Êîò ìóðëû÷åò... áåë è ñåð, Îí ïîíÿòëèâûé... Æèë äà áûë ýñýñýñýð - Òðàâû ìÿòíûå. Òðàâû ìÿòíûå, åùå Ìàòü-è-ìà÷åõà, Ðåêè ñ ñèãîì è ëåù¸ì - Ìàòåìàòèêà! Óðàâíåíèÿ, èêñû, Ñèíóñ-êîñèíóñ... Âîçëå ñòàäà âîë÷üÿ ñûòü... Ïàðíè ñ êîñàìè... Ñ÷àñòüå óøëîå ëîâè - Äåâêè ñ âîëîñîì Ðàñïåâàëè î ëþáâè Ñëàäêèì ãîëîñîì... À âåñåííåþ ïîð

Le minotaure. La peste / Ìèíîòàâð. ×óìà. Êíèãà äëÿ ÷òåíèÿ íà ôðàíöóçñêîì ÿçûêå

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Le minotaure. La peste / Ìèíîòàâð. ×óìà. Êíèãà äëÿ ÷òåíèÿ íà ôðàíöóçñêîì ÿçûêå Àëüáåð Êàìþ ×òåíèå â îðèãèíàëå (Êàðî)Litt?rature classique (Êàðî)  êíèãó âîøëè äâà ïðîèçâåäåíèÿ: «Ìèíîòàâð» – ýññå îá àëæèðñêîì ãîðîäå Îðàíå è ãëàâû èç çíàìåíèòîãî ðîìàíà-ïðèò÷è «×óìà». Íåàäàïòèðîâàííûé òåêñò ñíàáæåí êîììåíòàðèÿìè è ñëîâàðåì. Äëÿ ñòóäåíòîâ ÿçûêîâûõ âóçîâ è âñåõ ëþáèòåëåé ñîâðåìåííîé ôðàíöóçñêîé ëèòåðàòóðû. Àëüáåð Êàìþ / Albert Camus Le miinotaure. La peste / Ìèíîòàâð. ×óìà. Êíèãà äëÿ ÷òåíèÿ íà ôðàíöóçñêîì ÿçûêå © ÊÀÐÎ, 2010 Albert Camus Le Minotaure ou La Halte D’Oran Cet essai date de 1939. Le lecteur devra s’en souvenir pour juger de ce que pourrait ?tre l’Oran d’aujourd’hui. Des protestations passionn?es venues de cette belle ville m’assurent en effet qu’il a ?t? (ou sera) port? rem?de ? toutes les imperfections. Les beaut?s que cet essai exalte, au contraire, ont ?t? jalousement prot?g?es. Cit? heureuse et r?aliste, Oran d?sormais n’a plus besoin d’?crivains: elle attend des touristes.     (1953.) ? Pierre Galindo Il n’y a plus de d?serts. Il n’y a plus d’?les. Le besoin pourtant s’en fait sentir. Pour comprendre le monde, il faut parfois se d?tourner; pour mieux servir les hommes, les tenir un moment ? distance. Mais o? trouver la solitude n?cessaire ? la force, la longue respiration o? l’esprit se rassemble et le courage se mesure? Il reste les grandes villes. Simplement, il y faut encore des conditions. Les villes que l’Europe nous offre sont trop pleines des rumeurs du pass?. Une oreille exerc?e peut y percevoir des bruits d’ailes, une palpitation d’?mes. On y sent le vertige des si?cles, des r?volutions, de la gloire. On s’y souvient que l’Occident s’est forg? dans les clameurs. Cela ne fait pas assez de silence. Paris est souvent un d?sert pour le c?ur, mais ? certaines heures, du haut du P?re-Lachaise, souffle un vent de r?volution qui remplit soudain ce d?sert de drapeaux et de grandeurs vaincues. Ainsi de quelques villes espagnoles, de Florence ou de Prague. Salzbourg serait paisible sans Mozart. Mais, de loin en loin, court sur la Salzach le grand cri orgueilleux de don Juan plongeant aux enfers. Vienne para?t plus silencieuse, c’est une jeune fille parmi les villes. Les pierres n’y ont pas plus de trois si?cles et leur jeunesse ignore la m?lancolie. Mais Vienne est ? un carrefour d’histoire. Autour d’elle retentissent des chocs d’empires. Certains soirs o? le ciel se couvre de sang, les chevaux de pierre, sur les monuments du Ring[1 - Ring – êîëüöåâîé áóëüâàð â Âåíå], semblent s'envoler. Dans cet instant fugitif, o? tout parle de puissance et d’histoire, on peut distinctement entendre, sous la ru?e des escadrons polonais, la chute fracassante du royaume ottoman. Cela non plus ne fait pas assez de silence. Certes, c’est bien cette solitude peupl?e qu’on vient chercher dans les villes d’Europe. Du moins, les hommes qui savent ce qu’ils ont ? faire. Ils peuvent y choisir leur compagnie, la prendre et la laisser. Combien d’esprits se sont tremp?s dans ce voyage entre leur chambre d’h?tel et les vieilles pierres de l’?le Saint-Louis[2 - l’?le Saint-Louis – îñòðîâ Ñåí-Ëóè â Ïàðèæå]! Il est vrai que d’autres y ont p?ri d’isolement. Pour les premiers, en tout cas, ils y trouvaient leurs raisons de cro?tre et de s’affirmer. Ils ?taient seuls et ils ne l’?taient pas. Des si?cles d’histoire et de beaut?, le t?moignage ardent de mille vies r?volues les accompagnaient le long de la Seine et leur parlaient ? la fois de traditions et de conqu?tes. Mais leur jeunesse les poussait ? appeler cette compagnie. Il vient un temps, des ?poques, o? elle est importune. «? nous deux!» s’?crie Rastignac, devant l’?norme moisissure de la ville parisienne. Deux, oui, mais c’est encore trop! La Place D’Armes ? Oran Le d?sert lui-m?me a pris un sens, on l’a surcharg? de po?sie. Pour toutes les douleurs du monde, c’est un lieu consacr?. Ce que le c?ur demande ? certains moments, au contraire, ce sont justement des lieux sans po?sie. Descartes, ayant ? m?diter, choisit son d?sert: la ville la plus commer?ante de son ?poque. Il y trouve sa solitude et l’occasion du plus grand, peut?tre, de nos po?mes virils: «Le premier (pr?cepte) ?tait de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la connusse ?videmment ?tre telle.» On peut avoir moins d’ambition et la m?me nostalgie. Mais Amsterdam, depuis trois si?cles, s’est couverte de mus?es. Pour fuir la po?sie et retrouver la paix des pierres, il faut d’autres d?serts, d’autres lieux sans ?me et sans recours. Oran est l’un de ceux-l?. La Rue J’ai souvent entendu des Oranais se plaindre de leur ville: «Il n’y a pas de milieu int?ressant.» Eh! parbleu, vous ne le voudriez pas. Quelques bons esprits ont essay? d’acclimater dans ce d?sert les m?urs d’un autre monde, fid?les ? ce principe qu’on ne saurait bien servir l’art ou les id?es sans se mettre ? plusieurs. Le r?sultat est tel que les seuls milieux instructifs restent ceux des joueurs de poker, des amateurs de boxe, des boulomanes[3 - un boulomane – ëþáèòåëü èãðû â øàðû] et des soci?t?s r?gionales. L?, du moins, r?gne le naturel. Apr?s tout, il existe une certaine grandeur qui ne pr?te pas ? l’?l?vation. Elle est inf?conde par ?tat. Et ceux qui d?sirent la trouver, ils laissent les «milieux» pour descendre dans la rue. Les rues d’Oran sont vou?es ? la poussi?re, aux cailloux et ? la chaleur. S’il y pleut, c’est le d?luge et une mer de boue. Mais pluie ou soleil, les boutiques ont le m?me air extravagant et absurde. Tout le mauvais go?t de l’Europe et de l’Orient s’y est donn? rendez-vous. On y trouve, p?le-m?le, des l?vriers de marbre, des danseuses au cygne, des Dianes chasseresses[4 - Diane chasseresse – Äèàíà-îõîòíèöà]en galalithe verte, des lanceurs de disque et des moissonneurs, tout ce qui sert aux cadeaux d’anniversaire ou de mariage, tout le peuple affligeant qu’un g?nie commercial et farceur ne cesse de susciter sur les dessus de nos chemin?es[5 - sur le dessus de nos chemin?es – íà êàìèííîé ïîëêå]. Mais cette application dans le mauvais go?t prend ici une allure baroque qui fait tout pardonner. Voici, offert dans un ?crin de poussi?re, le contenu d’une vitrine: d’affreux mod?les en pl?tre de pieds tortur?s, un lot de dessins de Rembrandt «sacrifi?s ? 150 francs l’un», des «farces-attrapes», des porte-billets tricolores, un pastel du XVIII si?cle, un bourricot m?canique en peluche, des bouteilles d’eau de Provence pour conserver les olives vertes, et une ignoble vierge en bois, au sourire ind?cent. (Pour que nul n’en ignore, la «direction» a plac? ? ses pieds un ?criteau: «Vierge en bois.») On peut trouver ? Oran: 1. Des caf?s au comptoir verni de crasse, saupoudr? de pattes et d’ailes de mouches, le patron toujours souriant, malgr? la salle toujours d?serte. Le «petit noir»[6 - un petit noir – ÷àøå÷êà ÷¸ðíîãî êîôå] y co?tait douze sous et le grand, dix-huit. 2. Des boutiques de photographes o? la technique n’a pas progress? depuis l’invention du papier sensible. Elles exposent une faune singuli?re, impossible ? rencontrer dans les rues, depuis le pseudo-marin qui s’appuie du coude sur une console, jusqu’? la jeune fille ? marier, taille fagot?e, bras ballants devant un fond sylvestre. On peut supposer qu’il ne s’agit pas de portraits d’apr?s nature: ce sont des cr?ations. 3. Une ?difiante abondance de magasins fun?raires. Ce n’est pas qu’? Oran on meure plus qu’ailleurs, mais j’imagine seulement qu’on en fait plus d’histoires. La sympathique na?vet? de ce peuple marchand s’?tale jusque dans la publicit?. Je lis, sur le prospectus d’un cin?ma oranais, l’annonce d’un film de troisi?me qualit?. J’y rel?ve les adjectifs «fastueux», «splendide», «extraordinaire», «prestigieux», «bouleversant» et «formidable». Pour finir, la direction informe le public des sacrifices consid?rables qu’elle s’est impos?s, afin de pouvoir lui pr?senter cette ?tonnante «r?alisation». Cependant, le prix des places ne sera pas augment?. On aurait tort de croire que s’exerce seulement ici le go?t de l'exag?ration propre au Midi[7 - le Midi – Þã (Ôðàíöèè)]. Exactement, les auteurs de ce merveilleux prospectus donnent la preuve de leur sens psychologique. Il s’agit de vaincre l’indiff?rence et l’apathie profonde qu’on ressent dans ce pays d?s qu’il s’agit de choisir entre deux spectacles, deux m?tiers et, souvent m?me, deux femmes. On ne se d?cide que forc?. Et la publicit? le sait bien. Elle prendra des proportions am?ricaines, ayant les m?mes raisons, ici et l?