È ñîëåíàÿ åäêàÿ æèäêîñòü ãëàçà ðàçúåäàåò ýïèëîãîì î÷åðåäíîãî îáìàíà, íàðóøàÿ õðóñòàëüíóþ çûáêîñòü îæèäàíèÿ ïðàâäû, íå ðàçãëàøåííîé òâîèìè óñòàìè. È, êîíüÿêîì çàëèâàÿ ãëîòêó, íà òîí÷àéøåé ìàòåðèè ñíîâ îñòàâëÿþ ïîëîñû íàêèïè. ÍÅëþáèìàÿ ÍÅïàòðèîòêà - çíà÷èò, çäåñü ìíå íå æèòü, è ÿ äâàæäû ñáåãó çà äîðîæíûå íàñûïè. Ñëèøêîì ìàëî ïðè÷èí ñäàòü áè

Boule de Suif / Ïûøêà. Êíèãà äëÿ ÷òåíèÿ íà ôðàíöóçñêîì ÿçûêå

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Èçäàòåëüñòâî: ÊÀÐÎ
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ÊÓÏÈÒÜ È ÑÊÀ×ÀÒÜ ÇÀ: 132.00 ðóá. ×ÒÎ ÊÀ×ÀÒÜ è ÊÀÊ ×ÈÒÀÒÜ
Boule de Suif / Ïûøêà. Êíèãà äëÿ ÷òåíèÿ íà ôðàíöóçñêîì ÿçûêå Ãè äå Ìîïàññàí Îëüãà Ïåòðîâíà Ïàíàéîòòè ×òåíèå â îðèãèíàëå (Êàðî)Litt?rature classique (Êàðî) Ãåðîè íîâåëë Ãè äå Ìîïàññàíà (1850–1893), âîøåäøèõ â ñáîðíèê, – ëþäè ðàçíûå: ýòî è äåâèöà ëåãêîãî ïîâåäåíèÿ Ýëèçàáåò Ðóññå, îêàçûâàþùàÿñÿ ãîðàçäî áîëåå ïîðÿäî÷íîé, ÷åì åå ïî÷òåííûå ïîïóò÷èêè, è Ïàïàøà Ìèëîí, îòîìñòèâøèé ïðóññàêàì çà ãèáåëü ñûíà, è ñêó÷àþùèå áóðæóà, è ïðåäïðèèì÷èâûå ìîëîäûå æåíùèíû. Ïðåäëàãàåì âíèìàíèþ ÷èòàòåëåé íåàäàïòèðîâàííûé òåêñò íîâåëë ñ êîììåíòàðèÿìè è ñëîâàðåì. Guy de Maupassant / Ãè Äå Ìîïàññàí Boule de Suif / Ïûøêà. Êíèãà äëÿ ÷òåíèÿ íà ôðàíöóçñêîì ÿçûêå © ÊÀÐÎ, 2016 Boule de Suif Pendant plusieurs jours de suite des lambeaux d’arm?e en d?route avaient travers? la ville. Ce n’?tait point de la troupe, mais des hordes d?band?es. Les hommes avaient la barbe longue et sale, des uniformes en guenilles, et ils avan?aient d’une allure molle, sans drapeau, sans r?giment. Tous semblaient accabl?s, ?reint?s, incapables d’une pens?e ou d’une r?solution, marchant seulement par habitude, et tombant de fatigue sit?t qu’ils s’arr?taient. On voyait surtout des mobilis?s, gens pacifiques, rentiers tranquilles, pliant sous le poids du fusil ; des petits moblots alertes, faciles ? l’?pouvante et prompts ? l’enthousiasme, pr?ts ? l’attaque comme ? la fuite ; puis, au milieu d’eux, quelques culottes rouges, d?bris d’une division moulue dans une grande bataille ; des artilleurs sombres align?s avec des fantassins divers ; et, parfois, le casque brillant d’un dragon au pied pesant qui suivait avec peine la marche plus l?g?re des lignards. Des l?gions de francs-tireurs aux appellations h?ro?ques : « les Vengeurs de la D?faite – les Citoyens de la Tombe – les Partageurs de la Mort » – passaient ? leur tour, avec des airs de bandits. Leurs chefs, anciens commer?ants en draps ou en graines, ex-marchands de suif ou de savon, guerriers de circonstance[1 - de circonstance – ïî âîëå ñëó÷àÿ; ïî ñòå÷åíèþ îáñòîÿòåëüñòâ], nomm?s ofifciers pour leurs ?cus ou la longueur de leurs moustaches, couverts d’armes, de flanelle et de galons, parlaient d’une voix retentissante, discutaient plans de campagne, et pr?tendaient soutenir seuls la France agonisante sur leurs ?paules de fanfarons ; mais ils redoutaient parfois leurs propres soldats, gens de sac et de corde, souvent braves ? outrance, pillards et d?bauch?s. Les Prussiens allaient entrer dans Rouen, disaiton. La Garde nationale qui, depuis deux mois, faisait des reconnaissances tr?s prudentes dans les bois voisins, fusillant parfois ses propres sentinelles, et se pr?parant au combat quand un petit lapin remuait sous des broussailles, ?tait rentr?e dans ses foyers. Ses armes, ses uniformes, tout son attirail meurtrier, dont elle ?pouvantait nagu?re les bornes des routes nationales ? trois lieues ? la ronde, avaient subitement disparu. Les derniers soldats fran?ais venaient enfin de traverser la Seine pour gagner Pont-Audemer par Saint-Sever et Bourg-Achard ; et, marchant apr?s tous, le g?n?ral, d?sesp?r?, ne pouvant rien tenter avec ces loques disparates, ?perdu lui-m?me dans la grande d?b?cle d’un peuple habitu? ? vaincre et d?sastreusement battu malgr? sa bravoure l?gendaire, s’en allait ? pied, entre deux ofifciers d’ordonnance[2 - oficier d’ordonnance – àäúþòàíò]. Puis un calme profond, une attente ?pouvant?e et silencieuse avaient plan? sur la cit?. Beaucoup de bourgeois bedonnants, ?mascul?s par le commerce, attendaient anxieusement les vainqueurs, tremblant qu’on ne consid?r?t comme une arme[3 - qu’on ne consid?r?t comme une arme – êàê áû íå ñî÷ëè îðóæèåì] leurs broches ? r?tir ou leurs grands couteaux de cuisine. La vie semblait arr?t?e ; les boutiques ?taient closes, la rue muette. Quelquefois un habitant, intimid? par ce silence, filait rapidement le long des murs. L’angoisse de l’attente faisait d?sirer la venue de l’ennemi. Dans l’apr?s-midi du jour qui suivit le d?part des troupes fran?aises, quelques uhlans, sortis on ne sait d’o?, travers?rent la ville avec c?l?rit?. Puis, un peu plus tard, une masse noire descendit de la c?te Sainte-Catherine, tandis que deux autres flots envahisseurs apparaissaient par les routes de Darnetal et de Boisguillaume. Les avant-gardes des trois corps, juste au m?me moment, se joignirent sur la place de l’H?tel-de-Ville[4 - la place de l’H?tel-de-Ville – Ðàòóøíàÿ ïëîùàäü] ; et par toutes les rues voisines, l’arm?e allemande arrivait, d?roulant ses bataillons qui faisaient sonner les pav?s sous leur pas dur et rythm?. Des commandements cri?s d’une voix inconnue et gutturale montaient le long des maisons qui semblaient mortes et d?sertes, tandis que, derri?re les volets ferm?s, des yeux guettaient ces hommes victorieux, ma?tres de la cit?, des fortunes et des vies, de par le « droit de guerre ». Les habitants, dans leurs chambres assombries, avaient l’affolement que donnent les cataclysmes, les grands bouleversements meurtriers de la terre, contre lesquels toute sagesse et toute force sont inutiles. Car la m?me sensation repara?t chaque fois que l’ordre ?tabli des choses est renvers?, que la s?curit? n’existe plus, que tout ce que prot?geaient les lois des hommes ou celles de la nature, se trouve ? la merci d’une brutalit? inconsciente et f?roce. Le tremblement de terre ?crasant sous les maisons croulantes un peuple entier ; le fleuve d?bord? qui roule les paysans noy?s avec les cadavres des b?ufs et les poutres arrach?es aux toits, ou l’arm?e glorieuse massacrant ceux qui se d?fendent, emmenant les autres prisonniers, pillant au nom du Sabre et remerciant un Dieu au son du canon, sont autant de fl?aux effrayants qui d?concertent toute croyance ? la justice ?ternelle, toute la confiance qu’on nous enseigne en la protection du Ciel et en la raison de l’homme. Mais ? chaque porte des petits d?tachements frappaient, puis disparaissaient dans les maisons. C’?tait l’occupation apr?s l’invasion. Le devoir commen?ait pour les vaincus de se montrer gracieux envers les vainqueurs. Au bout de quelque temps, une fois la premi?re terreur disparue, un calme nouveau s’?tablit. Dans beaucoup de familles, l’ofifcier prussien mangeait ? table. Il ?tait parfois bien ?lev?, et, par politesse, plaignait la France, disait sa r?pugnance en prenant part ? cette guerre. On lui ?tait reconnaissant de ce sentiment ; puis on pouvait, un jour ou l’autre, avoir besoin de sa protection. En le m?nageant on obtiendrait peut-?tre quelques hommes de moins ? nourrir. Et pourquoi blesser quelqu’un dont on d?pendait tout ? fait ? Agir ainsi serait moins de la bravoure que de la t?m?rit?. – Et la t?m?rit? n’est plus un d?faut des bourgeois de Rouen, comme au temps des d?fenses h?ro?ques o? s’illustra leur cit?. – On se disait enfin, raison supr?me tir?e de l’urbanit? fran?aise, qu’il demeurait bien permis d’?tre poli dans son int?rieur pourvu qu’on ne se montr?t[5 - pourvu qu’on ne se montr?t – òîëüêî áû íå ïîêàçàòüñÿ] pas