant ou cherchait ? gagner du temps ? Il posa les mains sur ses genoux pour cacher le tremblement de ses doigts. “Vous pouvez m’appeler Yuri. Comment puis-je vous appeler ?” “Ben.” Ce fut le premier nom qui lui vint en t?te, le nom de l’un de ses mentors ? l’?poque o? il ?tait professeur assistant. “Ben. Comment en ?tes-vous venu ? travailler pour les iraniens ?” “Avec,” corrigea Reid. Il plissa les yeux pour se donner un genre. “Je travaille avec eux.” L’homme, ce Yuri, but une autre gorg?e de bi?re. “Bien s?r. Avec. Comment est-ce arriv? ? Malgr? nos int?r?ts mutuels, le groupe a tendance ? ?tre, euh… plut?t ferm?.” “Je suis fiable,” dit Reid sans un seul clignement d’?il. Il n’avait aucune id?e d’o? ces mots avaient pu venir, tout comme la conviction avec laquelle il les avait prononc?s. Il les avait sortis aussi ais?ment que s’il avait r?p?t? la sc?ne. “Et o? est Amad ?” demanda tout ? coup Yuri. “Il ne pouvait pas s’en occuper,” r?pondit Reid d’un ton neutre. “Il vous salue.” “Tr?s bien, Ben. Vous avez dit que le contrat est rempli.” “Oui.” Yuri se pencha en avant en plissant les yeux. Reid pouvait sentir le malt dans son haleine. “J’ai besoin de vous l’entendre dire, Ben. Dites-moi que l’agent de la CIA est mort.” Reid resta interdit un l?ger moment. CIA ? Genre, la CIA ? Tout ? coup, tout le discours ? propos des agents sur le terrain, les visions en train d’arr?ter des terroristes sur des pistes de d?collage et dans les h?tels prenaient plus de sens, m?me s’il ne saisissait pas tout. Puis il se rappela la gravit? de situation et esp?ra n’avoir donn? aucun indice pouvant compromettre sa couverture. Il se pencha lui aussi en avant et pronon?a doucement, “Oui, Yuri. L’agent de la CIA est mort.” Yuri se pencha tranquillement en arri?re et sourit de nouveau. “Parfait.” Il attrapa son verre de bi?re. “Et les informations ? Vous les avez ?” “Il nous a dit tout ce qu’il savait,” lui indiqua Reid. Il ne put s’emp?cher de remarquer que se doigts ne tremblaient plus sous la table. C’?tait comme si quelqu’un d’autre avait pris le contr?le ? pr?sent, comme si Reid Lawson avait ?t? rel?gu? ? l’arri?re de son propre cerveau. Il d?cida de ne pas lutter contre ?a. “L’emplacement de Mustafar ?” demanda Yuri. “Et tout ce qu’il leur a dit ?” Reid acquies?a. Yuri cligna plusieurs fois des yeux, impatient. “J’attends.” Une prise de conscience frappa Reid comme un lourd poids, alors que son esprit rassemblait le peu de connaissances qu’il poss?dait. La CIA ?tait impliqu?e. Il y avait une sorte de plan qui ferait un grand nombre de morts. Le cheikh ?tait au courant et leur avait dit, lui avait dit, tout ce qu’il savait. Ces hommes avaient besoin de savoir ce que le cheikh savait. C’est pourquoi Yuri voulait savoir. Quoi qu’il en soit, ce devait ?tre ?norme, et Reid se retrouvait au beau milieu de tout ?a… m?me s’il avait la certitude que ce n’?tait pas la premi?re fois. Il garda le silence un long moment, assez long pour que le sourire disparaisse des l?vres de Yuri et se transforme en regard impatient, ses l?vres d?sormais closes. “Je ne vous connais pas,” dit Reid. “Je ne sais pas qui vous repr?sentez. Vous esp?rez que je vais vous dire tout ce que je sais avant de m’en aller avec la confiance que les informations seront transmises au bon endroit ?” “Oui,” dit Yuri, “c’est exactement ce que j’esp?re et c’est pr?cis?ment le but de ce rendez-vous.” Reid secoua la t?te. “Non. Vous voyez, Yuri, je pense que ces informations sont trop importantes pour des confidences sur un coin de table, en esp?rant qu’elles tombent dans les bonnes oreilles et dans le bon ordre. Et plus important encore, il faut que vous sachiez qu’elles ne sont d?tenues que dans un seul endroit : juste ici.” Il d?signa sa propre tempe gauche. C’?tait la v?rit?. Les informations qu’ils attendaient ?tait probablement quelque part au fin fond de son esprit, attendant d’?tre d?verrouill?es. “Je me dis aussi,” poursuivit-il, “que maintenant qu’ils ont ces informations, nous allons devoir changer nos plans. J’en ai assez d’?tre le messager. Je veux en ?tre. Je veux un vrai r?le ? jouer.” Yuri se contenta de l’observer. Puis il laissa ?chapper un bruyant rire acerbe, frappant en m?me temps la table de ses mains si fort que cela fit sursauter plusieurs des clients dans la salle. “Vous !” s’exclama-t-il en le montrant du doigt. “Vous ?tes peut-?tre un expatri?, mais vous avez toujours cette ambition typiquement am?ricaine !” Il se mit ? rire de nouveau, avec un bruit semblable ? celui d’un singe. “Que voulez-vous savoir, Ben ?” “Commen?ons par qui vous repr?sentez dans tout ?a.” “Comment savez-vous que je repr?sente quelqu’un ? Sans que vous le sachiez, je pourrais tout aussi bien ?tre le boss. La t?te pensante derri?re la conception du plan !” Il leva ses deux mains dans un grand geste et se remit ? rire. Reid esquissa un sourire. “Je ne pense pas. Je pense que vous ?tes dans la m?me position que moi, ? chercher des informations, ?changer des secrets et avoir des rendez-vous dans des bars miteux.” Tactique d’interrogation : leur rappeler l’inf?riorit? de leur niveau. Yuri ?tait clairement polyglotte et ne semblait pas avoir le m?me comportement endurci que ses ravisseurs. Toutefois, m?me ? son petit niveau, il en savait toujours plus que Reid. “Et si nous faisions un march? ? Vous me dites ce que vous savez, et je vous dirai ce que je sais.” Il baissa d’un ton, presque jusqu’au murmure. “Et croyez-moi. Vous voulez savoir ce que je sais.” Yuri caressa les poils de son menton, d’un air pensif. “Je vous aime bien, Ben. Ce qui est, comment dites-vous ?a, euh… perturbant, parce que les am?ricains me donnent la gerbe en g?n?ral.” Il sourit ?nigmatiquement. “Malheureusement pour vous, je ne peux pas vous dire ce que je ne sais pas.” “Alors dirigez-moi vers quelqu’un qui le peut.” Les mots sortirent de sa bouche comme s’ils avaient outrepass? son cerveau et venaient directement de sa gorge. La part logique en lui (ou plut?t la part Lawson) poussa un cri de protestation. Qu’est-ce que tu fous ? Prend ce que tu peux et barre-toi d’ici ! “Voudriez-vous faire un tour en voiture avec moi ?” Les yeux de Yuri brillaient. “Je vous emm?nerai voir mon boss. Vous pourrez ainsi lui dire ce que vous savez.” Reid h?sita. Il savait qu’il ne devrait pas. Il savait qu’il n’en avait pas envie. Mais il avait un sentiment bizarre d’obligation, et il y avait cette r?serve aux nerfs d’acier au fond de son esprit qui s’adressait de nouveau ? lui, Du calme. Il avait une arme. Il poss?dait une sorte de panel de comp?tences. Il ?tait d?j? all? si loin et, ? en juger par ce qu’il savait ? pr?sent, cela allait bien au-del? de quelques iraniens dans un sous-sol de Paris. Il y avait un plan, la CIA ?tait impliqu?e et il savait que, d’une fa?on ou d’une autre, il en r?sulterait de nombreux bless?s ou m?me pire. Il fit un signe affirmatif de la t?te, m?choires serr?es. “Parfait.” Yuri vida son verre et se leva, gardant encore et toujours son coude gauche contre lui. “Au revoir.” Il fit un signe de la main ? la barmaid. Puis, le serbe se dirigea vers l’arri?re du F?line, passant par une petite cuisine sale, puis par une porte en acier donnant sur une all?e pav?e. Reid le suivit dans la nuit, surpris de voir que l’obscurit? ?tait tomb?e si rapidement pendant qu’il ?tait dans le bar. Au bout de l’all?e, se trouvait un SUV noir, attendant gentiment, avec des vitres teint?es presque aussi noires que la peinture de la carrosserie. Une porte arri?re s’ouvrit avant que Yuri ne l’ait atteinte, et deux gorilles en sortirent. Reid ne leur trouva pas d’autre qualificatif : ils ?taient tous deux larges d’?paules, imposants et ne faisaient rien pour cacher les pistolets automatiques TEC-9 qui se balan?aient ? des harnais sous leurs aisselles. “Du calme, les amis,” dit Yuri. “Voici Ben. Nous allons l’emmener voir Otets.” Otets. Mot russe signifiant “p?re.” Ou, ? un niveau plus technique, “cr?ateur.” “Venez,” dit Yuri d’un ton plaisant. Il mit une tape amicale sur l’?paule de Reid. “Le trajet sera tr?s agr?able. Nous allons boire du champagne en chemin. Venez.” Les jambes de Reid ne voulaient plus avancer. C’?tait risqu?