-bas, de s’exasp?rer. Les rues d’Oran nous renseignent enfin sur les deux plaisirs essentiels de la jeunesse locale: se faire cirer les souliers et promener ces m?mes souliers sur le boulevard. Pour avoir une id?e juste de la premi?re de ces volupt?s, il faut confier ses chaussures, ? dix heures, un dimanche matin, aux cireurs du boulevard Gallieni. Juch? sur de hauts fauteuils, on pourra go?ter alors cette satisfaction particuli?re que donne, m?me ? un profane, le spectacle d’hommes amoureux de leur m?tier comme le sont visiblement les cireurs oranais. Tout est travaill? dans le d?tail. Plusieurs brosses, trois vari?t?s de chiffons, le cirage combin? ? l’essence: on peut croire que l’op?ration est termin?e devant le parfait ?clat qui na?t sous la brosse douce. Mais la m?me main acharn?e repasse du cirage sur la surface brillante, la frotte, la ternit, conduit la cr?me jusqu’au c?ur des peaux et fait alors jaillir, sous la m?me brosse, un double et vraiment d?finitif ?clat sorti des profondeurs du cuir. Les merveilles ainsi obtenues sont ensuite exhib?es devant les connaisseurs. Il convient, pour appr?cier ces plaisirs tir?s du boulevard, d’assister aux bals masqu?s[8 - un bal masqu? – ìàñêàðàä] de la jeunesse qui ont lieu tous les soirs sur les grandes art?res de la ville. Entre seize et vingt ans, en effet, les jeunes Oranais de la «Soci?t?» empruntent leurs mod?les d’?l?gance au cin?ma am?ricain et se travestissent avant d’aller d?ner. Chevelure ondul?e et gomin?e, d?bordant d’un feutre pench? sur l’oreille gauche et cass? sur l’?il droit, le cou serr? dans un col assez consid?rable pour prendre le relais des cheveux, le n?ud de cravate microscopique soutenu par une ?pingle rigoureuse, le veston ? mi-cuisse et la taille tout pr?s des hanches, le pantalon clair et court, les souliers ?clatants sur leur triple semelle, cette jeunesse, tous les soirs, fait sonner sur les trottoirs son imperturbable aplomb et le bout ferr? de ses chaussures. Elle s’applique en toutes choses ? imiter l’allure, la rondeur et la sup?riorit? de M. Clark Gable. ? ce titre, les esprits critiques de la ville surnomment commun?ment ces jeunes gens, par la gr?ce d’une insouciante prononciation, les «Clarque». Dans tous les cas, les grands boulevards d’Oran sont envahis, ? la fin des apr?s-midi, par une arm?e de sympathiques adolescents qui se donnent le plus grand mal pour para?tre de mauvais gar?ons[9 - qui se donnent le plus grand mal pour para?tre de mauvais gar?ons – êîòîðûå ñòàðàþòñÿ èçî âñåõ ñèë êàçàòüñÿ õóëèãàíàìè]. Comme les jeunes Oranaises se sentent promises de tout temps ? ces gangsters au c?ur tendre, elles affichent ?galement le maquillage et l’?l?gance des grandes actrices am?ricaines. Les m?mes mauvais esprits les appellent en cons?quence des «Marl?ne». Ainsi, lorsque sur les boulevards du soir un bruit d’oiseaux monte des palmiers vers le ciel, des dizaines de Clarque et de Marl?ne se rencontrent, se toisent et s’?valuent, heureux de vivre et de para?tre, livr?s pour une heure au vertige des existences parfaites. On assiste alors, disent les jaloux, aux r?unions de la commission am?ricaine. Mais on sent ? ces mots l’amertume des plus de trente ans qui n’ont rien ? faire dans ces jeux. Ils m?connaissent ces congr?s quotidiens de la jeunesse et du romanesque. Ce sont, en v?rit?, les parlements d’oiseaux qu’on rencontre dans la litt?rature hindoue. Mais on n’agite pas sur les boulevards d’Oran le probl?me de l’?tre et l’on ne s’inqui?te pas du chemin de la perfection. Il ne reste que des battements d’ailes, des roues empanach?es, des gr?ces coquettes et victorieuses, tout l’?clat d’un chant insouciant qui dispara?t avec la nuit. J’entends d’ici Klestakoff: «Il faudra s’occuper de quelque chose d’?lev?.» H?las! il en est bien capable. Qu’on le pousse et il peuplera ce d?sert avant quelques ann?es. Mais, pour le moment, une ?me un peu secr?te doit se d?livrer dans cette ville facile, avec son d?fil? de jeunes filles fard?es, et cependant incapables d’appr?ter l’?motion, simulant si mal la coquetterie que la ruse est tout de suite ?vent?e. S’occuper de quelque chose d’?lev?! Voyez plut?t: Santa Cruz cisel?e dans le roc, les montagnes, la mer plate, le vent violent et le soleil, les grandes grues du port, les trains, les hangars, les quais et les rampes gigantesques qui gravissent le rocher de la ville, et dans la ville elle-m?me ces jeux et cet ennui, ce tumulte et cette solitude. Peut-?tre, en effet, tout cela n’est-il pas assez ?lev?. Mais le grand prix de ces ?les surpeupl?es, c’est que le c?ur s’y d?nude. Le silence n’est plus possible que dans les villes bruyantes. D’Amsterdam, Descartes ?crit au vieux Balzac: «Je vais me promener tous les jours parmi la confusion d’un grand peuple, avec autant de libert? et de repos que vous sauriez faire dans vos all?es.» Le D?sert ? Oran Forc?s de vivre devant un admirable paysage, les Oranais ont triomph? de cette redoutable ?preuve en se couvrant de constructions bien laides. On s’attend ? une ville ouverte sur la mer, lav?e, rafra?chie par la brise des soirs. Et, mis ? part le quartier espagnol, on trouve une cit? qui pr?sente le dos ? la mer, qui s’est construite en tournant sur elle-m?me, ? la fa?on d’un escargot. Oran est un grand mur circulaire et jaune, recouvert d’un ciel dur. Au d?but, on erre dans le labyrinthe, on cherche la mer comme le signe d’Ariane. Mais on tourne en rond dans des rues fauves et oppressantes, et, ? la fin, le Minotaure d?vore les Oranais: c’est l’ennui. Depuis longtemps, les Oranais n’errent plus. Ils ont accept? d’?tre mang?s. On ne peut pas savoir ce qu’est la pierre sans venir ? Oran. Dans cette ville poussi?reuse entre toutes, le caillou est roi. On l’aime tant que les commer?ants l’exposent dans leurs vitrines pour maintenir des papiers, ou encore pour la seule montre[10 - pour la seule montre – ïðîñòî íàïîêàç]. On en fait des tas le long des rues, sans doute pour le plaisir des yeux, puisque, un an apr?s, le tas est toujours l?. Ce qui, ailleurs, tire sa po?sie du v?g?tal, prend ici un visage de pierre. On a soigneusement recouvert de poussi?re la centaine d’arbres qu’on peut rencontrer dans la ville commer?ante. Ce sont des v?g?taux p?trifi?s qui laissent tomber de leurs branches une odeur ?cre et poussi?reuse. ? Alger, les cimeti?res arabes ont la douceur que l’on sait. ? Oran, au-dessus du ravin Ras-el-A?n, face ? la mer cette fois, ce sont, plaqu?s contre le ciel bleu[11 - plaqu?s contre le ciel bleu – ïðèæàòûå ãîëóáûì íåáîì], des champs de cailloux crayeux et friables o? le soleil allume d’aveuglants incendies. Au milieu de ces ossements de la terre, un g?ranium pourpre, de loin en loin, donne sa vie et son sang frais au paysage. La ville enti?re s’est fig?e dans une gangue pierreuse. Vue des Planteurs, l’?paisseur des falaises qui l’enserrent est telle que le paysage devient irr?el ? force d’?tre min?ral. L’homme en est proscrit. Tant de beaut? pesante semble venir d’un autre monde. Si l’on peut d?finir le d?sert un lieu sans ?me o? le ciel est seul roi, alors Oran attend ses proph?tes. Tout autour et au-dessus de la ville, la nature brutale de l’Afrique est en effet par?e de ses br?lants prestiges. Elle fait ?clater le d?cor malencontreux dont on la couvre, elle pousse ses cris violents entre chaque maison et au-dessus de tous les toits. Si l’on monte sur une des routes, au flanc de la montagne de Santa-Cruz, ce qui appara?t d’abord, ce sont les cubes dispers?s et colori?s d’Oran. Mais un peu plus haut, et d?j? les falaises d?chiquet?es qui entourent le plateau s’accroupissent dans la mer comme des b?tes rouges. Un peu plus haut encore, et de grands tourbillons de soleil et de vent recouvrent, a?rent et confondent la ville d?braill?e, dispers?e sans ordre aux quatre coins d’un paysage rocheux. Ce qui s’oppose ici, c’est la magnifique anarchie