familier, en public, avec le soldat ?tranger. Au dehors on ne se connaissait plus, mais dans la maison on causait volontiers, et l’Allemand demeurait plus longtemps, chaque soir, ? se chauffer au foyer commun. La ville m?me reprenait peu ? peu de son aspect ordinaire. Les Fran?ais ne sortaient gu?re encore, mais les soldats prussiens grouillaient dans les rues. Du reste, les ofifciers de hussards bleus, qui tra?naient avec arrogance leurs grands outils de mort sur le pav?, ne semblaient pas avoir pour les simples citoyens ?norm?ment plus de m?pris que les ofifciers de chasseurs, qui, l’ann?e d’avant, buvaient aux m?mes caf?s. Il y avait cependant quelque chose dans l’air, quelque chose de subtil et d’inconnu, une atmosph?re ?trang?re intol?rable, comme une odeur r?pandue, l’odeur de l’invasion. Elle emplissait les demeures et les places publiques, changeait le go?t des aliments, donnait l’impression d’?tre en voyage, tr?s loin, chez des tribus barbares et dangereuses. Les vainqueurs exigeaient de l’argent, beaucoup d’argent. Les habitants payaient toujours ; ils ?taient riches d’ailleurs. Mais plus un n?gociant normand devient opulent et plus il souffre de tout sacrifice, de toute parcelle de sa fortune qu’il voit passer aux mains d’un autre. Cependant, ? deux ou trois lieues sous la ville, en suivant le cours de la rivi?re, vers Croisset, Dieppedalle ou Biessart, les mariniers et les p?cheurs ramenaient souvent du fond de l’eau quelque cadavre d’Allemand gonfl? dans son uniforme, tu? d’un coup de couteau ou de savate, la t?te ?cras?e par une pierre, ou jet? ? l’eau d’une pouss?e du haut d’un pont. Les vases du fleuve ensevelissaient ces vengeances obscures, sauvages et l?gitimes, h?ro?smes inconnus, attaques muettes, plus p?rilleuses que les batailles au grand jour et sans le retentissement de la gloire. Car la haine de l’?tranger arme toujours quelques Intr?pides pr?ts ? mourir pour une Id?e. Enfin, comme les envahisseurs, bien qu’assuj?tissant la ville ? leur inflexible discipline, n’avaient accompli aucune des horreurs que la renomm?e leur faisait commettre tout le long de leur marche triomphale, on s’enhardit, et le besoin du n?goce travailla de nouveau le c?ur des commer?ants du pays. Quelques-uns avaient de gros int?r?ts engag?s au Havre que l’arm?e fran?aise occupait, et ils voulurent tenter de gagner ce port en allant par terre ? Dieppe o? ils s’embarqueraient. On employa l’influence des ofifciers allemands dont on avait fait la connaissance, et une autorisation de d?part fut obtenue du g?n?ral en chef. Donc, une grande diligence ? quatre chevaux ayant ?t? retenue pour ce voyage, et dix personnes s’?tant fait inscrire chez le voiturier, on r?solut de partir un mardi matin, avant le jour, pour ?viter tout rassemblement. Depuis quelque temps d?j? la gel?e avait durci la terre, et le lundi, vers trois heures, de gros nuages noirs venant du Nord apport?rent la neige qui tomba sans interruption pendant toute la soir?e et toute la nuit. ? quatre heures et demie du matin, les voyageurs se r?unirent dans la cour de l’H?tel de Normandie, o? l’on devait monter en voiture. Ils ?taient encore pleins de sommeil, et grelottaient de froid sous leurs couvertures. On se voyait mal dans l’obscurit? ; et l’entassement des lourds v?tements d’hiver faisait ressembler tous ces corps ? des cur?s ob?ses avec leurs longues soutanes. Mais deux hommes se reconnurent, un troisi?me les aborda, ils caus?rent : – « J’emm?ne ma femme, » – dit l’un. – « J’en fais autant. » – « Et moi aussi. » – Le premier ajouta : – « Nous ne reviendrons pas ? Rouen, et si les Prussiens approchent du Havre nous gagnerons l’Angleterre. » – Tous avaient les m?mes projets, ?tant de complexion semblable. Cependant on n’attelait pas la voiture. Une petite lanterne, que portait un valet d’?curie, sortait de temps ? autre d’une porte obscure pour dispara?tre imm?diatement dans une autre. Des pieds de chevaux frappaient la terre, amortis par le fumier des liti?res, et une voix d’homme parlant aux b?tes et jurant s’entendait au fond du b?timent. Un l?ger murmure de grelots annon?a qu’on remuait les harnais ; ce murmure devint bient?t un fr?missement clair et continu, rythm? par le mouvement de l’animal, s’arr?tant parfois, puis reprenant dans une brusque secousse qu’accompagnait le bruit mat d’un sabot ferr? battant le sol. La porte subitement se ferma. Tout bruit cessa. Les bourgeois gel?s s’?taient tus ; ils demeuraient immobiles et roidis. Un rideau de flocons blancs ininterrompu miroitait sans cesse en descendant vers la terre ; il effa?ait les formes, poudrait les choses d’une mousse de glace ; et l’on n’entendait plus, dans le grand silence de la ville calme et ensevelie sous l’hiver, que ce froissement vague, innommable et flottant, de la neige qui tombe, plut?t sensation que bruit, entrem?lement d’atomes l?gers qui semblaient emplir l’espace, couvrir le monde. L’homme reparut, avec sa lanterne, tirant au bout d’une corde un cheval triste qui ne venait pas volontiers. Il le pla?a contre le timon, attacha les traits, tourna longtemps autour pour assurer les harnais, car il ne pouvait se servir que d’une main, l’autre portant sa lumi?re. Comme il allait chercher la seconde b?te, il remarqua tous ces voyageurs immobiles, d?j? blancs de neige, et leur dit : « Pourquoi ne montez-vous pas dans la voiture, vous serez ? l’abri, au moins. » Ils n’y avaient pas song?, sans doute, et ils se pr?cipit?rent. Les trois hommes install?rent leurs femmes dans le fond, mont?rent ensuite ; puis les autres formes ind?cises et voil?es prirent ? leur tour les derni?res places sans ?changer une parole. Le plancher ?tait couvert de paille o? les pieds s’enfonc?rent. Les dames du fond, ayant apport? des petites chaufferettes en cuivre avec un charbon chimique, allum?rent ces appareils, et, pendant quelque temps, ? voix basse, elles en ?num?r?rent les avantages, se r?p?tant des choses qu’elles savaient d?j? depuis longtemps. Enfin, la diligence ?tant attel?e, avec six chevaux au lieu de quatre ? cause du tirage plus p?nible, une voix du dehors demanda : – « Tout le monde estil mont? ? » – Une voix du dedans r?pondit : – « Oui. » – On partit. La voiture avan?ait lentement, lentement, ? tout petits pas. Les roues s’enfon?aient dans la neige ; le coffre entier geignait avec des craquements sourds ; les b?tes glissaient, souflaient, fumaient ; et le fouet gigantesque du cocher claquait sans repos, voltigeait de tous les c?t?s, se nouant et se d?roulant comme un serpent mince, et cinglant brusquement quelque croupe rebondie qui se tendait alors sous un effort plus violent. Mais le jour imperceptiblement grandissait. Ces flocons l?gers qu’un voyageur, Rouennais pur sang, avait compar?s ? une pluie de coton, ne tombaient plus. Une lueur sale filtrait ? travers de gros nuages obscurs et lourds qui rendaient plus ?clatante la blancheur de la campagne o? apparaissaient tant?t une ligne de grands arbres v?tus de givre, tant?t une chaumi?re avec un capuchon de neige. Dans la voiture, on se regardait curieusement, ? la triste clart? de cette aurore. Tout au fond, aux meilleures places, sommeillaient, en face l’un de l’autre, M. et Mme Loiseau, des marchands de vins en gros[6 - des marchands de vins en gros – îïòîâûå òîðãîâöû âèíîì] de la rue Grand-Pont. Ancien commis d’un patron ruin? dans les affaires, Loiseau avait achet? le fonds[7 - le fonds – (çä.) ïðåäïðèÿòèå, áèçíåñ, òîðãîâîå äåëî] et fait fortune. Il vendait ? tr?s bon march?