… trop risqu?. S’il entrait dans cette voiture avec ces hommes et qu’ils d?couvraient qui il ?tait, ou m?me qu’il n’?tait pas celui qu’il pr?tendait, il pourrait tr?s bien ?tre un homme mort. Ses filles seraient orphelines et elles pourraient tout aussi bien ne jamais savoir ce qui lui ?tait arriv?. Mais quel autre choix avait-il ? Il ne pouvait pas vraiment agir comme s’il avait soudainement chang? d’avis. Ce serait bien trop suspect. C’?tait comme s’il avait d?j? d?pass? le point de non-retour en suivant tout simplement Yuri dehors. Et s’il parvenait ? garder sa couverture assez longtemps, il pourrait remonter ? la source et d?couvrir aussi ce qui ?tait en train de se passer dans sa propre t?te. Il avan?a vers le SUV. “Ah ! Un momento, por favor.” Yuri fit un signe du doigt ? l’attention de son escorte muscl?e. L’un d’entre eux souleva les bras de Reid sur les c?t?s, pendant que l’autre le t?tait de haut en bas. En premier lieu, il trouva le Beretta, toujours enfonc? ? l’arri?re de son jean. Puis, il fouilla dans les poches de Reid en en sortit la liasse d’euros et le t?l?phone pr?pay?, remettant le tout ? Yuri. “Vous pouvez garder ?a.” Le serbe lui rendit son argent. “Cependant, nous allons conserver le reste par s?curit?, vous comprenez.” Yuri fourra le t?l?phone et le pistolet dans la poche int?rieure de sa veste en daim et, l’espace d’un court instant, Reid entrevit la crosse brune d’un pistolet. “Je comprends,” dit Reid. ? pr?sent, il se retrouvait d?sarm? et sans aucun moyen d’appeler ? l’aide en cas de besoin. Je devrais m’enfuir, pensa-t-il. Me mettre ? courir sans regarder en arri?re… L’un des gorilles lui baissa la t?te et le poussa ? l’arri?re du SUV. Ils grimp?rent tous deux ? bord ensuite, suivis de Yuri qui referma la porti?re derri?re lui. Il s’assit ? c?t? de Reid, alors que les deux gorilles se coll?rent presque ?paule contre ?paule, assis sur une banquette face ? eux, juste derri?re le si?ge conducteur. Une sombre cloison teint?e les s?parait de l’avant du v?hicule. L’un des deux acolytes frappa de ses doigts contre la cloison du conducteur. “Otets,” dit-il d’un air bourru. Un fort bruit de clic verrouilla les portes ? l’arri?re et, ? ce moment-l?, Reid r?alisa am?rement ce qu’il venait de faire. Il ?tait entr? dans une voiture avec trois hommes arm?s sans aucune id?e d’o? il se rendait et une tr?s vague id?e que qui il ?tait cens? ?tre. Duper Yuri n’avait pas ?t? tr?s difficile mais, maintenant, il l’emmenait rencontrer son boss… Allaient-ils d?couvrir qu’il n’?tait pas celui qu’il avait pr?tendu ?tre ? Il refoula son envie de bondir en avant, d’ouvrir la porti?re et de sauter hors de la voiture. Il n’y avait aucune issue possible, du moins pas pour le moment. Il devrait attendre qu’ils arrivent ? destination, et il esp?rait ?tre encore en un seul morceau ? ce moment-l?. Le SUV se mit ? rouler dans les rues de Paris. CHAPITRE SIX Yuri, qui avait ?t? si causant et si enjou? dans le bar, resta anormalement silencieux durant tout le trajet. Il ouvrit un compartiment ? c?t? de son si?ge et en sortit un vieux livre us? ? la couverture d?chir?e : Le Prince de Machiavel. Le professeur qui sommeillait en Reid faillit se moquer ? haute voix. Les deux gorilles restaient assis en silence, face ? lui, leurs yeux dirig?s droit devant eux, comme s’ils voulaient percer des trous ? travers Reid. Il m?morisa rapidement leurs caract?ristiques : l’homme de gauche ?tait blanc, chauve, avec une moustache brune et des yeux ronds. Il portait un TEC-9 sous l’?paule et un Glock 27 nich? dans un ?tui ? sa cheville. Une p?le cicatrice irr?guli?re sur son sourcil gauche sugg?rait un vilain rafistolage (assez similaire certainement ? celle que Reid aurait apr?s son intervention de fortune ? la super glue). Il n’aurait pas su dire quelle ?tait sa nationalit?. Le second avait le teint un peu plus sombre, avec une grosse barbe n?glig?e et un embonpoint de taille. Son ?paule gauche semblait l?g?rement affaiss?e, comme s’il favorisait sa hanche oppos?e. Lui aussi avait un pistolet automatique cach? sous un bras, mais pas d’autre arme que Reid puisse distinguer. Il pouvait n?anmoins voir une marque sur son cou. La peau ?tait rose et pliss?e, l?g?rement boursoufl?e d’avoir ?t? br?l?e. C’?tait la m?me marque qu’il avait vue sur la brute arabe dans le sous-sol de Paris. C’?tait une sorte de lettre, il en ?tait certain, mais pas une qu’il puisse reconna?tre. Le moustachu ne semblait pas avoir de marque, bien que la plupart de son cou soit cach? sous sa chemise. Yuri ne l’avait pas non plus, du moins pas ? la connaissance de Reid. Le col de la veste en daim du serbe remontait haut. C’est peut-?tre le symbole d’un statut, pensa-t-il. Quelque chose qui doit ?tre gagn?. Le conducteur engagea le v?hicule sur l’A4, quittant Paris et se dirigeant au nord-est en direction de Reims. Les vitres teint?es rendaient la nuit encore plus noire. Une fois quitt?e la Ville des Lumi?res, il fut difficile pour Reid de trouver des rep?res. Il devait se fier aux panneaux routiers pour savoir vers o? ils se rendaient. Le paysage s’?tait peu ? peu transform?, passant des zones urbaines lumineuses ? une topographie paresseuse et bucolique, l’autoroute s’?tendant lentement avec les terres et les fermes de chaque c?t?. Au bout d’une heure de route dans le silence le plus complet, Reid se r?cla la gorge. “C’est encore loin ?” demanda-t-il. Yuri posa un doigt sur ses l?vres, puis esquissa un sourire. “Oui.” Reid laissa ?chapper un souffle par les narines, mais ne dit rien de plus. Il aurait d? demander jusqu’o? ils comptaient l’emmener. Pour autant qu’il sache, il paraissait clair qu’ils allaient en Belgique. La route A4 devint l’A34, puis l’A304 alors qu’ils grimpaient de plus en plus au nord. Les arbres qui parsemaient la campagne pastorale devenaient de plus en plus ?pais et de plus en plus proches, des ?pic?as en forme de parapluie qui engloutissaient les terres agricoles et se transformaient en for?ts indiscernables. Les pentes de la route augmentaient, alors que les collines se transformaient en petites montagnes. Il connaissait cet endroit, ou plut?t cette r?gion, et ce n’?tait pas ? cause d’un flash de vision ou d’une m?moire implant?e. Il n’?tait jamais venu ici, mais il savait gr?ce ? ses ?tudes qu’il avait atteint les Ardennes, une bande de for?t montagneuse partag?e entre le nord-est de la France, le sud de la Belgique et le nord du Luxembourg. C’?tait dans les Ardennes qu’en 1944, l’arm?e allemande avait lanc? ses divisions arm?es dans cette r?gion tr?s foresti?re, dans le but de s’emparer de la ville d’Anvers. Elles avaient ?t? contrecarr?es par les forces am?ricaines et britanniques pr?s de la rivi?re de la Meuse. Le conflit qui s’en ?tait suivi fut appel? la Bataille des Ardennes et ce fut la derni?re offensive majeure des allemands durant la Seconde Guerre Mondiale. Pour dieu sait quelle raison, en d?pit de la gravit? de sa situation actuelle ou ? venir, il trouvait un peu de r?confort en pensant ? l’histoire, ? sa vie pr?c?dente et ? ses ?tudiants. Mais il pensa de nouveau ? ses filles, seules et apeur?es, ne sachant aucunement o? il se trouvait, ni dans quoi il s’?tait fourr?. Comme il l’avait pr?dit, Reid vit rapidement un panneau les avertissant qu’ils approchaient de la fronti?re. Belgique, disait le panneau et, en dessous, Belgien, Belgi?, Belgium. Environ trois kilom?tres plus loin, le SUV ralentit pour s’arr?ter devant une petite cabine unique avec un auvent en b?ton par-dessus. Un homme v?tu d’un manteau ?pais et d’un k?pi en laine scruta le v?hicule. La s?curit? ? la fronti?re entre la France et la Belgique ?tait bien diff?rente de ce ? quoi la plupart des am?ricains ?taient habitu?s. Le conducteur baissa la vitre et parla ? l’homme, mais les mots ?taient ?touff?s par la cloison ferm?e et la vitre. Reid observa la sc?ne par la vitre teint?e et vit le bras du conducteur passer quelque chose au douanier : un billet. Un pot-de-vin. L’homme au k?pi leur fit signe d’avancer. Quelques kilom?tres plus loin, sur la N5, le SUV quitta l’autoroute et s’engagea sur une route ?troite, parall?le ? la route principale. Il n’y avait aucun signe de sortie et la route elle-m?me ?tait ? peine goudronn?e. C’?tait une route d’acc?s, certainement cr??e pour les v?hicules d’exploitation foresti?re. La voiture ?tait secou?e par les orni?res profondes de la route. Les deux gorilles cognaient l’un contre l’autre