humaine et la permanence d’une mer toujours ?gale. Cela suffit pour que monte vers la route ? flanc de coteau[12 - ? flanc de coteau – íà ñêëîíå õîëìà] une bouleversante odeur de vie. Le d?sert a quelque chose d’implacable. Le ciel min?ral d’Oran, ses rues et ses arbres dans leur enduit de poussi?re, tout contribue ? cr?er cet univers ?pais et impassible o? le c?ur et l’esprit ne sont jamais distraits d’eux-m?mes, ni de leur seul objet qui est l’homme. Je parle ici de retraites difficiles. On ?crit des livres sur Florence ou Ath?nes. Ces villes ont form? tant d’esprits europ?ens qu’il faut bien qu’elles aient un sens. Elles gardent de quoi attendrir ou exalter. Elles apaisent une certaine faim de l’?me dont l’aliment est le souvenir. Mais comment s’attendrir sur une ville o? rien ne sollicite l’esprit, o? la laideur m?me est anonyme, o? le pass? est r?duit ? rien? Le vide, l’ennui, un ciel indiff?rent, quelles sont les s?ductions de ces lieux? C’est sans doute la solitude et, peut-?tre, la cr?ature. Pour une certaine race d’hommes, la cr?ature, partout o? elle est belle, est une am?re patrie. Oran est l’une de ses mille capitales. Les Jeux Le Central Sporting Club, rue du Fondouk, ? Oran, donne une soir?e pugilistique dont il affirme qu’elle sera appr?ci?e par les vrais amateurs. En style clair, cela signifie que les boxeurs ? l’affiche sont loin d’?tre des vedettes, que quelques-uns d’entre eux montent sur le ring pour la premi?re fois, et qu’en cons?quence on peut compter, sinon sur la science, du moins sur le c?ur des adversaires. Un Oranais m’ayant ?lectris? par la promesse formelle «qu’il y aurait du sang», je me trouve ce soir-l? parmi les vrais amateurs. Apparemment, ceux-ci ne r?clament jamais de confort. On a, en effet, dress? un ring au fond d’une sorte de garage cr?pi ? la chaux, couvert de t?le ondul?e et violemment ?clair?. Des chaises pliantes ont ?t? rang?es en carr? autour des cordes. Ce sont les «rings d’honneur». On a dispos? des si?ges dans la longueur, et, au fond de la salle, s’ouvre un vaste espace libre nomm? promenoir, en raison du fait que pas une des cinq cents personnes qui s’y trouvent ne saurait tirer son mouchoir sans provoquer de graves accidents[13 - en raison du fait que pas une des cinq cents personnes qui s’y trouvent ne saurait tirer son mouchoir sans provoquer des graves accidents – ïî ïðè÷èíå òîãî, ÷òî íè îäèí èç ïÿòèñîò ïðèñóòñòâóþùèõ çäåñü ÷åëîâåê íå ñìîã áû ðàññòðîèòüñÿ (èç-çà ïîðàæåíèÿ), íå ïðè÷èíÿÿ çíà÷èòåëüíûõ ïîâðåæäåíèé]. Dans cette caisse rectangulaire respirent un millier d’hommes et deux ou trois femmes – de celles qui, selon mon voisin, tiennent toujours «? se faire remarquer». Tout le monde sue f?rocement. En attendant les combats d’ «espoirs», un gigantesque pick-up broie du Tino Rossi. C’est la romance avant le meurtre. La patience d’un v?ritable amateur est sans limites. La r?union annonc?e pour vingt et une heures n’est pas encore commenc?e ? vingt et une heure trente, et personne n’a protest?. Le printemps est chaud, l'odeur d’une humanit? en manches de chemise[14 - en manches de chemise – áåç ïèäæàêà, â ðóáàøêå íè îäèí èç ïÿòèñîò ïðèñóòñòâóþùèõ çäåñü ÷åëîâåê íå ñìîã áû ðàññòðîèòüñÿ (èç-çà ïîðàæåíèÿ), íå ïðè÷èíÿÿ çíà÷èòåëüíûõ ïîâðåæäåíèé] exaltante. On discute ferme parmi les ?clatements p?riodiques des bouchons de limonade et l’inlassable lamentation du chanteur corse. Quelques nouveaux arrivants sont encastr?s dans le public, quand un projecteur fait pleuvoir une lumi?re aveuglante sur le ring. Les combats d’espoirs commencent. Les espoirs, ou d?butants, qui combattent pour le plaisir, ont toujours ? c?ur de le prouver en se massacrant d’urgence, au m?pris de toute technique. Ils n’ont jamais pu durer plus de trois rounds. Le h?ros de la soir?e ? cet ?gard est le jeune «Kid Avion» qui, pour l’ordinaire, vend des billets de loterie aux terrasses des caf?s. Son adversaire, en effet, a capot? malencontreusement hors du ring, au d?but du deuxi?me round, sous le choc d’un poing mani? comme une h?lice. La foule s’est un peu anim?e, mais c’est encore une politesse. Elle respire avec gravit? l’odeur sacr?e de l’embrocation. Elle contemple ces successions de rites lents et de sacrifices d?sordonn?s, rendus plus authentiques encore par les dessins propitiatoires, sur la blancheur du mur, des ombres combattantes. Ce sont les prologues c?r?monieux d’une religion sauvage et calcul?e. La transe ne viendra que plus tard. Et, justement, le pick-up annonce Amar, «le coriace Oranais qui n’a pas d?sarm?», contre P?rez, «le puncheur alg?rois»[15 - le puncheur – áîêñ¸ð, îáëàäàþùèé ñèëüíûì óäàðîì]. Un profane interpr?terait mal les hurlements qui accueillent la pr?sentation des boxeurs sur le ring. Il imaginerait quelque combat sensationnel o? les boxeurs auraient ? vider une querelle personnelle, connue du public[16 - o? les boxeurs auraient ? vider une querelle personnelle, connue du public – ãäå áîêñ¸ðû äîëæíû áû áûëè ïîëîæèòü êîíåö ëè÷íîé ðàñïðå]. Au vrai, c'est bien une querelle qu’ils vont vider. Mais il s’agit de celle qui, depuis cent ans, divise mortellement Alger et Oran. Avec un peu de recul dans les si?cles, ces deux villes nord-africaines se seraient d?j? saign?es ? blanc[17 - ces deux villes nord-africaines se seraient d?j? saign?es ? blanc – ýòè äâà ñåâåðîàôðèêàíñêèõ ãîðîäà óæå êàê-òî îáåñêðîâëèâàëè äðóã äðóãà], comme le firent Pise et Florence en des temps plus heureux. Leur rivalit? est d’autant plus forte qu’elle ne tient sans doute ? rien. Ayant toutes les raisons de s’aimer, elles se d?testent en proportion. Les Oranais accusent les Alg?rois de «chiqu?». Les Alg?rois laissent entendre que les Oranais n'ont pas l’usage du monde[18 - l’usage du monde – çíàíèå ñâåòà]. Ce sont l? des injures plus sanglantes qu’il n’appara?t, parce qu’elles sont m?taphysiques. Et faute de pouvoir s’assi?ger, Oran et Alger se rejoignent, luttent et s’injurient sur le terrain du sport, des statistiques et des grands travaux. C’est donc une page d’histoire qui se d?roule sur le ring. Et le coriace Oranais, soutenu par un millier de voix hurlantes, d?fend contre P?rez une mani?re de vivre et l’orgueil d’une province. La v?rit? oblige ? dire qu’Amar m?ne mal sa discussion. Son plaidoyer a un vice de forme: il manque d’allonge. Celui du puncheur alg?rois, au contraire, a la longueur voulue. Il porte avec persuasion sur l’arcade sourcili?re[19 - une arcade sourcili?re – íàäáðîâíàÿ äóãà] de son contradicteur. L’Oranais pavoise magnifiquement, au milieu des vocif?rations d’un public d?cha?n?. Malgr? les encouragements r?p?t?s de la galerie et de mon voisin, malgr? les intr?pides «Cr?ve-le», «Donne-lui de l'orge»[20 - Donne-lui de l’orge – Âñûïü åìó], les insidieux «Coup bas», «Oh! l’arbitre, il a rien vu», les optimistes «Il est pomp?», «Il en peut plus», l’Alg?rois est proclam? vainqueur aux points[21 - un vainqueur aux points – ïîáåäèòåëü ïî î÷êàì] sous d’interminables hu?es. Mon voisin, qui parle volontiers d’esprit sportif, applaudit ostensiblement, dans le temps o? il me glisse d’une voix ?teinte par tant de cris: «Comme ?a, il ne pourra pas dire l?-bas que les Oranais sont des sauvages.» Mais, dans la salle, des combats que le programme ne comportait pas ont d?j? ?clat?. Des chaises sont brandies, la police se fraye un chemin, l’exaltation est ? son comble. Pour calmer ces bons esprits et contribuer au retour du silence, la «direction», sans perdre un instant, charge le pick-up de vocif?rer Sambre-et-Meuse. Pendant quelques minutes, la salle a grande allure. Des grappes confuses de combattants et d’arbitres b?n?voles oscillent sous des poignes d’agents, la galerie exulte et r?clame la suite par le moyen de cris sauvages, de cocoricos ou de miaulements farceurs noy?s dans le fleuve irr?sistible de la musique militaire. Mais il suffit de l’annonce du grand combat pour que le calme revienne. Cela se fait brusquement, sans fioritures, comme des acteurs quittent le plateau, une fois la pi?ce finie. Avec le plus grand naturel, les chapeaux sont ?pousset?s, les chaises rang?es, et tous les visages rev?tent sans transition l’expression bienveillante du spectateur honn?te qui a pay? sa place pour assister ? un concert de famille. Le dernier combat oppose un champion fran?ais de la marine ? un boxeur oranais. Cette fois, la diff?rence d’allonge est au profit de ce dernier. Mais ses avantages, pendant les premiers rounds, ne