[8 - ? tr?s bon march? – î÷åíü äåøåâî] de tr?s mauvais vin aux petits d?bitants des campagnes et passait parmi ses connaissances et ses amis pour[9 - passait… pour – ñ÷èòàëñÿ] un fripon madr?, un vrai Normand plein de ruses et de jovialit?. Sa r?putation de filou ?tait si bien ?tablie, qu’un soir, ? la pr?fecture, M. Tournel, auteur de fables et de chansons, esprit mordant et fin, une gloire locale[10 - une gloire locale – ìåñòíàÿ çíàìåíèòîñòü], ayant propos? aux dames qu’il voyait un peu somnolentes de faire une partie de « Loiseau vole », le mot lui-m?me vola ? travers les salons du pr?fet, puis, gagnant ceux de la ville, avait fait rire pendant un mois toutes les m?choires de la province. Loiseau ?tait en outre c?l?bre par ses farces de toute nature, ses plaisanteries bonnes ou mauvaises ; et personne ne pouvait parler de lui sans ajouter imm?diatement : – « Il est impayable, ce Loiseau. » De taille exigu?, il pr?sentait un ventre en ballon surmont? d’une face rougeaude entre deux favoris grisonnants. Sa femme, grande, forte, r?solue, avec la voix haute et la d?cision rapide, ?tait l’ordre et l’arithm?tique de la maison de commerce, qu’il animait par son activit? joyeuse. ? c?t? d’eux se tenait, plus digne, appartenant ? une caste sup?rieure, M. Carr?-Lamadon, homme consid?rable, pos? dans les cotons, propri?taire de trois filatures, officier de la L?gion d’honneur et membre du Conseil g?n?ral. Il ?tait rest?, tout le temps de l’Empire, chef de l’opposition bienveillante, uniquement pour se faire payer plus cher son ralliement ? la cause qu’il combattait avec des armes courtoises, selon sa propre expression. Mme Carr?-Lamadon, beaucoup plus jeune que son mari, demeurait la consolation des ofifciers de bonne famille envoy?s ? Rouen en garnison. Elle faisait vis-?-vis[11 - Elle faisait vis-?-vis – Îíà ñèäåëà íàïðîòèâ] ? son ?poux, toute petite, toute mignonne, toute jolie, pelotonn?e dans ses fourrures, et regardait d’un ?il navr? l’int?rieur lamentable de la voiture. Ses voisins, le comte et la comtesse Hubert de Br?ville, portaient un des noms les plus anciens et les plus nobles de Normandie. Le comte, vieux gentilhomme de grande tournure, s’effor?ait d’accentuer, par les artifices de sa toilette, sa ressemblance naturelle avec le roi Henri IV qui, suivant une l?gende glorieuse pour la famille, avait rendu grosse une dame de Br?ville dont le mari, pour ce fait, ?tait devenu comte et gouverneur de province. Coll?gue de M. Carr?-Lamadon au Conseil g?n?ral, le comte Hubert repr?sentait le parti orl?aniste[12 - le parti orl?aniste – ïîëèòè÷åñêàÿ ñèñòåìà ïðèâåðæåíöåâ Îðëåàíñêîãî äîìà, óòâåðäèâøèõ âî Ôðàíöèè êîíñòèòóöèîííóþ ìîíàðõèþ] dans le d?partement. L’histoire de son mariage avec la fille d’un petit armateur de Nantes ?tait toujours demeur?e myst?rieuse. Mais comme la comtesse avait grand air, recevait mieux que personne, passait m?me pour avoir ?t? aim?e par un des fils de Louis-Philippe, toute la noblesse lui faisait f?te, et son salon demeurait le premier du pays, le seul o? se conserv?t la vieille galanterie, et dont l’entr?e f?t dififcile. La fortune des Br?ville, toute en biens-fonds, atteignait, disait-on, cinq cent mille livres de revenu. Ces six personnes formaient le fond de la voiture, le c?t? de la soci?t? rent?e, sereine et forte, des honn?tes gens autoris?s qui ont de la Religion et des Principes. Par un hasard ?trange, toutes les femmes se trouvaient sur le m?me banc ; et la comtesse avait encore pour voisines deux bonnes s?urs qui ?grenaient de longs chapelets en marmottant des Pater et des Ave[13 - Pater, Ave – êàòîëè÷åñêèå ìîëèòâû]. L’une ?tait vieille avec une face d?fonc?e par la petite v?role[14 - la petite v?role – îñïà] comme si elle e?t re?u ? bout portant[15 - ? bout portant – â óïîð] une bord?e de mitraille en pleine figure. L’autre, tr?s ch?tive, avait une t?te jolie et maladive sur une poitrine de phtisique rong?e par cette foi d?vorante qui fait les martyrs et les illumin?s. En face des deux religieuses, un homme et une femme attiraient les regards de tous. L’homme, bien connu, ?tait Cornudet le d?moc, la terreur des gens respectables. Depuis vingt ans, il trempait sa grande barbe rousse dans les bocks de tous les caf?s d?mocratiques. Il avait mang? avec les fr?res et amis une assez belle fortune qu’il tenait de son p?re, ancien confiseur, et il attendait impatiemment la R?publique pour obtenir enfin la place m?rit?e par tant de consommations r?volutionnaires. Au Quatre Septembre[16 - Quatre Septembre – 4 ñåíòÿáðÿ 1870 ãîäà, äàòà îòðå÷åíèÿ Íàïîëåîíà III îò âëàñòè è ïðîâîçãëàøåíèÿ III Ðåñïóáëèêè], par suite d’une farce peut-?tre, il s’?tait cru nomm? pr?fet, mais quand il voulut entrer en fonctions, les gar?ons de bureau, demeur?s seuls ma?tres de la place, refus?rent de le reconna?tre, ce qui le contraignit ? la retraite. Fort bon gar?on, du reste, inoffensif et serviable, il s’?tait occup? avec une ardeur incomparable d’organiser la d?fense. Il avait fait creuser des trous dans les plaines, coucher tous les jeunes arbres des for?ts voisines, sem? des pi?ges sur toutes les routes, et, ? l’approche de l’ennemi, satisfait de ses pr?paratifs, il s’?tait vivement repli? vers la ville. Il pensait maintenant se rendre encore plus utile au Havre, o? de nouveaux retranchements allaient ?tre n?cessaires. La femme, une de celles appel?es galantes, ?tait c?l?bre par son embonpoint pr?coce qui lui avait valu le surnom de Boule de Suif. Petite, ronde de partout, grasse ? lard, avec des doigts boufifs, ?trangl?s aux phalanges, pareils ? des chapelets de courtes saucisses ; avec une peau luisante et tendue, une gorge ?norme qui saillait sous sa robe, elle restait cependant app?tissante et courue, tant sa fra?cheur faisait plaisir ? voir. Sa figure ?tait une pomme rouge, un bouton de pivoine pr?t ? fleurir ; et l?-dedans s’ouvraient, en haut, deux yeux noirs magnifiques, ombrag?s de grands cils ?pais qui mettaient une ombre dedans ; en bas, une bouche charmante, ?troite, humide pour le baiser, meubl?e de quenottes luisantes et microscopiques. Elle ?tait de plus, disait-on, pleine de qualit?s inappr?ciables. Aussit?t qu’elle fut reconnue, des chuchotements coururent parmi les femmes honn?tes, et les mots de « prostitu?e », de « honte publique » furent chuchot?s si haut qu’elle leva la t?te. Alors elle promena sur ses voisins un regard tellement provocant et hardi qu’un grand silence aussit?t r?gna, et tout le monde baissa les yeux ? l’exception de Loiseau, qui la guettait d’un air ?moustill?. Mais bient?t la conversation reprit entre les trois dames, que la pr?sence de cette fille avait rendues subitement amies, presque intimes. Elles devaient faire, leur semblait-il, comme un faisceau de leurs dignit?s d’?pouses en face de cette vendue sans vergogne[17 - sans vergogne – áåññòûäíûé] ; car l’amour l?gal le prend toujours de haut[18 - prendre de haut – îòíîñèòüñÿ ñâûñîêà] avec son libre confr?re. Les trois hommes aussi, rapproch?s par un instinct de conservateurs ? l’aspect de Cornudet, parlaient argent d’un certain ton d?daigneux pour les pauvres. Le comte Hubert disait les d?g?ts que lui avaient fait subir les Prussiens, les pertes qui r?sulteraient du b?tail vol? et des r?coltes perdues, avec une assurance de grand seigneur dix fois millionnaire que ces ravages g?neraient ? peine une ann?e. M. Carr?