en face de Reid, mais continuaient tout de m?me ? le regarder sans rel?che. Il jeta un ?il ? la montre bon march? qu’il avait achet?e ? la pharmacie. Cela faisait deux heures et quarante-six minutes qu’ils ?taient partis. La nuit d’avant, il ?tait aux ?tats-Unis, puis il s’?tait r?veill? ? Paris, et il ?tait ? pr?sent en Belgique. Calme-toi, l’exhortait son subconscient. Tu as d?j? connu ?a. Fais juste attention et tais-toi. Des deux c?t?s de la route, il n’y avait rien d’autre que des arbres ?pais. Le SUV poursuivait son chemin, grimpant ? flanc de montagne, avec des virages qui montaient, pour finir par redescendre. Pendant tout ce temps, Reid regardait par la fen?tre, l’air de rien, mais cherchant des rep?res de toute sorte ou un signe qui pourrait lui indiquer o? ils se trouvaient : id?alement quelque chose qu’il pourrait rapporter par la suite aux autorit?s si besoin. Il voyait des lumi?res devant lui mais, ? cet angle, il ne pouvait pas en voir la source. Le SUV ralentit de nouveau avant de s’arr?ter en douceur. Reid vit une cl?ture noire en fer forg?, chacun de ses poteaux ?tant surmont? d’une pointe dangereuse, s’?tendant de chaque c?t? et disparaissant dans l’obscurit?. ? c?t? du v?hicule, se trouvait un petit poste de garde vitr? en brique sombre, avec une lumi?re fluorescente illuminant l’int?rieur. Un homme en sortit. Il portait un pantalon et un caban relev? sur son cou, ainsi qu’une ?charpe en laine grise autour de la gorge. Il ne fit aucun geste pour tenter de cacher le silencieux MP7 qui pendait dans un ?tui en bandouli?re ? son ?paule droite. En fait, alors qu’il s’approchait de la voiture, il prit l’arme en main sans toutefois la pointer vers l’avant. Heckler & Koch, mod?le MP7A1, dit la voix dans la t?te de Reid. Cran d’arr?t 7 points, un pouce. Viseur r?flexe Elcan. Chargeur trente coups. Le conducteur fit descendre sa vitre et parla quelques secondes avec l’homme. Puis, le garde fit le tour du SUV et ouvrit la porte du c?t? de Yuri. Il se pencha et appar?t dans l’habitacle. Reid sentit une odeur de whisky et une bouff?e d’air glacial qui l’accompagnait. L’homme regarda chacun d’entre eux tour ? tour, ses yeux s’arr?tant sur Reid. “Kommunikator,” dit Yuri. “Chtoby uvidet’ nachal’nika.” Du russe. Messager, pour voir le boss. Le garde ne pronon?a pas un mot. Il referma la porte et retourna ? son poste, appuyant sur le bouton d’une petite console. Le portail en fer noir crissa en se rabattant sur le c?t?, et le SUV s’engagea dans l’all?e. La gorge de Reid se serra, alors qu’il saisissait toute la gravit? de la situation. Il s’?tait rendu au rendez-vous avec la ferme intention d’obtenir des informations sur ce qui se passait, non seulement pour lui, mais aussi par rapport aux dires du cheikh ? propos d’un plan et concernant les villes ?trang?res. Il ?tait mont? dans la voiture avec Yuri et les deux gorilles dans l’espoir de trouver une source. Il les avait laiss?s l’emmener hors du pays, au beau milieu d’une dense r?gion foresti?re. Et, ? pr?sent, ils se trouvaient derri?re une cl?ture haute et pointue, dont le portail ?tait gard?. Il n’avait aucune id?e de comment sortir de l? si quelque chose tournait mal. Du calme. Tu y es d?j? arriv? avant. Non, ce n’est pas le cas ! pensa-t-il d?sesp?r?ment. Je suis professeur ? l’universit? de New York. Je ne sais plus ce que je fais. Pourquoi est-ce que j’ai fait ?a ? Mes filles… Ne t’en fais pas. Tu sauras quoi faire le moment venu. Reid prit une profonde inspiration, mais ne parvint pas ? calmer ses nerfs. Il regarda par la vitre. Dans l’obscurit?, il parvenait ? peine ? distinguer les environs. Il n’y avait pas d’arbres derri?re le portail, mais plut?t des rangs de pieds de vigne ? perte de vue, grimpant et ondulant en treillis ? hauteur de la taille… Il se trouvait donc dans un vignoble. Qu’il s’agisse r?ellement d’un vignoble exploit? ou d’une simple couverture ?tait incertain, mais c’?tait en tout cas quelque chose de reconnaissable, qui serait visible depuis un h?licopt?re ou un drone avec cam?ra. Bien. Ce sera une indication utile pour la suite. S’il y a une suite. Le SUV roula lentement sur l’all?e en gravier pendant environ un kilom?tre de plus, avant que la vigne ne s’arr?te. Devant lui, se trouvait un domaine somptueux, presque un ch?teau, construit en pierre grise avec des fen?tres en arc et du lierre grimpant sur la fa?ade sud. Pendant un bref instant, Reid admira cette magnifique architecture. La b?tisse avait probablement deux-cents ans, peut-?tre plus. Mais ils ne s’arr?t?rent pas l?. La voiture fit le tour de la grande maison pour la laisser derri?re elle. Un demi-kilom?tre plus loin, elle s’arr?ta devant un petit terrain et le conducteur stoppa le moteur. Ils ?taient arriv?s. Mais o?, il n’en avait aucune id?e. Les gorilles descendirent en premier, puis Reid, suivi de Yuri. Le froid intense lui coupa le souffle. Il serra les m?choires pour emp?cher ses dents de claquer. Leurs deux grandes escortes ne semblaient pas en ?tre incommod?s le moins du monde. ? environ quarante m?tres de l?, se trouvait une grande structure massive ? deux ?tages, tr?s large, sans fen?tres, en t?le ondul?e peinte en beige. Une sorte de chai, peut-?tre pour faire le vin. Mais il en doutait. Yuri grogna en ?tirant ses membres. Puis, il regarda Reid en souriant. “Ben, je sais que nous sommes maintenant de tr?s bons amis, mais tout de m?me…” Il tira de la poche de sa veste une ?troite bande de tissu noir. “Je dois insister.” Reid acquies?a l?g?rement. Quel choix avait-il ? Il se retourna afin que Yuri puisse attacher le tissu pour lui bander les yeux. Une forte main trapue le saisit par l’avant-bras, celle de l’un des gorilles, sans aucun doute. “? pr?sent,” dit Yuri. “Allons voir Otets.” La main puissante le tira vers l’avant et le guida, alors qu’ils marchaient en direction de la structure en t?le. Il sentit une autre ?paule fr?ler la sienne de l’autre c?t? : il ?tait encadr? par les deux grands gorilles. Reid respirait calmement par le nez, faisant son maximum pour rester calme. ?coute, lui dit son esprit. J’?coute. Non, ?couter. ?couter et l?cher prise. Quelqu’un frappa trois fois contre une porte. Le bruit sembla terne et creux comme une grosse caisse. M?me s’il ne pouvait rien voir, Reid imaginait Yuri en train de taper du poing contre la lourde porte en acier. Ca-chunk. Un verrou que l’on fait sauter. Un whoosh, une ru?e d’air chaud ? l’ouverture de la porte. Soudain, un m?lange de bruit : du verre qui tinte, un liquide vers? dedans et des cliquetis de courroie. Un ?quipement de viticulteur, on dirait. Bizarre, il n’avait rien entendu depuis l’ext?rieur. Les murs ext?rieurs de la structure sont insonoris?s. La main puissante le guida ? l’int?rieur. La porte se ferma de nouveau et le verrou fut remis en place. Sous lui, le sol semblait ?tre du b?ton lisse. Ses chaussures march?rent dans une petite flaque. L’odeur ac?teuse de la fermentation ?tait la plus forte, suivie de pr?s par l’ar?me plus doux et familier du jus de raisin. Ils font vraiment du vin ici. Reid comptait ses pas sur le sol du chai. Ils pass?rent plusieurs autres portes et, ? chaque fois, il percevait de nouveaux bruits. Machines : une presse hydraulique, une perceuse pneumatique, un cliquetis de cha?ne d’embouteillage. L’odeur de fermentation avait laiss? la place ? une odeur graisseuse d’huile moteur et de… Poudre. Ils fabriquent quelque chose ici, certainement des munitions. Il y avait quelque chose d’autre, de familier, derri?re l’huile et la poudre. C’?tait plut?t doux, comme des amandes… Dinitrotolu?ne. Ils fabriquent des explosifs. “Escalier,” dit la voix de Yuri pr?s de son oreille, alors que le tibia de Reid heurtait la premi?re marche. La lourde main continuait de le guider alors que quatre paires de pieds grimpaient les marches d’acier. Treize marches. Celui qui a construit cet endroit n’est pas superstitieux. En haut, se trouvait une autre porte en acier. Une fois referm?e derri?re eux, les bruits des machines s’?vanouirent : une autre pi?ce insonoris?e. On entendait de la musique classique jou?e au piano. Brahms. Variations sur un Th?me de Paganini. La m?lodie n’?tait pas assez puissante pour vraiment venir d’un piano. Il s’agissait s?rement d’une cha?ne hifi. “Yuri.” La nouvelle voix ?tait un fort