remuent pas la foule. Elle cuve son excitation, elle se remet. Son souffle est encore court. Si elle applaudit, la passion n’y est pas. Elle siffle sans animosit?. La salle se partage en deux camps, il le faut bien pour la bonne r?gle. Mais le choix de chacun ob?it ? cette indiff?rence qui suit les grandes fatigues. Si le Fran?ais «tient», si l’Oranais oublie qu’on n’attaque pas avec la t?te, le boxeur est courb? par une bord?e de sifflets, mais aussit?t redress? par une salve d’applaudissements. Il faut arriver au septi?me round pour que le sport revienne ? la surface, dans le m?me temps o? les vrais amateurs commencent ? ?merger de leur fatigue. Le Fran?ais, en effet, est all? au tapis et, d?sireux de regagner des points, s’est ru? sur son adversaire. «?a y est, a dit mon voisin, ?a va ?tre la corrida.» En effet, c’est la corrida. Couverts de sueur sous l’?clairage implacable, les deux boxeurs ouvrent leur garde, tapent en fermant les yeux, poussent des ?paules et des genoux, ?changent leur sang et reniflent de fureur. Du m?me coup, la salle s’est dress?e et scande les efforts de ses deux h?ros. Elle re?oit les coups, les rend, les fait retentir en mille voix sourdes et haletantes. Les m?mes qui avaient choisi leur favori dans l’indiff?rence se tiennent dans leur choix par ent?tement, et s’y passionnent. Toutes les dix secondes, un cri de mon voisin p?n?tre dans mon oreille droite: «Vas-y, col bleu[22 - un col-bleu – ìàòðîñ], allez, marine!» pendant qu’un spectateur devant nous hurle ? l’Oranais: «Anda! hombre!»[23 - Anda! hombre! – (èñï.) Äàâàé, ïðèÿòåëü!] L’homme et le col bleu y vont et, avec eux, dans ce temple de chaux, de t?le et de ciment, une salle tout enti?re livr?e ? des dieux au front bas. Chaque coup qui sonne mat sur les pectoraux luisants retentit en vibrations ?normes dans le corps m?me de la foule qui fournit avec les boxeurs son dernier effort. Dans cette atmosph?re, le match nul[24 - un match nul – íè÷üÿ] est mal accueilli. Il contrarie dans le public, en effet, une sensibilit? toute manich?enne. Il y a le bien et le mal, le vainqueur et le vaincu. Il faut avoir raison si l’on n’a pas tort. La conclusion de cette logique impeccable est imm?diatement fournie par deux mille poumons ?nergiques qui accusent les juges d’?tre vendus, ou achet?s. Mais le col bleu est all? embrasser son adversaire sur le ring et boit sa sueur fraternelle. Cela suffit pour que la salle, imm?diatement retourn?e, ?clate en applaudissements. Mon voisin a raison: ce ne sont pas des sauvages. La foule qui s’?coule au-dehors, sous un ciel plein de silence et d’?toiles, vient de livrer le plus ?puisant des combats. Elle se tait, dispara?t furtivement, sans forces pour l’ex?g?se. Il y a le bien et le mal, cette religion est sans merci. La cohorte des fid?les n’est plus qu’une assembl?e d’ombres noires et blanches qui dispara?t dans la nuit. C’est que la force et la violence sont des dieux solitaires. Ils ne donnent rien au souvenir. Ils distribuent, au contraire, leurs miracles ? pleines poign?es dans le pr?sent. Ils sont ? la mesure de ce peuple sans pass? qui c?l?bre ses communions autour des rings. Ce sont des rites un peu difficiles, mais qui simplifient tout. Le bien et le mal, le vainqueur et le vaincu: ? Corinthe, deux temples voisinaient, celui de la Violence et celui de la N?cessit?. Les Monuments Pour bien des raisons qui tiennent autant ? l’?conomie qu’? la m?taphysique, on peut dire que le style oranais, s’il en est un, s’est illustr? avec force et clart? dans le singulier ?difice appel? Maison du Colon. De monuments, Oran ne manque gu?re[25 - De monumets, Oran ne manque gu?re – Îðàí íå èñïûòûâàåò íåäîñòàòêà â ïàìÿòíèêàõ]. La ville a son compte de mar?chaux d’Empire, de ministres et de bienfaiteurs locaux. On les rencontre sur des petites places poussi?reuses, r?sign?s ? la pluie comme au soleil, convertis eux aussi ? la pierre et ? l’ennui. Mais ils repr?sentent cependant des apports ext?rieurs. Dans cette heureuse barbarie, ce sont les marques regrettables de la civilisation. Oran, au contraire, s’est ?lev? ? elle-m?me ses autels et ses rostres. En plein c?ur de la ville commer?ante, ayant ? construire une maison commune pour les innombrables organismes agricoles qui font vivre ce pays, les Oranais ont m?dit? d’y b?tir, dans le sable et la chaux, une image convaincante de leurs vertus: la Maison du Colon. Si l’on en juge par l’?difice, ces vertus sont au nombre de trois: la hardiesse dans le go?t, l’amour de la violence, et le sens des synth?ses historiques. L’?gypte, Byzance et Munich ont collabor? ? la d?licate construction d’une p?tisserie figurant une ?norme coupe renvers?e. Des pierres multicolores, du plus vigoureux effet, sont venues encadrer le toit. La vivacit? de ces mosa?ques est si persuasive qu’au premier abord on ne voit rien, qu’un ?blouissement informe. Mais de plus pr?s, et l’attention ?veill?e, on voit qu’elles ont un sens: un gracieux colon, ? n?ud papillon et ? casque de li?ge blanc[26 - ? n?ud papillon et ? casque de li?ge blanc – â ãàëñòóêå-áàáî÷êå è áåëîì ïðîáêîâîì øëåìå], y re?oit l’hommage d’un cort?ge d’esclaves v?tus ? l’antique. L’?difice et ses enluminures ont ?t? enfin plac?s au milieu d’un carrefour, dans le va-et-vient des petits tramways ? nacelle dont la salet? est un des charmes de la ville. Oran tient beaucoup d’autre part aux deux lions de sa place d’Armes. Depuis 1888, ils tr?nent de chaque c?t? de l’escalier municipal. Leur auteur s’appelait Ca?n. Ils ont de la majest? et le torse court. On raconte que, la nuit, ils descendent l’un apr?s l’autre de leur socle, tournent silencieusement autour de la place obscure, et, ? l’occasion, urinent longuement sous les grands ficus poussi?reux. Ce sont, bien entendu, des on-dit auxquels les Oranais pr?tent une oreille complaisante. Mais cela est invraisemblable. Malgr? quelques recherches, je n’ai pu me passionner pour Ca?n. J’ai seulement appris qu’il avait la r?putation d’un animalier adroit. Cependant, je pense souvent ? lui. C’est une pente d’esprit qui vous vient ? Oran. Voici un artiste au nom sonore qui a laiss? ici une ?uvre sans importance. Plusieurs centaines de milliers d’hommes sont familiaris?s avec les fauves d?bonnaires qu’il a plac?s devant une mairie pr?tentieuse. C’est une fa?on comme une autre de r?ussir en art. Sans doute, ces deux lions, comme des milliers d’?uvres du m?me genre, t?moignent de tout autre chose que de talent. On a pu faire la «Ronde de Nuit», «saint Fran?ois recevant les stigmates», «David» ou «l’Exaltation de la Fleur». Ca?n, lui, a dress? deux mufles hilares sur la place d’une province commer?ante, outre-mer. Mais le David croulera un jour avec Florence et les lions seront peut-?tre sauv?s du d?sastre. Encore une fois, ils t?moignent d’autre chose. Peut-on pr?ciser cette id?e? Il y a dans cette ?uvre de l’insignifiance et de la solidit?. L’esprit n’y est pour rien et la mati?re pour beaucoup. La m?diocrit? veut durer par tous les moyens, y compris le bronze. On lui refuse ses droits ? l’?ternit? et elle les prend tous les jours. N’est-ce pas elle, l’?ternit?? En tout cas, cette pers?v?rance a de quoi ?mouvoir, et elle porte sa le?on, celle de tous les monuments d’Oran et d’Oran elle-m?me. Une heure par jour, une fois parmi d’autres, elle vous force ? porter attention ? ce qui n’a pas d’importance. L’esprit trouve profit ? ces retours. C’est un peu son hygi?ne, et, puisqu’il lui faut absolument ses moments d’humilit?, il me semble que cette occasion de s’ab?tir est meilleure que d’autres. Tout ce qui est p?rissable d?sire durer. Disons donc que tout veut durer. Les ?uvres humaines ne signifient rien d’autre et, ? cet ?gard, les lions de Ca?n ont les m?mes chances que les ruines d’Angkor[27 - lA’ngkor – Àíãêîð, ðóèíû äðåâíåé ñòîëèöû â Êàìáîäæå (IX–XIII â.)]