-Lamadon, fort ?prouv? dans l’industrie cotonni?re, avait eu soin d’envoyer six cent mille francs en Angleterre, une poire pour la soif qu’il se m?nageait ? toute occasion. Quant ? Loiseau, il s’?tait arrang? pour vendre ? l’Intendance fran?aise tous les vins communs[19 - les vins communs – îðäèíàðíûå âèíà] qui lui restaient en cave, de sorte que l’?tat lui devait une somme formidable qu’il comptait bien toucher au Havre. Et tous les trois se jetaient des coups d’?il rapides et amicaux. Bien que de conditions diff?rentes, ils se sentaient fr?res par l’argent, de la grande francma?onnerie de ceux qui poss?dent, qui font sonner de l’or en mettant la main dans la poche de leur culotte. La voiture allait si lentement qu’? dix heures du matin on n’avait pas fait quatre lieues. Les hommes descendirent trois fois pour monter des c?tes ? pied. On commen?ait ? s’inqui?ter, car on devait d?jeuner ? T?tes et l’on d?sesp?rait maintenant d’y parvenir avant la nuit. Chacun guettait pour apercevoir un cabaret sur la route, quand la diligence sombra dans un amoncellement de neige et il fallut deux heures pour la d?gager. L’app?tit grandissait, troublait les esprits ; et aucune gargote, aucun marchand de vin ne se montraient, l’approche des Prussiens et le passage des troupes fran?aises affam?es ayant effray? toutes les industries. Les messieurs coururent aux provisions dans les fermes au bord du chemin, mais ils n’y trouv?rent pas m?me de pain, car le paysan d?fiant cachait ses r?serves dans la crainte d’?tre pill? par les soldats qui, n’ayant rien ? se mettre sous la dent, prenaient par force ce qu’ils d?couvraient. Vers une heure de l’apr?s-midi, Loiseau annon?a que d?cid?ment il se sentait un rude creux dans l’estomac. Tout le monde souffrait comme lui depuis longtemps ; et le violent besoin de manger, augmentant toujours, avait tu? les conversations. De temps en temps, quelqu’un b?illait ; un autre presque aussit?t l’imitait ; et chacun, ? tour de r?le, suivant son caract?re, son savoir-vivre et sa position sociale, ouvrait la bouche avec fracas ou modestement en portant vite sa main devant le trou b?ant d’o? sortait une vapeur. Boule de Suif, ? plusieurs reprises, se pencha comme si elle cherchait quelque chose sous ses jupons. Elle h?sitait une seconde, regardait ses voisins, puis se redressait tranquillement. Les figures ?taient p?les et crisp?es. Loiseau afifrma qu’il payerait mille francs un jambonneau. Sa femme fit un geste comme pour protester ; puis elle se calma. Elle souffrait toujours en entendant parler d’argent gaspill?, et ne comprenait m?me pas les plaisanteries sur ce sujet. « Le fait est que je ne me sens pas bien, dit le comte, comment n’ai-je pas song? ? apporter des provisions ? » – Chacun se faisait le m?me reproche. Cependant, Cornudet avait une gourde pleine de rhum ; il en offrit ; on refusa froidement. Loiseau seul en accepta deux gouttes, et, lorsqu’il rendit la gourde, il remercia : « C’est bon tout de m?me, ?a r?chauffe, et ?a trompe l’app?tit. » – L’alcool le mit en belle humeur et il proposa de faire comme sur le petit navire de la chanson : de manger le plus gras des voyageurs. Cette allusion indirecte ? Boule de Suif choqua les gens bien ?lev?s. On ne r?pondit pas ; Cornudet seul eut un sourire. Les deux bonnes s?urs avaient cess? de marmotter leur rosaire, et, les mains enfonc?es dans leurs grandes manches, elles se tenaient immobiles, baissant obstin?ment les yeux, offrant sans doute au Ciel la souffrance qu’il leur envoyait. Enfin, ? trois heures, comme on se trouvait au milieu d’une plaine interminable, sans un seul village en vue, Boule de Suif se baissant vivement, retira de sous la banquette un large panier couvert d’une serviette blanche. Elle en sortit d’abord une petite assiette de fa?ence, une fine timbale en argent, puis une vaste terrine dans laquelle deux poulets entiers, tout d?coup?s, avaient confi sous leur gel?e ; et l’on apercevait encore dans le panier d’autres bonnes choses envelopp?es, des p?t?s, des fruits, des friandises, les provisions pr?par?es pour un voyage de trois jours, afin de ne point toucher ? la cuisine des auberges. Quatre goulots de bouteilles passaient entre les paquets de nourriture. Elle prit une aile de poulet et, d?licatement, se mit ? la manger avec un de ces petits pains qu’on appelle « R?gence » en Normandie. Tous les regards ?taient tendus vers elle. Puis l’odeur se r?pandit, ?largissant les narines, faisant venir aux bouches une salive abondante avec une contraction douloureuse de la m?choire sous les oreilles. Le m?pris des dames pour cette fille devenait f?roce, comme une envie de la tuer ou de la jeter en bas de la voiture, dans la neige, elle, sa timbale, son panier et ses provisions. Mais Loiseau d?vorait des yeux la terrine de poulet. Il dit : « ? la bonne heure, madame a eu plus de pr?caution que nous. Il y a des personnes qui savent toujours penser ? tout. » Elle leva la t?te vers lui : « Si vous en d?sirez, monsieur ? C’est dur de je?ner depuis le matin. » Il salua : « Ma foi, franchement, je ne refuse pas, je n’en peux plus. ? la guerre comme ? la guerre, n’est-ce pas, madame ? » Et, jetant un regard circulaire, il ajouta : « Dans des moments comme celui-ci, on est bien ais? de trouver des gens qui vous obligent. » – Il avait un journal qu’il ?tendit pour ne point tacher son pantalon, et sur la pointe d’un couteau toujours log? dans sa poche, il enleva une cuisse toute vernie de gel?e, la d?pe?a des dents, puis la m?cha avec une satisfaction si ?vidente qu’il y eut dans la voiture un grand soupir de d?tresse. Mais Boule de Suif, d’une voix humble et douce, proposa aux bonnes s?urs de partager sa collation. Elles accept?rent toutes les deux instantan?ment, et, sans lever les yeux, se mirent ? manger tr?s vite apr?s avoir balbuti? des remerciements. Cornudet ne refusa pas non plus les offres de sa voisine, et l’on forma avec les religieuses une sorte de table en d?veloppant des journaux sur les genoux. Les bouches s’ouvraient et se fermaient sans cesse, avalaient, mastiquaient, engloutissaient f?rocement. Loiseau, dans son coin, travaillait dur, et, ? voix basse, il engageait sa femme ? l’imiter. Elle r?sista longtemps, puis, apr?s une crispation qui lui parcourut les entrailles, elle c?da. Alors son mari, arrondissant sa phrase, demanda ? leur « charmante compagne » si elle lui permettait d’offrir un petit morceau ? Mme Loiseau. Elle dit : « Mais oui, certainement, monsieur, » avec un sourire aimable, et tendit la terrine. Un embarras se produisit lorsqu’on eut d?bouch? la premi?re bouteille de bordeaux : il n’y avait qu’une timbale. On se la passa apr?s l’avoir essuy?e. Cornudet seul, par galanterie sans doute, posa ses l?vres ? la place humide encore des l?vres de sa voisine. Alors, entour?s de gens qui mangeaient, suffoqu?s par les ?manations des nourritures, le comte et la comtesse de Br?ville, ainsi que M. et Mme Carr?-Lamadon souffrirent ce supplice odieux qui a gard? le nom de Tantale[20 - Tantale – Òàíòàë, ãåðîé äðåâíåãðå÷åñêîé ìèôîëîãèè. Èñïûòûâàë â ïîäçåìíîì öàðñòâå íåñòåðïèìûå ìóêè ãîëîäà è æàæäû. Ñòîÿ ïî ãîðëî â âîäå, îí íå ìîã äîñòàòü âîäû è, âèäÿ áëèç ñåáÿ ðîñêîøíûå ïëîäû, íå ìîã îâëàäåòü èìè: êàê òîëüêî îí îòêðûâàë ðîò, ÷òîáû çà÷åðïíóòü âîäû, èëè ïîäíèìàë ðóêè, ÷òîáû ñîðâàòü ïëîä, âîäà óòåêàëà è âåòâü ñ ïëîäàìè îòêëîíÿëàñü.]