baryton, l?g?rement ?raill? d’avoir cri? trop souvent ou d’avoir fum? trop de cigares. ? en juger par l’odeur des lieux, la bonne r?ponse ?tait la derni?re. Ou alors, les deux. “Otets,” dit Yuri obs?quieusement. Il se mit ? parler rapidement en russe. Reid faisait de son mieux pour suivre et d?chiffre l’accent de Yuri. “Je vous apporte de bonnes nouvelles de France…” “Qui est cet homme ?” demanda le baryton. ? sa fa?on de parler, le russe semblait ?tre sa langue natale. Reid ne put s’emp?cher de se demander quel ?tait le lien entre les iraniens et ce Russe, ou quel ?tait le r?le des deux gorilles du SUV, et m?me du serbe, Yuri. Un ?change d’armes peut-?tre, dit la voix dans sa t?te. Ou m?me pire. “Voici le messager des iraniens,” r?pondit Yuri. “Il dispose des informations que nous recherchons…” “Tu l’as amen? ici ?” l’interrompit l’homme. Sa voix grave se mit ? rugir. “Tu ?tais cens? aller en France pour rencontrer les iraniens, pas pour ramener des mecs chez moi ! Tu pourrais tout compromettre par ta stupidit? !” Il y eut un claquement vif, un revers de la main sur un visage, puis un soupir de Yuri. “Est-ce que je dois inscrire la description de ton travail sur une balle pour te la faire rentrer dans le cr?ne ?” “Otets, s’il vous plait…” balbutia Yuri. “Ne m’appelle pas comme ?a !” cria l’homme de plus belle. Un pistolet que l’on charge, une arme lourde ? en croire par le son. “Ne m’appelle par aucun nom en pr?sence de cet ?tranger !” “Ce n’est pas un ?tranger !” glapit Yuri. “C’est Agent Z?ro ! Je vous ai amen? Kent Steele !” CHAPITRE SEPT Kent Steele. Le silence r?gna pendant plusieurs secondes qui parurent ?tre des minutes. Une centaine de visions se succ?da dans la t?te de Reid, comme g?n?r?es par une machine. La CIA. Service National des Clandestins, D?partement des Activit?s Sp?ciales, Groupe des Op?rations Sp?ciales. Op?rations Psychologiques. Agent Z?ro. Si tu es expos?, tu es mort. Nous ne parlons pas. Jamais. Impossible. Ses doigts tremblaient de nouveau. C’?tait tout bonnement impossible. Des effaceurs, des implants ou des suppresseurs de m?moire ?taient des trucs de th?ories conspiratoires ou de films d’Hollywood. En tout cas, ?a n’avait plus aucune importance maintenant. Ils avaient su qui il ?tait pendant tout ce temps. Depuis le bar et pendant tout le trajet en voiture pour venir en Belgique, Yuri ?tait au courant que Reid n’?tait pas qui il pr?tendait ?tre. ? pr?sent, il avait les yeux band?s et il ?tait emprisonn? derri?re une porte en acier avec au moins quatre hommes arm?s. Personne d’autre ne savait o? il ?tait et qui il ?tait. Un lourd n?ud d’effroi se forma au fond de son estomac et manqua le faire vomir. “Non,” dit lentement la voix de baryton. “Non, tu te trompes. Stupide Yuri. Ce n’est pas l’agent de la CIA. Si c’?tait le cas, tu ne serais plus en vie !” “Sauf s’il est venu ici pour te trouver !” contesta Yuri. Il sentit des doigts sur le bandeau qui fut soudain retir?. Reid plissa les yeux ? cause de l’aveuglement caus? soudainement par les lampes fluorescentes suspendues. Il cligna des yeux et discerna un homme d’une cinquantaine d’ann?es, cheveux poivre-et-sel, avec une barbe ras?e de pr?s sur les joues et des yeux vifs et inquisiteurs. Cet homme, vraisemblablement Otets, portait un costume gris anthracite avec les deux boutons sup?rieurs de sa chemise ouverts sur des poils gris boucl?s en dessous. Ils se trouvaient dans un bureau dont les murs ?taient peints en rouge sombre et d?cor?s de peintures criardes. “Vous,” dit l’homme dans un anglais avec un fort accent. “Qui ?tes-vous ?” Reid respirait de fa?on saccad?e et refoula son envie de dire ? cet homme qu’il ne savait tout simplement plus qui il ?tait. Au lieu de ?a, il pronon?a d’une voix tremblante, “Je m’appelle Ben. Je suis un messager. Je travaille avec les iraniens.” Yuri, qui ?tait ? genoux derri?re Otets, bondit sur ses pieds. “Il ment !” hurla le serbe. “Je sais qu’il ment ! Il dit que les iraniens l’envoient, mais ils ne feraient jamais confiance ? un am?ricain !” Yuri le regarda. Un mince filait de sang s’?chappait du coin de sa bouche, l? o? Otets l’avait frapp?. “Mais ce n’est pas tout. Tu vois, je t’ai parl? d’Amad.” Il secoua la t?te en montrant les dents. “Il n’y a aucun Amad parmi eux.” Reid trouvait ?a bizarre que ces hommes semblent conna?tre les iraniens, mais qu’ils ne sachent pas avec qui ils travaillaient ou qui ils pourraient envoyer. Ils ?taient s?rement li?s d’une fa?on ou d’une autre, mais il ne savait vraiment pas quelle ?tait cette connexion entre eux. Otets murmura des injures en russe sous sa barbe. Puis, il dit en anglais, “Tu as dit ? Yuri ?tre le messager. Yuri me dit que tu es l’agent de la CIA. Qui dois-je croire ? Tu ne ressembles vraiment pas ? la vision que je me faisais de Z?ro. Pourtant, mon idiot de coursier a dit quelque chose de vrai : les iraniens m?prisent les am?ricains. Cela ne sent pas bon pour toi. Dis-moi la v?rit? ou je te tire dans la rotule.” Il brandit un lourd pistolet : un TIG Desert Eagle. Reid eut le souffle coup? un instant. C’?tait une tr?s grosse arme. Capitule, lui disait son esprit. Il ne savait pas trop comment faire. Il n’?tait pas s?r de ce qui se passerait s’il le faisait. La derni?re fois que ses nouveaux instincts avaient pris le dessus, quatre hommes s’?taient retrouv?s morts et il avait leur sang sur les mains, au sens propre comme au sens figur?. Mais il ne voyait aucune issue, en tout cas pour le Professeur Reid Lawson. Mais Kent Steele, qui que cela puisse ?tre, pouvait trouver une solution. Il ne savait peut-?tre pas qui il ?tait, mais cela n’aurait aucune importance s’il ne survivait pas assez longtemps pour le d?couvrir. Reid ferma les yeux. Il acquies?a une fois, comme une approbation silencieuse ? la voix qui parlait dans sa t?te. Ses ?paules se rel?ch?rent et ses doigts cess?rent de trembler. “J’attends,” dit platement Otets. “Vous n’auriez aucun int?r?t ? me tirer dessus,” dit Reid. Il fut surpris d’entendre sa propre voix aussi calme et pos?e. “Un seul tir de ce pistolet ne ferait pas que m’exploser le genou. Il couperait ma jambe et je me viderais de mon sang sur le sol de ce bureau en quelques secondes.” Otets haussa les ?paules. “Comment vous dites, les am?ricains ? On ne fait pas d’omelette sans…” “Je poss?de les informations dont vous avez besoin,” le coupa Reid. “L’emplacement du cheikh. Ce qu’il m’a dit. ? qui je l’ai dit. Je connais votre complot et je ne suis pas le seul.” Les coins de la bouche d’Otets se transform?rent en sourire grima?ant. “Agent Z?ro.” “Je vous l’ai dit !” dit Yuri. “Je disais vrai, n’est-ce pas ?” “Ta gueule,” aboya Otets. Yuri se ratatina comme un chien battu. “Am?ne-le en bas et obtiens tout ce qu’il sait. Commence par lui couper les doigts. Je n’ai pas envie de perdre du temps.” Un jour ordinaire, la menace de se faire couper les doigts aurait envoy? une onde de peur ? travers le corps de Reid. Ses muscles se raidirent un moment, les petits poils de sa nuque se h?riss?rent un peu, mais ses nouveaux instincts prirent le dessus et le forc?rent ? se calmer. Attends, lui dirent-ils. Attends une occasion… Le gorille chauve acquies?a s?chement et saisit de nouveau Reid par le bras. “Idiot !” gueula Otets. “Attache-le d’abord ! Yuri, va chercher dans le bureau. Tu y trouveras ce qu’il faut.” Yuri se pr?cipita vers le bureau en ch?ne ? trois tiroirs dans l’angle et fouilla dedans jusqu’? en sortir une longue corde ?paisse. “Voil?,” dit-il en la jetant ? la brute chauve. Tous les yeux se lev?rent instinctivement vers le paquet de corde qui tournoyait en l’air : les deux gorilles, Yuri et Otets. Mais pas ceux de Reid. Il avait un coup ? jouer, et il s’en empara. Il recourba sa main gauche et leva le bras en l’air dans un angle qui lui permit de frapper la trach?e du chauve du c?t? charnu de sa paume. Il sentit sa gorge casser sous sa main. Une fois ce premier coup port?, il balan?a un coup de pied du gauche en arri?re qui atteint le gorille barbu ? la hanche, la m?me sur laquelle il s’?tait appuy? tout le long du trajet pour venir en Belgique. Un hal?tement humide et suffocant s’?chappa des l?vres du chauve, alors que ses mains se portaient ? sa gorge. La brute barbue grogna au moment o? son corps pivota avant de s’effondrer. ? terre ! La corde claqua au