. Cela incline ? la modestie. Il est d’autres monuments oranais. Ou du moins, il faut bien leur donner ce nom puisque eux aussi t?moignent pour leur ville, et de fa?on plus significative peut-?tre. Ce sont les grands travaux qui recouvrent actuellement la c?te sur une dizaine de kilom?tres. En principe, il s’agit de transformer la plus lumineuse des baies en un port gigantesque. En fait, c’est encore une occasion pour l’homme de se confronter avec la pierre. Dans les tableaux de certains ma?tres flamands on voit revenir avec insistance un th?me d’une ampleur admirable: la construction de la Tour de Babel[28 - la Tour de Babel – Âàâèëîíñêàÿ áàøíÿ]. Ce sont des paysages d?mesur?s, des roches qui escaladent le ciel, des escarpements o? foisonnent ouvriers, b?tes, ?chelles, machines ?tranges, cordes, traits. L’homme, d’ailleurs, n’est l? que pour faire mesurer la grandeur inhumaine du chantier. C’est ? cela qu’on pense sur la corniche oranaise, ? l’ouest de la ville. Accroch?s ? d’immenses pentes, des rails, des wagonnets, des grues, des trains minuscules… Au milieu d’un soleil d?vorant, des locomotives pareilles ? des jouets contournent d’?normes blocs parmi les sifflets, la poussi?re et la fum?e. Jour et nuit, un peuple de fourmis s’activent sur la carcasse fumante de la montagne. Pendus le long d’une m?me corde contre le flanc de la falaise, des dizaines d’hommes, le ventre appuy? aux poign?es des d?fonceuses automatiques, tressaillent dans le vide ? longueur de journ?e, et d?tachent des pans entiers de rochers qui croulent dans la pousi?re et les grondements. Plus loin, des wagonnets se renversent au-dessus des pentes, et les rochers, d?vers?s brusquement vers la mer, s’?lancent et roulent dans l’eau, chaque gros bloc suivi d’une vol?e de pierres plus l?g?res. ? intervalles r?guliers, dans le c?ur de la nuit, en plein jour, des d?tonations ?branlent toute la montagne et soul?vent la mer elle-m?me. L’homme, au milieu de ce chantier, attaque la pierre de front. Et si l’on pouvait oublier, un instant au moins, le dur esclavage qui rend possible ce travail, il faudrait admirer. Ces pierres, arrach?es ? la montagne, servent l’homme dans ses desseins. Elles s’accumulent sous les premi?res vagues, ?mergent peu ? peu et s’ordonnent enfin suivant une jet?e, bient?t couverte d’hommes et de machines, qui avancent jour apr?s jour, vers le large. Sans d?semparer, d’?normes m?choires d’acier fouillent le ventre de la falaise, tournent sur elles-m?mes, et viennent d?gorger dans l’eau leur tropplein de pierrailles. ? mesure que le front de la corniche s’abaisse, la c?te enti?re gagne irr?sistiblement sur la mer. Bien s?r, d?truire la pierre n’est pas possible. On la change seulement de place. De toute fa?on, elle durera plus que les hommes qui s’en servent. Pour le moment, elle appuie leur volont? d’action. Cela m?me sans doute est inutile. Mais changer les choses de place, c’est le travail des hommes: il faut choisir de faire cela ou rien. Visiblement, les Oranais ont choisi. Devant cette baie indiff?rente, pendant des ann?es encore, ils entasseront des amas de cailloux le long de la c?te. Dans cent ans, c’est-?-dire demain, il faudra recommencer. Mais aujourd’hui ces amoncellements de rochers t?moignent pour les hommes au masque de poussi?re et de sueur qui circulent au milieu d’eux. Les vrais monuments d’Oran, ce sont encore ses pierres. La Pierre D’Ariane Il semble que les Oranais soient comme cet ami de Flaubert qui, au moment de mourir, jetant un dernier regard sur cette terre irrempla?able, s’?criait: «Fermez la fen?tre, c’est trop beau.» Ils ont ferm? la fen?tre, ils se sont emmur?s, ils ont exorcis? le paysage. Mais le Poittevin est mort, et, apr?s lui, les jours ont continu? de rejoindre les jours. De m?me, au-del? des murs jaunes d’Oran, la mer et la terre poursuivent leur dialogue indiff?rent. Cette permanence dans le monde a toujours eu pour l’homme des prestiges oppos?s. Elle le d?sesp?re et l’exalte. Le monde ne dit jamais qu’une seule chose, et il int?resse, puis il lasse. Mais, ? la fin, il l’emporte ? force d’obstination. Il a toujours raison. D?j?, aux portes m?mes d’Oran, la nature hausse le ton. Du c?t? de Canastel, ce sont d’immenses friches, couvertes de broussailles odorantes. Le soleil et le vent n’y parlent que de solitude. Au-dessus d’Oran, c’est la montagne de Santa Cruz, le plateau et les mille ravins qui y m?nent. Des routes, jadis carrossables, s’accrochent au flanc des coteaux qui dominent la mer. Au mois de janvier, certaines sont couvertes de fleurs. P?querettes et boutons do’r[29 - P?querettes et boutons d’or – ìàðãàðèòêè è êàëóæíèöû] en font des all?es fastueuses, brod?es de jaune et de blanc. De Santa Cruz, tout a ?t? dit. Mais si j’avais ? en parler, j’oublierais les cort?ges sacr?s qui gravissent la dure colline, aux grandes f?tes, pour ?voquer d’autres p?lerinages. Solitaires, ils cheminent dans la pierre rouge, s’?l?vent au-dessus de la baie immobile, et viennent consacrer au d?nuement une heure lumineuse et parfaite. Oran a aussi ses d?serts de sable: ses plages. Celles qu’on rencontre, tout pr?s des portes, ne sont solitaires qu’en hiver et au printemps. Ce sont alors des plateaux couverts d’asphod?les, peupl?s de petites villas nues, au milieu des fleurs. La mer gronde un peu, en contrebas. D?j? pourtant, le soleil, le vent l?ger, la blancheur des asphod?les, le bleu cru du ciel, tout laisse imaginer l’?t?, la jeunesse dor?e qui couvre alors la plage, les longues heures sur le sable et la douceur subite des soirs. Chaque ann?e, sur ces rivages, c’est une nouvelle moisson de filles fleurs. Apparemment, elles n’ont qu’une saison. L’ann?e suivante, d’autres corolles chaleureuses les remplacent qui, l’?t? d’avant, ?taient encore des petites filles aux corps durs comme des bourgeons. ? onze heures du matin, descendant du plateau, toute cette jeune chair, ? peine v?tue d’?toffes bariol?es, d?ferle sur le sable comme une vague multicolore. Il faut aller plus loin (singuli?rement pr?s, cependant, de ce lieu o? deux cent mille hommes tournent en rond) pour d?couvrir un paysage toujours vierge: de longues dunes d?sertes o? le passage des hommes n’a laiss? d’autres traces qu’une cabane vermoulue. De loin en loin, un berger arabe fait avancer sur le sommet des dunes les taches noires et beiges de son troupeau de ch?vres. Sur ces plages d’Oranie, tous les matins d’?t? ont l’air d’?tre les premiers du monde. Tous les cr?puscules semblent ?tre les derniers, agonies solennelles annonc?es au coucher du soleil par une derni?re lumi?re qui fonce toutes les teintes. La mer est outremer, la route couleur de sang caill?, la plage jaune. Tout dispara?t avec le soleil vert; une heure plus tard, les dunes ruissellent de lune. Ce sont alors des nuits sans mesure sous une pluie d’?toiles. Des orages les traversent parfois, et les ?clairs coulent le long des dunes, p?lissent le ciel, mettent sur le sable et dans les yeux des lueurs orang?es. Mais ceci ne peut se partager. Il faut l’avoir v?cu. Tant de solitude et de grandeur donne ? ces lieux un visage inoubliable. Dans la petite aube ti?de, pass? les premi?res vagues encore noires et am?res, c’est un ?tre neuf qui fend l’eau, si lourde ? porter, de la nuit. Le souvenir de ces joies ne me les fait pas regretter et je reconnais ainsi qu’elles ?taient bonnes. Apr?s tant d’ann?es, elles durent encore, quelque part dans ce c?ur aux fid?lit?s pourtant difficiles. Et je sais qu’aujourd’hui, sur la dune d?serte, si je veux m’y rendre, le m?me ciel d?versera encore sa cargaison de souffles et d’?toiles. Ce sont ici les terres de l’innocence. Mais l’innocence a besoin du sable et des pierres. Et l’homme a d?sappris d’y vivre. Il faut le croire du moins, puisqu’il s’est retranch? dans cette ville singuli?re o? dort l’ennui. Cependant, c’est cette confrontation qui fait le prix d’Oran. Capitale de l’ennui, assi?g?e par l’innocence et la beaut?, l’arm?e qui l’enserre a autant de soldats que de pierres. Dans la ville, et ? certaines heures, pourtant, quelle tentation de passer ? l’ennemi! quelle tentation de s’identifier ? ces pierres, de se confondre avec cet univers br?lant et impassible qui d?fie l’histoire et ses agitations! Cela est vain sans doute. Mais il y a dans chaque homme un instinct profond qui n’est ni celui de la destruction ni celui de la cr?ation. Il s’agit seulement de ne ressembler ? rien. ? l’ombre des murs chauds d’Oran, sur son asphalte poussi?reux, on entend parfois cette invitation. Il semble que, pour un temps, les esprits qui y c?dent ne soient jamais frustr?s. Ce sont les t?n?bres d’Eurydice et le sommeil d’Isis. Voici les d?serts o? la pens?e va se reprendre, la main fra?che du soir sur un c?ur agit?. Sur cette Montagne des Oliviers, la veille est inutile; l’esprit rejoint et approuve les Ap?tres endormis. Avaient-ils vraiment tort? Ils ont eu tout de m?me leur r?v?lation. Pensons ? ?akya-Mouni[30 - ?akya-Mouni – ïðèíö Øàêüÿ-Ìóíè