. Tout d’un coup la jeune femme du manufacturier poussa un soupir qui fit retourner les t?tes ; elle ?tait aussi blanche que la neige du dehors ; ses yeux se ferm?rent, son front tomba : elle avait perdu connaissance. Son mari, affol?, implorait le secours de tout le monde. Chacun perdait l’esprit, quand la plus ?g?e des bonnes s?urs, soutenant la t?te de la malade, glissa entre ses l?vres la timbale de Boule de Suif et lui fit avaler quelques gouttes de vin. La jolie dame remua, ouvrit les yeux, sourit et d?clara d’une voix mourante qu’elle se sentait fort bien maintenant. Mais, afin que cela ne se renouvel?t plus, la religieuse la contraignit ? boire un plein verre de bordeaux, et elle ajouta : – « C’est la faim, pas autre chose. » Alors Boule de Suif, rougissante et embarrass?e, balbutia en regardant les quatre voyageurs rest?s ? jeun : « Mon Dieu, si j’osais offrir ? ces messieurs et ? ces dames… » Elle se tut, craignant un outrage. Loiseau prit la parole : « Eh, parbleu, dans des cas pareils tout le monde est fr?re et doit s’aider. Allons, mesdames, pas de c?r?monie, acceptez, que diable ! Savons-nous si nous trouverons seulement une maison o? passer la nuit ? Du train dont nous allons nous ne serons pas ? T?tes avant demain midi. » – On h?sitait, personne n’osant assumer la responsabilit? du « oui ». Mais le comte trancha la question. Il se tourna vers la grosse fille intimid?e, et, prenant son grand air de gentilhomme, il lui dit : « Nous acceptons avec reconnaissance, madame. » Le premier pas seul co?tait. Une fois le Rubicon pass?, on s’en donna carr?ment. Le panier fut vid?. Il contenait encore un p?t? de foie gras, un p?t? de mauviettes, un morceau de langue fum?e, des poires de Crassane, un pav? de Pont-l’?v?que[21 - un pav? de Pont-l’?v?que – êóñîê ñûðà Ïîí-Ëåâåê (ìÿãêèé íîðìàíäñêèé ñûð âñåãäà êâàäðàòíîé ôîðìû, ïî êîòîðîé åãî ëåãêî îòëè÷èòü îò äðóãèõ ñûðîâ)], des petits-fours et une tasse pleine de cornichons et d’oignons au vinaigre, Boule de Suif, comme toutes les femmes, adorant les crudit?s. On ne pouvait manger les provisions de cette fille sans lui parler. Donc on causa, avec r?serve d’abord, puis, comme elle se tenait fort bien, on s’abandonna davantage. Mmes de Br?ville et Carr?-Lamadon, qui avaient un grand savoir-vivre, se firent gracieuses avec d?licatesse. La comtesse surtout montra cette condescendance aimable des tr?s nobles dames qu’aucun contact ne peut salir, et fut charmante. Mais la forte Mme Loiseau, qui avait une ?me de gendarme, resta rev?che, parlant peu et mangeant beaucoup. On s’entretint de la guerre, naturellement. On raconta des faits horribles des Prussiens, des traits de bravoure des Fran?ais ; et tous ces gens qui fuyaient rendirent hommage au courage des autres. Les histoires personnelles commenc?rent bient?t, et Boule de Suif raconta, avec une ?motion vraie, avec cette chaleur de parole qu’ont parfois les filles pour exprimer leurs emportements naturels, comment elle avait quitt? Rouen : « J’ai cru d’abord que je pourrais rester, dit-elle. J’avais ma maison pleine de provisions, et j’aimais mieux nourrir quelques soldats que m’expatrier je ne sais o?. Mais quand je les ai vus, ces Prussiens, ce fut plus fort que moi ! Ils m’ont tourn? le sang de col?re ; et j’ai pleur? de honte toute la journ?e. Oh ! si j’?tais un homme, allez ! Je les regardais de ma fen?tre, ces gros porcs avec leur casque ? pointe, et ma bonne me tenait les mains pour m’emp?cher de leur jeter mon mobilier sur le dos. Puis il en est venu pour loger chez moi ; alors j’ai saut? ? la gorge du premier. Ils ne sont pas plus dififciles ? ?trangler que d’autres ! Et je l’aurais termin?, celui-l?, si l’on ne m’avait pas tir?e par les cheveux. Il a fallu me cacher apr?s ?a. Enfin, quand j’ai trouv? une occasion, je suis partie, et me voici. » On la f?licita beaucoup. Elle grandissait dans l’estime de ses compagnons qui ne s’?taient pas montr?s si cr?nes ; et Cornudet, en l’?coutant, gardait un sourire approbateur et bienveillant d’ap?tre ; de m?me un pr?tre entend un d?v?t louer Dieu, car les d?mocrates ? longue barbe ont le monopole du patriotisme comme les hommes en soutane ont celui de la religion. Il parla ? son tour d’un ton doctrinaire, avec l’emphase apprise dans les proclamations qu’on collait chaque jour aux murs, et il finit par un morceau d’?loquence o? il ?trillait magistralement cette « crapule de Badinguet[22 - Badinguet – ñàòèðè÷åñêîå ïðîçâèùå Íàïîëåîíà III] ». Mais Boule de Suif aussit?t se f?cha, car elle ?tait bonapartiste. Elle devenait plus rouge qu’une guigne, et, b?gayant d’indignation : « J’aurais bien voulu vous voir ? sa place, vous autres. ?a aurait ?t? du propre, ah oui ! C’est vous qui l’avez trahi, cet homme ! On n’aurait plus qu’? quitter la France si l’on ?tait gouvern? par des polissons comme vous ! » Cornudet, impassible, gardait un sourire d?daigneux et sup?rieur, mais on sentait que les gros mots allaient arriver quand le comte s’interposa et calma, non sans peine, la fille exasp?r?e, en proclamant avec autorit? que toutes les opinions sinc?res ?taient respectables. Cependant la comtesse et la manufacturi?re, qui avaient dans l’?me la haine irraisonn?e des gens comme il faut pour la R?publique, et cette instinctive tendresse que nourrissent toutes les femmes pour les gouvernements ? panache et despotiques, se sentaient, malgr? elles, attir?es vers cette prostitu?e pleine de dignit?, dont les sentiments ressemblaient si fort aux leurs. Le panier ?tait vide. ? dix on l’avait tari sans peine, en regrettant qu’il ne f?t pas plus grand. La conversation continua quelque temps, un peu refroidie n?anmoins depuis qu’on avait fini de manger. La nuit tombait, l’obscurit? peu ? peu devint profonde, et le froid, plus sensible pendant les digestions, faisait frissonner Boule de Suif, malgr? sa graisse. Alors Mme de Br?ville lui proposa sa chaufferette dont le charbon, depuis le matin, avait ?t? plusieurs fois renouvel?, et l’autre accepta tout de suite, car elle se sentait les pieds gel?s. Mmes Carr?-Lamadon et Loiseau donn?rent les leurs aux religieuses. Le cocher avait allum? ses lanternes. Elles ?clairaient d’une lueur vive un nuage de bu?e au-dessus de la croupe en sueur des timoniers, et, des deux c?t?s de la route, la neige qui semblait se d?rouler sous le reflet mobile des lumi?res. On ne distinguait plus rien dans la voiture ; mais tout ? coup un mouvement se fit entre Boule de Suif et Cornudet ; et Loiseau, dont l’?il fouillait l’ombre, crut voir l’homme ? la grande barbe s’?carter vivement comme s’il e?t re?u quelque bon coup lanc? sans bruit. Des petits points de feu parurent en avant sur la route. C’?tait T?tes. On avait march? onze heures, ce qui, avec les deux heures de repos laiss?es en quatre fois aux chevaux pour manger l’avoine et soufler, faisait quatorze. On entra dans le bourg et devant l’H?tel du Commerce on s’arr?ta. La porti?re s’ouvrit ! Un bruit bien connu fit tressaillir tous les voyageurs ; c’?taient les heurts d’un fourreau de sabre sur le sol. Aussit?t la voix d’un Allemand cria quelque chose. Bien que la diligence f?t immobile, personne ne descendait, comme si l’on se f?t attendu ? ?tre massacr? ? la sortie. Alors le conducteur apparut, tenant ? la main une de ses lanternes qui ?claira subitement jusqu’au fond de la voiture les deux rangs de t?tes effar?es, dont les bouches ?taient ouvertes et les yeux ?carquill?s de surprise et d’?pouvante. ? c?t? du cocher se tenait, en pleine lumi?re, un officier allemand, un grand jeune homme excessivement mince et blond, serr? dans son uniforme comme une fille en son corset, et port ant sur le c?t? sa casquette plate et cir?e qui le faisait ressembler au chasseur d’un h?tel anglais. Sa moustache d?mesur?e, ? longs poils droits, s’amincissant ind?finiment de chaque c?t? et termin?e par un seul fil blond, si mince qu’on n’en apercevait pas la fin, semblait peser sur les