sol, tout comme Reid. D’un seul geste, il s’accroupit et arracha le Glock de l’?tui que portait le chauve ? la cheville. Sans relever les yeux, il bondit en avant et fit une roulade. D?s qu’il eut saut?, un bruit tonitruant retentit dans le petit bureau, horriblement fort. Le tir du Desert Eagle avant laiss? un trou impressionnant dans la porte en acier de la pi?ce. La roulade de Reid l’avait amen? ? quelque pas d’Otets et il se jeta en avant vers lui. Avant qu’Otets n’ait pu pivoter pour tirer, Reid saisit par en-dessous l’arme dans sa main : ne jamais la prendre par le c?t? sup?rieur, c’est le meilleur moyen de perdre un doigt. Puis il la repoussa et s’?loigna. Un nouveau coup partit, un boum strident ? seulement quelques centim?tres de la t?te de Reid. Ses oreilles bourdonnaient, mais il resta concentr?. Il fit pivoter l’arme vers le bas et sur le c?t?, gardant le canon point? loin de lui, alors qu’il le portait ? sa hanche avec la main d’Otets. Le cinquantenaire rejeta la t?te en arri?re et hurla, son doigt coinc? dans la g?chette. Le son donna la naus?e ? Reid, alors que le Desert Eagle claquait au sol. Il se tourna et enroula son bras autour du cou d’Otets, l’utilisant comme bouclier pour viser les deux hommes de main. Le chauve ?tait hors-jeu, essayant en vain de respirer par sa gorge cass?e, mais le barbu avait d?gain? son TEC-9. Sans h?siter, Reid tira trois coups ? la suite, deux dans la poitrine et un dans le front. Un quatri?me coup mit fin ? l’agonie du chauve. La conscience de Reid hurlait dans un coin de sa t?te. Tu viens de tuer deux hommes. Deux hommes de plus. Mais sa nouvelle conscience ?tait plus forte, repoussant sa naus?e et son sens de la mesure. Tu auras tout le loisir de paniquer plus tard. Tu n’en as pas encore fini ici. Reid se retourna totalement, avec Otets face ? lui comme s’ils ?taient en train de danser, puis il visa Yuri avec le Glock. Le malheureux messager peinait ? sortir un Sig Sauer du harnais sous son ?paule. “Stop,” commanda Reid. Yuri ne bougea plus. “Haut les mains.” Le messager serbe leva lentement les mains, paumes bien en ?vidence. Il arborait un large sourire. “Kent,” dit-il en anglais, “nous sommes de tr?s bons amis maintenant, n’est-ce pas ?” “Sors mon Beretta de la poche gauche de ta veste et pose-le au sol,” ordonna Reid. Yuri l?cha le sang au coin de sa bouche et secoua les doigts de sa main gauche. Lentement, il fouilla dans sa poche et en sortit le petit pistolet noir. Mais il ne le posa pas au sol. Il le garda en main, le canon point? vers le bas. “Tu sais,” dit-il, “je me dis que si tu veux des informations, il te faut au moins garder l’un de nous en vie. Pas vrai ?” “Yuri !” grogna Otets. “Fais ce qu’il demande !” “Au sol,” r?p?ta Reid. Il ne quittait pas Yuri des yeux, mais il ?tait inquiet que d’autres ait pu entendre le rugissement du Desert Eagle. Il n’avait aucune id?e du nombre de personnes qui se trouvaient en bas, mais le bureau ?tait insonoris? et il y avait des machines en marche dans toutes les autres pi?ces. Il ?tait possible que personne n’ait rien entendu… ou peut-?tre que les gens ?taient habitu?s ? ce bruit et qu’ils s’en fichaient pas mal. “J’h?site,” dit Yuri, “Je prends ce flingue et je tue Otets. Ensuite, tu auras besoin de moi.” “Yuri, nyet !” cria Otets, cette fois plus abasourdi qu’en col?re. “Tu vois, Kent,” dit Yuri, “ce n’est pas La Cosa Nostra. Je suis plus comme, euh… un employ? m?content. Tu as vu comment il me traite. Alors je vais peut-?tre le tuer. Et, toi et moi, on r?glera les choses ensemble…” Otets serra les dents et susurra un flot d’injures ? l’attention de Yuri, mais cela ne fit qu’agrandir le sourire du messager. Reid commen?ait ? perdre patience. “Yuri, si tu ne poses pas ce pistolet maintenant, je serai oblig? de…” Yuri bougea ? peine le bras comme s’il allait lever son arme. L’instinct de Reid s’enclencha comme un moteur qui passe ? la vitesse sup?rieure. Sans r?fl?chir, il visa et tira, une seule fois. Ce fut si rapide qu’il fut surpris par le coup du pistolet. Pendant une demi-seconde, Reid pensa l’avoir manqu?. Puis, il y eut une ?ruption de sang sombre au niveau du cou de Yuri. Il tomba d’abord ? genoux, une main tentant faiblement d’arr?ter le flux de sang, mais il ?tait bien trop tard pour ?a. Cela peut prendre jusqu’? deux minutes pour que le sang s’?coule de l’art?re carotide. Il ne voulait pas savoir d’o? il tenait cette information. Mais, il peut mettre seulement sept ? dix secondes pour mourir ? cause de la perte de sang. Yuri s’effondra en avant. Reid se retourna imm?diatement vers la porte en acier, avec le Glock dirig? en son centre. Il attendit. Sa respiration ?tait stable et calme. Il n’avait m?me pas perdu une goutte de sueur. Otets essayait de respirer profond?ment, par saccades, frottant son doigt fractur? de l’autre main. Mais personne ne vint. Je viens de tuer trois hommes. Pas le temps de t’apitoyer. Sors de cet enfer. “Ne bouge pas,” grogna Reid ? l’attention d’Otets en rel?chant son emprise sur lui. Il balan?a un coup de pied pour ?loigner le Desert Eagle dans un coin. Il glissa sous le bureau. Il n’aurait aucune utilit? d’une arme comme celle-l?. Il abandonna ?galement les pistolets automatiques TEC-9 des malfaiteurs. Ils ?taient bien trop impr?cis, bons ? rien d’autre que de balancer des balles sur une large zone. Au lieu de ?a, il repoussa le corps de Yuri du pied et s’empara du Beretta. Il garda aussi le Glock, glissant les deux pistolets dans chacune des poches de son blouson. “Sortons d’ici,” dit Reid ? Otets, “vous et moi. Vous allez passer en premier et direz que tout va bien. Vous allez me conduire dehors et me trouver une bonne voiture. Et vous savez pourquoi ?” Il montra ses mains, chacune enfouie dans une poche et enroul?es autour de la crosse d’un pistolet. “Ils seront tous les deux point?s dans votre dos. Faites un seul faux pas ou dites un seul mot de travers et je vous plante une balle entre les vert?bres lombaires 2 et 3. Si vous avez assez de chance pour rester en vie, vous serez paralys? pour le reste de votre existence Compris ?” Otets le regarda fixement, mais il fut assez intelligent pour acquiescer. “Bien. Dans ce cas, passez devant.” Le russe s’arr?ta devant la porte en acier du bureau. “Tu ne sortiras pas d’ici vivant,” dit-il en anglais. “Il vaudrait mieux pour vous que je survive,” grommela Reid. “Sans quoi, je m’assurerai que vous y passiez aussi.” Otets poussa la porte et s’engagea sur le palier. Le bruit des machines revint instantan?ment rugir ? leurs oreilles. Reid le suivit hors du bureau, sur la petite plateforme en acier. Il jeta un coup d’?il par-dessus la rambarde, regardant le sol de l’atelier en dessous. Ses pens?es (les pens?es de Kent ?) ?taient exactes : il y avait deux hommes qui travaillaient sur une presse hydraulique et un autre ? la perceuse pneumatique. Un autre encore se tenait debout une cha?ne roulante, inspectant des composants ?lectroniques, alors qu’ils roulaient lentement vers une surface en acier au bout. Deux autres portant des lunettes et des gants en latex ?taient assis devant une table en m?lamin?, mesurant soigneusement une esp?ce de produit chimique. Il constata qu’ils composaient un ?trange assortiment de nationalit?s : trois d’entre eux ?taient blancs aux cheveux sombres, s?rement des russes, mais deux autres venaient clairement du Moyen Orient. L’homme ? la perceuse ?tait africain. L’odeur d’amande du dinitrotolu?ne flotta vers lui. Ils fabriquaient des explosifs, comme il l’avait pressenti plus t?t gr?ce aux odeurs et au bruit. Six en tout. Probablement arm?s. Pour autant, aucun d’entre eux ne leva les yeux vers le bureau. Ils ne tireront pas ici, pas avec Otets devant moi et les produits chimiques volatiles dans l’air. Moi non plus d’ailleurs, pensa Reid. “Impressionnant, non ?” dit Otets avec un sourire. Il avait remarqu? que Reid regardait en bas. “Avancez,” commanda-t-il. Otets commen?a ? descendre les marches, ses chaussures claquant contre le m?tal de la premi?re marche. “Tu sais,” dit-il tout ? coup, “Yuri avait raison.” Sors de l?. Monte dans le SUV. Enfonce le portail et enfuis-toi comme un voleur. “Tu as besoin de l’un de nous.” Retourne sur l’autoroute. Trouve un poste de police. Demande l’intervention d’Interpol. “Et ce pauvre Yuri est mort…” Donne-leur Otets. Force-le ? parler. Lave ton nom du meurtre de sept hommes. “Donc, je me dis que tu ne peux pas me tuer.” J’ai assassin? sept hommes. Mais il s’agissait de l?gitime d?fense. Otets venait d’atteindre la derni?re marche, Reid derri?re lui, avec les deux mains enfouies dans les poches de son blouson. Ses paumes ?taient moites contre les pistolets. Le russe s’arr?ta et jeta bri?vement un ?il par-dessus son ?paule, sans vraiment regarder Reid. “Les iraniens. Ils sont morts ?” “Quatre d’entre eux,” dit Reid. Le vacarme des machines couvrit presque sa voix. Otets fit claquer sa langue. “Dommage. Mais, encore une fois… cela prouve que j’ai raison. Tu n’as aucune piste, personne d’autre vers qui te tourner. Tu as besoin de moi.” Cette pens?e interpella Reid. La panique monta dans sa poitrine. L’autre part en lui, celle de Kent, la refoula comme on avale une pilule ? sec. “Je poss?de d?j? tout ce que le cheikh nous a donn?