Ãàóòàìà, ëåãåíäàðíûé îñíîâîïîëîæíèê áóääèçìà] au d?sert. Il y demeura de longues ann?es, accroupi, immobile et les yeux au ciel. Les dieux eux-m?mes lui enviaient cette sagesse et ce destin de pierre. Dans ses mains tendues et raidies, les hirondelles avaient fait leur nid. Mais, un jour, elles s’envol?rent ? l’appel de terres lointaines. Et celui qui avait tu? en lui d?sir et volont?, gloire et douleur, se mit ? pleurer. Il arrive ainsi que des fleurs poussent sur le rocher. Oui, consentons ? la pierre quand il le faut. Ce secret et ce transport que nous demandons aux visages, elle peut aussi nous les donner. Sans doute, cela ne saurait durer. Mais qu’est-ce donc qui peut durer? Le secret des visages s’?vanouit et nous voil? relanc?s dans la cha?ne des d?sirs. Et si la pierre ne peut pas plus pour nous que le c?ur humain, elle peut du moins juste autant. «N’?tre rien!» Pendant des mill?naires, ce grand cri a soulev? des millions d’hommes en r?volte contre le d?sir et la douleur. Ses ?chos sont venus mourir jusqu’ici, ? travers les si?cles et les oc?ans, sur la mer la plus vieille du monde. Ils rebondissent encore sourdement contre les falaises compactes d’Oran. Tout le monde, dans ce pays, suit, sans le savoir, ce conseil. Bien entendu, c’est ? peu pr?s en vain. Le n?ant ne s’atteint pas plus que l’absolu. Mais puisque nous recevons, comme autant de gr?ces, les signes ?ternels que nous apportent les roses ou la souffrance humaine, ne rejetons pas non plus les rares invitations au sommeil que nous dispense la terre. Les unes ont autant de v?rit? que les autres. Voil?, peut-?tre, le fil d’Ariane de cette ville somnambule et fr?n?tique. On y apprend les vertus, toutes provisoires, d’un certain ennui. Pour ?tre ?pargn?, il faut dire «oui» au Minotaure. C’est une vieille et f?conde sagesse. Audessus de la mer, silencieuse au pied des falaises rouges, il suffit de se tenir dans un juste ?quilibre, ? mi-distance des deux caps massifs qui, ? droite et ? gauche, baignent dans l’eau claire. Dans le hal?tement d’un garde-c?te, qui rampe sur l’eau du large, baign? de lumi?re radieuse, on entend distinctement alors l’appel ?touff? de forces inhumaines et ?tincelantes: c’est l’adieu du Minotaure. Il est midi, le jour lui-m?me est en balance[31 - Il est midi, le jour lui-m?me est en balance – Ïîëäåíü, ñàì äåíü ïðåáûâàåò â íåðåøèòåëüíîñòè]. Son rite accompli, le voyageur re?oit le prix de sa d?livrance: la petite pierre, s?che et douce comme un asphod?le, qu’il ramasse sur la falaise. Pour l’initi?, le monde n’est pas plus lourd ? porter que cette pierre. La t?che d’Atlas est facile, il suffit de choisir son heure. On comprend alors que pour une heure, un mois, un an, ces rivages peuvent se pr?ter ? la libert?. Ils accueillent p?le-m?le, et sans les regarder, le moine, le fonctionnaire ou le conqu?rant. Il y a des jours o? j’attendais de rencontrer, dans les rues d’Oran, Descartes ou C?sar Borgia. Cela n’est pas arriv?. Mais un autre sera peut-?tre plus heureux. Une grande action, une grande ?uvre, la m?ditation virile demandaient autrefois la solitude des sables ou du couvent. On y menait les veill?es d’armes de l’esprit. O? les c?l?brerait-on mieux maintenant que dans le vide d’une grande ville install?e pour longtemps dans la beaut? sans esprit? Voici la petite pierre, douce comme un asphod?le. Elle est au commencement de tout. Les fleurs, les larmes (si on y tient), les d?parts et les luttes sont pour demain. Au milieu de la journ?e, quand le ciel ouvre ses fontaines de lumi?re dans l’espace immense et sonore, tous les caps de la c?te ont l’air d’une flottille en partance. Ces lourds galions de roc et de lumi?re tremblent sur leurs quilles, comme s’ils se pr?paraient ? cingler vers des ?les de soleil. O matins d’Oranie! Du haut des plateaux, les hirondelles plongent dans d’immenses cuves o? l’air bouillonne. La c?te enti?re est pr?te au d?part, un fr?missement d’aventure la parcourt. Demain, peut-?tre, nous partirons ensemble.     (1939) La Peste extraits Il est aussi raisonnable de repr?senter une esp?ce d’emprisonnement par une autre que de repr?senter n’importe quelle chose qui existe r?ellement par quelque chose qui n’existe pas.     Daniel de Foe I Les curieux ?v?nements qui font le sujet de cette chronique se sont produits en 194., ? Oran. De l’avis g?n?ral, ils n’y ?taient pas ? leur place, sortant un peu de l’ordinaire. ? premi?re vue, Oran est, en effet, une ville ordinaire et rien de plus qu’une pr?fecture fran?aise de la c?te alg?rienne. La cit? elle-m?me, on doit l’avouer, est laide. D’aspect tranquille, il faut quelque temps pour apercevoir ce qui la rend diff?rente de tant d’autres villes commer?antes, sous toutes les latitudes. Comment faire imaginer, par exemple, une ville sans pigeons, sans arbres et sans jardins, o? l’on ne rencontre ni battements d’ailes ni froissements de feuilles, un lieu neutre pour tout dire? Le changement des saisons ne s’y lit que dans le ciel. Le printemps s’annonce seulement par la qualit? de l’air ou par les corbeilles de fleurs que de petits vendeurs ram?nent des banlieues; c’est un printemps qu’on vend sur les march?s. Pendant l’?t?, le soleil incendie les maisons trop s?ches et couvre les murs d’une cendre grise; on ne peut plus vivre alors que dans l’ombre des volets clos. En automne, c’est, au contraire, un d?luge de boue. Les beaux jours viennent seulement en hiver. Une mani?re commode de faire la connaissance d’une ville est de chercher comment on y travaille, comment on y aime et comment on y meurt. Dans notre petite ville, est-ce l’effet du climat, tout cela se fait ensemble, du m?me air fr?n?tique et absent. C’est?-dire qu’on s’y ennuie et qu’on s’y applique ? prendre des habitudes. Nos concitoyens travaillent beaucoup, mais toujours pour s’enrichir. Ils s’int?ressent surtout au commerce et ils s’occupent d’abord, selon leur expression, de faire des affaires. Naturellement, ils ont du go?t aussi pour les joies simples, ils aiment les femmes, le cin?ma et les bains de mer. Mais, tr?s raisonnablement, ils r?servent ces plaisirs pour le samedi soir et le dimanche, essayant, les autres jours de la semaine, de gagner beaucoup d’argent. Le soir, lorsqu’ils quittent leurs bureaux, ils se r?unissent ? heure fixe dans les caf?s, ils se prom?nent sur le m?me boulevard ou bien ils se mettent ? leurs balcons. Les d?sirs des plus jeunes sont violents et brefs, tandis que les vices des plus ?g?s ne d?passent pas les associations de boulomanes[32 - un boulomane – ëþáèòåëü èãðû â øàðû], les banquets des amicales et les cercles o? l’on joue gros jeu sur le hasard des cartes. On dira sans doute que cela n’est pas particulier ? notre ville et qu’en somme tous nos contemporains sont ainsi. Sans doute, rien n’est plus naturel, aujourd’hui, que de voir des gens travailler du matin au soir et choisir ensuite de perdre aux cartes, au caf?, et en bavardages, le temps qui leur reste pour vivre. Mais il est des villes et des pays o? les gens ont, de temps en temps, le soup?on d’autre chose. En g?n?ral, cela ne change pas leur vie. Seulement il y a eu le soup?on et c’est toujours cela de gagn?. Oran, au contraire, est apparemment une ville sans soup?ons, c’est-?