coins de sa bouche, et, tirant la joue, imprimait aux l?vres un pli tombant. Il invita en fran?ais d’Alsacien les voyageurs ? sortir, disant d’un ton raide : – « Foulez-vous tescentre, messieurs et tames ? » Les deux bonnes s?urs ob?irent les premi?res avec une docilit? de saintes filles habitu?es ? toutes les soumissions. Le comte et la comtesse parurent ensuite, suivis du manufacturier et de sa femme, puis de Loiseau poussant devant lui sa grande moiti?. Celui-ci, en mettant pied ? terre, dit ? l’officier : « Bonjour monsieur », par un sentiment de prudence bien plus que par politesse. L’autre, insolent comme les gens tout-puissants, le regarda sans r?pondre. Boule de Suif et Cornudet, bien que pr?s de la porti?re, descendirent les derniers, graves et hautains devant l’ennemi. La grosse fille t?chait de se dominer et d’?tre calme : le d?moc tourmentait d’une main tragique et un peu tremblante sa longue barbe rouss?tre. Ils voulaient garder de la dignit?, comprenant qu’en ces rencontres-l? chacun repr?sente un peu son pays ; et pareillement r?volt?s par la souplesse de leurs compagnons, elle, t?chait de se montrer plus fi?re que ses voisines, les femmes honn?tes, tandis que lui, sentant bien qu’il devait l’exemple, continuait en toute son attitude sa mission de r?sistance commenc?e au d?foncement des routes. On entra dans la vaste cuisine de l’auberge, et l’Allemand, s’?tant fait pr?senter l’autorisation de d?part sign?e par le g?n?ral en chef et o? ?taient mentionn?s les noms, le signalement et la profession de chaque voyageur, examina longuement tout ce monde, comparant les personnes aux renseignements ?crits. Puis il dit brusquement : « C’est pien », et il disparut. Alors on respira. On avait faim encore ; le souper fut command?. Une demi-heure ?tait n?cessaire pour l’appr?ter ; et, pendant que deux servantes avaient l’air de s’en occuper, on alla visiter les chambres. Elles se trouvaient toutes dans un long couloir que terminait une porte vitr?e marqu?e d’un num?ro parlant. Enfin on allait se mettre ? table, quand le patron de l’auberge parut lui-m?me. C’?tait un ancien marchand de chevaux, un gros homme asthmatique, qui avait toujours des sifflements, des enrouements, des chants de glaires dans le larynx. Son p?re lui avait transmis le nom de Follenvie. Il demanda : – Mademoiselle ?lisabeth Rousset ? Boule de Suif tressaillit, se retourna : – C’est moi. – Mademoiselle, l’ofifcier prussien veut vous parler imm?diatement. – ? moi ? – Oui, si vous ?tes bien mademoiselle ?lisabeth Rousset. Elle se troubla, r?fl?chit une seconde, puis d?clara, carr?ment : – C’est possible, mais je n’irai pas. Un mouvement se fit autour d’elle ; chacun discutait, cherchait la cause de cet ordre. Le comte s’approcha : – Vous avez tort, madame, car votre refus peut amener des dififcult?s consid?rables, non seulement pour vous, mais m?me pour tous vos compagnons. Il ne faut jamais r?sister aux gens qui sont les plus forts. Cette d?marche assur?ment ne peut pr?senter aucun danger ; c’est sans doute pour quelque formalit? oubli?e. Tout le monde se joignit ? lui, on la pria, on la pressa, on la sermonna, et l’on finit par la convaincre ; car tous redoutaient les complications qui pourraient r?sulter d’un coup de t?te. Elle dit enfin : – C’est pour vous que je le fais, bien s?r ! La comtesse lui prit la main : – Et nous vous remercions. Elle sortit. On l’attendit pour se mettre ? table. Chacun se d?solait de n’avoir pas ?t? demand? ? la place de cette fille violente et irascible, et pr?parait mentalement des platitudes pour le cas o? on l’appellerait ? son tour. Mais, au bout de dix minutes, elle reparut, souflant, rouge ? suffoquer, exasp?r?e. Elle balbutiait : « Oh ! la canaille ! la canaille ! » Tous s’empressaient pour savoir, mais elle ne dit rien ; et comme le comte insistait, elle r?pondit avec une grande dignit? : « Non, cela ne vous regarde pas, je ne peux pas parler. » Alors on s’assit autour d’une haute soupi?re d’o? sortait un parfum de choux. Malgr? cette alerte, le souper fut gai. Le cidre ?tait bon, le m?nage Loiseau[23 - le m?nage Loiseau – ÷åòà Ëóàçî] et les bonnes s?urs en prirent, par ?conomie. Les autres demand?rent du vin ; Cornudet r?clama de la bi?re. Il avait une fa?on particuli?re de d?boucher la bouteille, de faire mousser le liquide, de le consid?rer en penchant le verre, qu’il ?levait ensuite entre la lampe et son ?il pour bien appr?cier la couleur. Quand il buvait, sa grande barbe, qui avait gard? la nuance de son breuvage aim?, semblait tressaillir de tendresse ; ses yeux louchaient pour ne point perdre de vue sa chope, et il avait l’air de remplir l’unique fonction pour laquelle il ?tait n?. On e?t dit qu’il ?tablissait en son esprit un rapprochement et comme une afifnit? entre les deux grandes passions qui occupaient toute sa vie : le Pale Ale[24 - le Pale Ale – ïåéë-ýëü, ñîðò ïèâà] et la R?volution ; et assur?ment il ne pouvait d?guster l’un sans songer ? l’autre. M. et Mme Follenvie d?naient tout au bout de la table. L’homme, r?lant comme une locomotive crev?e, avait trop de tirage dans la poitrine pour pouvoir parler en mangeant : mais la femme ne se taisait jamais. Elle raconta toutes ses impressions ? l’arriv?e des Prussiens, ce qu’ils faisaient, ce qu’ils disaient, les ex?crant, d’abord, parce qu’ils lui co?taient de l’argent, et, ensuite, parce qu’elle avait deux fils ? l’arm?e. Elle s’adressait surtout ? la comtesse, flatt?e de causer avec une dame de qualit?. Puis elle baissait la voix pour dire des choses d?licates, et son mari, de temps en temps, l’interrompait : – Tu ferais mieux de te taire, madame Follenvie. Mais elle n’en tenait aucun compte, et continuait : – Oui, madame, ces gens-l? ?a ne fait que manger des pommes de terre et du cochon, et puis du cochon et des pommes de terre. Et il ne faut pas croire qu’ils sont propres. – Oh non ! – Ils ordurent partout, sauf le respect que je vous dois. Et si vous les voyiez faire l’exercice pendant des heures et des jours ; ils sont l? tous dans un champ : – et marche en avant, et marche en arri?re, et tourne par-ci, et tourne par-l?. – S’ils cultivaient la terre au moins, ou s’ils travaillaient aux routes dans leur pays ! – Mais non, madame, ces militaires, ?a n’est profitable ? personne ! Faut-il que le pauvre peuple les nourrisse pour n’apprendre rien qu’? massacrer ! – Je ne suis qu’une vieille femme sans ?ducation, c’est vrai, mais en les voyant qui s’esquintent le temp?rament ? pi?tiner du matin au soir, je me dis : – « Quand il y a des gens qui font tant de d?couvertes pour ?tre utiles, faut-il que d’autres se donnent tant de mal pour ?tre nuisibles ! Vraiment, n’est-ce pas une abomination de tuer des gens qu’ils soient Prussiens, ou bien Anglais, ou bien Polonais, ou bien Fran?ais ? – Si l’on se revenge sur quelqu’un qui vous a fait tort, c’est mal, puisqu’on vous condamne ; mais quand on extermine nos gar?ons comme du gibier, avec des fusils, c’est donc bien, puisqu’on donne des d?corations ? celui qui en d?truit le plus ? – Non, voyez-vous, je ne comprendrai jamais ?a ! Cornudet ?leva la voix : – La guerre est une barbarie quand on attaque un voisin paisible ; c’est un devoir sacr? quand on d?fend la patrie. La vieille femme baissa la t?te : – Oui, quand on se d?fend, c’est autre chose ; mais si l’on ne devrait pas plut?t tuer tous les rois qui font ?a pour leur plaisir ? L’?il de Cornudet s’enflamma : – Bravo, citoyenne ! dit-il. M. Carr?