…” Otets ricana doucement. “Le cheikh, oui. Mais tu sais d?j? que Mustafar ne savait pas grand-chose. C’?tait un financier, Agent. Il ?tait faible. Pense-tu que nous lui faisions confiance par rapport ? notre plan ? Si oui, pourquoi es-tu venu ici ?” De la sueur perla sur les sourcils de Reid. Il ?tait venu ici dans l’espoir de trouver des r?ponses, non seulement sur ce suppos? plan, mais aussi sur qui il ?tait vraiment. Il en avait d?couvert beaucoup plus que pr?vu. “Avancez,” demanda-t-il de nouveau. “vers la porte, lentement.” Otets descendit totalement de l’escalier, avec lenteur, mais il ne se dirigea pas vers la porte. Il avan?a dans la pi?ce, vers ses hommes. “Qu’est-ce que vous faites ?” demanda Reid. “Je r?ponds ? ton bluff, Agent Z?ro. Si je me trompe, tu me tueras.” Il sourit et fit un autre pas en avant. Deux des travailleurs lev?rent les yeux. De leur perspective, c’?tait comme si Otets discutait simplement avec un inconnu, peut ?tre un associ? en affaire ou un repr?sentant d’une autre faction. Aucune raison de s’alarmer. La panique remonta soudain dans la poitrine de Reid. Il pouvait l?cher les armes. Otets n’?tait qu’? deux pas devant lui, mais Reid ne pouvait pas vraiment l’empoigner et le forcer ? se diriger vers la porte sans alerter les six hommes. Il ne pouvait pas non plus risquer de tirer dans une pi?ce remplie d’explosifs. “Allez-y svidaniya, Agent.” Otets sourit. Sans d?tourner les yeux de Reid, il cria en anglais, “Tuez cet homme !” Deux autres travailleurs lev?rent la t?te, ?changeant des regards entre eux et avec Otets, confus. Reid eut l’impression qu’il s’agissait d’ouvriers, pas de soldats ou de gardes du corps comme la paire de gorilles refroidis ? l’?tage. “Idiots !” hurla Otets pour couvrir le bruit des machines. “Cet homme fait partie de la CIA ! Abattez-le !” Cette phrase attira leur attention. Les deux hommes ? la table en m?lamin? se lev?rent rapidement pour saisir les flingues sous leurs aisselles. L’africain ? la perceuse pneumatique se baissa vers sa cheville et en sortit un AK-47 qu’il posta contre son ?paule. ? peine avaient-ils boug? que Reid bondit en avant, tirant ses deux mains de ses poches avec les deux pistolets en m?me temps. Il fit pivoter Otets par l’?paule et posa le Beretta contre la tempe gauche du russe, puis visa l’homme au AK avec son Glock, le bras pos? sur l’?paule d’Otets. “Ce ne serait pas tr?s malin,” dit-il en criant. “Vous savez bien ce qui pourrait arriver si nous commen?ons ? tirer ici.” La vue d’un pistolet sur la t?te de leur patron poussa le reste des hommes ? r?agir. Il avait raison : ils ?taient tous arm?s. ? pr?sent, il avait six armes point?es sur lui avec seulement Otets pour les parer. L’homme au AK regarda nerveusement ses coll?gues. Une fine coul?e de sueur descendait d’un c?t? de son front. Reid fit un petit pas en arri?re, entra?nant Otets avec lui d’un simple coup de pouce sur le Beretta. “Gentiment et tranquillement,” dit-il avec calme. “S’ils se mettent ? tirer ici, le b?timent entier pourrait voler en ?clats. Et je ne pense pas que vous ayez envie de mourir aujourd’hui.” Otets serra les dents et murmura des injures en russe. Ils recul?rent peu ? peu, petits pas par petits pas, vers les portes du chai. Le c?ur de Reid mena?ait de sortir de sa poitrine. Ses muscles se raidissaient nerveusement, puis ils se rel?ch?rent alors que l’autre part en lui l’exhortait ? se calmer. ?vacue la tension de tes membres. Tendre tes muscles ne fera que ralentir tes r?actions. Pour chaque minuscule pas en arri?re qu’il faisait avec Otets, les six hommes en faisaient un en avant, maintenant une courte distance entre eux. Ils attendaient une occasion, et plus ils s’?loignaient des machines, moins le risque d’une explosion accidentelle ?tait important. Reid savait que seule la peur de tuer Otets par accident les emp?chait de tirer. Personne ne parlait, mais les machines ronronnaient derri?re eux. La tension dans l’air ?tait palpable et ?lectrique. Il savait qu’? tout moment, l’un d’entre eux pourrait perdre son calme et ouvrir le feu. Puis, son dos toucha les doubles portes. Un pas de plus et il les ouvrit en poussant, entra?nant Otets avec lui d’un coup de coude, avec la menace du Beretta sur lui. Avant que les portes ne se referment, Otets hurla sur ses hommes. “Il ne doit pas sortir d’ici vivant !” Puis, une fois referm?es, ils se retrouv?rent tous deux dans une autre salle, celle d’embouteillage, avec le tintement des bouteilles et la douce odeur des grappes. D?s qu’ils furent dedans, Reid se retourna en pointant le Glock au niveau de la poitrine, gardant toujours le Beretta sur la tempe d’Otets. Des machines d’embouteillage et de bouchonnage tournaient, mais elles ?taient presque enti?rement automatiques. La seule personne pr?sente dans cette immense pi?ce ?tait une femme russe ? l’air fatigu?, portant un foulard vert sur la t?te. ? la vue de l’arme, de Reid et d’Otets, ses yeux hagards s’?carquill?rent de terreur et elle leva les deux mains. “?teignez ?a,” dit Reid en russe. “Vous entendez ?” Elle acquies?a vigoureusement et abaissa deux leviers sur le panneau de commande. Les machines siffl?rent en s’arr?tant tout net. “Sortez d’ici,” lui dit-il. Elle d?glutit, puis se mit ? reculer lentement vers la porte de sortie. “Plus vite !” cria-t-il violemment. “Partez !” “Da,” murmura-t-elle. La femme se pr?cipita vers la lourde porte en acier, l’ouvrit et d?guerpit dans la nuit. La porte se referma dans un bruit r?sonnant. “Et maintenant, Agent ?” grommela Otets en anglais. “Quel est votre plan de sortie ?” “Fermez-la.” Reid pointa son arme vers les doubles portes menant ? l’autre pi?ce. Pourquoi est-ce qu’ils n’ont pas encore d?barqu? ? Il ne pouvait pas vraiment continuer d’avancer sans savoir exactement o? ils ?taient. S’il y avait une issue de secours dans ce b?timent, ils pouvaient tr?s bien l’attendre ? l’ext?rieur. S’ils ?taient suivis, il n’aurait aucun moyen de faire monter Otets dans le SUV et de s’enfuir ? bord sans se faire tirer dessus. Dehors, il n’y aurait aucune menace d’explosifs. Ils pourraient tenter de tirer. Est-ce qu’ils risqueraient de tuer Otets pour l’intercepter ? Des nerfs en pelote et une arme ? feu ne composaient pas un m?lange id?al pour quiconque, m?me pour leur boss. Avant qu’il ne puisse d?cider de la suite des ?v?nements, les puissantes lumi?res fluorescentes s’?teignirent d’un coup au-dessus d’eux. En un instant, ils furent plong?s dans l’obscurit?. CHAPITRE HUIT Reid n’y voyait plus rien du tout. Il n’y avait pas de fen?tre dans le chai. Les ouvriers avaient d? faire sauter des fusibles dans la pi?ce voisine, car m?me le son des machines avait laiss? place au silence. Il chercha rapidement ? attraper Otets et parvint ? saisir le russe par le col avant qu’il ne puisse s’enfuir. Otets ?mit un l?ger bruit d’?touffement au moment o? Reid le chopa par derri?re. Au m?me moment, une lumi?re d’urgence rouge s’alluma, une simple ampoule sur le mur, juste au-dessus de la porte. Elle baigna la pi?ce d’un ?clat doux et ?trange. “Ces hommes ne sont pas stupides,” dit tranquillement Otets. “Tu ne t’en tireras pas vivant.” Son esprit tournait ? cent ? l’heure. Il fallait qu’il sache o? ils se trouvaient, et il avait surtout besoin qu’ils viennent jusqu’? lui. Mais comment ? C’est simple. Tu sais quoi faire. Arr?te de lutter contre ?a. Reid prit une profonde inspiration par le nez, puis il fit la seule chose qui lui semblait cens?e ? ce moment-l?. Il tira sur Otets. Le coup net du Beretta fit ?cho dans la pi?ce silencieuse. Otets hurla de douleur. Ses deux mains vinrent encercler sa cuisse gauche. La balle l’avait seulement effleur?, mais il saignait abondamment. De col?re, il prof?ra un long flot d’injures en russe. Reid attrapa de nouveau Otets par le col et le tra?na en arri?re, le soulevant presque enti?rement du sol. Puis, il le for?a ? se baisser derri?re la machine d’embouteillage. Il attendit. Si les hommes ?taient toujours ? l’int?rieur, ils avaient forc?ment entendu le tir et allaient accourir. Si personne ne venait, c’est qu’ils ?taient post?s dehors, quelque part, cach?s en train de l’attendre. La r?ponse lui parvint quelques instants plus tard. Quelqu’un balan?a un coup de pied pour ouvrir les portes battantes, assez fort pour qu’elles claquent sur le mur derri?re elles. Le premier ? entrer fut l’homme au AK, balayant le canon de l’arme de gauche ? droite dans un large mouvement. Deux autres hommes le suivaient de pr?s, ?galement arm?s de pistolets. Otets g?missait de douleur et serrait fort sa cuisse. Ses hommes l’entendirent et approch?rent du bord de la machine d’embouteillage, armes point?es en avant. Ils trouv?rent Otets assis par terre, sifflant entre ses dents, prostr? ? cause de sa jambe bless?e. Cependant, Reid n’?tait plus l?. Il avait rapidement fonc? de l’autre c?t? de la machine, se tenant accroupi. Il mit le Beretta dans sa poche et attrapa une bouteille vide sur la machine. Avant m?me qu’ils n’aient pu se retourner, il cassa la bouteille sur la t?te de l’ouvrier le plus proche, un moyen-oriental, puis enfon?a le col cass? de la bouteille dans la gorge du second. Du sang chaud gicla sur sa main quand l’homme b?gaya avant de s’effondrer. Un. L’africain au AK-47 se retourna, mais pas assez vite. Reid utilisa son avant-bras pour repousser le canon, alors qu’une salve de coups fusait dans les airs. Il s’avan?a avec le Glock en main, l’appuya sous le menton de l’homme et pressa la d?tente. Deux. Un tir de plus acheva le premier terroriste qui, de toute ?vidence, ?tait toujours allong? au sol, inconscient. Trois. Reid respirait fort, essayant de calmer l’emballement de son c?ur. Il n’avait pas le temps d’?tre horrifi? par ce qu’il venait de faire et il ne voulait m?me pas y songer. C’?tait comme si le Professeur Lawson avait d?sert? les lieux, choqu?, et que l’autre partie de lui avait pris totalement le dessus. Mouvement. ? droite. Otets rampait derri?re la machine pour r?cup?rer le AK. Reid se retourna rapidement et lui balan?a un coup de pied dans l’estomac. La force du coup fit rouler le russe en arri?re et celui-ci resta sur le flanc ? g?mir. Reid s’empara du AK. Combien de coups avaient ?t? tir?s ? Cinq ? Six. C’?tait un chargeur trente-deux coups. S’il ?tait plein, il disposait encore de vingt-six coups. “Pas un geste,” dit-il ? Otets. Puis, ? la grande surprise du russe, Reid l’abandonna sur place et repartit de l’autre c?t? du chai par les portes battantes. La salle de pr?paration des bombes ?tait baign?e de la m?me lueur rouge provenant de l’ampoule d’urgence. Reid mit un coup de pied pour ouvrir la porte et se posa imm?diatement au sol sur un genou, au cas o? quelqu’un aurait une arme point?e sur l’entr?e. Ensuite, il se d?pla?a de gauche ? droite. Il n’y avait personne ici, ce qui voulait dire qu’il y avait une autre porte de sortie ? l’arri?re. Il la trouva rapidement, une porte de s?curit? en acier entre l’escalier et le mur au sud. Elle ne s’ouvrait apparemment que de l’int?rieur. Les trois autres ?taient donc quelque part dehors. Le pari ?tait risqu? : il n’avait aucun moyen de savoir s’ils l’attendaient de l’autre c?t? de la porte, ou s’ils avaient essay? de faire le tour pour rejoindre l’entr?e du b?timent. Il fallait qu’il trouve un moyen de le v?rifier. Apr?s tout, on fabrique des bombes ici… Dans l’angle oppos? de la pi?ce, derri?re la machine roulante, il trouva une longue caisse en bois, ? peu pr?s de la taille d’un cercueil, remplie de paquets de cacahu?tes. Il fouilla dedans jusqu’? sentir quelque chose de solide, puis il tira dessus. C’?tait un bo?tier noir mat en plastique, et il savait d?j? ce qui se trouvait dedans. Il le posa pr?cautionneusement sur la table en m?lamin?, puis l’ouvrit. ? sa grande tristesse et non ? sa grande surprise, il reconn?t imm?diatement qu’il s’agissait d’une mallette de bombe, r?gl?e avec un minuteur dot? d’une commande ? distance, mais capable d’?tre enclench?e manuellement par un bouton, comme une s?curit? en cas d’?chec. De la sueur coula sur son front. Vais-je vraiment faire un truc pareil ? De nouvelles visions travers?rent son esprit : des fabricants de bombes afghans ayant perdu des doigts, voire m?me des membres entiers, ? cause d’explosifs mal param?tr?s. Des immeubles entiers pouvant partir en fum?e ? cause d’un seul faux mouvement, d’un seul c?ble mal connect?. Est-ce que j’ai le choix ? C’est soit ?a, soit me faire tirer dessus. Le bouton de commande ?tait un petit rectangle vert, ? peu pr?s de la taille d’un couteau suisse, avec un levier sur un c?t?. Il le prit dans sa main gauche et retint son souffle. Puis il l’enclencha. Il ne se passa rien. C’?tait bon signe. Il s’assura de garder le levier serr? dans son poing (le l?cher ferait imm?diatement exploser la bombe) puis il param?tra le minuteur sur vingt minutes, m?me s’il aurait besoin de moins de temps. Puis, il prit le AK de la main droite et d?gagea de cet enfer. Il grima?a : la porte d’issue arri?re grin?a au niveau des charni?res quand il l’ouvrit. Il sortit dans l’obscurit? avec le AK point? en avant. Il n’y avait personne ici, derri?re le b?timent, mais ils avaient certainement entendu le grincement sans ?quivoque de la porte. Sa gorge ?tait s?che et son c?ur battait toujours la chamade, mais il conserva ses nerfs d’acier et avan?a avec pr?caution jusqu’? l’angle du b?timent. Sa main ?tait moite, serrant le levier dans une ?treinte mortelle. S’il l?chait maintenant, il mourrait probablement en un instant. La quantit? de C4 dans la bombe ferait exploser le b?timent et l’aplatirait au sol, s’il ne tombait pas en cendres avant. Hier encore, mon principal souci ?tait de conserver l’attention de mes ?tudiants pendant quatre-vingt-dix minutes. Aujourd’hui, il tenait en main le levier d’une bombe en essayant d’?chapper ? des terroristes russes. Concentration. Une fois l’angle du b?timent atteint, il scruta au-del?, essayant autant que possible de discerner des ombres ?ventuelles. Il aper?ut la silhouette d’un homme, pistolet ? la main, post? telle une sentinelle sur la fa?ade est. Reid s’assura de tenir fermement le levier. Tu peux le faire. Puis, il avan?a ? d?couvert. L’homme se retourna rapidement et leva son arme. “H?,” dit Reid. Il leva sa propre main, pas celle qui tenait le pistolet, mais l’autre. “Tu sais ce que c’est ?” L’homme s’immobilisa et pencha l?g?rement la t?te. Puis, ses yeux s’agrandirent tellement de peur que Reid pouvait en voir le blanc au clair de lune. “D?tonateur,” murmura l’homme. Son regard allait et venait entre le bo?tier et le b?timent, et il semblait arriver ? la m?me conclusion que Reid, ? savoir que s’il l?chait le levier, ils seraient morts tous les deux en un instant. Le terroriste abandonna l’id?e de tirer sur Reid, et tapa un sprint vers l’avant du b?timent. Reid s’empressa de le suivre. Il entendit des cris en arabe : “D?tonateur ! Il a le d?tonateur de la bombe !” Il tourna pour rejoindre l’avant du chai, le AK point? devant lui, la crosse au creux de son coude, son autre main arborant le levier en l’air, au-dessus de sa t?te. Le terroriste n’avait pas abandonn? l’id?e de fuir, et il continuait de courir sur la route en gravier qui s’?loignait du b?timent en hurlant d’une voix rauque. Les deux autres terroristes se trouvaient tous deux devant la porte avant, apparemment pr?ts ? entrer et ? en finir avec Reid. Ils l’observ?rent avec stup?faction arriver vers eux. Reid examina bri?vement la sc?ne. Les deux autres hommes avaient des pistolets : Sig Sauer P365, treize cartouches avec manche allong?. Mais aucun d’entre eux ne les pointa sur lui. Comme il l’avait suppos?, Otets avait r?ussi ? sortir par la porte de devant et ?tait, ? l’heure actuelle, ? mi-chemin entre le chai et le SUV, boitillant en tenant sa jambe bless?e, soutenu au niveau de l’?paule par un petit homme corpulent avec un k?pi noir. Le chauffeur, pensa Reid. “Flingues ? terre,” ordonna Reid, “ou je fais tout sauter.” Les terroristes pos?rent pr?cautionneusement leurs armes ? terre. Reid pouvait entendre d’autres voix crier plus loin. D’autres hommes arrivaient depuis l’ancien manoir. La femme russe les avait s?rement avertis. “Courez,” leur dit-il. “Allez leur expliquer ce qui se passe.” Il n’eut pas besoin de leur dire deux fois. Ils se mirent ? courir en direction de la cohorte. Reid se tourna alors vers le chauffeur en train d’aider cet estropi? d’Otets. “Stop !” rugit-il. “Ne t’arr?te pas !” hurla Otets en russe. Le chauffeur h?sita. Reid laissa tomber le AK et sortit le Glock de la poche de son blouson. Ils n’avaient fait que la moiti? du chemin jusqu’? la voiture : m?me pas vingt-cinq m?tres. Facile. Il fit quelques pas en avant et cria, “Jusqu’? aujourd’hui, je ne pensais pas avoir d?j? tir? avec une arme ? feu. Mais, en fait, je suis un tr?s bon tireur.” Le chauffeur ?tait un homme sensible, peut-?tre un l?che, ou les deux ? la fois. Il l?cha Otets, laissant tomber son boss sans aucune c?r?monie sur le gravier. “Les cl?s,” demanda Reid. “L?che-les.” Les mains du chauffeur tremblaient alors qu’il cherchait les cl?s du SUV dans la poche interne de sa veste. Il les laissa tomber ? ses pieds. Reid fit un geste avec le canon de son pistolet. “Va-t’en.” Le chauffeur s’enfuit en courant. Le k?pi vola de sa t?te, mais il ne s’arr?ta m?me pas pour le ramasser. “Esp?ce de l?che !” pesta Otets en russe. Reid commen?a par r?cup?rer les cl?s, puis se posta debout au-dessus d’Otets. Les voix distantes se rapprochaient. Le manoir se trouvait ? 500 m de l?. La russe avait d? mettre environ quatre minutes pour l’atteindre ? pied, donc il ne fallait que quelques minutes aux hommes pour revenir ici. Il se dit qu’il lui restait moins de deux minutes. “L?ve-toi.” Otets cracha sur ses chaussures en guise de r?ponse. “Comme tu voudras.” Reid rangea le Glock dans sa poche, attrapa Otets par le dos de sa veste de costume et le tra?na vers le SUV. Le russe hurla de douleur, alors que sa jambe bless?e r?clait contre le gravier. “Monte,” ordonna Reid, “ou je te tire dans l’autre jambe.” Otets grommela dans un souffle, couinant de douleur, mais il monta ? bord du v?hicule. Reid claqua la porti?re, fit rapidement le tour, et se posta au volant. Sa main gauche tenait toujours le levier de la bombe. Il d?marra le SUV et appuya sur la p?dale. Les roues patin?rent, projetant du gravier et de la poussi?re derri?re elles, puis le v?hicule partit en avant dans une grosse secousse. D?s qu’il se retrouva sur l’?troit chemin d’acc?s, les tirs fus?rent. Des balles ricoch?rent du c?t? passager dans une s?rie de bruits sourds. La vitre, juste ? droite de la t?te d’Otets, se fissura en toile d’araign?e, mais ne c?da pas. “Idiots !” hurla Otets. “Arr?tez de tirer !” R?sistance aux balles, pensa Reid. J’en ?tais s?r. Mais il savait aussi que ?a ne durerait pas longtemps. Il appuya ? fond sur la p?dale d’acc?l?ration et le SUV fit une nouvelle embard?e rugissante devant les trois hommes, post?s sur les c?t?s de la route, en train de tirer sur la voiture. Reid descendit sa vitre alors qu’il passait devant les deux terroristes, encore en train de courir pour sauver leur vie. C’est ? ce moment-l? qu’il balan?a le bo?tier dehors. L’explosion fit trembler le SUV, m?me ? distance. Ce ne fut pas tant le bruit de la d?tonation qui le heurta, mais plut?t sa r?sonnance qui le secoua au plus profond de ses entrailles. En jetant un coup d’?il dans le r?troviseur, il ne vit rien d’autre qu’une intense lumi?re jaune, comme s’il regardait directement le soleil. Il vit des t?ches couler un moment, mais il s’effor?a de regarder la route devant lui. Une boule de feu orange roula dans le ciel, d?roulant un immense panache de fum?e noire avec elle. Otets laissa ?chapper un g?missement dans un soupir. “Tu n’as aucune id?e de l’erreur que tu viens de commettre,” dit-il pos?ment. “Tu es un homme mort, Agent.” Reid ne dit rien. Il r?alisait ce qu’il venait de faire : il venait de d?truire une ?norme quantit? de preuves qui auraient pu ?tre utilis?es contre Otets, lors d’un proc?s, une fois qu’il l’aurait remis aux autorit?s. Mais Otets avait tort. Il n’?tait pas un homme mort, du moins pas encore, et la bombe lui avait permis de s’en sortir. Jusqu’ici en tout cas. Derri?re lui, se profilait la belle demeure, mais il n’avait pas le temps d’en appr?cier l’architecture cette fois encore. Reid regardait droit devant lui, jetant parfois bri?vement un ?il dans le r?troviseur, traversant les orni?res sur la route. Une lueur vive attira son attention dans le r?troviseur. Deux paires de phares apparurent, quittant l’all?e de la maison. Ils ?taient bas par rapport au sol et il pouvait entendre le vrombissement haut perch? des moteurs courvir le bruit du sien. Des voitures de sport. Il acc?l?ra de nouveau ? fond. Ils seraient plus rapides, mais le SUV ?tait mieux ?quip? pour g?rer les asp?rit?s de la route en piteux ?tat. D’autres tirs ?clat?rent dans les airs, alors que les balles atteignaient l’arri?re du v?hicule. Reid agrippait le volant ? deux mains, ses veines saillant ? cause de la tension dans ses muscles. Il ma?trisait la situation. Il pouvait le faire. Le portail en fer ne devait pas ?tre bien loin. Il roulait ? 90 km/h dans les vignes. S’il parvenait ? conserver cette vitesse, cela suffirait peut-?tre ? enfoncer le portail. Le SUV fut violemment secou? par une balle. Elle venait de s’enfoncer dans le pneu arri?re gauche du v?hicule qui ?clata. L’avant vira soudainement de bord. Reid tourna instinctivement le volant ? fond dans l’autre sens en serrant les dents. L’arri?re d?rapa, mais le SUV tint bon. “Que dieu me vienne en aide,” g?mit Otets. “Ce dingue va finir par avoir ma peau…” Reid mit un nouveau coup de volant et le v?hicule reprit le droit chemin. N?anmoins, le r?gulier cling-cling du pneu lui indiqua qu’il roulait sur la jante et les d?bris de caoutchouc. Sa vitesse ?tait descendue ? 65 km/h. Il essaya d’acc?l?rer de nouveau, mais le SUV tremblait, mena?ant de d?raper une fois encore. Il sut qu’il ne pourrait aller assez vite pour enfoncer le portail. Il ne ferait que rebondir dessus. C’est un portail ?lectrique, pensa-t-il soudain. Il ?tait contr?l? par un garde ? l’ext?rieur, certainement au courant ? ce stade de sa tentative de fuite et ? l’aff?t avec son dangereux MP7. Mais cela voulait dire aussi qu’il y avait forc?ment une autre issue pour sortir de ce domaine. Des balles continuaient ? heurter la carrosserie, avec ses deux poursuivant ? ses trousses. Il se mit en plein phares et vit s’approcher le portail en fer. “Tiens-toi ? quelque chose,” pr?vint Reid. Otets attrapa la poign?e au-dessus de la fen?tre et murmura une pri?re dans un souffle, alors que Reid tournait ? fond le volant vers la droite. Le SUV d?rapa de c?t? sur le gravier. Il sentit les deux pneus du c?t? passager quitter le sol et, pendant un moment, il retint son souffle, conscient qu’ils allaient peut-?tre faire des tonneaux. Mais il garda le contr?le, et les pneus finirent par toucher terre de nouveau. Il enfon?a la p?dale d’acc?l?ration et roula droit vers les vignes, ?crasant les fins treillis de bois, comme s’il s’agissait de cure-dents, ?crasant les grappes au passage. Êîíåö îçíàêîìèòåëüíîãî ôðàãìåíòà. Òåêñò ïðåäîñòàâëåí ÎÎÎ «ËèòÐåñ». Ïðî÷èòàéòå ýòó êíèãó öåëèêîì, êóïèâ ïîëíóþ ëåãàëüíóþ âåðñèþ (https://www.litres.ru/pages/biblio_book/?art=43693991&lfrom=688855901) íà ËèòÐåñ. Áåçîïàñíî îïëàòèòü êíèãó ìîæíî áàíêîâñêîé êàðòîé Visa, MasterCard, Maestro, ñî ñ÷åòà ìîáèëüíîãî òåëåôîíà, ñ ïëàòåæíîãî òåðìèíàëà, â ñàëîíå ÌÒÑ èëè Ñâÿçíîé, ÷åðåç PayPal, WebMoney, ßíäåêñ.Äåíüãè, QIWI Êîøåëåê, áîíóñíûìè êàðòàìè èëè äðóãèì óäîáíûì Âàì ñïîñîáîì.
Íàø ëèòåðàòóðíûé æóðíàë Ëó÷øåå ìåñòî äëÿ ðàçìåùåíèÿ ñâîèõ ïðîèçâåäåíèé ìîëîäûìè àâòîðàìè, ïîýòàìè; äëÿ ðåàëèçàöèè ñâîèõ òâîð÷åñêèõ èäåé è äëÿ òîãî, ÷òîáû âàøè ïðîèçâåäåíèÿ ñòàëè ïîïóëÿðíûìè è ÷èòàåìûìè. Åñëè âû, íåèçâåñòíûé ñîâðåìåííûé ïîýò èëè çàèíòåðåñîâàííûé ÷èòàòåëü - Âàñ æä¸ò íàø ëèòåðàòóðíûé æóðíàë.