-dire une ville tout ? fait moderne. Il n’est pas n?cessaire, en cons?quence, de pr?ciser la fa?on dont on s’aime chez nous. Les hommes et les femmes, ou bien se d?vorent rapidement dans ce qu’on appelle l’acte d’amour, ou bien s’engagent dans une longue habitude ? deux. Entre ces extr?mes, il n’y a pas souvent de milieu. Cela non plus n’est pas original. ? Oran comme ailleurs, faute de temps et de r?flexion, on est bien oblig? de s’aimer sans le savoir. Ce qui est plus original dans notre ville est la difficult? qu’on peut y trouver ? mourir. Difficult?, d’ailleurs, n’est pas le bon mot et il serait plus juste de parler d’inconfort. Ce n’est jamais agr?able d’?tre malade, mais il y a des villes et des pays qui vous soutiennent dans la maladie, o? l’on peut, en quelque sorte, se laisser aller. Un malade a besoin de douceur, il aime ? s’appuyer sur quelque chose, c’est bien naturel. Mais ? Oran, les exc?s du climat, l’importance des affaires qu’on y traite, l’insignifiance du d?cor, la rapidit? du cr?puscule et la qualit? des plaisirs, tout demande la bonne sant?. Un malade s’y trouve bien seul. Qu’on pense alors ? celui qui va mourir, pris au pi?ge derri?re des centaines de murs cr?pitants de chaleur, pendant qu’? la m?me minute, toute une population, au t?l?phone ou dans les caf?s, parle de traites, de connaissements et d’escompte. On comprendra ce qu’il peut y avoir d’inconfortable dans la mort, m?me moderne, lorsqu’elle survient ainsi dans un lieu sec. ? Marseille pendant la peste Ces quelques indications donnent peut-?tre une id?e suffisante de notre cit?. Au demeurant, on ne doit rien exag?rer. Ce qu’il fallait souligner, c’est l’aspect banal de la ville et de la vie. Mais on passe ses journ?es sans difficult?s aussit?t qu’on a des habitudes. Du moment que notre ville favorise justement les habitudes, on peut dire que tout est pour le mieux. Sous cet angle, sans doute, la vie n’est pas tr?s passionnante. Du moins, on ne conna?t pas chez nous le d?sordre. Et notre population franche, sympathique et active a toujours provoqu? chez le voyageur une estime raisonnable. Cette cit? sans pittoresque, sans v?g?tation et sans ?me finit par sembler reposante, on s’y endort enfin. Mais il est juste d’ajouter qu’elle s’est greff?e sur un paysage sans ?gal, au milieu d’un plateau nu, entour? de collines lumineuses, devant une baie au dessin parfait. On peut seulement regretter qu’elle se soit construite en tournant le dos ? cette baie et que, partant, il soit impossible d’apercevoir la mer qu’il faut toujours aller chercher. Arriv? l?, on admettra sans peine que rien ne pouvait faire esp?rer ? nos concitoyens les incidents qui se produisirent au printemps de cette ann?e-l? et qui furent, nous le compr?mes ensuite, comme les premiers signes de la s?rie des graves ?v?nements dont on s’est propos? de faire ici la chronique. Ces faits para?tront bien naturels ? certains et, ? d’autres, invraisemblables au contraire. Mais, apr?s tout, un chroniqueur ne peut tenir compte de ces contradictions. Sa t?che est seulement de dire: «Ceci est arriv?», lorsqu’il sait que ceci est, en effet, arriv?, que ceci a int?ress? la vie de tout un peuple, et qu’il y a donc des milliers de t?moins qui estimeront dans leur c?ur la v?rit? de ce qu’il dit. Du reste, le narrateur, qu’on conna?tra toujours ? temps, n’aurait gu?re de titre ? faire valoir dans une entreprise de ce genre si le hasard ne l’avait mis ? m?me de recueillir un certain nombre de d?positions et si la force des choses ne l’avait m?l? ? tout ce qu’il pr?tend relater. C’est ce qui l’autorise ? faire ?uvre d’historien. Bien entendu, un historien, m?me s’il est un amateur, a toujours des documents. Le narrateur de cette histoire a donc les siens: son t?moignage d’abord, celui des autres ensuite, puisque, par son r?le, il fut amen? ? recueillir les confidences de tous les personnages de cette chronique, et, en dernier lieu, les textes qui finirent par tomber entre ses mains. Il se propose d’y puiser quand il le jugera bon et de les utiliser comme il lui plaira. Il se propose encore… Mais il est peut?tre temps de laisser les commentaires et les pr?cautions de langage pour en venir au r?cit lui-m?me. La relation des premi?res journ?es demande quelque minutie. * * * Le matin du 16 avril, le docteur Bernard Rieux sortit de son cabinet et buta sur un rat mort, au milieu du palier. Sur le moment, il ?carta la b?te sans y prendre garde et descendit l’escalier. Mais, arriv? dans la rue, la pens?e lui vint que ce rat n’?tait pas ? sa place et il retourna sur ses pas pour avertir le concierge. Devant la r?action du vieux M. Michel, il sentit mieux ce que sa d?couverte avait d’insolite. La pr?sence de ce rat mort lui avait paru seulement bizarre tandis que, pour le concierge, elle constituait un scandale. La position de ce dernier ?tait d’ailleurs cat?gorique: il n’y avait pas de rats dans la maison. Le docteur eut beau l’assurer qu’il y en avait un sur le palier du premier ?tage, et probablement mort, la conviction de M. Michel restait enti?re. Il n’y avait pas de rats dans la maison, il fallait donc qu’on e?t apport? celui-ci du dehors. Bref, il s’agissait d’une farce. Le soir m?me, Bernard Rieux, debout dans le couloir de l’immeuble, cherchait ses clefs avant de monter chez lui, lorsqu’il vit surgir, du fond obscur du corridor, un gros rat ? la d?marche incertaine et au pelage mouill?. La b?te s’arr?ta, sembla chercher un ?quilibre, prit sa course vers le docteur, s’arr?ta encore, tourna sur elle-m?me avec un petit cri et tomba enfin en rejetant du sang par les babines entrouvertes. Le docteur la contempla un moment et remonta chez lui. […] Le lendemain 17 avril, ? huit heures, le concierge arr?ta le docteur au passage et accusa des mauvais plaisants[33 - un mauvais plaisant – ëþáèòåëü ãëóïûõ øóòîê] d’avoir d?pos? trois rats morts au milieu du couloir. On avait d? les prendre avec de gros pi?ges, car ils ?taient pleins de sang. Le concierge ?tait rest? quelque temps sur le pas de la porte, tenant les rats par les pattes, et attendant que les coupables voulussent bien se trahir par quelque sarcasme. Mais rien n’?tait venu. «Ah! ceux-l?, disait M. Michel, je finirai par les avoir.» Intrigu?, Rieux d?cida de commencer sa tourn?e par les quartiers ext?rieurs o? habitaient les plus pauvres de ses clients. La collecte des ordures s’y faisait beaucoup plus tard et l’auto qui roulait le long des voies ?troites et poussi?reuses de ce quartier fr?lait les bo?tes de d?tritus, laiss?es au bord du trottoir. Dans une rue qu’il longeait ainsi, le docteur compta une douzaine de rats jet?s sur les d?bris de l?gumes et les chiffons sales […]. Rieux n’eut pas de peine ? constater ensuite que tout le quartier parlait des rats. [Vers onze heures, le docteur accompagne ? la gare sa femme, qui, malade depuis un an, doit effectuer un s?jour en montagne.] L’apr?s-midi du m?me jour, au d?but de sa consultation, Rieux re?ut un jeune homme dont on lui dit qu’il ?tait journaliste et qu’il ?tait d?j? venu le matin. Il s’appelait Raymond Rambert. Court de taille, les ?paules ?paisses, le visage d?cid?, les yeux clairs et intelligents, Rambert portait des habits de coupe sportive et semblait ? l’aise dans la vie. Il alla droit au but. Il enqu?tait pour un grand journal de Paris sur les conditions de vie des Arabes et voulait des renseignements sur leur ?tat sanitaire. Rieux lui dit que cet ?tat n’?tait pas bon. Mais il voulait savoir, avant d’aller plus loin, si le journaliste pouvait dire la v?rit?. «Certes, dit l’autre. – Je veux dire, pouvez-vous porter condamnation totale? – Totale, non, il faut bien le dire. Mais je suppose que cette condamnation serait sans fondement.» Doucement, Rieux dit qu’en effet une pareille condamnation serait sans fondement, mais qu’en posant cette question il cherchait seulement ? savoir si le t?moignage de Rambert pouvait ou non ?tre sans r?serves. «Je n’admets que les t?moignages sans r?serves. Je ne soutiendrai donc pas le v?tre de mes renseignements. – C’est le langage de Saint-Just», dit le journaliste en souriant. Rieux dit sans ?lever le ton qu’il n’en savait rien, mais que c’?tait le langage d’un homme lass? du monde o? il vivait, ayant pourtant le go?t de ses semblables et d?cid? ? refuser, pour sa part, l’injustice et les concessions. Rambert, le cou dans les ?paules, regardait le docteur. «Je crois que je vous comprends», dit-il enfin en se levant. Le docteur l’accompagnait vers la porte: «Je vous remercie de prendre les choses ainsi.» Rambert parut impatient?: «Oui, dit-il, je comprends, pardonnez-moi ce d?rangement.» Le docteur lui serra la main et lui dit qu’il y aurait un curieux reportage ? faire sur la quantit? de rats morts qu’on trouvait dans la ville en ce moment. «Ah! s’exclama Rambert, cela m’int?resse.» ? dix-sept heures, comme il sortait pour de nouvelles visites, le docteur croisa dans l’escalier un homme encore jeune, ? la silhouette lourde, au visage massif et creus?, barr? d’?pais sourcils. Il l’avait rencontr?, quelquefois, chez les danseurs espagnols qui habitaient le dernier ?tage de son immeuble. Jean Tarrou fumait une cigarette avec application en contemplant les derni?res convulsions d’un rat qui crevait sur une marche, ? ses pieds. Il leva sur le docteur le regard calme et un peu appuy?