-Lamadon r?fl?chissait profond?ment. Bien qu’il f?t fanatique des illustres capitaines, le bon sens de cette paysanne le faisait songer ? l’opulence qu’apporteraient dans un pays tant de bras inoccup?s et par cons?quent ruineux, tant de forces qu’on entretient improductives, si on les employait aux grands travaux industriels qu’il faudra des si?cles pour achever. Mais Loiseau, quittant sa place, alla causer tout bas avec l’aubergiste. Le gros homme riait, toussait, crachait ; son ?norme ventre sautillait de joie aux plaisanteries de son voisin, et il lui acheta six feuillettes de bordeaux pour le printemps, quand les Prussiens seraient partis. Le souper ? peine achev?, comme on ?tait bris? de fatigue, on se coucha. Cependant Loiseau, qui avait observ? les choses, fit mettre au lit son ?pouse, puis colla tant?t son oreille et tant?t son ?il au trou de la serrure, pour t?cher de d?couvrir ce qu’il appelait : « les myst?res du corridor ». Au bout d’une heure environ, il entendit un fr?lement, regarda bien vite, et aper?ut Boule de Suif qui paraissait plus repl?te encore sous un peignoir de cachemire bleu, brod? de dentelles blanches. Elle tenait un bougeoir ? la main et se dirigeait vers le gros num?ro tout au fond du couloir. Mais une porte, ? c?t?, s’entr’ouvrit, et, quand elle revint au bout de quelques minutes, Cornudet, en bretelles, la suivait. Ils parlaient bas, puis ils s’arr?t?rent. Boule de Suif semblait d?fendre l’entr?e de sa chambre avec ?nergie. Loiseau, malheureusement, n’entendait pas les paroles, mais, ? la fin, comme ils ?levaient la voix, il put en saisir quelques-unes. Cornudet insistait avec vivacit?. Il disait : – Voyons, vous ?tes b?te, qu’est-ce que ?a vous fait ? Elle avait l’air indign? et r?pondit : – Non, mon cher, il y a des moments o? ces choses-l? ne se font pas ; et puis, ici, ce serait une honte. Il ne comprenait point, sans doute, et demanda pourquoi. Alors elle s’emporta, ?levant encore le ton : – Pourquoi ? Vous ne comprenez pas pourquoi ? Quand il y a des Prussiens dans la maison, dans la chambre ? c?t?, peut-?tre ? Il se tut. Cette pudeur patriotique de catin qui ne se laissait point caresser pr?s de l’ennemi, dut r?veiller en son c?ur sa dignit? d?faillante, car, apr?s l’avoir seulement embrass?e, il regagna sa porte ? pas de loup[25 - ? pas de loup – íà öûïî÷êàõ, êðàäó÷èñü]. Loiseau, tr?s allum?, quitta la serrure, battit un entrechat dans sa chambre, mit son madras, souleva le drap sous lequel gisait la dure carcasse de sa compagne qu’il ?veilla d’un baiser en murmurant : « M’aimes-tu, ch?rie ? » Alors toute la maison devint silencieuse. Mais bient?t s’?leva quelque part, dans une direction ind?termin?e qui pouvait ?tre la cave aussi bien que le grenier, un ronflement puissant, monotone, r?gulier, un bruit sourd et prolong?, avec des tremblements de chaudi?re sous pression. M. Follenvie dormait. Comme on avait d?cid? qu’on partirait ? huit heures le lendemain, tout le monde se trouva dans la cuisine ; mais la voiture, dont la b?che avait un toit de neige, se dressait solitaire au milieu de la cour, sans chevaux et sans conducteur. On chercha en vain celui-ci dans les ?curies, dans les fourrages, dans les remises. Alors tous les hommes se r?solurent ? battre le pays[26 - battre le pays – ïðîãóëÿòüñÿ ïî îêðåñòíîñòÿì; îáñëåäîâàòü ìåñòíîñòü] et ils sortirent. Ils se trouv?rent sur la place, avec l’?glise au fond, et, des deux c?t?s, des maisons basses o? l’on apercevait des soldats prussiens. Le premier qu’ils virent ?pluchait des pommes de terre. Le second, plus loin, lavait la boutique du coiffeur. Un autre, barbu jusqu’aux yeux, embrassait un mioche qui pleurait et le ber?ait sur ses genoux pour t?cher de l’apaiser ; et les grosses paysannes dont les hommes ?taient ? « l’arm?e de la guerre », indiquaient par signes ? leurs vainqueurs ob?issants le travail qu’il fallait entreprendre : fendre du bois, tremper la soupe, moudre le caf? ; un d’eux m?me lavait le linge de son h?tesse, une a?eule tout impotente. Le comte, ?tonn?, interrogea le bedeau qui sortait du presbyt?re. Le vieux rat d’?glise lui r?pondit : « Oh ! ceux-l? ne sont pas m?chants ; c’est pas des Prussiens ? ce qu’on dit. Ils sont de plus loin ; je ne sais pas bien d’o? ; et ils ont tous laiss? une femme et des enfants au pays ; ?a ne les amuse pas, la guerre, allez ! Je suis s?r qu’on pleure bien aussi l?-bas apr?s les hommes ; et ?a fournira une fameuse mis?re chez eux comme chez nous. Ici, encore, on n’est pas trop malheureux pour le moment, parce qu’ils ne font pas de mal et qu’ils travaillent comme s’ils ?taient dans leurs maisons. Voyez-vous, monsieur, entre pauvres gens, faut bien qu’on s’aide… C’est les grands qui font la guerre. » Cornudet, indign? de l’entente cordiale ?tablie entre les vainqueurs et les vaincus, se retira, pr?f?rant s’enfermer dans l’auberge. Loiseau eut un mot pour rire : « Ils repeuplent. » M. Carr?-Lamadon eut un mot grave : « Ils r?parent. » Mais on ne trouvait pas le cocher. ? la fin on le d?couvrit dans le caf? du village, attabl? fraternellement avec l’ordonnance de l’officier. Le comte l’interpella : – Ne vous avait-on pas donn? l’ordre d’atteler pour huit heures ? – Ah ! bien oui, mais on m’en a donn? un autre depuis. – Lequel ? – De ne pas atteler du tout. – Qui vous a donn? cet ordre ? – Ma foi ! le commandant prussien. – Pourquoi ? – Je n’en sais rien. Allez lui demander. On me d?fend d’atteler, moi je n’attelle pas. – Voil?. – C’est lui-m?me qui vous a dit cela ? – Non, monsieur, c’est l’aubergiste qui m’a donn? l’ordre de sa part. – Quand ?a ? – Hier soir, comme j’allais me coucher. Les trois hommes rentr?rent fort inquiets. On demanda M. Follenvie, mais la servante r?pondit que Monsieur, ? cause de son asthme, ne se levait jamais avant dix heures. Il avait m?me formellement d?fendu de le r?veiller plus t?t, except? en cas d’incendie. On voulut voir l’ofifcier, mais cela ?tait impossible absolument, bien qu’il loge?t dans l’auberge, M. Follenvie seul ?tait autoris? ? lui parler pour les affaires civiles. Alors on attendit. Les femmes remont?rent dans leurs chambres, et des futilit?s les occup?rent. Cornudet s’installa sous la haute chemin?e de la cuisine o? flambait un grand feu. Il se fit apporter l? une des petites tables du caf?, une canette, et il tira sa pipe qui jouissait parmi les d?mocrates d’une consid?ration presque ?gale ? la sienne, comme si elle avait servi la patrie en servant ? Cornudet. C’?tait une superbe pipe en ?cume[27 - une pipe en ?cume – ïåíêîâàÿ òðóáêà] admirablement culott?e, aussi noire que les dents de son ma?tre, mais parfum?e, recourb?e, luisante, famili?re ? sa main, et compl?tant sa physionomie. Et il demeura immobile, les yeux tant?t fix?s sur la flamme du foyer, tant?t sur la mousse qui couronnait sa chope ; et chaque fois qu’il avait bu, il passait d’un air satisfait ses longs doigts maigres dans ses longs cheveux gras pendant qu’il humait sa moustache frang?e d’?cume. Loiseau, sous pr?texte de se d?gourdir les jambes, alla placer du vin aux d?bitants du pays. Le comte et le manufacturier se mirent ? causer politique. Ils pr?voyaient l’avenir de la France. L’un croyait aux d’Orl?ans, l’autre ? un sauveur inconnu, un h?ros qui se r?v?lerait quand tout serait d?sesp?r? : un du Guesclin[28 - du Guesclin – Áåðíàð äþ Ãåêëåí (1320–1380), âûäàþùèéñÿ âîåíà÷àëüíèê Ñòîëåòíåé âîéíû], une Jeanne d’Arc peut-?tre ? ou un autre Napol?on I ? Ah ! si le prince imp?rial n’?tait pas si jeune ! Cornudet, les ?coutant, souriait en homme qui sait le mot des destin?es. Sa pipe embaumait la cuisine. Comme dix heures sonnaient, M. Follenvie parut. On l’interrogea bien vite ; mais il ne put que r?p?ter deux ou trois fois, sans une variante, ces paroles : L’ofifcier m’a dit comme ?a : « Monsieur Follenvie, vous d?fendrez qu’on attelle demain la voiture de ces voyageurs. Je ne veux pas qu’ils partent sans mon ordre. Vous entendez. ?a sufift. » Alors on voulut voir l’officier. Le comte lui envoya sa carte o? M. Carr?