[34 - un regard appuy? – ïðèñòàëüíûé âçãëÿä] de ses yeux gris, lui dit bonjour et ajouta que cette apparition des rats ?tait une curieuse chose. «Oui, dit Rieux, mais qui finit par ?tre aga?ante. – Dans un sens, Docteur, dans un sens seulement. Nous n’avons jamais rien vu de semblable, voil? tout. Mais je trouve cela int?ressant, oui, positivement int?ressant.» Tarrou passa la main sur ses cheveux pour les rejeter en arri?re, regarda de nouveau le rat, maintenant immobile, puis sourit ? Rieux: «Mais, en somme, Docteur, c’est surtout l’affaire du concierge.» [Les rats meurent de plus en plus nombreux. Les Oranais commencent ? s’inqui?ter. Mais, le 28 avril, le docteur est appel? par un de ses anciens malades aupr?s d’un personnage singulier…] Quelques minutes plus tard, il franchissait la porte d’une maison basse de la rue Faidherbe, dans un quartier ext?rieur. Au milieu de l’escalier frais et puant, il rencontra Joseph Grand, l’employ?, qui descendait ? sa rencontre. C’?tait un homme d’une cinquantaine d’ann?es, ? la moustache jaune, long et vo?t?, les ?paules ?troites et les membres maigres. «Cela va mieux, dit-il en arrivant vers Rieux, mais j’ai cru qu’il y passait.[35 - mais j’ai cru qu’il y passait – íî ÿ äóìàë, ÷òî îí óìåð]» Il se mouchait. Au deuxi?me et dernier ?tage, sur la porte de gauche, Rieux lut, trac? ? la craie rouge: «Entrez, je suis pendu.» Ils entr?rent. La corde pendait de la suspension audessus d’une chaise renvers?e, la table pouss?e dans un coin. Mais elle pendait dans le vide. «Je l’ai d?croch? ? temps, disait Grand, qui semblait toujours chercher ses mots, bien qu’il parl?t le langage le plus simple. Je sortais, justement, et j’ai entendu du bruit. Quand j’ai vu l’inscription, comment vous expliquer, j’ai cru ? une farce. Mais il a pouss? un g?missement dr?le, et m?me sinistre, on peut le dire.» Il se grattait la t?te: «? mon avis, l’op?ration doit ?tre douloureuse. Naturellement, je suis entr?.» Ils avaient pouss? une porte et se trouvaient sur le seuil d’une chambre claire, mais meubl?e pauvrement. Un petit homme rond ?tait couch? sur le lit de cuivre. Il respirait fortement et les regardait avec des yeux congestionn?s. Le docteur s’arr?ta. Dans les intervalles de la respiration, il lui semblait entendre des petits cris de rats. Mais rien ne bougeait dans les coins. Rieux alla vers le lit. L’homme n’?tait pas tomb? d’assez haut, ni trop brusquement, les vert?bres avaient tenu. Bien entendu, un peu d’asphyxie. Il faudrait avoir une radiographie. Le docteur fit une piq?re d’huile camphr?e[36 - l’huile camphr?e – êàìôîðíîå ìàñëî] et dit que tout s’arrangerait en quelques jours. «Merci, Docteur», dit l’homme d’une voix ?touff?e. Rieux demanda ? Grand s’il avait pr?venu le commissariat et l’employ? prit un air d?confit: «Non, dit-il, oh! non. J’ai pens? que le plus press?… – Bien s?r, coupa Rieux, je le ferai donc.» Mais, ? ce moment, le malade s’agita et se dressa dans le lit en protestant qu’il allait bien et que ce n’?tait pas la peine. «Calmez-vous, dit Rieux. Ce n’est pas une affaire, croyez-moi, et il faut que je fasse ma d?claration. – Oh!» fit l’autre. Et il se rejeta en arri?re pour pleurer ? petits coups. Grand, qui tripotait sa moustache depuis un moment, s’approcha de lui. «Allons, monsieur Cottard, dit-il. Essayez de comprendre. On peut dire que le docteur est responsable. Si, par exemple, il vous prenait l’envie de recommencer…» Mais Cottard dit, au milieu de ses larmes, qu’il ne recommencerait pas, que c’?tait seulement un moment d’affolement et qu’il d?sirait seulement qu’on lui laiss?t la paix. Rieux r?digeait une ordonnance.[37 - r?diger une ordonnance – âûïèñûâàòü ðåöåïò (íà ëåêàðñòâî)] «C’est entendu, dit-il. Laissons cela, je reviendrai dans deux ou trois jours. Mais ne faites pas de b?tises.» Sur le palier, il dit ? Grand qu’il ?tait oblig? de faire sa d?claration, mais qu’il demanderait au commissaire de ne faire son enqu?te que deux jours apr?s. «Il faut le surveiller cette nuit. A-t-il de la famille? – Je ne la connais pas. Mais je peux veiller moim?me.» Il hochait la t?te. «Lui non plus, remarquez-le, je ne peux pas dire que je le connaisse. Mais il faut bien s'entr’aider.[38 - s’entr’aider (s’entraider) – ïîìîãàòü äðóã äðóãó]» Dans les couloirs de la maison, Rieux regarda machinalement vers les recoins et demanda ? Grand si les rats avaient totalement disparu de son quartier. L’employ? n’en savait rien. On lui avait parl? en effet de cette histoire, mais il ne pr?tait pas beaucoup d’attention aux bruits du quartier. «J’ai d’autres soucis», dit-il. […] * * * [Quelques jours plus tard, le docteur assiste ? l’enqu?te sur la tentative de suicide.] Quand il arriva, le commissaire n’?tait pas encore l?. Grand attendait sur le palier et ils d?cid?rent d’entrer d’abord chez lui en laissant la porte ouverte. L’employ? de mairie habitait deux pi?ces, meubl?es tr?s sommairement. On remarquait seulement un rayon de bois blanc garni de deux ou trois dictionnaires, et un tableau noir sur lequel on pouvait lire encore, ? demi effac?s, les mots «all?es fleuries». Selon Grand, Cottard avait pass? une bonne nuit. Mais il s’?tait r?veill?, le matin, souffrant de la t?te et incapable d’aucune r?action. Grand paraissait fatigu? et nerveux, se promenant de long en large[39 - de long en large – âçàä è âïåð¸ä] Êîíåö îçíàêîìèòåëüíîãî ôðàãìåíòà. Òåêñò ïðåäîñòàâëåí ÎÎÎ «ËèòÐåñ». Ïðî÷èòàéòå ýòó êíèãó öåëèêîì, êóïèâ ïîëíóþ ëåãàëüíóþ âåðñèþ (https://www.litres.ru/alber-kamu/le-minotaure-la-peste-minotavr-chuma-kniga-dlya-chteniya-na-fra/?lfrom=688855901) íà ËèòÐåñ. Áåçîïàñíî îïëàòèòü êíèãó ìîæíî áàíêîâñêîé êàðòîé Visa, MasterCard, Maestro, ñî ñ÷åòà ìîáèëüíîãî òåëåôîíà, ñ ïëàòåæíîãî òåðìèíàëà, â ñàëîíå ÌÒÑ èëè Ñâÿçíîé, ÷åðåç PayPal, WebMoney, ßíäåêñ.Äåíüãè, QIWI Êîøåëåê, áîíóñíûìè êàðòàìè èëè äðóãèì óäîáíûì Âàì ñïîñîáîì. notes Ïðèìå÷àíèÿ 1 Ring – êîëüöåâîé áóëüâàð â Âåíå 2 l’?le Saint-Louis – îñòðîâ Ñåí-Ëóè â Ïàðèæå 3 un boulomane – ëþáèòåëü èãðû â øàðû 4 Diane chasseresse – Äèàíà-îõîòíèöà 5 sur le dessus de nos chemin?es – íà êàìèííîé ïîëêå 6 un petit noir – ÷àøå÷êà ÷¸ðíîãî êîôå 7 le Midi – Þã (Ôðàíöèè) 8 un bal masqu? – ìàñêàðàä 9 qui se donnent le plus grand mal pour para?tre de mauvais gar?ons – êîòîðûå ñòàðàþòñÿ èçî âñåõ ñèë êàçàòüñÿ õóëèãàíàìè 10 pour la seule montre – ïðîñòî íàïîêàç 11 plaqu?s contre le ciel bleu – ïðèæàòûå ãîëóáûì íåáîì 12 ? flanc de coteau – íà ñêëîíå õîëìà 13 en raison du fait que pas une des cinq cents personnes qui s’y trouvent ne saurait tirer son mouchoir sans provoquer des graves accidents – ïî ïðè÷èíå òîãî, ÷òî íè îäèí èç ïÿòèñîò ïðèñóòñòâóþùèõ çäåñü ÷åëîâåê íå ñìîã áû ðàññòðîèòüñÿ (èç-çà ïîðàæåíèÿ), íå ïðè÷èíÿÿ çíà÷èòåëüíûõ ïîâðåæäåíèé 14 en manches de chemise – áåç ïèäæàêà, â ðóáàøêå íè îäèí èç ïÿòèñîò ïðèñóòñòâóþùèõ çäåñü ÷åëîâåê íå ñìîã áû ðàññòðîèòüñÿ (èç-çà ïîðàæåíèÿ), íå ïðè÷èíÿÿ çíà÷èòåëüíûõ ïîâðåæäåíèé 15 le puncheur – áîêñ¸ð, îáëàäàþùèé ñèëüíûì óäàðîì 16 o? les boxeurs auraient ? vider une querelle personnelle, connue du public – ãäå áîêñ¸ðû äîëæíû áû áûëè ïîëîæèòü êîíåö ëè÷íîé ðàñïðå 17 ces deux villes nord-africaines se seraient d?j? saign?es ? blanc – ýòè äâà ñåâåðîàôðèêàíñêèõ ãîðîäà óæå êàê-òî îáåñêðîâëèâàëè äðóã äðóãà 18 l’usage du monde – çíàíèå ñâåòà 19 une arcade sourcili?re – íàäáðîâíàÿ äóãà 20 Donne-lui de l’orge – Âñûïü åìó 21 un vainqueur aux points – ïîáåäèòåëü ïî î÷êàì 22 un col-bleu – ìàòðîñ 23 Anda! hombre! – (èñï.) Äàâàé, ïðèÿòåëü! 24 un match nul – íè÷üÿ 25 De monumets, Oran ne manque gu?re – Îðàí íå èñïûòûâàåò íåäîñòàòêà â ïàìÿòíèêàõ 26 ? n?ud papillon et ? casque de li?ge blanc – â ãàëñòóêå-áàáî÷êå è áåëîì ïðîáêîâîì øëåìå 27 lA’ngkor – Àíãêîð, ðóèíû äðåâíåé ñòîëèöû â Êàìáîäæå (IX–XIII â.) 28 la Tour de Babel – Âàâèëîíñêàÿ áàøíÿ 29 P?querettes et boutons d’or – ìàðãàðèòêè è êàëóæíèöû 30 ?akya-Mouni – ïðèíö Øàêüÿ-Ìóíè Ãàóòàìà, ëåãåíäàðíûé îñíîâîïîëîæíèê áóääèçìà 31 Il est midi, le jour lui-m?me est en balance – Ïîëäåíü, ñàì äåíü ïðåáûâàåò â íåðåøèòåëüíîñòè 32 un boulomane – ëþáèòåëü èãðû â øàðû 33 un mauvais plaisant – ëþáèòåëü ãëóïûõ øóòîê 34 un regard appuy? – ïðèñòàëüíûé âçãëÿä 35 mais j’ai cru qu’il y passait – íî ÿ äóìàë, ÷òî îí óìåð 36 l’huile camphr?e – êàìôîðíîå ìàñëî 37 r?diger une ordonnance – âûïèñûâàòü ðåöåïò (íà ëåêàðñòâî) 38 s’entr’aider (s’entraider) – ïîìîãàòü äðóã äðóãó 39 de long en large – âçàä è âïåð¸ä
Íàø ëèòåðàòóðíûé æóðíàë Ëó÷øåå ìåñòî äëÿ ðàçìåùåíèÿ ñâîèõ ïðîèçâåäåíèé ìîëîäûìè àâòîðàìè, ïîýòàìè; äëÿ ðåàëèçàöèè ñâîèõ òâîð÷åñêèõ èäåé è äëÿ òîãî, ÷òîáû âàøè ïðîèçâåäåíèÿ ñòàëè ïîïóëÿðíûìè è ÷èòàåìûìè. Åñëè âû, íåèçâåñòíûé ñîâðåìåííûé ïîýò èëè çàèíòåðåñîâàííûé ÷èòàòåëü - Âàñ æä¸ò íàø ëèòåðàòóðíûé æóðíàë.