-Lamadon ajouta son nom et tous ses titres. Le Prussien fit r?pondre qu’il admettrait ces deux hommes ? lui parler quand il aurait d?jeun?, c’est-?-dire vers une heure. Les dames reparurent et l’on mangea quelque peu, malgr? l’inqui?tude. Boule de Suif semblait malade et prodigieusement troubl?e. On achevait le caf? quand l’ordonnance vint chercher ces messieurs. Loiseau se joignit aux deux premiers ; mais comme on essayait d’entra?ner Cornudet pour donner plus de solennit? ? leur d?marche, il d?clara fi?rement qu’il entendait n’avoir jamais aucun rapport avec les Allemands ; et il se remit dans sa chemin?e, demandant une autre canette. Les trois hommes mont?rent et furent introduits dans la plus belle chambre de l’auberge o? l’ofifcier les re?ut, ?tendu dans un fauteuil, les pieds sur la chemin?e, fumant une longue pipe de porcelaine, et envelopp? par une robe de chambre flamboyante, d?rob?e sans doute dans la demeure abandonn?e de quelques bourgeois de mauvais go?t. Il ne se leva pas, ne les salua pas, ne les regarda pas. Il pr?sentait un magnifique ?chantillon de la goujaterie naturelle au militaire victorieux. Au bout de quelques instants il dit enfin : – Qu’est-ce que fous foulez ? Le comte prit la parole : – Nous d?sirons partir, Monsieur. – Non. – Oserai-je vous demander la cause de ce refus ? – Parce que che ne feux pas. – Je vous ferai respectueusement observer, Monsieur, que votre g?n?ral en chef nous a d?livr? une permission de d?part pour gagner Dieppe ; et je ne pense pas que nous ayons rien fait pour m?riter vos rigueurs. – Che ne feux pas… foil? tout… Fous poufez tescentre. S’?tant inclin?s tous les trois, ils se retir?rent. L’apr?s-midi fut lamentable. On ne comprenait rien ? ce caprice d’Allemand ; et les id?es les plus singuli?res troublaient les t?tes. Tout le monde se tenait dans la cuisine et l’on discutait sans fin, imaginant des choses invraisemblables. On voulait peut-?tre les garder comme otages – mais dans quel but ? – ou les emmener prisonniers ? ou, plut?t, leur demander une ran?on consid?rable ? ? cette pens?e, une panique les affola. Les plus riches ?taient les plus ?pouvant?s, se voyant d?j? contraints, pour racheter leur vie, de verser des sacs pleins d’or entre les mains de ce soldat insolent. Ils se creusaient la cervelle pour d?couvrir des mensonges acceptables, dissimuler leurs richesses, se faire passer pour pauvres, tr?s pauvres. Loiseau enleva sa cha?ne de montre et la cacha dans sa poche. La nuit qui tombait augmenta les appr?hensions. La lampe fut allum?e, et comme on avait encore deux heures avant le d?ner, Mme Loiseau proposa une partie de trente-et-un. Ce serait une distraction. On accepta. Cornudet lui-m?me, ayant ?teint sa pipe par politesse, y prit part. Le comte battit les cartes – donna – Boule de Suif avait trente-et-un d’embl?e[29 - d’embl?e – ñðàçó æå, ñ ïåðâîãî ðàçà] ; et bient?t l’int?r?t de la partie apaisa la crainte qui hantait les esprits. Mais Cornudet s’aper?ut que le m?nage Loiseau s’entendait pour tricher. Comme on allait se mettre ? table, M. Follenvie reparut ; et, de sa voix graillonnante, il pronon?a : « L’officier prussien fait demander ? Mlle ?lisabeth Rousset si elle n’a pas encore chang? d’avis. » Boule de Suif resta debout, toute p?le ; puis, devenant subitement cramoisie, elle eut un tel ?touffement de col?re qu’elle ne pouvait plus parler. Enfin elle ?clata : « Vous lui direz ? cette crapule, ? ce saligaud, ? cette Charogne de Prussien, que jamais je ne voudrai ; vous entendez bien, jamais, jamais, jamais. » Le gros aubergiste sortit. Alors Boule de Suif fut entour?e, interrog?e, sollicit?e par tout le monde de d?voiler le myst?re de sa visite. Elle r?sista d’abord ; mais l’exasp?ration domina bient?t : « Ce qu’il veut ?… ce qu’il veut ? Il veut coucher avec moi ! » cria-t-elle. Personne ne se choqua du mot, tant l’indignation fut vive. Cornudet brisa sa chope en la reposant violemment sur la table. C’?tait une clameur de r?probation contre ce soudard ignoble, un soufle de col?re, une union de tous pour la r?sistance, comme si l’on e?t demand? ? chacun une partie du sacrifice exig? d’elle. Le comte d?clara avec d?go?t que ces gens-l? se conduisaient ? la fa?on des anciens barbares. Les femmes surtout t?moign?rent ? Boule de Suif une commis?ration ?nergique et caressante. Les bonnes s?urs, qui ne se montraient qu’aux repas, avaient baiss? la t?te et ne disaient rien. Êîíåö îçíàêîìèòåëüíîãî ôðàãìåíòà. Òåêñò ïðåäîñòàâëåí ÎÎÎ «ËèòÐåñ». Ïðî÷èòàéòå ýòó êíèãó öåëèêîì, êóïèâ ïîëíóþ ëåãàëüíóþ âåðñèþ (https://www.litres.ru/gi-mopassan/boule-de-suif-pyshka-kniga-dlya-chteniya-na-francuzskom-yazyke/?lfrom=688855901) íà ËèòÐåñ. Áåçîïàñíî îïëàòèòü êíèãó ìîæíî áàíêîâñêîé êàðòîé Visa, MasterCard, Maestro, ñî ñ÷åòà ìîáèëüíîãî òåëåôîíà, ñ ïëàòåæíîãî òåðìèíàëà, â ñàëîíå ÌÒÑ èëè Ñâÿçíîé, ÷åðåç PayPal, WebMoney, ßíäåêñ.Äåíüãè, QIWI Êîøåëåê, áîíóñíûìè êàðòàìè èëè äðóãèì óäîáíûì Âàì ñïîñîáîì. notes Ïðèìå÷àíèÿ 1 de circonstance – ïî âîëå ñëó÷àÿ; ïî ñòå÷åíèþ îáñòîÿòåëüñòâ 2 oficier d’ordonnance – àäúþòàíò 3 qu’on ne consid?r?t comme une arme – êàê áû íå ñî÷ëè îðóæèåì 4 la place de l’H?tel-de-Ville – Ðàòóøíàÿ ïëîùàäü 5 pourvu qu’on ne se montr?t – òîëüêî áû íå ïîêàçàòüñÿ 6 des marchands de vins en gros – îïòîâûå òîðãîâöû âèíîì 7 le fonds – (çä.) ïðåäïðèÿòèå, áèçíåñ, òîðãîâîå äåëî 8 ? tr?s bon march? – î÷åíü äåøåâî 9 passait… pour – ñ÷èòàëñÿ 10 une gloire locale – ìåñòíàÿ çíàìåíèòîñòü 11 Elle faisait vis-?-vis – Îíà ñèäåëà íàïðîòèâ 12 le parti orl?aniste – ïîëèòè÷åñêàÿ ñèñòåìà ïðèâåðæåíöåâ Îðëåàíñêîãî äîìà, óòâåðäèâøèõ âî Ôðàíöèè êîíñòèòóöèîííóþ ìîíàðõèþ 13 Pater, Ave – êàòîëè÷åñêèå ìîëèòâû 14 la petite v?role – îñïà 15 ? bout portant – â óïîð 16 Quatre Septembre – 4 ñåíòÿáðÿ 1870 ãîäà, äàòà îòðå÷åíèÿ Íàïîëåîíà III îò âëàñòè è ïðîâîçãëàøåíèÿ III Ðåñïóáëèêè 17 sans vergogne – áåññòûäíûé 18 prendre de haut – îòíîñèòüñÿ ñâûñîêà 19 les vins communs – îðäèíàðíûå âèíà 20 Tantale – Òàíòàë, ãåðîé äðåâíåãðå÷åñêîé ìèôîëîãèè. Èñïûòûâàë â ïîäçåìíîì öàðñòâå íåñòåðïèìûå ìóêè ãîëîäà è æàæäû. Ñòîÿ ïî ãîðëî â âîäå, îí íå ìîã äîñòàòü âîäû è, âèäÿ áëèç ñåáÿ ðîñêîøíûå ïëîäû, íå ìîã îâëàäåòü èìè: êàê òîëüêî îí îòêðûâàë ðîò, ÷òîáû çà÷åðïíóòü âîäû, èëè ïîäíèìàë ðóêè, ÷òîáû ñîðâàòü ïëîä, âîäà óòåêàëà è âåòâü ñ ïëîäàìè îòêëîíÿëàñü. 21 un pav? de Pont-l’?v?que – êóñîê ñûðà Ïîí-Ëåâåê (ìÿãêèé íîðìàíäñêèé ñûð âñåãäà êâàäðàòíîé ôîðìû, ïî êîòîðîé åãî ëåãêî îòëè÷èòü îò äðóãèõ ñûðîâ) 22 Badinguet – ñàòèðè÷åñêîå ïðîçâèùå Íàïîëåîíà III 23 le m?nage Loiseau – ÷åòà Ëóàçî 24 le Pale Ale – ïåéë-ýëü, ñîðò ïèâà 25 ? pas de loup – íà öûïî÷êàõ, êðàäó÷èñü 26 battre le pays – ïðîãóëÿòüñÿ ïî îêðåñòíîñòÿì; îáñëåäîâàòü ìåñòíîñòü 27 une pipe en ?cume – ïåíêîâàÿ òðóáêà 28 du Guesclin – Áåðíàð äþ Ãåêëåí (1320–1380), âûäàþùèéñÿ âîåíà÷àëüíèê Ñòîëåòíåé âîéíû 29 d’embl?e – ñðàçó æå, ñ ïåðâîãî ðàçà
Íàø ëèòåðàòóðíûé æóðíàë Ëó÷øåå ìåñòî äëÿ ðàçìåùåíèÿ ñâîèõ ïðîèçâåäåíèé ìîëîäûìè àâòîðàìè, ïîýòàìè; äëÿ ðåàëèçàöèè ñâîèõ òâîð÷åñêèõ èäåé è äëÿ òîãî, ÷òîáû âàøè ïðîèçâåäåíèÿ ñòàëè ïîïóëÿðíûìè è ÷èòàåìûìè. Åñëè âû, íåèçâåñòíûé ñîâðåìåííûé ïîýò èëè çàèíòåðåñîâàííûé ÷èòàòåëü - Âàñ æä¸ò íàø ëèòåðàòóðíûé æóðíàë.